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vendredi 10 juillet 2009

Scotland Yard enquête...sur le MI5

La police britannique a ouvert une enquête sur le rôle du MI5, les renseignements intérieurs britanniques, dans les tortures présumées infligées à Binyam Mohamed, ancien détenu du camp de Guantanamo, a annoncé vendredi Scotland yard dans un communiqué.
L'Attorney general (principal conseiller juridique du gouvernement), la baronne Patricia Scotland, avait souhaité fin mars dans une déclaration écrite au parlement britannique que la police lance une enquête "aussi rapidement que possible au vu du sérieux et du caractère sensible des questions touchées".
"Les documents ont été examinés par la police métropolitaine (alias Scotland Yard, NDLR) et l'enquête a été acceptée", a précisé la police vendredi dans son communiqué, ajoutant qu'une "enquête criminelle a désormais débuté".
"Les recherches seront menées aussi diligemment, mais également minutieusement, que possible et suivront les éléments (de preuve) afin de déterminer si une quelconque infraction a été commise", a ajouté la police.
Binyam Mohamed, détenu à Guantanamo pendant plus de quatre ans, a été transféré début février en Grande-Bretagne, pays où il avait résidé à partir de 1994.
L'Ethiopien, âgé de 30 ans, a affirmé qu'un membre du MI5 avait fourni les questions lors des interrogatoires assortis de tortures qu'il a subis dans un site secret au Maroc, après son arrestation au Pakistan en 2002.
Source : Belga, 10/7/2009

vendredi 10 avril 2009

« À Guantánamo, j’ai obtenu un doctorat en torture et maltraitances » - Le changement d'administration à Washington n'a rien changé à Guantánamo"

Entretien avec Binyam Mohamed
par Moazzam Begg, Cageprisoners, 26/3/2009
Traduit par Isabelle Rousselot, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la suite des attaques du 11 septembre et de la « guerre contre le terrorisme » subséquente menée par les USA, des centaines de Musulmans ont été livrés aux services de renseignements Usaméricains par différents pays. Un de ces hommes était Binyam Mohamed, un Éthiopien résidant en Grande-Bretagn, qui était parti en Afghanistan et au Pakistan pour redécouvrir sa foi en l'Islam et trouver, en même temps, un moyen de se débarrasser de son accoutumance nocive à la drogue. Binyam a réussi à atteindre ses deux objectifs mais d’une manière qu'il n'aurait jamais imaginées. Il a été vendu par les autorités pakistanaises pour une récompense, et est ainsi resté enfermé pendant plus de sept ans, dans les prisons secrètes Usaméricaines et dans les centres militaires de détention. Le 23 février 2009, il a été le premier – et pour l'instant le seul – prisonnier de Guantánamo à être libéré sous l'administration Obama. Enfin de retour au Royaume-Uni, Binyam a parlé de son calvaire et des tortures qu'il a subies dans deux entretiens célèbres.
Dans cette conversation exclusive avec le porte-parole de Cageprisoners, Moazzam Begg, Binyam discute du cas de ceux toujours détenus dans les camps aux USA – y compris du cas Aafia Siddiqui – et du rôle qu'a joué la foi durant son incarcération.


Version audio

Cageprisoners (Moazzam Begg) : Bismillah errahman errahim (Au nom d'Allah, le bienfaisant, le miséricordieux). Je suis ici avec mon frère Binyam Mohamed. Binyam, pouvez-vous vous présenter rapidement, et nous dire qui vous êtes et où vous étiez ces dernières années ?

Binyam Mohamed : Mon nom est Binyam Mohamed. Je suis un ressortissant éthiopien, né en Ethiopie. Je suis arrivé au Royaume-Uni quand j'avais 15 ans...

CP : ... Vous êtes manifestement connu pour avoir été détenu à Guantánamo et dans les prisons secrètes usaméricaines ces dernières années. Je voudrai tout d'abord vous dire, mon frère, qu’Allah soit loué pour votre retour dans ce pays. J'aimerais commencer en vous demandant : vous avez été détenu dans une des plus célèbres prisons du monde – si ce n'est la plus célèbre – de tous les temps. Beaucoup de gens ont le sentiment que les détenus là-bas, avec toutes les atrocités auxquelles ils sont confrontés, sont des victimes. Est-ce que vous vous qualifieriez de victime ou de rescapé ?

BM : D'abord, je voudrais louer Allah pour ma libération, qui intervient après presque sept années d'incarcération. Je dirais que je me vois plus comme un rescapé car il fallait survivre pour ne pas perdre la tête, et nous avons du trouver différents moyens de survie dans les situations où nous nous trouvions.

CP : Vous avez été arrêté au Pakistan puis transféré au Maroc où vous avez passé plusieurs mois ou était-ce plusieurs années ?

BM : J'ai été détenu au Pakistan pendant presque trois mois et demi puis transporté au Maroc où j'ai passé exactement 18 mois.

CP : Puis vous avez été transféré à Kaboul en Afghanistan, dans la « Dark Prison » ?

BM : ... Et puis j'ai été transféré à Kaboul où j'ai passé presque cinq mois.

CP : Ensuite vous avez été transféré au centre de détention de Bagram ?

BM : Oui, nous avons été transférés à Bagram vers le mois de juin 2004, où nous avons passé trois à quatre mois.

CP : Je sais que vous avez déjà donné plusieurs interviews – je ne vais pas revenir sur les terribles tortures auxquelles vous avez du faire face – mais je voudrais plutôt me concentrer sur les gens que vous avez pu voir, et ceux qui sont toujours en détention aux USA. Quand vous vous trouviez dans le centre de détention de Bagram, après avoir été détenu à la « Dark Prison », vous avez rencontré une prisonnière. Pouvez-vous nous parler de cette femme, de qui elle est selon vous et ce que vous avez pu en voir ?

BM : À Bagram, j'ai rencontré une femme qui portait une chemise avec le numéro 650 et je l'ai vu plusieurs fois, j'ai aussi entendu beaucoup d'histoires sur elle par les gardiens et les autres prisonniers là-bas.

CP : Et qu'est-ce que disaient ces histoires, comment était-elle décrite et quelle était son histoire ?

