Mais le couperet de la nouvelle loi sur la nationalité est tombé, qui préconise la révision des naturalisations obtenues entre 1992 et 2006. La commission qui examine au cas par cas la situation des étrangers naturalisés, présidée par Vjekoslav Vukovic, a annoncé que trois cent trente naturalisés se verraient retirer la nationalité bosniaque. Imad Al Houssine est de ceux-là.
Il vient de recevoir la lettre recommandée lui annonçant la décision [1] : « Ils me reprochent d’avoir obtenu la nationalité à deux reprises, en 1992 et en 1994, mais je ne l’ai obtenue qu’en 1994 ». Il lui est reproché une erreur portant sur deux mois et demi de présence dans l’armée bosniaque dans ses déclarations à l’appui de sa demande, et autres broutilles. Ce qu’il va faire ? Demander l’asile ? : « Impossible, tous ceux qui l’ont fait se sont heurtés à un refus systématique de leur demande », affirme-t-il.
Trouver un pays d’accueil relève du fantasme, étant donné la réputation qui est systématiquement attachée aux volontaires musulmans. « Toutefois, précise-t-il, parmi les personnes qui se sont vues retirer leur nationalité, il y a aussi des Russes et de Roumains, mais ces derniers ont quitté la Bosnie et sont retournés chez eux et n’ont rencontré aucun problème ». Le problème se poserait uniquement pour les Arabes et/ou les Musulmans : « Tous les Egyptiens qui sont rentrés en Egypte ont été systématiquement jetés en prison », affirme-t-il « Ceux qui ont le plus à craindre d’un renvoi dans leur pays sont les Syriens, les Tunisiens et les Egyptiens, ce sont la torture, l’emprisonnement qui les attendent, voire la peine de mort pour les Syriens ». Quant à faire opposition de cette décision devant la Cour Suprême de Bosnie, il affirme que c’est possible mais que cette démarche n’est pas suspensive du renvoi. Imad Al Houssine, dont le cas est similaire et emblématique de centaines d’autres, ne baisse pas les bras.
Son association, Al Ansar, a été fondée pour défendre les intérêts de ceux qui ne sont déjà plus des Bosniaques, -une cinquantaine d’entre eux ayant déjà reçu comme lui, la décision de déchéance de nationalité-, mais cette association n’a jamais reçu son visa de légalisation. Pour autant, Imad Al Houssine, dit aussi Abou Hamza, se démène pour informer, multiplier les contacts auprès des organisations de défense des droits de l’homme, les conférences de presse, pour dévoiler le caractère politique de ces décisions, pour que le monde prenne conscience de la catastrophe qui s’annonce, car au-delà les risques de renvoi vers des pays peu démocratiques, ce seront des centaines de familles qui seront brisées, tous les naturalisés ayant épousé des femmes bosniaques et ayant eu des enfants bosniaques.
[1] Bosna i Hercegovina, Drzavna komisija/poverenstvo za reviziju odluka o naturalizaiji stranih drzavljana, Broj : UP-01-07-99-2/06, Datum : 09.01.2007.godine, Rjesenje
Source : http://www.reveiltunisien.org/article.php3?id_article=2459
Seconde partie : la Loi relative aux modifications à la Loi sur la citoyenneté [1]
Adoptée le 27 juillet 1999 par le parlement bosniaque, la loi sur la nationalité a été amendée le 22 avril 2003. Elle prévoyait le retrait possible de la nationalité pour les étrangers qui avaient demandé la nationalité bosniaque et l’avaient acquise entre le 6 avril 1992 et l’entrée en vigueur de la Constitution. Une nouvelle loi est entrée en vigueur en 2005 qui prévoit la révision de la nationalité pour tous les étrangers ayant acquis cette dernière entre le 6 avril 1992 et le 1er janvier 2006 [2].
"Touche pas à mon père"
"Le renvoyer, c’est l’envoyer en prison, quel est son crime ?"
Cette commission, composée de neuf membres, deux Bosniaques, deux Croates et deux Serbes de Bosnie et trois personnes autres que des citoyens de Bosnie ou d’un pays voisin, est présidée par un fonctionnaire du ministère de la Sûreté. Elle a commencé ses travaux en mars 2006, a rendu ses conclusions et a décidé de retirer la nationalité bosniaque à 330 de ses détenteurs d’origine étrangère.
