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jeudi 7 février 2008

Les voyages d'Air-CIA : la justice espagnole enquête

Les aéroports espagnols ont-ils servi de base de transit aux avions nord-américains qui transportaient des prisonniers d’Afghanistan vers Guantánamo, le camp de torture installé par les Américains en territoire cubain ? C’est ce que la justice espagnole cherche à établir.
LE 25 janvier dernier, le procureur Vicente Gonzalez Mota a demandé au juge Ismael Moreno, deuxième juge d’instruction à la Audiencia nacional, d’ouvrir une information afin de déterminer si les aéroports de Morón de la Frontera, à Séville, de Rota à Cadix et de Torrejón de Ardoz, à Madrid, ont servi à l’aviation américaine dans des escales entre l’Afghanistan et la base de Guantánamo. Le juge devra entendre, en qualité de témoins, tous les officiers de vols, les officiers d’aéroport et les contrôleurs civils et militaires de ces bases, ainsi que les fonctionnaires du Ministère de la Défense et des Affaires étrangères et les personnels de l’AENA (Aéroports espagnols et Navigation aérienne) en poste entre janvier 2002 et décembre 2006.Ce front ouvert par la Justice espagnole est un effort pour réintroduire le droit contre des agissements qui, sous couvert de lutte anti-terrorisme, font régner la terreur dans un total mépris du droit des personnes, comme c’est le cas au camp de Guantánamo.
Les témoignages ci-après montrent que l’irruption de la justice espagnole a pu mettre un terme à des procédures d’arbitraires.

Convention militaire modifiée
La demande d’information du procureur va également chercher à déterminer quels étaient les fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères qui, entre les dates évoquées, ont siégé dans le Comité permanent hispano-étatsunien, créé en application d’une Convention de coopération militaire signée en 1989 entre l’Espagne et les Etats-Unis. Cette Convention définit les circonstances et les normes selon lesquelles les avions affrétés par ou pour les forces US peuvent survoler, pénétrer ou sortir de l’espace aérien espagnol ou en utiliser les bases. En 2002, quelques mois après le 11/9 et après l’invasion de l’Afghanistan, les gouvernements de José Maria Aznar et de son allié Georges Bush ont modifié cette convention bilatérale de Défense, pour en assouplir les autorisations d’escale des avions états-uniens sur les bases de Rota y Morón.
La Justice espagnole veut savoir si ces “assouplissements” ont servi à faire transiter les 23 premiers prisonniers envoyés de Kandahar (Afghanistan) à la base de Cuba, dans un avion C-17 Globemaster des Forces aériennes des EE-UU. En janvier 2002, selon l’agence de presse AP, ces prisonniers ont changé d’avion pour un C-141 Starlifter « dans un pays européen », disait la dépêche.Cette information est corroborée par une autre, émanant des registres du contrôle aérien des Açores (Portugal) qui certifient que cet avion C-141 a décollé le 11 janvier 2002 de la base de Morón à destination de Guantánamo.

Recherche de témoins
C’est sur cette base que le cabinet d’avocat londonien Reprieve dirigé par Clive Stafford Smith, qui représente une trentaine de prisonniers de Guantánamo, évoque aussi le rôle de l’Espagne dans ce transfert. Le cabinet londonien soutient que l’escale du 11 janvier eut lieu à la base de Morón de la Frontera, près de Séville et que 24 autres prisonniers, également identifiés, ont voyagé à bord d’un C-17 qui, toujours d’après le registre du Portugal, fit le vol de la base de Rota à celle de Guantánamo le 28 octobre 2002. Quelqu’un a-t-il vu ces prisonniers lors de leur passage en Espagne ? Ce sont ces témoignages que recherche la justice espagnole, indiquant que « si quelqu’un a vu dans ces aéroports le transfert de prisonniers d’un avion à un autre, cela peut représenter un changement substantiel ».
Entre 2002 et 2007, l’AENA a enregistré dans les aéroports espagnols 47 vols secrets, en provenance ou à destination de la base US de Guantánamo. Le gouvernement espagnol nie que ces vols aient servi à transférer des prisonniers vers le camp de Guantánamo. Mais selon la note du procureur guidant les investigations vers les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, il y aurait eu sur ce nombre une douzaine de vols avec escale, dont on peut présumer qu’ils ont transporté des dizaines de prisonniers. Parmi eux, les deux avions qui, selon le cabinet londonien, avaient pour passagers 23 et 24 prisonniers de nationalités différentes, tous identifiés et dirigés vers Cuba.
D’après un article de José Maria Irujo paru le 4 février 2008

« J’ai voyagé ligoté, avec le canon de ses armes sur ma tête »
« J’ai voyagé de nuit, couché sur le plancher d’un avion militaire. On m’avait couvert la tête d’une cagoule et ligoté au sol par les mains et les pieds. De temps en temps, des soldats plaquaient le canon de leurs armes contre ma tête. Ce fut un long voyage et ils ne savaient pas bien où ils m’emmenaient ».C’est par ces mots que le prisonnier marocain Lahcen Ikassrien, 40 ans, se souvient de son transfert d’Espagne à Guantánamo, base navale états-unienne en territoire cubain, où il est resté enfermé pendant presque 4 ans.
Ikassrien a été jugé et acquitté, parce que les interrogatoires auxquels l’ont soumis les policiers espagnols à Guantánamo et qui furent utilisés comme preuve contre lui, ont été annulés par le tribunal.
« Je suis arrivé à la base de Torrejón de Ardoz le 18 juillet 2005 et on m’a transféré directement à la Audiencia nationale. Je pesais 55 kilos et j’ai été interrogé par le juge Fernando Grande-Marlaska. De Madrid, on m’a envoyé à une prison de Palencia » relate Ikassrien qui, après son jugement, a été remis en liberté. Le Maroc lui refuse désormais un passeport.
Une autre personne, du nom de Hamed Abderraman, le dénommé “Taliban de Ceuta”, a subi un transfert semblable à celui de Lahcen. Il fut aussi acquitté par la Haute Cour espagnole sur le même argument.