BM : Ce qu'on nous a dit d'abord... Nous avions peur car les gardiens nous ont dit de ne pas lui parler. Ils avaient peur que nous lui parlions et que nous sachions qui elle était. Alors ils nous ont dit qu'elle était une espionne du Pakistan, qui travaillait avec le gouvernement. Et les Américains l'ont amenée à Bagram.

CP : Alors vous pensez qu'ils ont fait courir la rumeur qu'elle était une espionne pour que vous restiez éloignés d'elle et que vous en ayez peur ?

BM : En fait, personne ne lui parlait dans le bâtiment et elle était détenue à l’isolement... Elle ne sortait dans le bâtiment principal que pour aller aux toilettes. Mais tout ce que je savais d'elle est qu'elle était du Pakistan et qu'elle avait étudié ou avait vécu aux USA. Et les gardiens parlaient beaucoup d'elle. Et en fait, j'ai vu sa photo ici, il y a quelques semaines et je suis certain que c'est la même personne que j'ai vue à Bagram.

CP : Et c'est la même photo de Aafia Siddiqui que je vous ai montrée ?

BM : c'est la même photo que j'ai vu.

CP : Il y a eu toutes sortes de rumeurs sur ce qui lui est arrivé – puisse Allah la libérer vite – mais une partie de ces rumeurs indiquaient qu'elle avait été terriblement maltraitée. Avez-vous connaissance des abus dont elle a été victime ?

BM : A part le fait qu'elle était en cellule d'isolement et que je l'ai vue quand elle venait dans le bâtiment principal, je peux vous dire qu'elle était gravement perturbée. Je ne crois pas qu'elle avait toute sa tête – En fait, je ne crois pas qu'elle était saine d'esprit mais je n'avais aucun sentiment à son sujet à l'époque car pour moi, ce n'était qu'une hypocrite qui travaillait avec les autres gouvernements. Mais si nous avions su que c'était une de nos soeurs, je ne pense pas que nous soyons restés silencieux. Je pense qu'il y aurait eu beaucoup de bruit, peut-être même des émeutes à Bagram.

CP : Certains des frères qui se sont plus tard enfuis de Bagram ont parlé d'elle et ont dit qu'ils avaient appris qui elle était et qu'ils ont fait la grève de la faim. Vous deviez déjà être parti à ce moment-là mais est-ce que les autres prisonniers étaient contrariés de voir une femme là-bas et une prisonnière ?

BM : Nous étions contrariés de voir les affaiblis, les blessés devant nous à Bagram, et si nous avions su qu'il y avait une de nos soeurs là-bas, je pense qu'aucun de nous ne serait resté silencieux. Mais pour que Bagram reste Bagram – c'est à dire calme -les Américains faisaient courir la rumeur qu'elle n'était pas une de nos soeurs...

CP : qu'elle était une espionne.

BM : oui, qu'elle était une espionne et que nous devions restés éloignés d'elle.

CP : Aviez-vous déjà entendu des rumeurs à l'époque sur le fait qu'elle avait des enfants, ou quelque chose de cet ordre ?

BM : Oui, je l'ai entendu, je ne sais plus si ça venait des gardiens ou des frères, mais j'ai entendu qu'elle avait des enfants, mais les enfants n'étaient pas à Bagram – Ils étaient ailleurs.

CP : Et y avait-il des rumeurs ou des discussions sur ce qui est arrivé à ces enfants ?

BM : Nous n'avions aucune idée de ce qui était arrivé aux enfants.

CP : Finalement, vous avez été transféré à Guantánamo et une des choses qui revient souvent sur le centre de détention de Bagram est que les gens subissaient toutes sortes de tortures là-bas et ils faisaient la comparaison avec Guantánamo. Si vous pouviez comparer les différentes prisons où vous avez été détenu – du Maroc, à la « Dark Prison », de Bagram, à Guantánamo – quelle est pour vous la pire de toutes ?

BM : Personnellement, je dirais la « Dark Prison » car là-bas, le but n'était pas d'obtenir des informations, ce n'était pas organisé comme un centre de détention, c'était vraiment fait pour que les gens deviennent fous.

CP : Pouvez-vous un peu nous décrire la « Dark Prison » et à quoi ça ressemble, car il y a de nombreux rapports de la part de ceux qui étaient détenus là-bas – et ils semblent être cohérents – mais afin d'avoir votre point de vue, et savoir quels ont été les effets sur vous : comment était la « Dark Prison » ?

BM : Depuis le début, on vous empêche de dormir à moins que... Vous êtes si fatigué que vous ne pouvez plus tenir debout – déjà vous vous dites que vous êtes dans un endroit où vous ne savez plus si vous existez vraiment... Dans les autres prisons où j'ai été détenu, je me disais « quand est-ce que ça va finir ? » Mais dans la « Dark Prison », ce n'était pas « quand est-ce que ça va finir » mais « est-ce que c'est réel ? »

CP : Une des choses les plus dures que j'ai trouvé, personnellement – ayant été moi-même détenu à Bagram – était que je savais que je pouvais arriver à gérer les maltraitances que je subissais – quand on m'a maltraité à Bagram, Kandahar ou à Guantánamo – mais le pire était de voir d'autres personnes maltraitées. Avez-vous vu régulièrement d'autres personnes se faire maltraiter par les soldats usaméricains ?

BM : Je voyais vraiment toutes sortes d'abus et d'humiliations, de traitements dégradants, mais habituellement les Usaméricains le faisaient de sorte à séparer ceux qu'ils préféraient de ceux qu'ils n'aimaient pas.

CP : Ceux qui coopéraient et ceux qui ne coopéraient pas ?

