Affichage des articles dont le libellé est François Barry Delongchamps. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est François Barry Delongchamps. Afficher tous les articles

lundi 3 décembre 2007

Les Français de Guantánamo de retour au tribunal

Réouverture d’un procès interrompu en 2006 à la suite d’une polémique sur des interrogatoires secrets.
par PATRICIA TOURANCHEAU, Libération, 3 décembre 2007


Les six ex-détenus français de Guantánamo comparaissent à nouveau à partir d’aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Paris (1). Au bout de dix jours d’audience, en juillet 2006, le tribunal avait refusé de juger pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» ces six islamistes, capturés par les Américains en Afghanistan fin 2001 puis expédiés dans le camp X-Ray à Cuba. A cause de la révélation par Libération le 5 juillet 2006 d’un télégramme diplomatique du Quai d’Orsay attestant que des interrogatoires secrets des prisonniers français par des officiers de la DST avaient été effectués à Guantánamo. Information qui nécessitait un complément d’enquête.
Mes William Bourdon et Jacques Debray, qui avaient fait verser ce document au dossier judiciaire, tenaient ainsi la preuve de «ces interrogatoires clandestins» obtenus dans le cadre d’une mission pseudo-humanitaire du ministère des Affaires étrangères. Pour les défenseurs de Nizar Sassi et Mourad Benchellali, les éléments obtenus auprès des détenus n’avaient pas été consignés dans les procès-verbaux versés à la justice, alors qu’ils avaient bel et bien alimenté des synthèses de la DST à l’origine du dossier judiciaire. Les avocats soutenaient donc que ces pratiques «déloyales» avaient «entaché l’enquête» et «vicié la procédure». Le président de la 14e chambre correctionnelle, Jean-Claude Kross, avait décidé d’ajourner le procès et de procéder lui-même à «un supplément d’information».
Secret-défense. Depuis, le magistrat a questionné deux commissaires de la DST et un diplomate. Interrogé le 14 décembre 2006, François Barry Delongchamps, alors numéro 2 de l’ambassade de France à Washington, auteur du compte rendu de la mission à Guantánamo envoyé au Quai d’Orsay le 1er avril 2002, n’a pas caché qu’«elle comprenait des agents des services du ministère de l’Intérieur». Mais dit-il, c’était «pour nous aider à identifier les détenus et informer leurs familles». Le diplomate se retranche derrière le secret-défense dès lors qu’il s’agit d’expliquer pourquoi son télex fait état de «fiches d’interrogatoires».
Quant à Louis Caprioli, sous-directeur à l’époque de la DST, il n’a pas idée de ce que signifient «les fiches d’interrogatoires» mentionnées dans le document : «Il s’agit d’un terme proche de la terminologie du Quai d’Orsay et j’ignore ce que cela recouvre», répond-il sans rire à Jean-Claude Kross.
Le sous-directeur de la DST soutient que ses agents ont agi dans le cadre «d’une mission de renseignement» qui n’aurait rien à voir avec le travail judiciaire réalisé par son service sur les mêmes «clients». Le représentant de ce service de contre-terrorisme à double casquette - renseignement et judiciaire - jure qu’il n’a pas mélangé les deux genres. Pourtant, la synthèse de Louis Caprioli du 22 mars 2002 qui a déclenché l’enquête judiciaire officielle comporte des renseignements très précis sur les parcours et les contacts des six «Afghans» français. Les ex-détenus soutiennent qu’ils proviennent de leurs confidences à ces agents, se présentant comme des sauveurs venus les tirer du camp X-Ray.
Filières. Dans sa déclaration au juge Kross, Louis Caprioli s’érige en faux : «Ces renseignements proviennent uniquement des archives de la DST» nourries de précédentes affaires de filières islamistes. Selon les déclarations de Jean-Louis Gimenez, chef de section «terrorisme islamiste» et officier de police judiciaire, ces renseignements sont «issus de la base de données informatiques» de la DST. Mais il «n’en connaît pas l’origine» et «ignore totalement» si ses collègues partis en «mission de renseignement» à Guantánamo ont alimenté le méga-ordinateur.
Pour Me Bourdon, «les références à des archives et des données informatiques ne peut servir de truchement pour dissimuler une manœuvre déloyale, pour tenter de travestir après-coup une mission de police judiciaire en mission de police administrative». L’avocat y voit «un détournement de procédure» qu’il demande au tribunal de ne pas valider, et réclame donc une relaxe deses clients.
Mourad Benchellali, 26 ans, Nizar Sassi, 27 ans, Brahim Yadel, 37 ans, Imad Achab Kanouni, 30 ans, Khaled Ben Mustapha, 35 ans, et Redouane Khalid, 39 ans, qui ont tous fait de la prison en France après trois à quatre années d’enfermement à Guantánamo, comparaissent tous libres.
(1) Les 3, 4, 5, 10, 11 et 12 décembre après-midi devant la 14e chambre correctionnelle de Paris.

