lundi 1 février 2010

Le gouvernement canadien « heureux » de ne pas être obligé de rapatrier Omar Khadr

Le gouvernement canadien s'est dit « heureux » de la décision rendue vendredi par la plus haute cour du pays qui ne l'oblige pas à rapatrier Omar Khadr, un citoyen canadien détenu depuis 2002 à la prison de Guantanamo.

« Conformément à la séparation des pouvoirs [exécutif et judiciaire] et à la réticence légitime des tribunaux à intervenir dans les questions relatives aux affaires étrangères, la réparation appropriée consiste à prononcer, en faveur de M. Khadr, un jugement déclaratoire confirmant la violation des droits qui lui sont garantis par la Charte, tout en laissant au gouvernement une certaine latitude pour décider de la manière dont il convient de répondre. »
— Extrait du jugement

« Le gouvernement est heureux que la Cour suprême ait reconnu la responsabilité constitutionnelle de l'exécutif de prendre les décisions concernant les affaires étrangères », a déclaré le ministre de la Justice Rob Nicholson dans un communiqué, citant le jugement.

La Cour suprême du Canada a estimé vendredi que les droits du Canadien Omar Khadr avaient été violés par Ottawa, mais a refusé de contraindre le gouvernement de Stephen Harper à ordonner son rapatriement. Elle estime néanmoins que les violations qu'a subies M. Khadr méritent réparation.

« Le gouvernement étudiera avec soin la décision de la Cour suprême et quelles mesures additionnelles il prendra », a ajouté M. Nicholson sans plus de précisions.

Omar Khadr a été arrêté en Afghanistan en 2002, à l'âge de 15 ans, par l'armée américaine qui l'accuse d'avoir tué un de ses soldats en lançant une grenade, ce que nie le Canadien

L’expert des Nations Unies sur les droits de l’homme dans la lutte anti-terroriste termine sa visite en Tunisie

Tunis (26 janvier 2010) – Le dernier jour de sa visite officielle en Tunisie, du 22 au 26 janvier 2010, le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, M. Martin Scheinin, a publié la déclaration suivante :
« J’aimerais exprimer ma reconnaissance au Gouvernement de la Tunisie, qui m’a apporté sa coopération pendant ma mission. J’ai pu discuter longuement et en toute transparence avec de nombreux interlocuteurs représentant les autorités et la société civile J’ai mené des entretiens fructueux avec le Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, les représentants du ministère de l’intérieur, des juges, des parlementaires et le Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. J’ai également rencontré les représentants de la communauté internationale, des avocats, des universitaires et des organisations non-gouvernementales, y compris les organisations des droits de l’homme et des organisations de défense des victimes du terrorisme. au sujet de la loi et de la pratique anti-terroriste du pays. Par ailleurs, j’ai visité les locaux de garde à vue de la police à Bouchoucha ainsi que la prison de Mournaguia, où j’ai pu m’entretenir avec plusieurs personnes soupçonnées ou convaincues de crimes terroristes. Je tiens à remercier tous mes interlocuteurs, y compris les détenus, ainsi que les victimes d’actes terroristes et leurs familles qui ont bien voulu me parler. Tout cela m’a permis de connaître la situation pour évaluer d’une manière objective le respect des droits de l’homme dans le contexte anti-terroriste en Tunisie.
Chaque Etat a l’obligation de protéger la vie et l’intégrité de ses citoyens et résidents et de les mettre à l’abri de menaces émanant du terrorisme. Mais en même temps, les normes internationales en matière de droits de l’homme doivent être entièrement respectées, y compris les droits des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des crimes terroristes. La Tunisie a souvent répété ses engagements à cette fin, notamment en ratifiant la plupart des Conventions internationales ayant trait aux droits de l’homme et au terrorisme. L’invitation qui m’a été faite est, me semble-t-il, un pas important dans cette voie. Je remettrai un rapport complet à l’une des sessions à venir du Conseil des Droits de l’Homme. Voici quelques-unes des observations essentielles à la fin de ma visite.