BM : Oui, même dans les systèmes de prisons. Si vous n'étiez pas menacé personnellement de mauvais traitements, vous ne vouliez pas rester debout pour voir les autres se faire maltraiter, parce que vous vous trouviez face aux mauvais traitements subis par les autres et, par exemple, c'est arrivé à Bagram, il y avait cet Afghan qui s'était fait tirer dessus au moins vingt fois, et le type avait... n'était plus qu'un squelette car il ne pouvait plus manger. Et ils l'ont fait sortir de l'hôpital où il était pour le mettre à dans le centre de Bagram – juste pour insuffler la peur à la population de la prison... Les Américains ne se préoccupent pas des blessé – Ils vous trouvent dehors, vous tirent dessus une vingtaine de fois, vous mettent à l'hôpital – vous commencez à remarcher à nouveau, ils vous mettent dans le centre de détention. Le gars ne pouvait littéralement pas... marcher seul, il ne pouvait même pas s'asseoir correctement. Il se trouvait dans la douche, quand on l'a forcé à repartir à l'isolement et l'homme ne pouvait pas marcher, alors il a demandé à s'asseoir. Et ce sont les mêmes gardiens qui hier souriaient et rigolaient avec nous, qui disaient au gars qu'il devait marcher. J'ai essayé d'intervenir – je ne pouvais pas ; les autres frères ont essayé d'intervenir – ils n'ont pas pu. Alors on s'est retrouvé dans cet affrontement où on essayait de leur dire qu'ils ne devaient pas lui faire ça. Et c'est à Bagram, alors ce qui s'est passé est très simple. On s'est retrouvé dans la confrontation et le gars posté sur ce qu'ils appellent la « passerelle », le pont au-dessus de nous qui surveille les douches – allait nous tirer dessus parce que nous essayions de dire aux gardiens de laisser le gars s'asseoir et se reposer pour ensuite retourner dans sa cellule.

CP : Le gardien a tiré sur les prisonniers – il avait armé son fusil ?

BM : Il était prêt à tirer... Il était prêt à ouvrir le feu. Et c'est ce à quoi nous étions confrontés quand nous essayions de résister à l'oppression que nous subissions à l'intérieur du système, c'était impossible.

CP : Je me souviens qu’à Bagram, même prier ensemble, faire l’Adhan (appel à la prière), lire le Coran, étaient considérés comme un crime. Avez-vous connu cette expérience ?

BM :À Bagram, on ne pouvait littéralement pas prier en groupe, ni même deux personnes ensemble. S'ils vous voyaient prier, juste l'un à côté de l'autre, ils vous forçaient à arrêter. Et si vous ne vous arrêtiez pas, on vous mettait à l’isolement et on vous faisait subir toutes sortes de mauvais traitements – vous attacher pendant six ou huit heures par exemple.

CP : Est-ce que vous pensez que les soldats usaméricains faisaient ça parce qu'ils détestent véritablement l'Islam qu'ils ne connaissent pas ou est-ce qu'ils avaient reçu des ordres ?

BM : Je dirais que c'est un mélange. Je veux dire que la plupart d'entre eux, ils le faisaient vraiment parce qu'ils détestaient l'Islam. Et il y en avait quelques-uns qui le faisaient parce qu'ils en avaient reçu l'ordre. L'ignorant, je dirai, représentait un pourcent – il y avait peu de gens ignorants là-bas.

CP : Je pense que l'ignorance engendre la haine, selon mon expérience, la plupart de ces gars, parce qu'ils étaient ignorants, avaient de la haine. Mais s'ils en avaient eu une connaissance correcte, ils auraient eu du respect pour la religion de l'Islam. Mais même l'idée d'une simple normalité, d'une connaissance de base à laquelle on peut s'attendre dans cet endroit – après tout, on se trouvait dans un pays musulman qui gère des prisonniers musulmans – est-ce que vous pensez qu'ils avaient la moindre connaissance de la culture, de la langue et de la religion des gens qu'ils surveillaient ?

BM : Le problème avec les Usaméricains en Afghanistan est qu'ils détestaient les Arabes mais ils détestaient encore plus les Afghans, et ils essayaient de jouer à nous monter les uns contre les autres, et ils essayaient de nous faire haïr les Afghans ou que les Afghans nous haïssent.

CP : Alors c'était diviser pour mieux régner ?

BM : oui, diviser pour mieux régner. Je ne pense pas que les décideurs étaient assez stupides pour ignorer que l'Islam était aussi en Afghanistan. Ceux en bas de l'échelle – les soldats d'infanterie – suivaient simplement les ordres, et au final, ils continueront à suivre les ordres, qu'ils aient ou non une connaissance de l'Islam.

CP : Dans le même ordre d'idée, avez-vous rencontré des soldats là-bas qui vous ont semblé bien, normaux, décents, avec qui vous pourriez avoir une conversation et qui étaient compréhensifs ?

BM : En fait, j'étais en position de parler avec beaucoup d'entre eux car je parlais anglais. A chaque fois qu'ils regardaient leurs dossiers et vérifiaient les profils des gens, ils voyaient que j'avais été aux USA donc ils avaient un sujet de conversation. C'était une sorte de... quelque chose que nous avions en commun et dont ils voulaient parler. Mais généralement, avec le reste des gens, ils ne voulaient tout simplement pas les connaître.

CP : et est-ce que vous pensez que parler anglais était un bienfait à l'époque ou était-ce un bienfait et une malédiction ou juste une malédiction ?

BM : En fait, c'était parfois une bénédiction, parfois une malédiction.

CP : Est-ce que c'est parce que tout le monde veut vous interroger, parce que vous comprenez tous les ordres ?

BM : Oui... Ca marche dans les deux sens : ils comprennent qu'ils ne peuvent pas vous maltraiter autant qu'une personne qui ne parle pas anglais. Ils n'avaient pas peur que quelqu'un qui ne pouvait pas parler anglais rapporte un incident car une personne qui ne parle pas anglais a besoin d'un traducteur et la traduction peut se perdre en cours de route.

CP : À Bagram, j'ai également connu quelqu'un qui était terriblement blessé – on lui avait tiré dans l'oeil et il avait deux énormes blessures ouvertes à l'épaule et au torse. Et cette personne était le jeune garçon, Omar Khadr, qui est le seul Canadien – le seul Occidental – toujours détenu à Guantánamo. Je ne l'ai pas rencontré à Guantánamo mais à Bagram et j'étais... mon coeur saigne pour lui, car c'était un jeune garçon très doux, et même le voir essayer de réciter le Coran me mettait les larmes aux yeux. Avez-vous connu Omar ?

BM : Omar Khadr était ce jeune garçon doux mais quand je l'ai rencontré, c'était un jeune homme, je l'ai rencontré quand nous avons été condamnés – nous nous sommes trouvés dans le même bâtiment.

CP : Vous avez tous les deux été condamnés par les Commissions Militaires ?


