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samedi 7 novembre 2009

Ombres italiennes-À propos du verdict dans le procès de l'enlèvement par la CIA d'Abou Omar


par Claudio FAVA, il manifesto, 5/11/2009. Traduit par Fausto Giudice
Le tribunal de Milan qui jugeait les auteurs et complices de l’enlèvement, par la CIA, de l’imam égyptien Abou Omar, en février 2003, a rendu son verdict : les 26 agents de la CIA, jugés par contumace, ont été condamnés à des peines de 5 à 8 ans de prison, leur chef Jeff Castelli a été acquitté pour immunité diplomatique. Deux agents des services de renseignement militaires italiens, le SISMI, ont été condamnés à 3 ans de prison, tandis que l’ex-chef du SISMI, Nicolò Pollari, et son adjoint Marco Mancini ont bénéficié d’un non-lieu. Voici le commentaire de l’ex-eurodéputé Claudio Fava, qui présida une commission d’enquête du Parlement européen sur les « transferts extraordinaires de la CIA ».-FG
La sentence était prévisible. Très italienne dans sa réticence polie, comme le furent les sentences sur le sénateur Giulio Andreotti (« c’est vrai, c’était un ami des mafieux, mais trop de temps est passé: tout est prescrit et nous restons amis comme avant).

Pourtant, c'est une sentence exemplaire : par ce qu’elle confirme et ce qu’elle admet. Elle confirme  que l'imam de Milan a été enlevé par la CIA dans l'un des premières «extraordinary restitutions» (transferts extraordinaires) rocambolesques auxquelles les services usaméricains se sont exercés de manière répétées après le 11 Septembre . la condamnation de tous les agents de la CIA et la grâce accordée à leur chef pour son immunité diplomatique alléguée scellent trois ans d'enquête rigoureuse et rapide menée par le Procureur Spataro et ses services. Mais à côté de cette confirmation il y a un aveu: si Pollari et Mancini s’en sortent avec un non-lieu, ils doivent remercier tous les gouvernements qui se sont succédés dans notre pays. Bien plus : Pollari doit remercier formellement Silvio Berlusconi, Romano Prodi et Francesco Rutelli, qui, plus que d'autres, se sont personnellement engagés pour faire prévaloir, sur la vérité, l’omertà d'un faux secret d'État.

Les ombres sur cette histoire sont particulièrement gênantes parce qu'elles ne racontent pas seulement un enlèvement maladroit, mais révèlent une conception dévastatrice de la lutte contre le terrorisme. Au nom de cette conception les services usaméricains et européens se sont mis en tête de dégrader les droits fondamentaux au rang de question secondaire, de jouet pour âmes candides, d’’oripeau.  C’est pour cela qu’Abou Omar a été enlevé: pour soustraire un terroriste présumé aux garanties et aux principes de la justice ordinaire. Et le SISMI, en acceptant d'offrir sa collaboration servile, a balayé en quelques instants  des siècles de culture et de civilisation juridique. Sur cette horreur, sur le prix politique payé, et sur les faveurs obtenues s’est ensuite abattu le couperet du secret d'État.

Nous vivons dans un pays qui a été trop souvent été offensé par ses secrets indicibles, dépossédé de toute vérité, obligé de garder le silence, de faire semblant, de ne pas comprendre. Mais jamais on n’avait trouvé, sur le besoin de nier les faits, une si parfaite harmonie entre tous les partis politiques. Comme sur la scène d'une tragédie grecque, les protagonistes ne sont plus les partis, mais le pouvoir. Ceux qui défendent l'indéfendable Pollari, défendent eux-mêmes, le privilège de mentir, de se considérér legibus solutus*. Pour une fois, n'est pas  de Berlusconi que nous devons parler, mais de cette nation. Heureuse de ne pas savoir, heureuse de ne pas juger. Convaincue désormais que pour exorciser la réalité il suffit de changer de canal.
* Princeps legibus solutus : le prince échappe à la loi, il est au-dessus d’elle.[NdT]

Source : il manifesto-Ombre italiane

Article original publié le 5/11/2009

Sur l’auteur

Fausto Giudice est membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteu et la source.

URL de cet article sur Tlaxcala :
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=9205&lg=fr

jeudi 2 juillet 2009

Une victime italienne de « transfert extraordinaire» toujours détenue au Maroc, après des aveux obtenus sous la torture

Des ONG de droits humains demandent aux rapporteurs spéciaux des Nations Unies d'enquêter et d’agir sur l’affaire Abou Elkassim Britel

par ACLU, 25/6/2009. Traduit par Isabelle Rousselot et édité par Fausto Giudice, Tlaxcala


NEW YORK – Des groupes de droits humains ont demandé aujourd'hui aux rapporteurs spéciaux des Nations Unies d'enquêter sur l'affaire d'Abou Elkassim Britel, un citoyen italien et une victime du programme illégal de « transferts extraordinaires » (« extraordinary rendition») de la CIA, qui est actuellement détenu dans une prison marocaine sur la base d'aveux qui lui ont été extorqués sous la contrainte physique. L'ACLU (Union américaine pour les libertés civiles) et l'ONG Alkarama for Human Rights ont exigé que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Promotion et la protection des droits humains dans la lutte contre le terrorisme, enquêtent sur les circonstances de la disparition forcée, de l'enlèvement, de la détention et de la torture de Britel, et soulève son cas après des gouvernements des USA, du Maroc, du Pakistan et d'Italie.

« Des victimes du programme d’« extraordinary rendition », détenues à Guantánamo et dans d'autres prisons du monde, sont ignorées par le gouvernement Usaméricain, dont le programme illégal a causé leur situation, » a indiqué Steven Watt, avocat pour le programme des droits humains de l'ACLU. « Les USA ont refusé de prendre leur responsabilité envers des actions manifestement nuisibles, ne laissant d'autres choix à M. Britel et à d'autres innombrables victimes que de se retourner vers la communauté internationale pour obtenir justice. »

Britel, qui est également un plaignant dans l'affaire judiciaire opposant l'ACLU à une filiale de Boeing, Jeppesen DataPlan, pour son rôle dans le programme de’« extraordinary rendition », fait partie des quelques victimes dont l'identité est connue et qui est toujours détenu à l'extérieur de Guantánamo Bay.

Initialement, Britel a été appréhendé et détenu au Pakistan par les autorités pakistanaises pour des présumés violations des lois sur l'immigration, en février 2002. Après une période de détention et d'interrogatoires là-bas, il a été livré aux autorités Usaméricaines.

En mai 2002, des fonctionnaires usaméricains ont déshabillé et battu Britel avant de lui mettre une couche et une salopette, de l'entraver comme un animal, de lui bander les yeux et de l'envoyer au Maroc pour y être détenu et interrogé. Une fois au Maroc, les responsables US l'ont livré aux services de renseignement marocains qui l'ont emprisonné, sans contact avec l'extérieur, dans le centre de détention de Témara, où il a été interrogé, battu, privé de sommeil et de nourriture et menacé de sévices sexuels.

