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lundi 1 février 2010

L’expert des Nations Unies sur les droits de l’homme dans la lutte anti-terroriste termine sa visite en Tunisie

Tunis (26 janvier 2010) – Le dernier jour de sa visite officielle en Tunisie, du 22 au 26 janvier 2010, le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, M. Martin Scheinin, a publié la déclaration suivante :
« J’aimerais exprimer ma reconnaissance au Gouvernement de la Tunisie, qui m’a apporté sa coopération pendant ma mission. J’ai pu discuter longuement et en toute transparence avec de nombreux interlocuteurs représentant les autorités et la société civile J’ai mené des entretiens fructueux avec le Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, les représentants du ministère de l’intérieur, des juges, des parlementaires et le Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. J’ai également rencontré les représentants de la communauté internationale, des avocats, des universitaires et des organisations non-gouvernementales, y compris les organisations des droits de l’homme et des organisations de défense des victimes du terrorisme. au sujet de la loi et de la pratique anti-terroriste du pays. Par ailleurs, j’ai visité les locaux de garde à vue de la police à Bouchoucha ainsi que la prison de Mournaguia, où j’ai pu m’entretenir avec plusieurs personnes soupçonnées ou convaincues de crimes terroristes. Je tiens à remercier tous mes interlocuteurs, y compris les détenus, ainsi que les victimes d’actes terroristes et leurs familles qui ont bien voulu me parler. Tout cela m’a permis de connaître la situation pour évaluer d’une manière objective le respect des droits de l’homme dans le contexte anti-terroriste en Tunisie.
Chaque Etat a l’obligation de protéger la vie et l’intégrité de ses citoyens et résidents et de les mettre à l’abri de menaces émanant du terrorisme. Mais en même temps, les normes internationales en matière de droits de l’homme doivent être entièrement respectées, y compris les droits des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des crimes terroristes. La Tunisie a souvent répété ses engagements à cette fin, notamment en ratifiant la plupart des Conventions internationales ayant trait aux droits de l’homme et au terrorisme. L’invitation qui m’a été faite est, me semble-t-il, un pas important dans cette voie. Je remettrai un rapport complet à l’une des sessions à venir du Conseil des Droits de l’Homme. Voici quelques-unes des observations essentielles à la fin de ma visite.

Cadre juridique
S’agissant du cadre juridique, je salue quelques amendements apportés récemment à la loi, en particulier une rédaction plus précise des dispositions concernant l’incitation, l’abolition des « juges sans visages » et le renforcement des garanties liées à la prolongation de la garde à vue. Cependant la loi anti-terroriste de 2003 comporte encore certaines lacunes qui, à l’instar de nombreux autres pays, sont imputables à la définition du terrorisme : les normes internationales exigent que tous les éléments d’un crime soient exprimés explicitement et avec précision dans les définitions juridiques. Je l’ai toujours souligné, la violence à issue fatale ou toute autre violence physique grave contre tout ou une partie du grand public devrait être au cœur de toute définition du terrorisme Article 15 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; E/CN.4/2006/98 ;. Ce n’est pas le cas en Tunisie : dans la majorité des cas depuis 2003, de simples intentions sont punies, qu’il s’agisse de « planification » ou « d’appartenance », cette dernière notion renvoyant à des organisations ou groupes vaguement définis. On m’a parlé de nombreux cas de jeunes hommes, et j’en ai vu quelques-uns, dont le principal crime était d’avoir téléchargé ou regardé certaines émissions en ligne, ou de s’être réunis avec d’autres pour discuter de questions religieuses.
Les autorités ne m’ont toujours pas remis de statistiques précises sur le nombre d’affaires pour terrorisme jugées dans les tribunaux tunisiens ces dernières années. Le terrorisme n’est pas un phénomène courant en Tunisie, et cependant il semble que le champ d’application des dispositions anti-terroristes est beaucoup trop large et devrait être limité. Comme dans d’autres pays, je vois là un risque de « pente savonneuse », qui non seulement aboutit à la condamnation de personnes pour terrorisme, qui ne méritent pas d’être ainsi stigmatisées, mais met également en péril l’efficacité de la lutte anti-terroriste en banalisant le phénomène.
La loi tunisienne interdit la torture, et le pays est Partie à la Convention contre la torture. Cependant, il n’existe apparemment pas de disposition claire exigeant des juges qu’ils entament une instruction « ex-officio » lorsque des allégations de torture sont faites devant les tribunaux, ni qu’ils motivent le rejet d’une plainte pour torture ou qu’ils excluent toute preuve ou aveu obtenus sous la torture. Ces carences du cadre juridique peuvent ériger un bouclier d’impunité pour les auteurs de torture ou de mauvais traitements.

