vendredi 23 février 2007

Gianni Motti : The Victims of Guantanamo Bay (Memorial), 2006

Exposition à La Salle de bains, 56 rue Saint-Jean, 69005 Lyon, France, +33 (0) 4 78 38 32 33, infos@lasalledebains.net, www.lasalledebains.net, jusqu’ au 11 mars 2007 de 14 à 19 heures
Read about he exhibition of Gianni Motti in Lyon
L’œuvre de Gianni Motti présentée à la Salle de bains consiste en une série de plaques commémoratives dédiées aux 759 prisonniers du camp de Guantanamo, à Cuba. Sa forme est empruntée à celle des monuments aux victimes américaines du 11 septembre ; mais la liste de noms qui sont gravés dans l’acier, par ordre alphabétique,
est celle des 759 personnes qui ont été ou sont encore actuellement détenues sur la base américaine de Guantanamo. Le Département de la Défense américain a dû publier la liste complète des prisonniers, grâce à un recours de l’agence Associated Press au nom du Freedom of Information Act (loi constitutionnelle sur la liberté de l’information).
Un autre artiste spécialisé, lui, dans les plaques de métal, mais disposées à l’horizontale (Carl Andre), disait autrefois : « chaque chose est un trou dans autre chose qu’elle n’est pas ». Appliqué au périmètre de la base de Guantanamo, cela peut signifier que la base est un trou dans l’espace de la légalité. Mais inversement, un monument est un trou dans l’espace vide de l’oubli. On peut dire beaucoup en venant combler un vide, par exemple un vide juridique, et c’est ce que Motti fît en collaboration avec l’artiste suisse Christoph Büchel.
En 2004, déjà, ils avaient monté un projet, Guantanamo Initiative (présenté au Centre Culturel Suisse, à Paris et à la 51e Biennale de Venise), qui avait pour fin de louer la baie de Guantanamo à Cuba pour en faire une base culturelle. Une manière, là aussi, de rappeler, en creux, le statut hors normes de cette portion de territoire d’un peu plus de 100 km2, une zone de non-droit vestige d’une situation de domination quasi-coloniale des États-Unis en Amérique centrale. (Le gouvernement cubain rejette depuis 1959 la convention de « concession permanente » établie en 1903 qui octroie aux États-Unis l’usufruit de la baie pour un loyer annuel qui s’élève aujourd’hui à 4,085 $ – un loyer non-encaissé par la République de Cuba en signe de protestation.)
Walter Benjamin disait que l’histoire est écrite par les vainqueurs ; peut-être cela vaut-il surtout, aujourd’hui, pour le traitement de l’information. Les actualités sont celles des puissants du jour, et c’est bien la raison pour laquelle on n’érige pas de monuments aux causes perdues ou aux anonymes pris dans la tourmente des guerres et de la violence légale. C’est précisément dans les espaces vides de la représentation médiatique que Gianni Motti prend souvent le parti de faire irruption. Son travail intervient souvent à la frontière législative entre ce qui peut être représenté et ce qui ne peut pas l’être, soit qu’on l’interdise, soit qu’on le néglige.
Récemment, Motti avait exposé un savon, Mani Pulite (2005), fabriqué avec le surplus de graisse extrait par liposuccion de Silvio Berlusconi au terme d’une opération de chirurgie esthétique, réalisée dans la plus grande discrétion. Mani Pulite (mains propres), nom donné à la gigantesque Opération anti-corruption qui avait secoué l’Italie dans les années 90, suggérait l’existence d’un rapport inversement proportionnel entre l’obsession hygiéniste de l’apparence et l’intégrité morale.
Auparavant, il avait par exemple aussi exposé des images de la guerre en Macédoine et au Kosovo, achetées à une agence de presse, et délaissées par les médias, exposant en creux la fabrication de l’intérêt médiatique (Dommages collatéraux, 2001). Ne correspondant pas à l’image attendue des représentations d’un conflit, ces images devenaient « collatérales », elles aussi, au même titre que les dommages qu’elles sont censées renseigner. « Collatéral » s’entend ainsi en un second sens : ce qui est tombé hors champ, en dehors des médias, à côté du sujet. Ce qui a été relégué dans l’oubli, dans la non-image… Les images des médias sont véritablement le réel, le reste, ce dont il n’y a pas d’image, appartenant au non-être.
Coupés du monde, détenus anonymement dans un no man’s land juridique, sans aucun recours possible, les détenus de Guantanamo étaient ou sont victimes également de l’indifférence générale quant à leur sort (mais qui peut se soucier des droits de gens qui, officiellement, n’existent pas ?)
Le vernissage an janvier a pris la forme d’une inauguration de monument traditionnelle, en présence de deux des cinq prisonniers français de Guantanamo originaires de Vénissieux : Mourad Benchellali et Nizar Sassi.

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