« Sur la foi du récit de M. Britel lui-même sur le traitement qu'il a subi et la longue histoire très documentée sur la torture et les abus commis dans les centres de détention dirigés par le gouvernement marocain, nous avons des raisons solides de croire que M. Britel a subi et subit toujours des tortures », a déclaré Rachid Mesli, Directeur du service juridique d’Alkarama. « M. Britel et les autres victimes de « l'extraordinary rendition » méritent un procès équitable devant un tribunal, non entaché par des preuves obtenues sous la torture. Nous espérons que les rapporteurs spéciaux vont prendre acte immédiatement de notre demande pour apporter une attention rapide et nécessaire à l'affaire de M. Britel, avant que les conditions dans lesquelles il est détenu ne causent encore plus de dégâts à sa santé physique et mentale. »

Selon la requête auprès des rapporteurs spéciaux, après avoir été libéré par les autorités marocaines en février 2003, Britel a été à nouveau arrêté et remis en détention en mai 2003 alors qu'il tentait de quitter le Maroc pour rentrer chez lui, en Italie. Alors qu'il était détenu sans contact avec l'extérieur dans le même centre de détention où il avait été brutalement torturé à peine quelques mois plus tôt, Britel a fait de faux aveux, sous la torture, sur son implication dans le terrorisme. Britel a été jugé et reconnu coupable d'accusations liées au terrorisme et purge une peine de neuf ans dans une prison marocaine.

En 2006, un juge d’instruction italien a prononcé un non-lieu sur une enquête qui avait duré de six ans sur l'implication alléguée de Britel dans le terrorisme, après avoir constaté un manque total de preuves l'associant à une activité liée au terrorisme ou d'ordre criminel.

Tous les dossiers remis aux rapporteurs spéciaux sont disponibles en ligne sur :
www.aclu.org/intlhumanrights/nationalsecurity/relatedinformation_resources.html


Plus d'information sur le procès de l'ACLU contre Jeppesen DataPlan en ligne sur :
www.aclu.org/jeppesen


Pour mettre fin à l'injustice : la femme d'une victime de
"transfert extraordinaire" s'exprime sur l’obligation de rendre des comptes et la torture

Par Nahal Zamani, programme des droits humains, ACLU

Aujourd'hui, le Programme des droits humains de l'ACLU et l'ONG Alkarama for Human Rights ont envoyé une demande à deux rapporteurs spéciaux des Nations Unies (experts en droits de l'homme) pour qu'ils enquêtent sur la détention et la torture au terme d’une "extraordinary rendition" d'Abou Elkassim Britel, un citoyen italien.

L'ACLU représente Britel ainsi que quatre autres hommes dans un procès au civil dans le système judiciaire des USA. Dans cette affaire – Mohamed et al. contre Jeppesen – Jeppesen, une filiale de Boeing, est accusée d'avoir participé, en connaissance de cause, au programme illégal d’ « extraordinary rendition » des USA, en fournissant un vol et des services de soutien logistique à l'avion utilisé par la CIA pour transporter Britel, du Pakistan au Maroc, en mai 2002.

La requête aux deux experts des droits de l'homme des Nations Unies est une demande d’enuqêtes sur les circonstances entourant l'arrestation de Britel, son enlèvement, sa détention et son interrogatoire au Pakistan ainsi que son transfert clandestin de ce pays jusqu'au Maroc. Britel fait partie des quelques victimes du programme « extraordinary rendition » des USA dont les identités sont connues et il est le seul citoyen européen, à notre connaissance, à être toujours en détention. À ce jour, Britel demeure incarcéré dans une prison marocaine.

J'ai récemment parlé avec la femme de Britel, Khadija Anna Lucia Pighizzini, citoyenne italienne, et je lui ai demandé de nous raconter leur histoire. Ce qui suit est extrait et traduit de notre conversation.

Khadija Anna Lucia Pighizzini : le 10 mars 2002 est le dernier jour où j'ai parlé à mon mari et je me souviens que la communication téléphonique était horrible et grésillante. Nous avons pensé que nous continuerions notre conversation le lendemain. Mais ensuite je n'ai plus eu aucune nouvelle – il avait disparu. Pendant 11 mois, je n'ai eu aucune nouvelle. Je ne savais pas s'il était vivant ou mort.

ACLU : Le 10 mars 2002, Britel qui était en voyage d'affaires au Pakistan a été arrêté et détenu au Pakistan pour des questions d'immigration. Après plusieurs mois en détention au Pakistan, durant lesquels il a été interrogé autant par des fonctionnaires pakistanais qu’usaméricains, Britel fut finalement transféré sous la garde exclusive des Usaméricains. Les responsables usaméricains l'ont vêtu d'une couche et d'une salopette puis l'ont entravé comme une bête, lui ont bandé les yeux avant de l'envoyer, en avion, au Maroc pour y être détenu et subir d'autres interrogatoires. Britel a été détenu, sans contact avec l'extérieur, par les services de sécurité marocains, dans le centre de détention de Témara, et a subi des violences physiques, la privation de sommeil et de nourriture, et a été menacé de sévices sexuels, y compris sodomie avec une bouteille et castration. La famille de Britel n'a eu connaissance de son sort qu'une fois Britel libéré, presque une année après sa première disparition, sans inculpation, en février 2003.

Tragiquement, alors qu'il rentrait chez lui en Italie en mai 2003, Britel a été à nouveau arrêté par les autorités marocaines, qui l'ont placé en détention et l'ont forcé, sous la contrainte physique, à signer un aveu comme quoi il était impliqué dans des actions terroristes au Maroc. Britel fut finalement déclaré coupable d'actes en relation avec le terrorisme et condamné à neuf ans. À ce jour, il est toujours emprisonné au Maroc.

Khadija Anna : le soir où Kassim était censé enfin quitter le Maroc, le 16 mai 2003, il y a eu des attaques terroristes à Casablanca. Cet événement tragique a coûté 45 vies et a provoqué une enquête policière de grande envergure. Kassim fut repris par l'administration marocaine alors qu'il était en train de quitter le pays. Son arrestation faisait partie d'une vague d'arrestations qui ont eu lieu immédiatement après ces attaques. Encore une fois, Kassim disparut et je n'avais aucune idée de l’endroit où il se trouvait, j'ai cherché dans tout le Maroc pour le retrouver. J'ai interrogé à son sujet l'ambassade italienne et les autorités marocaines, mais les deux nièrent savoir quelque chose. Je craignais le pire car il y avait eu un accroissement des disparitions causées par le gouvernement marocain ; des milliers de gens étaient emprisonnés, et d'autres sont même morts durant des interrogatoires, entre les mains de la police marocaine.

Plus tard, j'ai appris que Kassim avait été secrètement détenu pendant quatre mois à Témara ; dans le même centre de détention où il avait été détenu et torturé quelques semaines plus tôt.

Après quatre mois de détention et d'interrogatoires, Kassim est passé devant un prétendu tribunal qui, selon son avocat, répondait à peine aux normes d'un procès équitable. Il a été condamné à 15 ans de prison, mais en appel, sa peine a été ramenée à neuf ans. Pendant ce temps, la presse italienne s'était emparée de son histoire et avait présenté Britel comme le cerveau des attentats de Casablanca – un mensonge dont même les autorités marocaines ne l'avaient pas accusé.