Dessin d'audience censuré représentant Binyam et son avocat militaire commis d'office devant la Commission militaire le 6/4/2006 . Janet Hamlin/
AP Photo

BM : Tous les deux, nous avons été condamnés pratiquement en même temps, en 2006 - vers le mois de novembre – et on s'est rencontrés début 2007, de retour dans le Camp 5. Et on a commencé à faire connaissance. Je l'avais déjà vu auparavant – je l'avais rencontré dans l'autre bâtiment mais pas de la même façon, parce que là, nous avons pu aller ensemble en pause.

CP : Pendant la récréation, dans la cour de récréation ?

BM : Ce qu'ils appellent la cour de récréation n'est en fait qu'une petite cage – une cellule de 4m par 4, et on a pris l'habitude de s'asseoir ensemble et de beaucoup discuter.

CP : Alors ils vous laissaient parler et marcher ensemble dans la même cour de récréation ?

BM : En fait, j'avais ma propre cage et il avait la sienne- Il n'y avait pas beaucoup d'interaction possible. Mais, au moins nous pouvions parler plus librement qu'à l'intérieur du bâtiment.

CP : Quelles ont été vos impressions sur Omar Khadr ?

BM : C'était plutôt ridicule de voir ce très jeune garçon condamné par la Commission et représenté comme quelqu'un de diabolique. La réalité est - et c'est là où les Usaméricains se sont trompés – qu’Omar était perçu comme un jeune Musulman opprimé par les Usaméricains, sans véritables raisons sauf qu'il était musulman. Et voilà comment ça se passe, si vous avez connu Omar, vous savez... Je veux dire que c'était juste une personne normale.

CP : Une des personnes que j'ai rencontrée à Bagram et qui était un interrogateur usaméricain, s'est retourné contre l'armée usaméricaine pour ce qu'ils ont fait en Afghanistan et plus tard, en Irak. Il connaissait également Omar Khadr, et je lui ai parlé – Je lui ai téléphoné il y a quelques semaines et il est maintenant un témoin de la défense d’Omar Khadr, parce qu'il était un interrogateur à l'époque, et il a dit qu'il reconnaissait que ce qui se passait là-bas n'était pas bien et qu'il essayait maintenant de faire quelque chose à ce sujet.

BM : Je pense que ça fait longtemps que nous attendons que les gens commencent à prendre leur responsabilité pour les crimes qu'ils ont commis. Bien qu'il y ait des allégations contre nous, que nous soyons condamnés ou non, en tant que criminels, les véritables criminels sont là-bas, à la Maison Blanche ou au Pentagone, ou où qu'ils soient... Les gens doivent maintenant prendre leur responsabilité.

Londres, janvier 2008 : une militante de Brighton porte une pancarte avec la photo de Binyam Mohamed au cours d'une manifestation de solidarité avec les détenus de Guantánamo

CP : Qu'est-ce qui vous a donné, en tant que prisonnier pendant tout ce temps dans les prisons US, la force de même vous dire que vous pouviez survivre ? D'où vous est venue votre force ?

BM : La force est venue d'Allah – Elle ne pouvait venir que de Allah, et si ce n'était pour Allah, nous aurions été complètement perdus.

CP : Certains soldats usaméricains me disaient : si j'étais dans une cellule comme ça, si j'étais emprisonné, je me serais effondré. Et je répondais en disant qu'au moins j'avais cinq choses chaque jour en quoi espérer. Mais ce n'était pas tout à fait comme d'habitude – même ces cinq choses – les cinq prières. Comment avez-vous réussi à accomplir vos prières, les prières de Joumou'a (prière du vendredi), pour les fêtes de l'Aïd, prier en assemblée... Comment arriviez-vous à faire tous cela ?

BM : Malheureusement, je n'ai pas pu faire de prières en groupe dans aucune des prisons où je me suis trouvé.

CP : Pendant sept ans, vous n'avez jamais prié en assemblée, même pour les prières de Joumou'a ?

BM : Non... Je n'ai pas pu... Il n'était pas possible de prier en groupe dans aucun des endroits où j'ai été détenu.

CP : Même pour les prières de Joumou'a et pour les fêtes de l'Aïd ?

BM : Non, pas même pour Joumou'a ni pour l’Aïd. Aucune de ces prières ne pouvait se faire en groupe et le seul endroit où les prières en assemblée étaient autorisées est au Camp 4 mais je n'ai pas été dans le Camp 4.

CP : Dans les bâtiments, il n'est pas possible de prier en congrégation mais les gens prient quand même les uns derrière les autres. En fait, à l'intérieur de chaque bâtiment, il y avait 24 cellules de chaque côté, dans le Camp Delta, soit 48 cellules en tout. La personne qui se trouvait dans la première cellule, qui qu'elle soit, dirigeait la prière. C'est comme cela que ça se passait mais personne ne pouvait physiquement se tenir à côté de quelqu’un d’autre.

BM : Non, on ne pouvait pas se tenir les uns à côté des autres. Selon mon expérience, j'ai été détenu dans le Camp 5 et le camp 6, vous ne pouviez même pas voir la personne qui se trouvait devant vous, il n'y avait qu'un mur.

CP : Ce sont des cellules en béton, c’est seulement dans les cages qu’on pouvait voir les autres personnes.

BM : Et le son était à peine audible, il nous parvenait à travers les fissures des portes. Ce n'est pas comme dans les cages où le son peut voyager. Mais les gens continuaient quand même à faire leurs prières – et à les appeler les prières en congrégation – pour être ensemble, car une des choses que les frères souhaitaient, était être ensemble... Et c'est toujours pratiqué dans le Camp 5 et le Camp 6.

CP : Vous dites que, bien sûr, les frères voulaient être ensemble, et le concept de fraternité là-bas est très important, et particulièrement du fait des circonstances défavorables. Il y a un frère là-bas en particulier, qui est vu par une certaine presse comme une des personnes les plus influentes à Guantánamo. Mais ce frère aurait du être avec vous dans l'avion – ou du moins vous le pensiez- quand vous êtes rentré au Royaume-Uni ? Pouvez-vous me parler de ce frère ?

BM : Ce frère, qui était Shaker Aamer et qui était censé être dans l'avion avec moi, était très influent à Guantánamo. Il a changé beaucoup de choses – beaucoup des maltraitances que les frères subissaient – il les a faites changer.

CP : Et il les a changées en faisant quoi ?