Ecart entre la loi et la réalité
L’expérience la plus troublante que j’ai faite pendant ma mission était de constater de graves incohérences entre la loi et ce qui se passait dans la réalité, selon les informations que j’ai reçues. Je continuerai de coopérer avec le Gouvernement pour rédiger un rapport complet, mais dans l’intervalle j’ai décidé d’exprimer quelques-unes de mes principales préoccupations :
- Il semblerait, et les autorités l’ont admis, que la date d’arrestation peut être postdatée, ce qui revient à contourner les règles relatives à la durée permissible d’une garde à vue, constituant ainsi la détention au secret et la disparition de la personne ;
- Le recours fréquent aux aveux comme élément de preuve devant les tribunaux, en absence d’enquête appropriée sur les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements;
- Le manque de garanties appropriées contre la torture, comme par exemple l’accès à un examen médical indépendant et l’accès à un avocat dès l’arrestation, plutôt qu’après la première comparution devant le juge d’instruction ;
- Le nombre excessivement faible de poursuites ou d’autres conclusions précises relatives à la torture par rapport à la fréquence des allégations.
Il est vrai qu’à bien des égards, les autorités tunisiennes ont agi en toute transparence pendant ma visite, néanmoins on m’a refusé l’accès aux locaux d’interrogatoire de la Police Judiciaire (notamment la Sous-direction pour les affaires criminelles), toujours connue comme “Direction de la Sécurité d’Etat”, et ce en dépit de mes nombreuses demandes. Ceci est d’autant plus troublant que les allégations de torture ou de mauvais traitements concernent le rôle de la police judiciaire avant l’enregistrement officiel de la garde à vue, pendant l’instruction/interrogatoire, ou lorsqu’un détenu en attente de procès est sorti de la prison pour les besoins de l’enquête.

Stratégie de lutte contre le terrorisme

Je suis convaincu que la démarche à piliers multiples pour prévenir le terrorisme grâce aux mesures sociales, d’enseignement et de non-discrimination, adoptées par la Tunisie est un excellent exemple qui mérite réflexion. Je crains cependant que l’acquis de ces politiques indéniablement positives soit aisément compromis par les violations de la loi qui, comme toujours, hypothèquent le succès de la lutte contre le terrorisme.
Je reprends à mon compte les recommandations de quelques mécanismes des Nations Unies en matière de droits de l’homme récemment adressées à la Tunisie, tout en l’encourageant à continuer d’investir dans le domaine de l’enseignement, à combler le fossé social et à combattre la pauvreté. J’espère coopérer comme par le passé avec le Gouvernement au cours des mois à venir pour mettre au point le rapport complet de la mission.

Martin Scheinin a été nommé par la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies en août 2005. Le mandat a été renouvelé par la résolution du Conseil des droits de l´homme 6/28 en décembre 2007. En sa qualité de Rapporteur spécial, il ne dépend d’aucun Gouvernement. M. Scheinin est aussi professeur de droit public international à l’Institut universitaire européen à Florence, en Italie.

(Traduction non-officielle)

vendredi 14 décembre 2007

Les soupçons justifiés de Martin Scheinin

Un enquêteur de l'Onu a indiqué qu'il soupçonnait fortement la CIA de recourir à la torture contre des terroristes présumés à Guantanamo, en laissant entendre que beaucoup ne faisaient pas l'objet de poursuites pour que ces abus n'émergent pas lors d'un procès.
Lors d'une visite au camp d'internement américain de Cuba, Martin Scheinin, rapporteur spécial de l'Onu pour la protection des droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme, a assisté la semaine dernière à une audience préliminaire de Salim Ahmed Hamdan, ex-chauffeur d'Oussama ben Laden.
Il a dit que des responsables américains l'avaient informé que sur environ 300 détenus actuellement à Guantanamo, 80 devraient faire l'objet de procès militaires pour crimes présumés et que 80 autres étaient libérables.
Aucune décision n'a été prise pour les 150 autres, parmi lesquels figurent des prisonniers "de choix" dont certains sont détenus sans jugement depuis six ans, a-t-il poursuivi.
"On ne peut pas présenter d'éléments de preuve suffisants, même à une commission militaire présidée par un juge militaire. Cela tient en partie à ce qu'il n'y a peut-être pas de preuves, en partie au fait que le risque de voir soulever des questions relatives à la torture est trop élevé", a déclaré Sheinin lors d'un point de presse.
TECHNIQUES D'INTERROGATOIRE
"Les faire comparaître en justice attirerait l'attention du tribunal sur les méthodes par lesquelles on a obtenu des éléments de preuve, notamment des aveux. Cela vient donc renforcer la conclusion que la CIA ou d'autres ont été impliqués dans des méthodes d'interrogatoire qui sont incompatibles avec le droit international", a-t-il ajouté.
Les autorités américaines assurent ne pas autoriser la torture, mais le président George Bush a refusé de révéler quels modes d'interrogatoire étaient pratiqués à Guantanamo et ailleurs.
Au total, 800 personnes ont été internées à la prison de Guantanamo depuis son ouverture en janvier 2002, a dit Scheinin. La Maison blanche fait valoir que la base est située hors du territoire américain et que les dispositifs de protection constitutionnels ne s'y appliquent pas.
Sheinin, professeur de droit finlandais, a déclaré mercredi au Conseil des droits de l'homme de l'Onu que sa visite avait conforté ses inquiétudes quant à l'impartialité des procédures judiciaires qui s'y déroulent. La délégation américaine a rejeté ses propos en les jugeant pour partie "fallacieux" et consistant à reprendre de vieilles critiques infondées.
L'audience de Hamran visait à déterminer s'il s'agissait d'un "ennemi combattant" susceptible d'être inculpé de crimes de guerre devant un tribunal militaire américain. Il a reconnu avoir travaillé pour Ben Laden mais démenti appartenir au réseau Al Qaïda ou avoir été impliqué dans des attentats.
Source : Reuters, Version française Philippe Bas-Rabérin L'Express, 13 décembre 2007

lundi 4 juin 2007

« Un symbole d’injustice et de mauvais traitements »

