Par Philippe GRANGEREAU, Libération, 22 février 2007
«Libération» a passé trois jours à Guantánamo. Un monde édifiant où se mêlent prisonniers nourris de force, président de tribunal sans formation juridique, jardin d'enfants et minigolf.
Voir la vidéo (censurée) tournée par Philippe Gangereau : http://grangereau.blogs.liberation.fr/video/
«Libération» a passé trois jours à Guantánamo. Un monde édifiant où se mêlent prisonniers nourris de force, président de tribunal sans formation juridique, jardin d'enfants et minigolf.
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La procédure est exécutée par des infirmiers diplômés, et prend entre quinze et quarante-cinq minutes», dit le médecin chef, un colonel de l'armée. «Premièrement, on attache l'ennemi combattant sur une chaise spéciale. On prend ensuite ceci», dit-il en présentant le mince tuyau souple, de couleur jaune, qu'il tient dans la main. Le dispositif est enfoncé progressivement dans une narine jusqu'à ce que l'embout atteigne l'intestin, où de la purée sous pression est alors envoyée. «Ça n'a pas de goût, mais on peut la parfumer à la vanille.» Le traitement est appliqué «une ou deux fois par jour, jusqu'à ce que le sujet cesse sa grève de la faim», souligne le médecin militaire, qui a pris la précaution d'ôter de son uniforme la bande Velcro portant son nom. Douze «ennemis combattants» détenus à Guantánamo, actuellement en grève de la faim, sont astreints à cette «procédure médicale d'alimentation interne». L'un d'eux, s'étonne le colonel, jeûne «depuis exactement cinq cent vingt-cinq jours».
Les prisonniers nourris de force n'entretiendraient aucune animosité. «Au contraire, ils nous remercient de prolonger leur vie, par l'apport d'une alimentation adéquate», soutient le militaire en s'adressant à notre groupe de trois journalistes admis dans l'hôpital du camp de détention. «Certains détenus se plaignent même de ne pas être nourris à temps lorsque les infirmiers prennent un peu de retard», claironne une autre blouse blanche. «Il faut bien vous rendre compte, intervient le sergent Byer, un cerbère à la mine sympathique qui encadre cette entrevue, que les grévistes de la faim ne veulent pas vraiment faire la grève de la faim...» Les trois détenus qui se sont suicidés le 9 juin dernier, et le nombre inconnu de ceux qui ont tenté de mettre fin à leurs jours «ne sont pas vraiment des désespérés. En réalité, ils mettent en pratique une technique de propagande, une tactique de guerre asymétrique».
«Jet de fluides corporels»
Cette guérilla sournoise que mèneraient sans relâche les prisonniers, pourtant soumis à des mesures de sécurité draconiennes, se traduirait aussi par des bombardements de «fluides corporels» sur les gardes. «Salive, matières fécales, sperme, urine, sang provenant des hémorroïdes, vomi parfois», détaille un lieutenant. Un pilonnage intense, selon les autorités militaires, qui ont scrupuleusement comptabilisé 432 «jets de fluides corporels» entre juillet 2005 et août 2006. Singulièrement, deux gardes présents sur les lieux depuis six mois disent n'en avoir jamais été personnellement victimes. Travaillant treize heures par jour, ils se disent, en revanche, «très stressés».
L'hallucinant voyage dans le camp de prisonniers le plus célèbre du monde a commencé quelques jours plus tôt, avec la réception d'un sauf-conduit par e-mail, émanant de la Force interarmées de Guantánamo. Cette missive officielle, couronnant une longue démarche entamée deux mois auparavant, s'achève en post-scriptum sur une citation de la Bible : «J'obtiendrai la grâce, car je puise ma force dans les faiblesses dont on me fait grief...» Deux compagnies aériennes privées desservent Guantánamo Bay depuis Fort Lauderdale, en Floride. Air Sunshine nous transporte en bimoteur huit places. Trois heures et demie de vol, un crochet autour des côtes cubaines, puis l'atterrissage. Un militaire préposé nous accueille par un prévisible «Bienvenue à Guantánamo !» avant de nous faire embarquer sur un ferry qui relie des deux anses de la baie. Celle-ci est louée à Cuba depuis plus d'un siècle pour 4 085 dollars par an, réglés par chèques que Fidel Castro n'a jamais encaissés.