BM : En rassemblant les frères et en fait, en faisant un marché avec les Usaméricains, et en allant vers les Usaméricains – en allant vers les Usaméricains avec une proposition pour les changements qu'il désirait. Et ça fonctionnait bien jusqu'à ce que des interrogateurs se mêlent de ce qui se passait, et Shaker en a été tenu responsable.

CP : Vous parlez des grèves de la faim et des droits qu'il était en train d'essayer d'obtenir pour les prisonniers – pour une meilleure nourriture, pour que le Coran ne soit pas profané, pour que les prisonniers ne soient pas fouillés à corps à chaque fois et ce genre de chose. Est-ce exact ?

BM : Ce sont les choses auxquelles travaillait Shaker et je me trouvais juste à côté de lui, à côté de sa cellule – Il était dans la cellule 17 et j'étais dans la cellule 19 (il n'y avait qu'une cellule entre nous deux) et je savais exactement ce qu'il essayait de faire et nous avons essayé et travaillé à toutes ces choses et nous avions accompli beaucoup – c'était en 2005, à cause d'un interrogateur – il avait battu un des prisonniers pendant un interrogatoire, ce qui avait provoqué une émeute et puis Shaker a été mis en isolement à partir de 2005.

CP : Et il a été séparé complètement de tout le monde et mis dans un des camps d'isolement dans le Camp Echo.

BM : Il a été détenu dans le Camp Echo de 2005 jusqu'à 2008, je crois, jusqu'à ce qu'ils décident de le sortir il y a quelques mois.

CP : Shaker Aamer était un de mes amis le plus proche. Et bien que je ne l'ai jamais vu à Guantánamo ni à Bagram, une des pires choses pour moi était que je savais que nous avions tous les deux eu des fils qui étaient nés pendant que nous étions en détention à Guantánamo. Toute sa famille se trouve en Grande-Bretagne – ils sont tous Anglais – son plus jeune enfant a presque 8 ans et il ne l'a jamais vu. Vous rappelez-vous avoir entendu Shaker parler de sa famille et comment il réussissait à gérer la séparation avec sa famille pendant tout ce temps ?

BM : Quand j'étais avec Shaker, il était surtout préoccupé par les grèves de la faim à Guantánamo. Oui, il parlait de son fils et combien il souhaitait rentrer et être avec son fils, et il était impatient de rentrer au Royaume-Uni pour voir sa famille et vivre avec elle. Et, je pense qu'en 2005, il croyait qu'il allait rentrer – je veux dire qu'il espérait qu'un jour viendrait où il reviendrait au Royaume-Uni et retrouverait sa famille.

CP : Shaker n'est toujours pas rentré, mais on vous a fait croire qu'il serait dans l'avion avec vous ?

BM : J'ai parlé aux officiers du service diplomatique et du Commonwealth dans l'avion au sujet de Shaker et ils m'ont dit qu'il aurait du être dans l'avion avec moi, le Royaume-Uni avait demandé sa libération auprès des USA. Mais le seul problème était que les USA refusaient de relâcher Shaker au Royaume-Uni.

CP : Ils refusent sa libération – de façon ironique, non pas parce qu'il allait être condamné par les commissions militaires ou quelque chose de ce genre, mais parce qu'il était une personne influente.

BM : Je dirais que les Usaméricains tentent de le faire taire le plus possible. Ce n'est pas parce qu'il a des informations mais les Usaméricains ne veulent pas que le monde sache ce qui s'est passé en 2005 et 2006 – les grèves de la faim et tous les événements qui ont eu lieu, les trois frères qui sont morts – Il est probable et évident que Shaker n'a pas ces informations mais les Usaméricains pensent qu'il en a certaines et ils n'aiment pas que ce genre d'informations paraissent. Et c'est pourquoi ils essayent de repousser sa libération. J'étais dans la même situation : en 2007, je devais être relâché avec trois autres résidents mais comme j'étais sous surveillance usaméricaine à ce moment-là – à cause des grèves de la faim en 2005, et des morts... Ils ont décidé de reporter ma libération.

CP : Vous avez beaucoup parlé des grèves de la faim. Pour ma part, j'ai été en Irlande du Nord plusieurs fois et j'ai parlé avec beaucoup d'anciens prisonniers irlandais et j'ai parlé avec beaucoup de ces grévistes de la faim et j'ai même rencontré ceux qui étaient avec Bobby Sands avant qu'il meure. Pensez-vous vraiment que la grève de la faim peut faire changer quelque chose ?

BM : En 2005, ça a effectivement changé quelque chose, ça a tout changé. Les Usaméricains sont venus et ont dit qu'ils allaient mettre en place des lois, car à Guantánamo avant 2005, il n'y avait aucune loi, il n'y avait pas de règlement non plus. Le colonel disait « Je fais ce que je veux » mais après la grève de la faim – la grande grève de la faim de 2005 – ils ont, en fait, commencé à mettre en place quelques règles que nous connaissions – non pas que nous les appréciions mais c’était mieux que rien.

CP : Vous n'étiez pas – aucun de nous ne l'était – traité comme des prisonniers de guerre, mais pensez-vous, que si vous aviez été traité en tant que tel, il y aurait eu moins de problèmes entre les prisonniers et l'administration ?

BM : eh bien, si on examine les choses... Par exemple, dans le Camp 4 où il y avait un grand nombre de gens, il n'y a jamais eu de problèmes entre les prisonniers et l'administration, ou les gardiens. Même si le Camp 4 n'est pas un camp de prisonniers de guerre mais il n'y a jamais eu de problème. Mais les isolements et la ségrégation que les usaméricains ne veulent pas admettre – comme dans le Camp 5 et Camp 6 -, c'est là où se trouvaient tous les problèmes.

CP : Quand vous dites ségrégation, qu'est ce que vous voulez dire ?

BM : La ségrégation, selon la lecture que j'en ai, est le fait d'être isolé dans une cellule et quand vous êtes dans votre propre cellule, vous êtes séparé de l'autre personne. La ségrégation à l'usaméricaine est quand on vous sépare du public (de la population) et que vous ne pouvez pas voir d'autres personnes, mais ils ne considèrent ni le Camp 5 ni le Camp 6 comme des camps de ségrégation.

CP : Ce qui veut dire que vous vous trouvez en fait isolé dans des cellules, où vous ne pouvez ni voir ni communiquer avec d'autres personnes ?