Washington interdit l’accès de Guantánamo à un émissaire de l’ONU
Par Amine Djazairi, El Watan, 2 juin 2007
Mais que se passe-t-il réellement à Guantánamo ? Cette prison qui se niche dans une base militaire navale américaine à Cuba échappe totalement au contrôle de la communauté internationale. Une tache noire dans le droit international. Les Etats-Unis gardent le secret total sur cette prison de haute sécurité. Genève : De notre correspondant Washington a refusé l’accès à Guantánamo à un expert de l’ONU sur les mesures antiterroristes.
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les mesures antiterroristes Martin Scheinin n’a pas pu se rendre à Guantánamo lors de sa visite de dix jours aux Etats-Unis. Depuis Genève, ville détentrice des conventions des droits de l’homme et du droit humanitaire, le haut fonctionnaire onusien a regretté ce refus et espéré un changement d’attitude de Washington. Dans un premier bilan de sa visite, effectuée du 16 au 25 mai, l´expert de l’ONU déplore que les autorités américaines ne lui aient pas permis d’accéder aux lieux de détention, dont la base de Guantánamo , avec des garanties pour avoir des entretiens sans témoin avec les détenus.
Près de 400 détenus présumés terroristes se trouvent encore à Guantánamo . Martin Scheinin s’est déclaré encouragé par le vœu exprimé par le président George W. Bush de fermer la base américaine à Cuba. Selon l’expert, les Etats-Unis prévoient de faire juger entre 40 et 80 détenus par les commissions militaires. Les autres seront renvoyés vers leur pays d’origine ou, si nécessaire, vers un autre pays. L’expert de l’ONU invite Washington à coopérer avec le haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) pour effectuer leur réinstallation en conformité avec le droit international. Il fera un rapport de manière plus détaillée au Conseil des droits de l’homme. Il espère que d’ici l’examen de son rapport, Washington reviendra sur son refus et l’autorisera à se rendre à Guantánamo , indique un communiqué des Nations unies. Une fois encore, Amnesty International a lancé un énième cri de colère. Il y a plus de cinq ans que les autorités des Etats-Unis transféraient les premiers détenus de la « guerre contre le terrorisme » au camp de détention de Guantánamo .
Malgré des protestations internationales, des centaines de personnes représentant plus de 30 nationalités sont toujours détenues là-bas. Elles n’ont jamais été inculpées et il est peu probable qu’elles bénéficient un jour d’un procès équitable, observe l’ONG occidentale. « Trop, c’est trop ! Guantánamo est un symbole d’injustice et de mauvais traitements. Le gouvernement des Etats-Unis doit fermer le camp », tonne Amnesty International qui a fait du combat pour la fermeture de ce camp de la honte sa première priorité. Si les personnes détenues par les Américains sont dangereuses pour la sécurité des USA qu’elles soient jugées pour leur actes et non pas dépérir dans des cages grillagées et des cellules à sécurité maximale, soulignent les défenseurs des droits de l’homme.
En outre, une nouvelle installation ouverte en décembre 2006, connue sous le nom de Camp 6, a créé des conditions encore plus dures et, semble-t-il, plus permanentes d’isolement extrême et de privation sensorielle, soulignent plusieurs ONG qui peinent à faire entendre leurs voix dans les médias occidentaux. Ces derniers préfèrent fermer les yeux sur les dépassements américains. Est-il admissible dans une veille démocratie comme celle de l’Amérique que des détenus soient confinés 22 heures par jour dans des cellules d’acier individuelles et fermées, où ils sont presque entièrement coupés de tout contact humain. Ces cellules ne possèdent pas de fenêtres extérieures, ni d’accès à la lumière naturelle ou à l’air frais. Aucune activité n’existe, et les détenus sont soumis à un éclairage permanent et à une surveillance constante des gardiens par les ouvertures des portes de cellules. Les détenus se livrent seuls à de l’exercice, dans une cour entourée de murs élevés, où la lumière du jour ne parvient guère. Les détenus ne se voient souvent proposer de sortir que la nuit, et peuvent ne pas voir la lumière du jour pendant plusieurs journées. Amnesty craint que ces conditions de détention, en plus de leur inhumanité, puissent avoir de graves effets sur la santé psychologique et physique de nombreux détenus. Ces derniers ont choisi le suicide pour échapper à leurs geôliers. Combien sont-ils ?
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les mesures antiterroristes Martin Scheinin souhaite lever le voile sur les conditions des prisonniers et l’horreur qui hante Guantánamo , sans succès. Désormais, la prison américaine garde pour l’instant le secret de ces pratiques d’un autre âge.