Souvent présentée comme un sous produit ou inspirée par les accords de Dayton, qui disposaient : « Foreign combatant forces currently in Bosnia are to be withdrawn within 30 days » [5] cette loi paraît néanmoins englober beaucoup plus de personnes, à savoir combattants, personnels d’associations humanitaires et étudiants ou résidants en Bosnie.
Aucun décompte ne permet de chiffrer cette population, certains ne prenant en compte que les « combattants » ou les « arabes » et la plupart des chiffres s’avérant provisoires et/ou fantaisistes [6]. Les Syriens, les Tunisiens, les Egyptiens, Soudanais, Jordaniens et Marocains, Libanais, Irakiens, Palestiniens en constitueraient l’essentiel. Un autre groupe est formé des ressortissants des pays de l’Est : Russes, Moldaves, Ukrainiens, ressortissants de l’UE et de la Suisse.
Les chiffres sont d’autant plus fluctuants que l’annonce et le début de cette application ont entraîné des réflexes de fuite vers des pays considérés comme plus amènes. Officiellement, la commission aurait retiré la nationalité à 38 personnes dès le mois de juin dernier [7], puis à 120 en septembre 2006 [8], puis à trois cent trente en janvier 2007, et cinquante d’entre eux avaient reçu au mois de janvier le courrier leur annonçant cette décision [9]. Pour autant, les travaux de cette commission ne sont pas terminés. Son mandat s’achève, mais le Parlement pourra prolonger son mandat. Son président, Vjeloslav Vukovic, a affirmé que 500 dossiers étaient encore à l’étude [10]. Ce seront donc des milliers de personnes qui vont voir leur avenir compromis, leurs familles brisées.
Les possibilités de recours
Privés de leur nationalité, ces Syriens, Tunisiens, et autres ressortissants de pays arabes et ou musulmans auront deux mois pour trouver un pays d’accueil. Aucun pays au monde ne se précipitera pour souhaiter la bienvenue à des « moujahidins », « vétérans de la guerre de Bosnie » et autres « jihadistes internationaux » pour ne reprendre que les qualificatifs les moins négatifs. Il leur reste la possibilité de contester la décision devant la justice dans les deux mois [11]. A ce jour, seul un Bosniaque d’origine irakienne, Fadil Hamdani, aurait obtenu gain de cause.
Les conséquences de la loi
Elles sont de deux ordres : des renvois vers les pays d’origine entraîneraient des risques pour les intéressés d’être soumis à la torture ou à l’emprisonnement, voire à la peine capitale. Or la Bosnie a ratifié la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants dont l’article 3 dispose : « Aucun Etat partie n’expulsera ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture » ainsi que la Convention européenne des droits de l’Homme depuis 2002.
Vais-je rester orphelin ?
Manifestation à Sarajevo devant l’Assemblée le 1er octobre 2006
La majorité écrasante des hommes ayant obtenu la nationalité bosniaque sont mariés avec des femmes bosniaques et ont des enfants de nationalité bosniaque. Les renvois des pères entraîneraient des dislocations de ces familles, contrevenant avec l’article 10 du Pacte international aux droits civils et politiques auquel la Bosnie est partie : « Une protection et une assistance aussi large que possible doivent être accordées à la famille qui est l’élément naturel et fondamental de la société (...) »
De dangereux précédents
En la matière, ces craintes ne relèvent pas de l’hypothèse. Des précédents laissent craindre que la Bosnie ne s’embarrasse guère de tels considérants : Dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », tous les coups semblent permis, puisque six algériens ont été remis par la police bosniaque à des représentants américains en janvier 2002, qui les a transférés à Guantanamo Bay [12].
Idem en ce qui concerne deux Bosniaques d’origine égyptienne, Ussama Farag Allah et Al Sharif Hassan Saad, expulsés vers l’Egypte à la demande des autorités de ce dernier pays en octobre 2001 [13].