BM : Oui, c'est exactement ce qui se passe dans les Camps 5 et 6.

CP : Et pensez-vous qu'il y ait eu beaucoup de changements depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama et quel était le sentiment à Guantánamo quand cela s'est produit ?

BM : Quand l'administration a changé, Guantánamo n'a pas changé, en aucune façon – les prisonniers ne s'en souciaient même pas – ils n'étaient ni contrariés ni non plus contents – ils ne s'en souciaient pas vraiment parce que vous ne comptez pas sur l'administration et parce que vous ne comptez pas l'administration pour arriver et changer l'oppression. Notre foi est dans Allah et Allah est celui qui va faire changer cette oppression – pas une nouvelle administration. Donc les gens à Guantánamo s'en moquaient – il n'y avait aucune émotion liée au nouveau gouvernement. Du côté de l'administration à Guantánamo, ils ont commencé à être plus oppressifs : ils ont commencé à mettre en place des règles, des règles dégradantes qui ont poussé la plupart d'entre nous à faire les grèves de la faim. Et si vous regardez les chiffres avant que la nouvelle administration ne prenne le pouvoir, il n'y avait que 10 à 20 personnes qui faisaient la grève de la faim, et juste après l'arrivée de la nouvelle administration, les chiffres sont montés jusqu'à une quarantaine de personnes nourries par perfusions et environ une centaine en grève de la faim.

CP : Voulez-vous dire qu'on les alimentait de force, qu'on les attachait et qu'on leur plaçait, contre leur volonté, un tube dans le nez et qu'on les alimentait par ces sondes nasales ?

BM : Oui, c'est exactement ce qui se passe à Guantánamo.

CP : Et donc vous dites que les grèves de la faim – maintenant alors que nous parlons ou quand vous êtes parti – avaient toujours lieu ?

BM : J'avais le numéro 41 pour l'alimentation sous perfusion et après moi, il y en avait encore trois qui étaient inscrits – et ceci juste pour le Camp 5. Alors, aujourd'hui, je dirais que, à moins que l'administration ait fait un marché avec les grévistes de la faim, je dirais que leur nombre est autour d'une cinquantaine maintenant.

CP : Même maintenant, alors qu’Obama a dit qu'il fermerait Guantánamo, il a même dit la semaine dernière, qu'il n'appellerait plus les prisonniers des « combattants illégaux », malgré tout ça, vous pensez que les gens font toujours la grève de la faim ?

BM : L'administration dit beaucoup de choses là-bas mais ils ne contrôlent pas Guantánamo – Guantánamo est contrôlé par la JFT (Joint Task Force) et le JDG (Joint Defense Group) et ce sont eux qui font la loi à Guantánamo et la façon dont ils l'a font régner est... Quand j'étais là-bas, il n'y avait aucun changement – Ça va juste empirer, c'est comme ça.

CP : Que pensez-vous qu'il va arriver, qu'il devrait arriver aux prisonniers qui sont toujours là-bas ?

BM : J'ai entendu dire que cette nouvelle administration allait fermer Guantánamo dans un an – ça ne prend pas une année pour libérer des gens, ça ne prend pas une année pour fermer un lieu. Si cette administration essayait vraiment de réparer les torts, tout ce qu'elle a à faire est d'ouvrir une porte et de laisser les gens sortir.

CP : La majorité des gens toujours en détention sont yéménites. Pensez-vous qu'il y a quelque chose de particulier concernant les Yéménites qui empêchent les Usaméricains de les relâcher ?

BM : Je pense que les Usaméricains attendent, ils font pression sur le Yémen et la politique là-bas est d'empêcher la libération des Yéménites, et voilà comment la politique interfère avec la justice alors que ça devrait être la justice avant la politique mais dans le monde où nous sommes aujourd'hui, ça ne se passe pas comme ça.

CP : Beaucoup de gens qui ont été affectés par la « guerre contre le terrorisme » et bien sûr les gens détenus à Guantánamo sont exclusivement musulmans. Quel est le devoir, selon vous, des gens du monde musulman en particulier , envers ceux détenus à Guantánamo et dans les centres de détention secrets ?

BM : Qu'ils ne les oublient pas dans leurs prières et qu'ils les soutiennent de toutes les manières possibles.

CP : Il y a beaucoup de gens qui penseraient que tout cet épisode – pour vous, pour moi, pour ceux détenus à Guantánamo - est trop lourd à supporter pour une seule personne et qu'après ce genre d'expérience, on devrait juste rentrer chez soi, baisser la tête et ne pas s'investir dans quelque chose, ne pas lutter pour les droits des autres prisonniers. Quelle réponse leur donneriez-vous ?

BM : Ces sept ans m'ont beaucoup appris – J'ai appris des choses que je ne soupçonnais pas, des choses que je n'aurais pu apprendre qu'à travers cette expérience. Baisser la tête par peur ne devrait pas être une excuse pour ne pas faire son devoir. Il y a de l'oppression là-bas – nous devons tenir tête à ça.

CP : Malgré ce que beaucoup de gens pensent sur les choses terribles qui se sont passées à Guantánamo, il y a des choses qui ressortent, beaucoup de choses que j'ai vues sont apparues que je n'aurais jamais imaginées. De nombreux prisonniers – moi y compris- ont mémorisé une grande partie du Coran à Guantánamo et à Bagram ou autres. Quel est le pourcentage aujourd'hui, selon vous, des gens qui ont presque mémorisé entièrement le Coran, à Guantánamo ?

BM : Je dirais qu'ils sont autour de 90% à avoir mémorisé le Coran et même les 10 % restant l'ont mémorisé mais ils peuvent l'oublier car la situation dans laquelle ils se trouvent à Guantánamo est si difficile qu'il n'est pas facile de rester soi-même.

CP : Il y avait une période où le Coran était enlevé des cellules et profané et jeté par terre, et certains prisonniers ont décidé qu'ils ne voulaient plus le Coran dans leur cellule. Comment ces prisonniers ont-ils pu continuer à avancer dans leur connaissance du Coran ?

BM : C'est étonnant : même si la plupart du temps, je n'avais pas le Coran avec moi, ce que je faisais est que je demandais à une personne qui avait mémorisé le Coran de me réciter un verset et je le mémorisais à mon tour puis je me le répétais toute la journée. Et c'est vraiment étonnant – vous pensez peut-être que c'est gaspiller son temps – mais à la fin de l'année, vous réalisiez que vous aviez mémorisé presque la moitié du Coran, de cette manière.