«C'est un endroit idéal pour élever des enfants», fait observer un sergent en installant notre trio, dont une escouade de militaires aura la garde trois jours durant, dans une maison située à côté d'une école primaire. Un jardin d'enfants et un minigolf sont à un jet de pierre de notre petite rue calme, qui évoque une banlieue prospère de Miami. Sur ce confetti grand comme Paris, vivent 8 000 militaires et civils, coupés du reste de l'île de Cuba. Beaucoup ont déménagé leurs voitures, leurs Harley-Davidson et parfois leurs bateaux de plaisance. Il y a un centre commercial, décoré de ballons en forme de coeurs pour la Saint-Valentin, qui vend des souvenirs, des serviettes de plage et des cartes postales ; deux cinémas, ainsi qu'une poignée de restaurants, dont un McDonald's servant des Happy Meals . Des chanteurs s'y produisent en concert ; des affiches proposent des cours de danse country. Les routes, où la vitesse est partout limitée à 35 km/h afin d'épargner les indolents iguanes qui s'y prélassent, sont jalonnées de panneaux affichant le mot d'ordre à observer. Cette semaine : «La fierté.»
Dentifrice «Haute sécurité»
Guantánamo est une autre planète, un monde schizophrène créé par George W. Bush. Environ 395 prisonniers y sont actuellement incarcérés, dont l'ex-numéro 3 d'Al-Qaeda, Khaled Sheikh Mohammed, transféré en septembre depuis un lieu tenu secret. D'autres captifs, loin d'être des terroristes, ont été livrés contre argent comptant à l'armée américaine, qui offrait des primes en dollars à des chefs de guerre en Afghanistan et au Pakistan. Sur les 775 prisonniers qui sont passés par Guantánamo, 377 ont fini par être remis aux autorités de leurs pays. Malgré les mises en garde du Pentagone, qui continue de les considérer comme «ennemis combattants», la plupart ont été libérés. Au Royaume-Uni, après dix-huit heures de garde à vue seulement. Quelque 85 autres personnes «transférables» doivent attendre qu'un pays veuille bien les accueillir.
Aucun des «ennemis combattants illégaux» de Guantánamo n'a été inculpé, ni jugé. Nombre de ceux qui végètent dans ce trou noir juridique sont internés depuis janvier 2002, date de création du camp X-Ray. Ce lieu est aujourd'hui à l'abandon. La végétation a assailli les alignements de cages, enlacé les miradors, submergé les barbelés, défoncé les baraquements en bois servant de salles d'interrogatoire. Leurs portes de contreplaqué disjointes s'ouvrent sur des tables et des bancs en bois cloués au sol, que seul éclaire un rai de lumière provenant de l'orifice naguère destiné à l'appareil d'air conditionné. L'armée présente ce premier site concentrationnaire comme un musée.
L'évolution des conditions carcérales suit la numérotation des camps bâtis en succession. Des cellules grillagées des camps 1, 2 et 3, jusqu'au camp 6, une prison moderne de haute sécurité dont la construction, achevée en 2005, a coûté 37 millions de dollars (28 millions d'euros). En ce lieu, le visiteur est introduit dans une cellule témoin, conçue pour les handicapés, d'environ trois mètres sur quatre, au lavabo d'acier surbaissé. On lui présente le dentifrice de marque Haute Sécurité et l'indispensable Coran. L'uniforme orange est réservé aux captifs «non obéissants», les autres étant vêtus de couleurs selon leur degré de soumission, le blanc étant réservé aux plus dociles. Les insoumis sont isolés, privés de tapis de prière, de chapelet, de sous-vêtements, de livres ; leurs têtes sont rasées et leurs barbes taillées de force.