Kassim est maintenant incarcéré dans la prison Oukasha à Casablanca. Il est prévu qu'il ne soit pas relâché avant septembre 2012, pourtant il n'a rien fait de mal.

ACLU : En septembre 2006, après six années d'une longue enquête criminelle, en Italie, sur l'implication supposée de Britel dans des activités terroristes, le juge en charge débouta son affaire, pour manque total de preuve associant Britel à de quelconques activités criminelles ou terroristes. Depuis ce non-lieu, les membres du parlement italien et européen ont adressé une pétition au gouvernement du Maroc pour qu'il gracie et libère Britel immédiatement. A ce jour, les autorités marocaines ont omis de répondre à ces efforts diplomatiques et depuis janvier 2007, le gouvernement italien n'a toujours rien fait pour représenter les intérêts de Britel.

Khadija Anna : Des investigations officielles ont mis en cause quatre gouvernements dans l' "extraordinary rendition" et la torture de mon mari. Le gouvernement pakistanais l'a torturé si violemment qu'il a avoué être un terroriste. La CIA l'a enlevé et l'a maintenu en détention au Pakistan avant de le livrer illégalement à une torture certaine au Maroc ; le gouvernement marocain l'a emprisonné et l'a torturé ; et le gouvernement italien était complice dans toute l'affaire ; tous savaient parfaitement bien ce qui se passait et ont fait peu, voire rien, pour l'aider.

Le gouvernement usaméricain est influent, ils doivent intervenir pour assurer la libération de mon mari et le ramener à la maison, en Italie. Si le gouvernement usaméricain intervient, je pense que l'Italie exigera que Britel soit libéré et le Maroc s'exécutera. C'est le moins qu'ils puissent faire étant donné leur implication dans son « extraordinary rendition ». J'ai déjà demandé une rendez-vous à l'ambassade usaméricaine au Maroc ou une intervention pour libérer mon mari. Je me suis également rendue deux fois à l'ambassade et j'ai parlé aux employés là-bas. Pas besoin de vous dire qu'ils sont restés sourds à ma demande et je ne sais plus vers qui me retourner.

ACLU : Depuis mars 2002, Britel a subi des tortures physiques et psychologiques et un traitement cruel – comme des bastonnades sévères, l'isolation, la privation de sommeil et des menaces de mort. Les expériences de Britel font partie d'un large schéma de tortures et d'abus généralisés, commis par le gouvernement des USA sous l'administration Bush. Une sérieuse responsabilité pour des crimes commis au nom de la sécurité nationale doit comprendre la reconnaissance et des réparations pour les victimes de la torture.

Khadija Anna : Physiquement, Kassim est faible et a beaucoup de problèmes physiques dus à la torture et aux abus qu'il a subis. Il en garde des traces, pas seulement dans son âme mais aussi dans son coeur. Il se bat pour rester en vie. Il se bat également pour les droits des autres prisonniers détenus avec lui ; pour améliorer leurs conditions ainsi que les siennes. Il a fait plusieurs grèves de la faim, seul ou avec d'autres prisonniers – espérant attirer l'attention sur les conditions à l'intérieur de la prison et pour protester contre sa torture.

Quand à moi, je suis toujours fatiguée, et je suis toujours dans l'attente. Cela fait sept longues années que Kassim a disparu. Ces années ont été si douloureuses, mais je sais que l'injustice que j'ai vécu va bientôt se terminer. Je ne me suis pas laissée aller à la haine ; Kassim, non plus. Au contraire, nous attendons sa libération. Nous voulons vivre nos vies et retrouver nos droits pour vivre dans la dignité comme tout citoyen et être humain. Nous regardons vers l'avenir quand la vérité sera entendue, quand nos droits seront restaurés et quand la justice sera enfin rendue.

Pour en savoir plus : http://www.giustiziaperkassim.net/

Source : aclu.org et blog.aclu.org

lundi 2 juin 2008

La CIA et le Maroc

Par Larbi Bouhamida, Libération (Maroc), 2 juin 2008

L'information est d'une acuité certaine. Non contente de se livrer à ses basses besognes en violation des principes les plus élémentaires des droits de l'Homme, la CIA a voulu que celles-ci éclaboussent des pays autrement plus respectueux des valeurs, des principes qui fondent la liberté et la démocratie. Selon le quotidien madrilène El Pais daté du mercredi 28 mai, les Etats- Unis continueraient à utiliser l'Espagne comme base de transit des vols secrets vers Guantánamo.
Le Portugal n'a pas échappé non plus à cette « contagion » induite par la « guerre contre le terrorisme » que l'Oncle Sam a déclarée au reste du monde après les attentats du 11 septembre 2001.Idem pour le Maroc. D'après El Pais, le Royaume aurait accueilli lui aussi plusieurs escales des avions en provenance ou se dirigeant vers le tristement célèbre camp de Guantanamo, et ce depuis 2003.
Deux avions de la CIA, un 737 et un GLF5 auraient décollé de l'aéroport de Rabat- Salé vers Guantanamo respectivement le 9 septembre 2003 et le 11 mars 2004. Pour ce qui est du nombre des vols en provenance de Guantanamo vers le Maroc, il s'élève également à deux. Il s'agit des arrivées des avions GLF 4 et B743 qui ont eu lieu respectivement le 28 mars 2004 et le 19 février 2007.
De fait, les Etats-Unis qui se sont habitués depuis les années 1950 à opérer impunément des « dirty tricks » rocambolesques persévèrent dans la même voie et avec la même impunité. La différence aujourd'hui, c'est qu'ils en font sous- traiter quelques- uns des dommages collatéraux par des pays tiers. Y compris en Europe et au Maghreb. Saura-t- on un jour la part qui en est revenue au Maroc ?

dimanche 10 février 2008

Les parlementaires portugais ne veulent rien savoir

3 députés portugais...

Le parlement portugais a rejeté la demande de création d'une commission d'enquête sur le rôle des autorités portugaises dans le transfert présumé de prisonniers, accusés de terrorisme, vers le camp de Guantanamo.
Cette proposition avait été soumise au parlement par le Parti communiste et le Bloc de gauche (BE, extrême gauche), après la publication fin janvier du rapport de l'ONG britannique «Reprieve» accusant le Portugal d'avoir contribué au transfert de plus de 700 prisonniers vers Guantanamo.Les principales formations parlementaires de gauche comme de droite ont voté contre la mise en place de cette commission, jugée «inopportune et inutile» par le ministre des Affaires parlementaires Augusto Santos e Silva.L'exécutif a toujours communiqué au parlement «toutes les informations» dont il disposait sur ce dossier, a affirmé le ministre.Le gouvernement portugais a répété à plusieurs reprises avoir enquêté sur l'utilisation de son espace aérien par des avions de la CIA mais n'avoir trouvé aucun preuve d'illégalité.En février 2007, la justice portugaise a ouvert à son tour une enquête sur l'éventuel survol du territoire portugais par des appareils transportant secrètement des prisonniers pour le compte de la CIA.Selon Reprieve, 94 vols, à destination ou en provenance de Guantanamo, ont emprunté l'espace aérien portugais entre 2002 et 2006.