Binyam à son retour à Londres le 23/2/2009. Photo Lewis Whyld /AP

CP : En fait, c'est de cette façon que le Coran a été révélé au Prophète (Salla Allahu Alayhi wasallam – Paix soit avec lui) et c'est comme ça qu'il a été distribué au Sahaabah (ses compagnons, qu'Allah soit satisfait) – Le prophète (Salla Allahu Alayhi wasallam) était an-Nabi al-Ummi (le Prophète de la communauté) – il ne savait ni lire ni écrire et c'était donc fait à l'aide du bouche à oreille et en fait, si ça ne s'était pas fait pour tous les huffaadh (les gens qui mémorisent) du Coran, qui se faisaient tuer dans les premières batailles, le Coran n'aurait jamais été mis sous forme de livre, ça paraît donc fascinant que des gens soient revenus à la première forme d'apprentissage du Coran. Est-ce que ça se déroulait de la même façon pour ce qui est des sciences islamiques et d'autres sciences générales, est-ce que les gens en parlaient entre eux ou était-ce juste le Coran que les gens s'apprenaient les uns aux autres ?

BM : Les gens faisaient cette même chose avec le Hadith (rapports sur le Prophète Salla Allahu Alayhi wasallam), toutes les connaissances étaient présentes là-bas. Et principalement à Guantánamo, l'échange de connaissances se faisait de bouche à oreille – Il n'y avait aucun écrit.

CP : Une des choses qui se produit pour les prisonniers condamnés, en fait, même pour les pires prisonniers condamnés dans le monde, est qu'ils peuvent étudier et obtenir un doctorat, le bac, une licence... Aviez-vous accès à cela, même si vous n'avez pas été reconnu coupable d'un crime ?

BM : J'avais accès à un doctorat en torture et maltraitances et j'ai été diplômé à Guantánamo avec un doctorat dans ces matières... C'est tout ce que nous avions.

CP : Vous êtes maintenant un homme libre, du moins relativement libre – relativement libre car vous êtes encore sous conditions. Quels sont vos espoirs pour l'avenir – que souhaitez-vous qu'il arrive – dans votre situation propre et dans la situation des prisonniers toujours détenus là-bas ?

BM : J'espère que mon cas sera résolu, par le ministère de l'intérieur ou par le ministère des Affaires étrangères, et pour les prisonniers, je voudrais voir la justice et pas la propagande. La libération de tous les prisonniers de Guantánamo et des autres prisons.

CP : Nous – tous les anciens détenus dans la Baie de Guantánamo, ou la plupart d'entre nous- avons accusé le gouvernement britannique de complicité dans notre torture. Pensez-vous que le gouvernement britannique ou les services de renseignements devraient s'expliquer ou devraient-ils simplement s'excuser point barre ?

BM : Je dirais qu'ils doivent faire beaucoup plus que de s'excuser – s'excuser n'est pas suffisant – ou alors peut-être s'excuser et changer leur politique.

CP : Une information qui vient de sortir, il y a juste une quinzaine de jours, est qu'il y a des allégations contre les services secrets britanniques, de torture sur des citoyens britanniques dans des pays aussi différents que l'Égypte, le Pakistan, le Bangladesh, le Maroc dans votre cas – l'Afghanistan et le Pakistan pour mon cas – Je pense que le problème est bien plus important qu'ils ne veulent l'admettre. Pensez-vous qu'ils vont finir par l'admettre à un moment donné ?

BM : Je pense que le gouvernement britannique admettra beaucoup de choses, peut-être plus tard, au contraire des Usaméricains... Je crois que les Britanniques sont plus intelligents que les Usaméricains concernant ce genre de choses.

CP : Jazak Allah khair (Puisse Allah te récompenser,) Binyam Mohamed : Puisse Allah accepter toutes vos luttes pendant toutes ces années et les transformer en votre faveur le jour du jugement. Baarak Allah fik (Qu'Allah te bénisse)

BM : Wa iyyakum (vous aussi).





Moazzam Begg, né en 1968 à Birmingham, Grande-Bretagne, dans une famille pakistanaise, est porte-parole de Cageprisoners. Il a été arrêté au Pakistan après le 11 septembre et a été détenu 11 mois à Kandahar et Bagram puis 3 ans à Guantanamo, dont il a été libéré en janvier 2005.

Depuis son retour en Grande-Bretagne, il déploie une activité inlassable en faveur du droit des personnes victimes de la "guerre au terrorisme", donnant des conférences et conseillant des organisations comme Amnesty International et Reprieve.

Il a publié un remarquable livre de témoignage, co-écrit avec la journaliste Victoria Britain, Combatant: My Imprisonment at Guantanamo, Bagram and Kandahar

Il est l'un des protagonistes du film de docu-fiction Road to Guantanamo de Michael Winterbottom.

Nous publions ci-dessous un portrait de lui par Paul Rodgers, du quotidien The Independent.
Le livre de Moazzam Begg