Si ces autorités ne défendent pas leurs nationaux, on voit mal, toujours dans ce même contexte, pourquoi elles se soucieraient de personnes contre lesquelles elles viennent de concocter une loi ad hoc.
Ainsi, Badreddine Ferchichi, un Tunisien à qui l’asile avait été refusé en Bosnie, a-t-il été renvoyé en Tunisie, au mépris total des conventions et pactes précités, sans attendre que la justice ne réponde à l’appel déposé par son avocat le 25 juillet 2006. Il n’existe pas de liaison directe entre Sarajevo et Tunis, et la police bosniaque l’a dans un premier temps renvoyé à Istamboul, où le pilote de la Tunis Air aurait refusé de le compter parmi ses passagers pour Tunis, compte tenu de l’absence de documents de voyage en règle de monsieur Ferchichi. Il a donc été réacheminé à Sarajevo, où la police bosniaque a affrété un petit avion spécial qui l’a expulsé à l’aéroport de Tunis Carthage le 29 août 2006 [14]. Maltraitance et emprisonnement [15], rien n’a été épargné à Badreddine Ferchichi, actuellement dans l’attente de son procès devant un tribunal militaire à la prison de Mornaguia. L’empressement et l’acharnement mis par les autorités bosniaques à se débarrasser de ce ressortissant tunisien augurent mal du devenir des étrangers désormais sans titre de séjour en Bosnie.
Notes :
[1] « Zakon o izmejenama i dopunama zakona o drzavljanstvu Bosne i Hecegovine », « Law on Amendments to the Law on Citizenship Of Bosnia and Herzegovina », BH Official Gazette n°.14/2003 Dated 29 mai 2003
[2] Article 6 : « In article 37 of the Law, second sentence, the words « the entry into force of the Constitution » shall be replaced by the text « january 1, 2006 ».
[3] Drzavna komisija/prvrenstvo za reviziju olduka o naturalizaciji stranih drzavaljana, Sarajevo, Trg BiH 1, tel : 033 213 686, Fax : 033 213 686
[4] Article 8, b "If the citizenship of BiH was acquired by means of fraudulent conduct, false information, or concealment of any relevant fact attributable to the person concerned » or c) « in the case of a lack of genuine link between Bosnia and Herzegovina and a citizen habitually not residing in Bosnia and Herzegovina »
[5] Annex1-4 : Military Aspects, Dayton Peace Agreement on Bosnia-Herzegovina, November 30, 1995
[6] « Etablis entre 1992 et 2006, 75 Algériens ont la nationalité bosniaque », Le Quotidien d’Oran, 8 juin 2006.
[7] « Albosna teshabou jensiyyataha min 38 arabiyyan », eshark alawsat, 7 haziran 2007
[8] « Oduzeli 120 drzavljanstava », San, utorak 5. rujna 2006.
[9] Se reporter à : « Albosna tashabou jensiyyataha min ennatiq essabiq bism elmouqatilin elarab », ashark alawsat, 2 yanayer 2007 aladad 10284
[10] « Do sada oduzeta 330 drzavljanstava », SRNA, 9.1.2007, http://www.ntvhayat ;com/home/vijesti/index.php ?
[11] clanu 19. Zakona o upravnim sporovima Bosne i Hercegovine
[12] « Mesures de lutte contre le terrorisme violant les droits humains » in Rapport 2003, Bosnie Herzégovine, Amnesty International « Bosnie : arrestations contestées d’islamistes », Le Courrier des Balkans, 22 janvier 2002
[13] « Détentions arbitraires » in Rapport 2002, Bosnie-Herzégovine, Amnesty International.
[14] « Ilegalno boravio u BiH »in « Bez drzavljanstva ostalo 120 naturaliziranih Arapa », Dnevnlist, Srijeda 6. rujna 2006.
« Deportovan Fersisi » in « Vlasti BiH cine zlocine prema naturaliziranim drzavljanima », Oslobodenje, Petak, 1. rujna 2006.
[15] « U Tunisu izlozen mucenjima zbog pogresne adrese u BiH » Saff, 15.12.2006
Source : http://www.reveiltunisien.org/article.php3?id_article=2467
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