Source : AFP, 8 février 2008

jeudi 7 février 2008

Les voyages d'Air-CIA : la justice espagnole enquête

Les aéroports espagnols ont-ils servi de base de transit aux avions nord-américains qui transportaient des prisonniers d’Afghanistan vers Guantánamo, le camp de torture installé par les Américains en territoire cubain ? C’est ce que la justice espagnole cherche à établir.
LE 25 janvier dernier, le procureur Vicente Gonzalez Mota a demandé au juge Ismael Moreno, deuxième juge d’instruction à la Audiencia nacional, d’ouvrir une information afin de déterminer si les aéroports de Morón de la Frontera, à Séville, de Rota à Cadix et de Torrejón de Ardoz, à Madrid, ont servi à l’aviation américaine dans des escales entre l’Afghanistan et la base de Guantánamo. Le juge devra entendre, en qualité de témoins, tous les officiers de vols, les officiers d’aéroport et les contrôleurs civils et militaires de ces bases, ainsi que les fonctionnaires du Ministère de la Défense et des Affaires étrangères et les personnels de l’AENA (Aéroports espagnols et Navigation aérienne) en poste entre janvier 2002 et décembre 2006.Ce front ouvert par la Justice espagnole est un effort pour réintroduire le droit contre des agissements qui, sous couvert de lutte anti-terrorisme, font régner la terreur dans un total mépris du droit des personnes, comme c’est le cas au camp de Guantánamo.
Les témoignages ci-après montrent que l’irruption de la justice espagnole a pu mettre un terme à des procédures d’arbitraires.

Convention militaire modifiée
La demande d’information du procureur va également chercher à déterminer quels étaient les fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères qui, entre les dates évoquées, ont siégé dans le Comité permanent hispano-étatsunien, créé en application d’une Convention de coopération militaire signée en 1989 entre l’Espagne et les Etats-Unis. Cette Convention définit les circonstances et les normes selon lesquelles les avions affrétés par ou pour les forces US peuvent survoler, pénétrer ou sortir de l’espace aérien espagnol ou en utiliser les bases. En 2002, quelques mois après le 11/9 et après l’invasion de l’Afghanistan, les gouvernements de José Maria Aznar et de son allié Georges Bush ont modifié cette convention bilatérale de Défense, pour en assouplir les autorisations d’escale des avions états-uniens sur les bases de Rota y Morón.
La Justice espagnole veut savoir si ces “assouplissements” ont servi à faire transiter les 23 premiers prisonniers envoyés de Kandahar (Afghanistan) à la base de Cuba, dans un avion C-17 Globemaster des Forces aériennes des EE-UU. En janvier 2002, selon l’agence de presse AP, ces prisonniers ont changé d’avion pour un C-141 Starlifter « dans un pays européen », disait la dépêche.Cette information est corroborée par une autre, émanant des registres du contrôle aérien des Açores (Portugal) qui certifient que cet avion C-141 a décollé le 11 janvier 2002 de la base de Morón à destination de Guantánamo.

Recherche de témoins
C’est sur cette base que le cabinet d’avocat londonien Reprieve dirigé par Clive Stafford Smith, qui représente une trentaine de prisonniers de Guantánamo, évoque aussi le rôle de l’Espagne dans ce transfert. Le cabinet londonien soutient que l’escale du 11 janvier eut lieu à la base de Morón de la Frontera, près de Séville et que 24 autres prisonniers, également identifiés, ont voyagé à bord d’un C-17 qui, toujours d’après le registre du Portugal, fit le vol de la base de Rota à celle de Guantánamo le 28 octobre 2002. Quelqu’un a-t-il vu ces prisonniers lors de leur passage en Espagne ? Ce sont ces témoignages que recherche la justice espagnole, indiquant que « si quelqu’un a vu dans ces aéroports le transfert de prisonniers d’un avion à un autre, cela peut représenter un changement substantiel ».
Entre 2002 et 2007, l’AENA a enregistré dans les aéroports espagnols 47 vols secrets, en provenance ou à destination de la base US de Guantánamo. Le gouvernement espagnol nie que ces vols aient servi à transférer des prisonniers vers le camp de Guantánamo. Mais selon la note du procureur guidant les investigations vers les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, il y aurait eu sur ce nombre une douzaine de vols avec escale, dont on peut présumer qu’ils ont transporté des dizaines de prisonniers. Parmi eux, les deux avions qui, selon le cabinet londonien, avaient pour passagers 23 et 24 prisonniers de nationalités différentes, tous identifiés et dirigés vers Cuba.
D’après un article de José Maria Irujo paru le 4 février 2008

« J’ai voyagé ligoté, avec le canon de ses armes sur ma tête »
« J’ai voyagé de nuit, couché sur le plancher d’un avion militaire. On m’avait couvert la tête d’une cagoule et ligoté au sol par les mains et les pieds. De temps en temps, des soldats plaquaient le canon de leurs armes contre ma tête. Ce fut un long voyage et ils ne savaient pas bien où ils m’emmenaient ».C’est par ces mots que le prisonnier marocain Lahcen Ikassrien, 40 ans, se souvient de son transfert d’Espagne à Guantánamo, base navale états-unienne en territoire cubain, où il est resté enfermé pendant presque 4 ans.
Ikassrien a été jugé et acquitté, parce que les interrogatoires auxquels l’ont soumis les policiers espagnols à Guantánamo et qui furent utilisés comme preuve contre lui, ont été annulés par le tribunal.
« Je suis arrivé à la base de Torrejón de Ardoz le 18 juillet 2005 et on m’a transféré directement à la Audiencia nationale. Je pesais 55 kilos et j’ai été interrogé par le juge Fernando Grande-Marlaska. De Madrid, on m’a envoyé à une prison de Palencia » relate Ikassrien qui, après son jugement, a été remis en liberté. Le Maroc lui refuse désormais un passeport.
Une autre personne, du nom de Hamed Abderraman, le dénommé “Taliban de Ceuta”, a subi un transfert semblable à celui de Lahcen. Il fut aussi acquitté par la Haute Cour espagnole sur le même argument.