Cagibi meublé d'un tapis persan
«Nous les traitons humainement», dit un lieutenant, qui compare les cellules à de «petits appartements». Les gardes portent un gilet destiné à parer les coups de couteau, des gants en latex, des protège-cou antistrangulation et parfois des masques chirurgicaux. Dans l'étroite salle d'interrogatoire jouxtant les cellules, où se relayeraient toujours, au bout de cinq ans, les limiers de l'armée, de la CIA et du FBI, on nous montre un fauteuil de type Lazyboy (inclinable à repose-pieds) destiné au captif qu'il faut convaincre de se mettre à table. Le cagibi est meublé d'un tapis persan. «Ils peuvent fumer, boire, manger des sandwichs», assure un militaire. Nos accompagnateurs, qui censurent tous les soirs nos photos de la journée, tiennent beaucoup à montrer les cuisines et les menus des prisonniers : légumes frais, glace une fois par semaine, gâteau au chocolat, Pepsi le lundi soir... Mais les prisonniers sont inaccessibles aux journalistes.
«Depuis la création de Guantánamo, personne n'a été sanctionné pour des abus à l'égard d'un détenu, tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu de torture ou de traitements inhumains, selon plusieurs enquêtes officielles», annonce, d'un seul souffle, le commandant des opérations, le contre-amiral Harry Harris. Les 14 «détenus de grande valeur» internés à Guantánamo voilà six mois, membres avérés d'Al-Qaeda pour la plupart, «sont traités comme les autres», assure le contre-amiral, d'origine japonaise. «Ils ont été visités à deux reprises par la Croix-Rouge, et se montrent tous coopératifs.»
Selon Harris, environ 300 captifs sont «non libérables» car «sérieusement dédiés à leur cause, trop dangereux, ou détenant encore des renseignements». Une soixantaine pourrait être bientôt inculpés de «crimes de guerre», et peut-être condamnés à mort par des «commissions militaires» une invention américaine. Les règles strictes fixées par le président Bush ont été assouplies par le Congrès cet automne. Mais les dépositions obtenues par «ouï-dire» ou par des «méthodes coercitives», sont toujours admissibles. La salle de ce tribunal d'exception ressemble à un ancien réfectoire. «Trop petite, elle n'est pas adéquate», reconnaît d'emblée le sergent qui nous introduit dans cette pièce en plein chantier, au plafond bas, où s'affairent des ouvriers. Elle est aménagée dans un ancien casernement des années 1940 surplombant une piste d'atterrissage désaffectée. Les trois juges siégeront sur des fauteuils bon marché placés derrière une table où repose un maillet tout neuf. Un vélo est négligemment posé dans une antichambre destinée aux entretiens confidentiels entre l'accusé et son conseil. Dans un couloir gît un bureau cassé.
«De toute façon, ce sera provisoire, fait le sergent, car, une fois les détenus jugés, le tribunal deviendra inutile.» De la même façon, le colonel Haben, un capitaine de bateau responsable des CSRT (les tribunaux passant en revue chaque année le «statut d'ennemi combattant» des captifs, en vue de décider ou non de leur libération), reconnaît volontiers qu'il n'a pas la moindre formation juridique. «Seulement 20 % des détenus prennent la peine d'assister aux audiences. Les autres, déplore-t-il, pensent que c'est une imposture.»
Les prisonniers nourris de force n'entretiendraient aucune animosité. «Au contraire, ils nous remercient de prolonger leur vie, par l'apport d'une alimentation adéquate», soutient le militaire en s'adressant à notre groupe de trois journalistes admis dans l'hôpital du camp de détention. «Certains détenus se plaignent même de ne pas être nourris à temps lorsque les infirmiers prennent un peu de retard», claironne une autre blouse blanche. «Il faut bien vous rendre compte, intervient le sergent Byer, un cerbère à la mine sympathique qui encadre cette entrevue, que les grévistes de la faim ne veulent pas vraiment faire la grève de la faim...» Les trois détenus qui se sont suicidés le 9 juin dernier, et le nombre inconnu de ceux qui ont tenté de mettre fin à leurs jours «ne sont pas vraiment des désespérés. En réalité, ils mettent en pratique une technique de propagande, une tactique de guerre asymétrique».
«Jet de fluides corporels»
Cette guérilla sournoise que mèneraient sans relâche les prisonniers, pourtant soumis à des mesures de sécurité draconiennes, se traduirait aussi par des bombardements de «fluides corporels» sur les gardes. «Salive, matières fécales, sperme, urine, sang provenant des hémorroïdes, vomi parfois», détaille un lieutenant. Un pilonnage intense, selon les autorités militaires, qui ont scrupuleusement comptabilisé 432 «jets de fluides corporels» entre juillet 2005 et août 2006. Singulièrement, deux gardes présents sur les lieux depuis six mois disent n'en avoir jamais été personnellement victimes. Travaillant treize heures par jour, ils se disent, en revanche, «très stressés».
