Après la justice italienne, qui a lancé l’année dernière un mandat d’arrêt contre 26 agents de la CIA pour le kidnapping à Milan de l’Égyptien Abou Omar, la justice allemande s’est enfin décidée, après des mois d’hésitations, à lancer un mandat d’arrêt contre les ravisseurs de Khaled El Masri.
La justice allemande réclame que lui soient livrés treize agents de la CIA suspectés d'avoir enlevé en 2003 un inoffensif père de famille confondu avec un dangereux terroriste d'Al-Qaeda. Allemand d'origine libanaise, Khaled El Masri est le cas le plus notoire de transfèrement secret attribué aux services secrets américains.
Ce vendeur de voitures de la ville d'Ulm a été kidnappé sur son lieu de vacances, en Macédoine, mené pieds et poings liés dans un avion et jeté dans une geôle immonde en Afghanistan, où il a été traité «comme un animal», dit-il, pendant cinq mois. Avant d'être relâché en Albanie. La CIA l'aurait, confondu avec un homonyme Khaled El Masri soupçonné d'être lié aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001.
Le parquet de Munich a fait émettre, mercredi 31 janvier «un mandat d'arrêt contre treize ravisseurs présumés», soupçonnés «de séquestration et blessures corporelles graves». Ces suspects, 11 hommes et deux femmes très vraisemblablement des agents de la CIA, seraient pour la plupart domiciliés en Caroline du Nord. La justice allemande a remonté leur piste grâce à la police espagnole. Selon la Garde civile, c'est dans un Boeing enregistré sous le numéro N313P, parti de Majorque, le 23 janvier 2004, que Khaled El Masri a été expédié hors d'Europe. Cet avion, identifié dès novembre 2004, a pu continuer ses vols « spéciaux », décollant et atterrissant à plusieurs reprises de l’aéroport de Francfort-sur-le-Main. Les magistrats munichois se sont également appuyés sur l'enquête du Conseil de l'Europe qui a recensé plus d'un millier de vols secrets de la CIA en Europe entre 2001 et 2005. En septembre 2006, la station de radio-télévision allemande NDR avait rendu publique l’identité de trois des ravisseurs : Eric Fain, James Fairling et Kirk James Bird, pilotes de ce vol spécial, employés par l’entreprise Aero Contractor, qui a pris la succession de la fameuse société de la CIA, Air America, utilisée pendant la guerre d’Indochine, notamment pour le transport d’opium du Laos, produit par l’armée secrète hmong dirigée par le général Van Pao.
Comme le soulignaient mercredi les médias allemands, l'arrestation des suspects sera difficile à mener à bien, sans un mandat d'arrêt international. La justice usaméricaine, de son côté, a jusqu'ici refusé d'aider les enquêteurs allemands. En novembre, la Cour d'appel fédérale de Richmond (Virginie) avait commencé à examiner un recours d'El Masri. Mais Washington considère qu'il s'agit d'activités secrètes, que la CIA ne peut ni confirmer ni démentir.
Quant aux autorités allemandes, très gênées, elles répètent qu'elles n'ont pas favorisé l'enlèvement, qualifiant d' «infamants» tous les soupçons sur une contribution active ou un silence complice de Berlin. Il n’en reste pas moins que des forts soupçons pèsent sur les autorités policières allemandes, qui ont affirmé devant la commission d’enquête du Bundestag qu’elles n’ont pris connaissance de l’enlèvement de Khaled El Masri que le 10 juin 2004, c’est-à-dire après sa libération, et n’ont ouvert une enquête qu’en août 2004. Or, il est avéré que Khaled El Masri était, bien avant son kidnapping par la CIA, sous observation de la police allemande pour ses contacts « suspects » avec le centre multiculturel de Neu-Ulm. Il est donc difficile de croire que la CIA n’a pas informé ses homologues allemands de son enlèvement.
Déjà mis en difficulté par l’enquête sur la détention de Murat Kurnaz, les responsables allemands doivent répondre de leurs faits et geste dans cette autre affaire devant la commission du Bundestag chargée de surveiller les activités du BND, les services de renseignement. Le 1er mars prochain, la commmission entendra Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères, Ernst Uhrlau, chef du BND et son prédécesseur August Hanning. Le 8 mars ce sera au tour de Frank-Walter Steinmeier, actuel ministre des Affaires étrangères, qui était à l’époque des faits membre du secrétaiat du Chanecelier Schröder, ainsi qu’ Otto Schily, alors ministre de l’Intérieur.
L’affaire El Masri ne fait donc que commencer : elle avait déjà été à l’origine de la création de deux commissions d’enquête, celle du Conseil de l’Europe, dirigée par le Suisse Dick Marty, et celle du Parlement européen, dirigée par le député sicilien Claudio Fava.
jeudi 1 février 2007
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