Source : Témoignages, 7 février 2008

dimanche 4 mars 2007

Le gouvernement Aznar a envoyé des policiers interroger des détenus à Guantánamo en 2002

Par José Manuel Romero, El Pais, Madrid, 13 février 2007

Aznar, Trillo, Acebes

Selon des sources officielles, le gouvernement de José Maria Aznar, à l'époque où Federico Trillo était ministre de la Défense et Angel Acebes ministre de l'Intérieur, avait envoyé des fonctionnaires de la police nationale à Guantánamo entre le 21 et le 26 juillet 2002 pour interroger, sans y être autorisés par aucun juge espagnol, une vingtaine de prisonniers, dont Hamed Abderrahmane, dit Hmido, un habitant de Ceuta (donc citoyen espagnol) arrêté en Afghanistan, ainsi que d'autres détenus, citoyens marocains.
C'était le second voyage de fonctionnaires espagnols à Guantánamo où étaient incarcérées dans des conditions infra-humaines 598 personnes de 34 nationalités différentes. A l'intérieur de la base militaire de 117 km2 dans l'île de Cuba, les prisonniers vêtus de combinaisons orange se déplaçaient mains, pieds et taille enchaînés et le visage cagoulé. Lors du premier voyage des membres de l'ambassade espagnole à Washington s'étaient déplacés à Guantánamo pour identifier d'éventuels détenus espagnols.
Le second voyage a eu lieu le 21 juillet 2002 lorsque des fonctionnaires de la police nationale, accompagnés d'agents de la CIA, avaient quitté l'Espagne pour la base US afin d'interroger une vingtaine de détenus, en majorité Marocains.
Cette opération policière avait été coordonnée par un des chefs de l'Unité Centrale des Renseignements Extérieurs, Rafael Gómez Menor, avec la participation de trois autres policiers. L'Unité Centrale enquêtait depuis des années sur la cellule du Syrien Abou Dahdah, présumé chef d'Al Qaida en Espagne et condamné pour appartenance à une bande terroriste.
Avec l'accord des USA, les policiers espagnols avaient interrogé 20 personnes dont Hamed Abderraman de Ceuta et Lahcen Ikassrien, Marocain résidant en Espagne qui avait été arrêté en 2001 en Afghanistan puis envoyé à Guantánamo , porteur d'un bracelet l'identifiant comme « animal numéro 64. »
A propos de ces interrogatoires, Ikassrien a déclaré à notre journal : « Ils m'ont demandé la permission d'enregistrer l'interrogatoire et je leur ai dit de faire ce qu'ils voulaient. Je leur ai raconté ma vérité mais ce qu'ils voulaient c'était que je leur dise que j'étais un terroriste et que je m'entraînais en Afghanistan, ce qui n'est pas la vérité. » Ikassrien assure avoir dit aux policiers espagnols qu'il était Marocain et qu'ils ne pouvaient pas l'interroger. « Ils ont répondu qu'ils voulaient m'aider et je leur ai dit : « Chaque fois que vous venez, les Américains me torturent, » a-t-il expliqué à EL PAIS. Le prisonnier d'alors à Guantánamo – qui aujourd'hui vit libre à Madrid – soutient que les policiers espagnols lui avaient offert de l'argent et lui avaient promis le statut de témoin protégé s'il collaborait avec eux. Les agents espagnols lui avaient montré des photos d'extrémistes marocains tels que Amer el Azizi et Jamal Zougam, un des auteurs présumés des attentats du 11 mars, qu'ils surveillaient alors, ainsi que celle d'un autre islamiste qui par la suite avait été arrêté et incarcéré au Maroc pour l'attentat de Casablanca.
La mission policière faisait partie des enquêtes en cours sur le réseau présumé d'Al Qaida en Espagne.
Un troisième voyage a eu lieu du 20 au 24 janvier 2003 quand des membres de l'ambassade d'Espagne à Washington ont rendu visite à Hamed Abderrahman Ahmed, de nationalité espagnole, afin d'organiser son transfert en Espagne. En février 2004, les USA ont livré Hamed aux autorités espagnoles qui le mirent à la disposition de la justice. La Cour Suprême (espagnole) a considéré que les interrogatoires policiers de Hamed « avaient eu lieu sans notification préalable de ses droits, sans l'assistance d'un avocat et sans autorisation ni mandat de l'autorité judiciaire espagnole compétente. » « La détention de centaines de personnes, dont le requérant, sans inculpation, sans garanties et par conséquent sans contrôles ni limites dans la base de Guantánamo , sous la garde de l'armée américaine, constitue une situation impossible à expliquer et encore moins à justifier compte tenu de la situation juridique et politique dans laquelle elle est insérée. » « On pourrait dire » poursuit la Cour Suprême, « que Guantánamo est un véritable trou noir pour le droit international qui reste défini par une multitude de traités et de conventions signés par la communauté internationale et donne l'exemple achevé de ce qu'une certaine école juridique a défini comme le Droit pénal applicable à l'ennemi. »
Quant à Lahcen Ikassrien, il a été extradé par les USA vers l'Espagne où le tribunal pénal [Audiencia Nacional] l'a absout de toutes les accusations et a refusé les preuves et témoignages obtenus au cours des interrogatoires effectués par la police espagnole à Guantánamo .

Original : El País
Traduit de l’espagnol pour Chronique de Guantánamo par Djazaïri