Source : Témoignages, 7 février 2008

dimanche 18 novembre 2007

Préavis de grève de la faim d'Abou Elkassim Britel

Au nom et pour le compte de mon mari Abou Elkassim Britel, citoyen italien et marocain – matricule 69546, prison d'Aïn Bourja, Casablanca – je communique sa ferme intention d'entreprendre une grève de la faim pour obtenir la libération qui lui est due, après que son innocence a été démontrée par plusieurs parties et depuis longtemps* .
Nous demandons aux autorités une réponse rapide et efficace, faute de quoi mon mari - privé illégalement de sa liberté depuis 2002, victime d'extraordinary rendition, de tortures et de beaucoup d'autres choses - sera obligé de continuer sa propre action à outrance. Abou ElKassim Britel fera une grève de la faim le 19 et le 20 novembre 2007 à l'appui de cette déclaration. Khadija Anna L. Pighizzini
* Voir en particulier :
- la Résolution du Parlement européen sur l'utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers « 63. condamne la restitution extraordinaire du citoyen italien Abou Elkassim Britel, qui a été arrêté au Pakistan en mars 2002 par la police pakistanaise et interrogé par des agents américains et pakistanais, pour être ensuite remis aux autorités marocaines et placé dans le centre pénitentiaire de "Temara", où il est toujours détenu; souligne que les enquêtes pénales menées en Italie contre Abou Elkassim Britel ont été classées sans suite; 64. regrette que, selon les pièces fournies à la commission temporaire par l'avocat d'Abou Elkassim Britel, le ministère italien de l'intérieur ait entretenu une "coopération constante" avec des services secrets étrangers sur le dossier d'Abou Elkassim Britel, à la suite de son arrestation au Pakistan; 65. appelle instamment le gouvernement italien à prendre des mesures concrètes afin d'obtenir la libération immédiate d'Abou Elkassim Britel », février 07,
- le classement de l'enquête par la magistrature italienne «« vu que les vérifications qui ont été entreprises, les interceptions téléphoniques et les vérifications effectuées sur les comptes bancaires n’ont apporté aucun appui aux allégations », septembre 2006,
- Amnesty International: Italy - A briefing to the UN Committee against Torture, avril 2007. Pour information : www.giustiziaperkassim.net
Contact : info@giustiziaperkassim.net

Abou Elkassim Britel – Preavviso di sciopero della fame
In nome e per conto di mio marito Abou Elkassim Britel, cittadino italiano e marocchino – matricola 69546, carcere di Äin Bourja, Casablanca – comunico la sua ferma intenzione di intraprendere uno sciopero della fame per ottenere la liberazione che gli è dovuta, dopo che la sua innocenza è stata da più parti e da tempo dimostrata(*).
Chiediamo alle Autorità una pronta e fattiva risposta a questa richiesta, in assenza della quale mio marito – illegalmente privato della sua libertà dal 2002, vittima di extraordinary rendition, di torture e di molto altro – si vedrà costretto a proseguire ad oltranza la propria azione. Abou ElKassim Britel osserverà uno sciopero della fame il 19 e 20 novembre 2007 a supporto di questa dichiarazione.
Khadija Anna L. Pighizzini 18 novembre 2007
(*) In particolare, si vedano:
- la Risoluzione del Parlamento Europeo sul presunto uso dei paesi europei da parte della CIA per il trasporto e la detenzione illegali di prigionieri che « 63. Condanna la consegna straordinaria del cittadino italiano Abou Elkassim Britel, che era stato arrestato in Pakistan nel marzo 2002 dalla polizia pakistana ed interrogato da funzionari USA e pakistani, e successivamente consegnato alle autorità marocchine ed imprigionato nella prigione di "Temara", dove è ancora detenuto; sottolinea che le indagini penali in Italia contro Abou Elkassim Britel erano state chiuse senza che egli fosse incriminato; 64. si rammarica che secondo la documentazione trasmessa alla commissione temporanea, dall'avvocato di Abou Elkassim Britel, il Ministero degli Interni italiano all'epoca fosse in "costante cooperazione" con servizi segreti stranieri in merito al caso di Abou Elkassim Britel dopo il suo arresto in Pakistan; 65. sollecita il governo italiano a prendere misure concrete per ottenere l'immediato rilascio di Abou Elkassim Britel », feb 2007; - l'archiviazione dell'indagine da parte della magistratura « rilevato che gli ulteriori accertamenti disposti, intercettazioni telefoniche ed accertamenti bancari, non hanno fornito alcun supporto all'accusa », set. 2006;
- Amnesty International: Italy - A briefing to the UN Committee against Torture, apr 2007.

jeudi 19 avril 2007

Suisse : En publiant le « fax égyptien », les journalistes de Sonntagsblick n’ont pas violé de secret militaire


De gauche à droite Beat Jost, Christoph Grenacher et Sandro Brotz. Photo Michele Limina, Sonntagsblick

Christoph Grenacher, ancien rédacteur en chef, Sandro Brotz, reporter et Beat Jost, rédacteur du quotidien de langue allemande Sonntagsblick ont été acquittés mardi 17 avril par le tribunal militaire de Saint-Gall, devant lequel ils comparaissaient pour « violation du secret militaire », charge pour laquelle ils risquaient cinq ans de prison. Les journalistes recevront des indemnités de 20 000 Francs suisses. Il leur était reproché d’avoir rendu public en janvier 2006 un fax du ministère des Affaires étrangères égyptien, intercepté par les services de renseignement suisses, et faisant état de prisons secrètes de la CIA.La justice militaire suisse a donc donné raison à Christoph Gerlacher, qui écrivait dans son éditorial du 9 janvier 2006 : « Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants. Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs. »Voici les articles qui ont valu aux journalistes d’être traités comme des espions.

Les révélations de Sonntagsblick (janvier 2006)
Sommaire
Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve ! Les écoutes téléphoniques - Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien Ceux qui se taisent - La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures Les conséquences - Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative Les Enquêteurs - Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Petit glossaire des sigles utilisés
Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Nous autres les gardiens, par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick
Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »

Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve !
par Sandro Brotz et Beat Jost, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
C’est la première preuve: Les Américains possèdent des prisons secrètes pratiquant la torture en Europe. Ceci peut être conclu d’un échange de télécopies entre le Ministre des Affaires étrangères égyptien et son ambassade à Londres. Le fax a été intercepté par les services secrets suisses et a été obtenu par le Sonntagsblick.
Les écoutes téléphoniques
Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien - Au milieu de la nuit une histoire sombre est éclairée par un premier rayon de lumière.
On est le 15 novembre 2005 juste avant une heure est demi du matin. La centrale des écoutes du Ministère de la Défense suisse (DDPS ) à Zimmerwald, à quelques kilomètres au sud de Berne, surveille comme d’habitude tout en respectant les règles. Le système satellite des écoutes Onyx tourne aussi à plein régime cette nuit-là. L’opérateur des services secrets avec le nom abrégé wbm rédige le rapport « Report COMINT SAT » qui porte le numéro d’ordre S160018TER00000115.Wbm sait-il quel message explosif destiné à ses chefs de la Base d’aide au commandement de l’armée (FUB) il est en train de transcrire en français ? Le message avait été intercepté dans l’espace et retransmis par un satellite à la terre cinq jours auparavant : le 10 novembre à 20h24. C’est un échange de télécopie entre le Ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit (63 ans) au Caire et son ambassadeur à Londres. Les agents suisses titrent le message « Les Égyptiens disposent de sources qui confirment l’existence de prisons secrètes américaines ». Selon le rapport des services secrets suisses, les Égyptiens disent mot à mot: « L’ambassade a appris de ses propres sources qu’en effet 23 citoyens irakiens et afghans ont été interrogés sur la base Mihail Kogalniceanu près de la ville de Constanza au bord de la Mer Noire (en Roumanie – remarque de l’éditeur). De tels centres d’interrogatoires existent en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie. »
En outre, ils rapportent que selon un article de presse, l’organisation des droits de l’Homme Human Rights Watch dispose de preuves pour des transports de « prisonniers le 21 et 22 septembre qui ont été transférés par des avions militaires américains de la base Salt Pit (mine de sel) à Kaboul à la base polonaise Szymany et à la base roumaine mentionnée ci-dessus ». Les Égyptiens écrivent explicitement : « Malgré tous les faits précités, les responsables roumains continuent à nier l’existence de prisons secrètes dans lesquelles les services secrets américains interrogent des membres d’Al Qaïda. Le porte-parole de la délégation européenne a accueilli positivement le démenti officiel des Roumains ».
La sensation
Pour la première fois un État confirme qu’il était au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe La force explosive du fax du Ministre des Affaires étrangères égyptien est difficilement égalable: Un État est au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA sur le territoire européen. Cette information n’est pas basée sur des Open Sources, des sources officiellement accessibles, comme des articles de presse ou des rapports d’organisations non gouvernementales comme Human Rights Watch. Dans le cas présent le fax mentionne qu’il s’agit de « propres sources ». Le travail des services secrets égyptiens est estimé comme étant « extrêmement professionnel » par des experts qui souhaitent garder l’anonymat. Dans le milieu des services secrets, les informations provenant des services des renseignements du Caire sont en général considérées comme étant « absolument fiables et crédibles ».
L’ambassadeur égyptien à Berne n’a pas souhaité s’exprimer face à SonntagsBlick par rapport à cet échange de télécopies. La rédaction n’a pas cédé à son souhait d’obtenir le document. Il n’a pas non plus souhaité répondre à la question de savoir s’il contestait l’authenticité du document.
Les sources égyptiennes ont confirmé ce que le monde entier ne pouvait jusque-là que soupçonner : au nom de la lutte contre le terrorisme, les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers. « Nous n’avons utilisé ni les aéroports ni l’espace aérien en Europe pour transporter des personnes à des endroits afin de les torturer là-bas », affirmait la Ministre des Affaires Etrangères américaine Condoleezza Rice (51 ans) il y a environ un mois à l’occasion de la rencontre des Ministres des Affaires Etrangères de l’OTAN à Bruxelles. Mais elle a omis de confirmer que ces prisons et ces transports n’existent pas.
Ceux qui se taisent
La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures
Une explication est maintenant également désespérément recherchée au Bundeshaus (Palais fédéral) depuis que SonntagsBlick a confronté mercredi les responsables de l’armée avec des questions concernant leur propre rapport d’espionnage. Comment se fait-il que les services secrets de l’armée espionnent un État ami ? Est-ce qu’on a informé le Ministre de la Défense Samuel Schmid (59 ans), la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey (60 ans) et le Ministre de la Justice Christoph Blocher (65 ans) du contenu important du message ? Est-ce qu’on a informé la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales (DélCdG)? Est-ce qu’on a transmis le document aux services secrets américains ou à d’autres États comme on le fait d’habitude avec des messages obtenus à l’aide d’Onyx ? 48 heures passent jusqu’à ce que le chef de l’armée Christophe Keckeis (60 ans) réagisse.
Le commandant du corps refuse catégoriquement de répondre aux questions du SonntagsBlick mais la DélCdG sera informée de façon détaillée. Le président de la DélCdG, Conseiller des États SVP Hans Hofmann (66 ans, Zurich), déclare vendredi après-midi suite à notre demande qu’il n’avait pas eu connaissance de ce dossier délicat. Parallèlement, Hofmann désigne la révélation spontanément comme une « indiscrétion incroyable ».
Silence radio également du côté de Autorité de contrôle indépendante (ACI) chargé de la surveillance de l’espionnage radio. Ses membres, trois hauts fonctionnaires des Ministères de la Défense, de la Justice et des Transports, doivent examiner, selon le règlement, tous les ordres de surveillances des télécommunications. Si l’organisme de contrôle juge la légitimité de l’ordre comme étant insuffisante, il peut demander l’arrêt de l’ordre auprès des Conseillers Fédéraux chargés des services de renseignement, à savoir Samuel Schmid (DDPS) ou Christoph Blocher (département de justice et police, DFJP).
Est-ce qu’on a également examiné l’ordre de surveillance concernant l’Égypte et peut-être même demandé son arrêt ? Le président de l’ACI , le professeur Luzius Mader, vice-directeur de l’agence fédérale de la justice refuse de répondre aux questions : « C’est le DDPS qui est chargé de l’information du public concernant les activités de l’ACI ». Mais là-bas on nous dit également : « no comment ». Le porte-parole de Schmid, Jean-Blaise Defago : « Le DDPS ne souhaite pas répondre aux questions ».
Les conséquences
Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative
Excitation, nervosité, dissimulation : L’excitation à Berne est compréhensible. Au maximum trois ou quatre personnes sont habilitées à lire les originaux des rapports d’écoute. Les messages importants sont transformés en rapports secrets, dont les sources sont systématiquement cachées et dissimulées.« C’est une catastrophe que le dossier autour du fax égyptien ait été rendu public » dit un initié des services secrets de haut rang. « Moi, j’aurais transmis le message directement au Président de la République de l’époque, Samuel Schmid, qui est en tant que président du DDPS le président du Comité de Sécurité des Conseillers fédéraux.Si et quand Schmid a informé ses deux collègues du Conseil fédéral au sein de la Délégation à la Sécurité (SiA) est préservé comme un secret d’État . Le DDPS se tait, Le Ministère des Affaires Etrangères Calmy-Rey ne commente pas cette affaire et le Ministre de la Justice de Christoph Blocher fait également blocage. Le porte-parole du DFJP Sascha Hardegger : « Nous ne souhaitons pas prendre position par rapport à ce dossier ».Le porte-parole du DDPS Defago ajoute que le Conseiller fédéral Schmid allait sûrement lancer une enquête administrative afin de constater comment une telle indiscrétion a pu être commise et comment un rapport secret a pu parvenir au public.
Les enquêteurs
Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Est-ce qu’un journal a le droit de publier des documents secrets concernant de potentielles prisons de la CIA ? « Bien évidemment il a le droit, c’est un sujet d’intérêt public » dit Manfred Nowak (55), rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. « C’est un scoop », dit Dick Marty (61), agent spécial du Conseil de l’Europe chargé du dossier CIA et conseiller municipal du parti libéral de langue allemande FDP. Sous réserve qu’il ne pouvait pas confirmer l’authenticité du document il dit clairement : « Il s’agit là d’un indice supplémentaire qui confirme notre soupçon ». La vérité se dévoilait maintenant « petit à petit ». L’ancien persécuteur de la mafia Marty qui examine depuis deux mois le dossier de la CIA demande au gouvernement de « dire enfin la vérité dans cette affaire ».
Petit glossaire des sigles utilisés
COMINT (Communications Intelligence) : Ecoute électronique, évaluation et radio-transmission.
SAP ce Service d'analyse et de prévention au sein du département de justice et police est chargé de la protection de l’État et de la sécurité intérieure. Sont concernés par ce service entre autres : terrorisme, extremisme violent, services des renseignements interdits.
FUB Base d’aide au commandement de l’armée. Le domaine phare de la FUB est la guerre électronique, c’est à dire l’utilisation de systèmes militaires de surveillance de la communication sans fil, de la détermination de ses sources et, le cas échéant, son brouillage. Ceci comprend également l’espionnage de signaux provenant de systèmes étrangers de télécommunication.
SRFA Service de renseignement des Forces aériennes qui procure les renseignements secrets nécessaires pour les actions militaires de l’armée de l’air.
SRM Service de renseignement militaire : travaille pour l’armée et est sous les ordres du chef du grand État- major de l’armée.
ONYX Depuis cinq ans le DDPS exploite à partir de Zimmerwald (Berne) et via les stations de satellite Leuk (Valais) et Heimenschwand (Berne) le système d’écoute sophistiqué Onyx à l’aide duquel tous les conversations téléphoniques, les emails et télécopies envoyés via satellite peuvent être interceptés. Parmi les clients d’Onyx se trouvent les services secrets militaires SRS et SRFA ainsi que le service secret intérieur SAP.
SiA La délégation responsable des questions de sécurité du Conseil fédéral. Le Ministre de la Défense Samuel Schmid (Président), le Ministre de la Justice et la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey font actuellement partie de ce collège.
SRS Service des renseignements stratégique du Ministère de la Défense.
ACI Autorité de contrôle indépendante pour la surveillance des renseignements radio. Elle surveille aussi la légitimité de tous les ordres de surveillance radio.

Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Lorsque la CIA pourchasse des terroristes, notre pays est aussi concerné, peut importe s’il s’agit de jets des services secrets qui traversent l’espace aérien suisse ou si des agents abusent de la Suisse en tant que refuge. La justice et le parlement à Berne sont en état d’alerte. Plus de 70 fois les avions des services secrets pour l’étranger américains CIA ont survolé la Suisse au cours des quatre dernières années. Il existe des indications selon lesquelles il y avait des détenus à bord d’une partie des vols qui avaient été kidnappés et transféré par la CIA vers des prisons de torture secrètes.
Le procureur de l’État a commencé son enquête car les autorités à Berne n’avaient pas été informés de ces traversées et la souveraineté de la Suisse a ainsi été violée. Parmi ces cas se trouve aussi celui de l’imam égyptien Abu Omar (45) qui a été kidnappé par la CIA le 17 février 2003 à Milan en Italie, qui a été transféré via l’espace aérien suisse en Allemagne et puis transporté en toute illégalité au Caire. Le chef du commando responsable, Rober Seldon Lady (52 ans) et au moins deux autres agents se sont rencontrés après l’enlèvement dans un hôtel à Zurich pour un briefing.Quatre de ces avions de la CIA ont même attéri à Genève. C’est pour cette raison que la Suisse demande à savoir maintenant qui se trouvait alors à bord. La Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey est intervenue en décembre auprès de l’ambassade US à Bern et a demandé des réponses. Cette demande est restée jusqu’à présent sans réponse.Au total, ce sont trois interpellations et demandes de la part de membres du parlement qui sont en cours au Palais fédéral concernant le dossier CIA. Et les Conseillers Nationaux SP Boris Banga (SO) et Josef Lang des Verts (ZG) souhaitent savoir entre autres si la Suisse était au courant de prisons secrètes de la CIA en Europe. Maintenant c’est affirmatif, la Suisse a bien été informée, c’est du moins de que démontre le fax égyptien intercepté par la Suisse.
Mais le Conseil fédéral n’a toujours pas donné une réponse officielle aux membres du parlement et à la population suisse.
Nous autres les gardiens
par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Bonjour la Suisse. Aujourd’hui on est dimanche. Et la nation a un nouveau problème. Le problème c’est que nos services secrets écoutent. Les espions ouvrent même les oreilles là où ils ne devraient pas le faire. Ils ne surveillent pas seulement ce que les méchants planifient en Suisse ou à l’encontre de notre pays.Un fonctionnaire zélé intercepte un message à contenu explosif : Le Ministre des Affaires étrangères égyptien confirme expressément à son ambassade par fax l’existence de prisons secrètes américaines en Europe pour y détenir des sympathisants d’Al Qaïda. Cet écrit est comme de la dynamite. Pour la première fois il y a un pays qui dit : Oui, c’est vrai. Les prisons secrètes de la CIA existent. Même si tous les États ont jusqu’à maintenant démenti, les Américains ça va de soi, mais aussi les Européens.Le fax que l’agent à Berne a détecté parmi toutes les données a été classifié secret par les autorités suisses ce qui signifie : Si SonntagsBlick en parle, ceci pourra entraîner des suites légales. Il s’agit de trahison d’un secret ou bien de trahison nationale. Néanmoins nous publions l’histoire de façon transparente, détaillée et ouverte.Lorsque nous avons pris connaissance de l’existence du document, je le savais tout de suite : si d’autres pays réalisent que la Suisse surveille leur courrier ça va causer des problèmes. Les Égyptiens vont faire opposition et protester. Les Américains seront fous furieux. Les pays mentionnés dans le fax des Égyptiens ne vont pas nous embrasser de gratitude ; les services secrets amis vont fermer leurs canaux de fréquences vers la Suisse. Lorsque nous avons été sûrs que le document était authentique, ma décision était prise : Nous allons rendre public les informations secrètes. Sans foi ni loi.Et nous le faisons par amour de la vérité. Et nous devons la vérité aussi à l’opinion publique, à nos lecteurs que nous souhaitons informer complètement. Et dans notre travail nous mettons les droits à la liberté des hommes et la dignité humaine des individus au-dessus des intérêts d’un seul État. Le pays a le droit de connaître la vérité. Nous faisons également appel à la liberté de la presse. Le fait de ne pas divulguer une action contre le droit des peuples commise par les autorités suisses ne rendra pas le monde plus paisible. Le fait d’occulter une information ne correspond pas aux traditions démocratiques et surtout pas lorsqu’une rumeur s’avère être un fait.
Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants.Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs.

Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
par Alexander Sautter et Sandro Brotz, Sonntagsblick, 18 décembre 2005
La CIA ne l’avouera jamais mais tout l’indique pourtant: elle espionne bien le Suisse Dick Marty (60 ans) qui poursuit les tortionnaires.
Dick Marty est cet homme qui sera redouté par les services secrets les plus puissants au monde. La mission du Conseiller des États FDP du Tessin: L’ex-persécuteur de la mafia a été chargé par le Conseil de l’Europe à Strasbourg en France de prouver ce que le monde entier ne faisait que soupçonner jusque là. Les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers au cours de leur guerre contre le terrorisme mondial. Dans ces camps secrets vers lesquels les poursuivants de la CIA transfèrent les terroristes présumés on pratique aussi la torture. « Je ne mets pas la guerre contre le terrorisme en question », dit Marty « mais il faut qu’elle soit menée par des moyens d’un État de droit ». Selon lui, la torture « n’est pas efficace et elle est contre-productive ». Maintenant la CIA a le chasseur suisse dans le collimateur.
« Je ne serais pas étonné si j’étais sur écoutes » dit Marty à l’occasion de la session d’hiver à Berne au SonntagsBlick. Il présume que la CIA va essayer « d’apprendre de quelles informations je dispose ». Et Marty ajoute : « Ils pourraient aussi essayer de me discréditer ».
Le chasseur devient alors le chassé. Les experts des services secrets sont unanimes : La grande pose d’écoutes de la CIA à Marty a déjà commencé. « Les Américains vont à 100% essayer de savoir ce que Monsieur Marty sait », dit Erich Schmidt-Eenboom (53 ans), dirigeant de l’institut pour la politique de la paix à Weilheim en Allemagne.L’expert renommé des services secrets est convaincu que les services secrets américains « vont tenter cela par tous les moyens électroniques ». Un fonctionnaire de haut rang des services secrets suisses qui souhaite garder l’anonymat soutient ces informations. « La CIA voudra surtout savoir qui sont les sources de Marty », dit-il. Pour l’agent spécial suisse ceci comprend notamment que :- toutes les conversations qu’il mène avec son portable Samsung sont écoutés ; - chaque email sur son ordinateur portable Macintosh atterrit chez la CIA ; - chaque fax envoyé par lui ou qui lui est adressé est intercepté par les fouineurs américains. Trois cas rendus publics du passé récent prouvent qu’il ne s’agit pas de chimères :
- A Genève la CIA a mis sur écoute une délégation d’économistes japonais qui se préparait à des entretiens avec les Américains ;
- En Iraq, des agents ont infiltré un groupe de contrôleurs américains de désarmement. Les inspecteurs se sentaient alors abusés à des fins d’espionnage.
- A New York, les services secrets ont mis sur écoute des membres du Conseil de Sécurité afin de connaître leur attitude envers la guerre projetée en Iraq.
A toutes ces occasions l’Agence Nationale de Sécurité (National Security Agency (NSA)) a employé sur demande de la CIA des moyens techniques très sophistiqués. Au quartier général de la CIA à Langley en Virginie on ne souhaite commenter ni la mission de Marty ni son espionnage. « Et nous n’allons pas non plus émettre un commentaire à l’avenir » dit une porte-parole.Malgré cet adversaire puissant l’ex-procureur poursuit son enquête : « Vous allez peut-être me trouver naïf », dit Marty, « mais je me suis mis au service d’une bonne cause et ça, c’est la meilleure protection ».
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
En 1995 le Président américain Bill Clinton donne un nouvel ordre à la CIA : Désormais les services secrets doivent traquer des terroristes islamistes présumés partout dans le monde entier, les arrêter et les transmettre à la justice dans leurs pays d’origine. La Maison Blanche accepte des interrogatoires avec torture qui peuvent parfois entraîner la mort.
epuis les attaques du 11 septembre 2001 George W. Bush a ordonné autre chose. Désormais, les terroristes présumés sont détenus dans des services secrets de la CIA. Le Vice-Président Dick Cheney défend la pratique de la torture décrite comme « des méthodes innovantes d’interrogatoire » dans ces camps et il continue à le faire lorsque les protestations internationales deviennent de plus en plus nombreuses.
Les Européens ont surtout été interpellés par des articles de presse parlant des transports secrets de la CIA de détenus et des prisons secrètes de ces services secrets en Europe de l’Est.Aujourd’hui il y a des preuves pour des centaines de vols des services secrets à travers l’espace aérien européen au cours des deux dernières années. La seule Suisse a constaté plus de 70 vols et quatre atterrissages à Genève depuis 2003.Deux parmi ces vols servaient à transférer sans disposer d’un jugement d’extradition le prêcheur de haine (sic!) égyptien Abou Omar qui a été enlevé le 17 février 2003 à Milan par un commando de la CIA et livré entre les mains de la justice militaire au Caire (NDLR Quibla : c’est faux ! Il n’a jamais été présenté à la justice). Le 7 novembre le Conseil de l’Europe a chargé le procureur Suisse Dick Marty d’enquêter sur les reproches faites à la CIA.

Les vols internationaux de la torture
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »
par Henry Habegger, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
Berne – Le document égyptien représente « un indice supplémentaire pour des prisons secrètes » pour le Conseiller des États FDP Dick Marty (61) qui enquête pour le Conseil de l’Europe dans le dossier de la CIA. Pourtant il se pose la question de savoir pourquoi le document a été justement découvert par la Suisse.
BLICK : Que pensez-vous du fax égyptien ?
DICK MARTY : Je ne peux pas juger l’authenticité du document. Dans l’affirmative il s’agit d’un indice supplémentaire pour l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.
BLICK : Est-ce que vous doutez de l’authenticité du document?
DM : Je n’ai pas les bases qui me permettraient de l’évaluer. Je me pose pourtant plusieurs questions. Pourquoi est-ce que les services secrets suisses ont intercepté une correspondance entre Londres et le Caire ? Est-ce que le document a été transmis à la Suisse exprès ? Est-ce qu’il était dans l’intérêt de quelqu’un de rendre l’affaire publique en Suisse ?
BLICK : Qu’en pensez-vous ?
DM : Je ne sais pas. Le monde des services secrets est assez compliqué.
BLICK : Que pensez-vous du contenu du message ?
DM : Je ne savais pas encore que 23 personnes auraient été interrogées sur la base en Roumanie. Je vois ce chiffre pour la première fois. Les lieux indiqués de camps potentiels de détenus sont déjà connus depuis un certain temps.
BLICK : Quelle importance le service des renseignements a-t-il accordé au message intercepté ?
DM : Toujours en supposant que le message est authentique, il lui a accordé une importance relativement grande. Ce message est daté du 10 novembre 2005. Depuis début du mois de novembre la presse mondiale parle de prisons secrètes potentielles. Le 7 novembre, le Conseil de l’Europe m’a chargé de l’enquête – moi, un Suisse. Tout cela a dû inciter les services des renseignements à informer le milieu politique, c’est à dire le Conseil fédéral.
BLICK : Fallait-il aussi informer la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey ?
DM : Oui. Les informations avaient pris une dimension de politique extérieure. Et Calmy-Rey a déjà demandé en juin 2005 à la Ministre des Affaires Etrangères américaine Rice de lui donner des explications quant au dossier CIA.
BLICK : Comment progresse votre propre enquête concernant les prisons de la CIA en Europe ?
DM : Le chemin sera long et compliqué mais je suis confiant qu’il nous mènera droit au but. De plus en plus de pays se réveillent , même les États-Unis, ce que prouve la critique publique exprimée sur les écoutes effectuées par le gouvernement Bush. En Italie l’implication de la CIA dans l’enlèvement de l’imam Abou Omar a été prouvée. Les procureurs milanais ont fait un excellent travail.
BLICK : Mais le Premier ministre Berlusconi affirme que les reproches ne sont pas fondés.
DM : Cela ne veut rien dire. Presque tous les gouvernements dissimulent la vérité dans cette affaire.
BLICK : Avez-vous déjà obtenu les données de vol Eurocontrol d’avions de la CIA et les images prises par des satellites d’emplacements potentiels de prisons ?
DM : Non, pas encore. Mais l’éventuelle non obtention de ces données est aussi une réponse.

Originaux : http://www.sonntagsblick.ch
Première publication en français : http://quibla.net/guantanamo2006/cia.htm
Traduit de l’allemand par Eva-Luise Hirschmugl et édité par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.