L'hallucinant voyage dans le camp de prisonniers le plus célèbre du monde a commencé quelques jours plus tôt, avec la réception d'un sauf-conduit par e-mail, émanant de la Force interarmées de Guantánamo. Cette missive officielle, couronnant une longue démarche entamée deux mois auparavant, s'achève en post-scriptum sur une citation de la Bible : «J'obtiendrai la grâce, car je puise ma force dans les faiblesses dont on me fait grief...» Deux compagnies aériennes privées desservent Guantánamo Bay depuis Fort Lauderdale, en Floride. Air Sunshine nous transporte en bimoteur huit places. Trois heures et demie de vol, un crochet autour des côtes cubaines, puis l'atterrissage. Un militaire préposé nous accueille par un prévisible «Bienvenue à Guantánamo !» avant de nous faire embarquer sur un ferry qui relie des deux anses de la baie. Celle-ci est louée à Cuba depuis plus d'un siècle pour 4 085 dollars par an, réglés par chèques que Fidel Castro n'a jamais encaissés.
«C'est un endroit idéal pour élever des enfants», fait observer un sergent en installant notre trio, dont une escouade de militaires aura la garde trois jours durant, dans une maison située à côté d'une école primaire. Un jardin d'enfants et un minigolf sont à un jet de pierre de notre petite rue calme, qui évoque une banlieue prospère de Miami. Sur ce confetti grand comme Paris, vivent 8 000 militaires et civils, coupés du reste de l'île de Cuba. Beaucoup ont déménagé leurs voitures, leurs Harley-Davidson et parfois leurs bateaux de plaisance. Il y a un centre commercial, décoré de ballons en forme de coeurs pour la Saint-Valentin, qui vend des souvenirs, des serviettes de plage et des cartes postales ; deux cinémas, ainsi qu'une poignée de restaurants, dont un McDonald's servant des Happy Meals . Des chanteurs s'y produisent en concert ; des affiches proposent des cours de danse country. Les routes, où la vitesse est partout limitée à 35 km/h afin d'épargner les indolents iguanes qui s'y prélassent, sont jalonnées de panneaux affichant le mot d'ordre à observer. Cette semaine : «La fierté.»
Dentifrice «Haute sécurité»
Guantánamo est une autre planète, un monde schizophrène créé par George W. Bush. Environ 395 prisonniers y sont actuellement incarcérés, dont l'ex-numéro 3 d'Al-Qaeda, Khaled Sheikh Mohammed, transféré en septembre depuis un lieu tenu secret. D'autres captifs, loin d'être des terroristes, ont été livrés contre argent comptant à l'armée américaine, qui offrait des primes en dollars à des chefs de guerre en Afghanistan et au Pakistan. Sur les 775 prisonniers qui sont passés par Guantánamo, 377 ont fini par être remis aux autorités de leurs pays. Malgré les mises en garde du Pentagone, qui continue de les considérer comme «ennemis combattants», la plupart ont été libérés. Au Royaume-Uni, après dix-huit heures de garde à vue seulement. Quelque 85 autres personnes «transférables» doivent attendre qu'un pays veuille bien les accueillir.
Aucun des «ennemis combattants illégaux» de Guantánamo n'a été inculpé, ni jugé. Nombre de ceux qui végètent dans ce trou noir juridique sont internés depuis janvier 2002, date de création du camp X-Ray. Ce lieu est aujourd'hui à l'abandon. La végétation a assailli les alignements de cages, enlacé les miradors, submergé les barbelés, défoncé les baraquements en bois servant de salles d'interrogatoire. Leurs portes de contreplaqué disjointes s'ouvrent sur des tables et des bancs en bois cloués au sol, que seul éclaire un rai de lumière provenant de l'orifice naguère destiné à l'appareil d'air conditionné. L'armée présente ce premier site concentrationnaire comme un musée.