mardi 20 février 2007

Un "corbeau" dans l'affaire des Français de Guantánamo

par Yves Bordenave, Le Monde, 19 février 2007

La lettre du corbeau est arrivée sur le bureau du vice-président de la 16e chambre correctionnelle de Paris, Jean-Claude Kross, le 3 février. La missive dactylographiée, postée dans le 16e arrondissement de la capitale, désignait nommément un commissaire de la direction de la surveillance du territoire (DST) et un colonel de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) comme étant les deux agents spéciaux ayant interrogé les prisonniers français au centre d'internement américain de Guantánamo en janvier et mars 2002. Pour cette mission, toujours couverte par le secret-défense, les deux officiers actuellement en poste à l'étranger étaient accompagnés d'un représentant du ministère des affaires étrangères. Ce rebondissement dans l'affaire des six Français de Guantánamo pourrait retarder la réouverture de leur procès, prévue le 2 mai.
Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Brahim Yadel, Imad Achab Kanouni, Khaled Ben Mustapha et Redouane Khalid avaient comparu, du 3 au 12 juillet 2006, devant le tribunal correctionnel de Paris pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", après avoir été internés hors de tout cadre légal à Guantánamo pendant plus de deux ans à partir de janvier 2002.
A l'issue de cette audience, le tribunal avait décidé, le 27 septembre, de renvoyer l'affaire pour "supplément d'information" (Le Monde du 29 septembre 2006). Le tribunal souhaitait connaître les conditions dans lesquelles les fonctionnaires français qui s'étaient rendus à Guantánamo avaient interrogé les prévenus.A la mi-décembre 2006, Jean-Claude Kross a entendu comme témoins le diplomate François Barry Delongchamps - auteur d'une note confidentielle sur le sujet, datée de Washington en avril 2002 -, l'officier de la DST Jean-Louis Gimenez et l'ancien directeur de cet organisme, Louis Caprioli. Se protégeant derrière le secret-défense, les trois fonctionnaires n'ont pas voulu révéler l'identité des agents dont le juge vient d'avoir connaissance.
"Cette mission était conduite par un agent du ministère des affaires étrangères dont le nom est couvert par le secret de la défense nationale", a déclaré au juge M. Barry Delongchamps.Au cours de ces auditions, dont Le Monde a pu lire les procès-verbaux, les trois fonctionnaires ont également refusé de préciser au magistrat le cadre dans lequel les interrogatoires avaient été menés. "Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question qui relève du secret de la défense nationale", a indiqué M. Barry Delongchamps.
"PAS AUTORISÉ À EN PARLER"
Convoqués le même jour, les officiers de la DST n'ont guère été plus prolixes. "Je sais que des missions de la DST ont été mises en oeuvre sur Guantánamo, mais je ne sais pas exactement quelle a été leur ampleur et leur nature", a assuré Jean-Louis Gimenez tout en concédant que "de toute manière, (il n'est) pas autorisé à en parler car il s'agit exclusivement d'une mission de renseignement". Un coin du voile entourant ce mystère est désormais levé.
Les révélations du corbeau permettent au président Kross, qui avait envisagé de confronter les six prévenus aux trois témoins, d'entendre directement les acteurs de cette mission secrète. C'est en tout cas ce que souhaitent les avocats des prévenus.