Cadre juridique
S’agissant du cadre juridique, je salue quelques amendements apportés récemment à la loi, en particulier une rédaction plus précise des dispositions concernant l’incitation, l’abolition des « juges sans visages » et le renforcement des garanties liées à la prolongation de la garde à vue. Cependant la loi anti-terroriste de 2003 comporte encore certaines lacunes qui, à l’instar de nombreux autres pays, sont imputables à la définition du terrorisme : les normes internationales exigent que tous les éléments d’un crime soient exprimés explicitement et avec précision dans les définitions juridiques. Je l’ai toujours souligné, la violence à issue fatale ou toute autre violence physique grave contre tout ou une partie du grand public devrait être au cœur de toute définition du terrorisme Article 15 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; E/CN.4/2006/98 ;. Ce n’est pas le cas en Tunisie : dans la majorité des cas depuis 2003, de simples intentions sont punies, qu’il s’agisse de « planification » ou « d’appartenance », cette dernière notion renvoyant à des organisations ou groupes vaguement définis. On m’a parlé de nombreux cas de jeunes hommes, et j’en ai vu quelques-uns, dont le principal crime était d’avoir téléchargé ou regardé certaines émissions en ligne, ou de s’être réunis avec d’autres pour discuter de questions religieuses.
Les autorités ne m’ont toujours pas remis de statistiques précises sur le nombre d’affaires pour terrorisme jugées dans les tribunaux tunisiens ces dernières années. Le terrorisme n’est pas un phénomène courant en Tunisie, et cependant il semble que le champ d’application des dispositions anti-terroristes est beaucoup trop large et devrait être limité. Comme dans d’autres pays, je vois là un risque de « pente savonneuse », qui non seulement aboutit à la condamnation de personnes pour terrorisme, qui ne méritent pas d’être ainsi stigmatisées, mais met également en péril l’efficacité de la lutte anti-terroriste en banalisant le phénomène.
La loi tunisienne interdit la torture, et le pays est Partie à la Convention contre la torture. Cependant, il n’existe apparemment pas de disposition claire exigeant des juges qu’ils entament une instruction « ex-officio » lorsque des allégations de torture sont faites devant les tribunaux, ni qu’ils motivent le rejet d’une plainte pour torture ou qu’ils excluent toute preuve ou aveu obtenus sous la torture. Ces carences du cadre juridique peuvent ériger un bouclier d’impunité pour les auteurs de torture ou de mauvais traitements.

Ecart entre la loi et la réalité
L’expérience la plus troublante que j’ai faite pendant ma mission était de constater de graves incohérences entre la loi et ce qui se passait dans la réalité, selon les informations que j’ai reçues. Je continuerai de coopérer avec le Gouvernement pour rédiger un rapport complet, mais dans l’intervalle j’ai décidé d’exprimer quelques-unes de mes principales préoccupations :
- Il semblerait, et les autorités l’ont admis, que la date d’arrestation peut être postdatée, ce qui revient à contourner les règles relatives à la durée permissible d’une garde à vue, constituant ainsi la détention au secret et la disparition de la personne ;
- Le recours fréquent aux aveux comme élément de preuve devant les tribunaux, en absence d’enquête appropriée sur les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements;
- Le manque de garanties appropriées contre la torture, comme par exemple l’accès à un examen médical indépendant et l’accès à un avocat dès l’arrestation, plutôt qu’après la première comparution devant le juge d’instruction ;
- Le nombre excessivement faible de poursuites ou d’autres conclusions précises relatives à la torture par rapport à la fréquence des allégations.
Il est vrai qu’à bien des égards, les autorités tunisiennes ont agi en toute transparence pendant ma visite, néanmoins on m’a refusé l’accès aux locaux d’interrogatoire de la Police Judiciaire (notamment la Sous-direction pour les affaires criminelles), toujours connue comme “Direction de la Sécurité d’Etat”, et ce en dépit de mes nombreuses demandes. Ceci est d’autant plus troublant que les allégations de torture ou de mauvais traitements concernent le rôle de la police judiciaire avant l’enregistrement officiel de la garde à vue, pendant l’instruction/interrogatoire, ou lorsqu’un détenu en attente de procès est sorti de la prison pour les besoins de l’enquête.

Stratégie de lutte contre le terrorisme

Je suis convaincu que la démarche à piliers multiples pour prévenir le terrorisme grâce aux mesures sociales, d’enseignement et de non-discrimination, adoptées par la Tunisie est un excellent exemple qui mérite réflexion. Je crains cependant que l’acquis de ces politiques indéniablement positives soit aisément compromis par les violations de la loi qui, comme toujours, hypothèquent le succès de la lutte contre le terrorisme.
Je reprends à mon compte les recommandations de quelques mécanismes des Nations Unies en matière de droits de l’homme récemment adressées à la Tunisie, tout en l’encourageant à continuer d’investir dans le domaine de l’enseignement, à combler le fossé social et à combattre la pauvreté. J’espère coopérer comme par le passé avec le Gouvernement au cours des mois à venir pour mettre au point le rapport complet de la mission.

Martin Scheinin a été nommé par la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies en août 2005. Le mandat a été renouvelé par la résolution du Conseil des droits de l´homme 6/28 en décembre 2007. En sa qualité de Rapporteur spécial, il ne dépend d’aucun Gouvernement. M. Scheinin est aussi professeur de droit public international à l’Institut universitaire européen à Florence, en Italie.

(Traduction non-officielle)