L'évolution des conditions carcérales suit la numérotation des camps bâtis en succession. Des cellules grillagées des camps 1, 2 et 3, jusqu'au camp 6, une prison moderne de haute sécurité dont la construction, achevée en 2005, a coûté 37 millions de dollars (28 millions d'euros). En ce lieu, le visiteur est introduit dans une cellule témoin, conçue pour les handicapés, d'environ trois mètres sur quatre, au lavabo d'acier surbaissé. On lui présente le dentifrice de marque Haute Sécurité et l'indispensable Coran. L'uniforme orange est réservé aux captifs «non obéissants», les autres étant vêtus de couleurs selon leur degré de soumission, le blanc étant réservé aux plus dociles. Les insoumis sont isolés, privés de tapis de prière, de chapelet, de sous-vêtements, de livres ; leurs têtes sont rasées et leurs barbes taillées de force.
Cagibi meublé d'un tapis persan
«Nous les traitons humainement», dit un lieutenant, qui compare les cellules à de «petits appartements». Les gardes portent un gilet destiné à parer les coups de couteau, des gants en latex, des protège-cou antistrangulation et parfois des masques chirurgicaux. Dans l'étroite salle d'interrogatoire jouxtant les cellules, où se relayeraient toujours, au bout de cinq ans, les limiers de l'armée, de la CIA et du FBI, on nous montre un fauteuil de type Lazyboy (inclinable à repose-pieds) destiné au captif qu'il faut convaincre de se mettre à table. Le cagibi est meublé d'un tapis persan. «Ils peuvent fumer, boire, manger des sandwichs», assure un militaire. Nos accompagnateurs, qui censurent tous les soirs nos photos de la journée, tiennent beaucoup à montrer les cuisines et les menus des prisonniers : légumes frais, glace une fois par semaine, gâteau au chocolat, Pepsi le lundi soir... Mais les prisonniers sont inaccessibles aux journalistes.
«Depuis la création de Guantánamo, personne n'a été sanctionné pour des abus à l'égard d'un détenu, tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu de torture ou de traitements inhumains, selon plusieurs enquêtes officielles», annonce, d'un seul souffle, le commandant des opérations, le contre-amiral Harry Harris. Les 14 «détenus de grande valeur» internés à Guantánamo voilà six mois, membres avérés d'Al-Qaeda pour la plupart, «sont traités comme les autres», assure le contre-amiral, d'origine japonaise. «Ils ont été visités à deux reprises par la Croix-Rouge, et se montrent tous coopératifs.»
Selon Harris, environ 300 captifs sont «non libérables» car «sérieusement dédiés à leur cause, trop dangereux, ou détenant encore des renseignements». Une soixantaine pourrait être bientôt inculpés de «crimes de guerre», et peut-être condamnés à mort par des «commissions militaires» une invention américaine. Les règles strictes fixées par le président Bush ont été assouplies par le Congrès cet automne. Mais les dépositions obtenues par «ouï-dire» ou par des «méthodes coercitives», sont toujours admissibles. La salle de ce tribunal d'exception ressemble à un ancien réfectoire. «Trop petite, elle n'est pas adéquate», reconnaît d'emblée le sergent qui nous introduit dans cette pièce en plein chantier, au plafond bas, où s'affairent des ouvriers. Elle est aménagée dans un ancien casernement des années 1940 surplombant une piste d'atterrissage désaffectée. Les trois juges siégeront sur des fauteuils bon marché placés derrière une table où repose un maillet tout neuf. Un vélo est négligemment posé dans une antichambre destinée aux entretiens confidentiels entre l'accusé et son conseil. Dans un couloir gît un bureau cassé.
«De toute façon, ce sera provisoire, fait le sergent, car, une fois les détenus jugés, le tribunal deviendra inutile.» De la même façon, le colonel Haben, un capitaine de bateau responsable des CSRT (les tribunaux passant en revue chaque année le «statut d'ennemi combattant» des captifs, en vue de décider ou non de leur libération), reconnaît volontiers qu'il n'a pas la moindre formation juridique. «Seulement 20 % des détenus prennent la peine d'assister aux audiences. Les autres, déplore-t-il, pensent que c'est une imposture.»
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