Moazzam Begg: “Il faudra bien finir par négocier avec Al Qaïda”
AUTEUR: Paul RODGERS
Traduit par Fausto Giudice
Il a passé 3 ans à Guantánamo comme « combattant ennemi » ; il a vu des compagnons se faire assassiner. Mais il ne recherche pas la vengeance.
Ils se sont présentés chez lui à minuit –c’est classique - mais ce n'était pas une banale descente de police. Les hommes armés qui se tenaient sur le palier de Moazzam Begg ne portaient pas d'uniforme. Sans un mot, ils ont jeté à terre le travailleur humanitaire britannique et lui ont attaché les bras et les jambes dans le dos. Avant qu'ils ne lui mettent une cagoule sur la tête, il a pu voir certains d'entre eux se diriger vers les chambres où dormaient sa femme et ses enfants. D’autres hommes l’ont chargé à l'arrière d'une Jeep. Pendant qu’elle filait dans les rues d’Islambad, quelqu’un a soulevé sa cagoule juste assez pour qu’il puisse voir un Américain brandissant une paire de menottes : « Je les ai eues de la veuve d’une victime du 11/9 », a-t-il dit hargneusement avant de les refermer sur les poignets déjà entravés du prisonnier.C'est ainsi qu'ont commencé les trois années de Begg dans la peau d'un « combattant ennemi » de « la guerre contre le terrorisme ». Son ordalie a été ponctuée de menaces, de coups, d'isolement, d’humiliations, de dégradations et de conseils par un psychiatre militaire US sur la meilleure manière de se suicider. Il a vu deux de ses compagnons de détention se faire tuer par des gardiens. On lui a dit qu'on l'avait envoyé en Égypte pour pouvoir le torturer, et on lui a fait croire que la femme qui hurlait de douleur dans la pièce à côté était la sienne. Ce genre de traitement pourrait transformer le plus modéré des individus en extrémiste. Je m'attendais à rencontrer un homme crachant du venin, débordant de colère justifiée et de ressentiment. Mais Begg, qui me reçoit dans le salon de sa maison jumelée à Birmingham, est surtout stupéfait qu'on ait pu le prendre pour un terroriste. « Je n'admets pas l'usage de la violence et le massacre de civils innocents », déclare-t-il avec emphase. Loin de chercher à se venger, il a réfléchi à un plan de paix inédit qui pourrait sauver les vies de centaines de soldats américains et britanniques. Depuis qu'il a été libéré en 2005, Begg travaille pour
Cageprisoners, une organisation qui lutte pour la libération des prisonniers de Guantánamo et des plus de 70 détenus « disparus » dans camps « fantômes » US. « L’Amérique nie les détenir », dit-il. « Il leur arrive pourtant d'annoncer qu'une personne qu’ils ont toujours prétendu ne pas détenir, et qui a disparu depuis cinq ans, a été envoyée à Guantanamo. » Begg travaille également en étroite collaboration avec Amnesty International et vient de participer au lancement par l'organisation de deux campagnes de mobilisation, dont l’une, la semaine Protégeons les humains, commence le 13 octobre « Je prends souvent la parole dans des lieux où je suis le seul à avoir la peau foncée », raconte-t-il. « Toutes les fois où j'ai pensé que j'allais me heurter à un public hostile, je me suis trompé. Cela me donne de l'espoir. » Il soutient aussi la campagne Désabonnez-vous qui démarre mardi : une tentative de mobiliser les internautes pour qu’ils sortent de la « guerre contre le terrorisme » de la même manière qu’on se désabonne d’une liste de diffusion.
Je suis intrigué de voir qu’un Musulman qui a tant souffert entre les mains de l’Occident ait pu devenir un champion de ses idéaux les plus chers – les droits civiques et le règne de la loi. Mais Begg ne voit là aucune contradiction. De tels principes étaient contenus dans le Coran des siècles avant que le Roi Jean signe la Magna Carta. « L’équivalent de l’habeas corpus est décrit dans des versets du Coran qui parlent des droits des individus à avoir des témoins et des preuves. » Il a rencontré Martin McGuinness, ancien commandant de l'IRA (Armée républicaine irlandaise) et aujourd'hui vice-Premier ministre d'Irlande du Nord, et cela lui a donné des idées : il veut écrire un livre pour expliquer comment on pourrait mettre fin de façon pacifique à cette « guerre contre le terrorisme ». Selon lui, le temps est venu pour les gouvernements et les terroristes de commencer à se parler. « C'est la seule voie possible », affirme-t-il. Pour appuyer ses propos, il cite un passage du discours du ministre de la Défense britannique, Des Browne, lors du congrès du Parti travailliste, en septembre dernier : « À un moment ou un autre, il faudra bien que les Taliban soient impliqués dans le processus de paix en Afghanistan parce qu'ils ne vont pas quitter le pays. » « C'est peut-être difficile à admettre, mais c'est la réalité », commente Begg. « Les Taliban ne sont pas des Martiens. » À première vue, l'idée que George Bush et Oussama Ben Laden puissent un jour s'asseoir à la même table semble grotesque. Mais on en disait autant de McGuinness et de Paisley : « Il ne s’agit pas simplement d’Oussama Ben Laden », dit Begg. « Il y a beaucoup d’autres gens auxquels ils auraient pu et du parler et dans certains cas, même s’ils le nient, auxquels ils ont parlé. »Si le discours de la "guerre contre le terrorisme" se décline en noir et blanc, Begg voit plutôt les choses en gris. « Pour eux, soit on est avec Ben Laden, soit on est avec Bush, précise-t-il. Mais moi, comme la majorité des gens, je suis entre les deux. » S'il n'est pas un terroriste, il admet avoir pensé à s'engager comme combattant dans forces bosniaques au début des années 1990. « Je crois que les gens ont le droit de résister à l'occupation en Afghanistan et en Irak », poursuit-il. Pour beaucoup de Britanniques et d'Américains, cela suffit à faire de lui « l'un des leurs », et non « l'un des nôtres ». Mais cela ne fait pas de lui un combattant, ni un terroriste ni un membre d'Al Qaïda.
Un autre reproche que lui font beaucoup de gens, c’est qu’il a installé sa jeune famille à Kaboul pour monter une école de filles à l’apogée du pouvoir Taliban. Begg apprécie les tentatives des Taliban pour reconstruire l’Afghanistan après des décennies de guerre mais il ajoute : « Je ne pense pas qu’ils avaient la moindre idée sur la manière de gouverner le pays. Je les ai vus faire des choses qui retournaient complètement la population contre eux. »
Sa capacité à faire la part du bon et du mauvais dans un monde polarise s’applique aussi à ses geôliers américains : « Je serais heureux de qualifier certains d’entre eux d’amis », dit-il. Une femme soldat lui a donné des confiseries lorsqu’elle a découvert que les prisonniers n’avaient pas eu de nourriture le jour de l’Aïd El Fitr, la fête de la fin du Ramadan. Une telle fraternisation avec l’ennemi est un crime grave selon le code militaire US. Un autre, un vetééran du Vietnam originaire du Sud profond, dont certains camarades avaient été tortures, était dégoûté de voir son pays tomber dans les mêmes travers.Peut-être sa perspective équilibrée lui vient-elle de son éducation œcuménique. Fils d’un banquier devenu homme d’affaires, Begg a fréquenté une école primaire juive. Plus tard, son père a été lié à une femme britannique qui lui a fait découvrir Noël. À 14 ans, il était dans une bande qui se battait contre de skinheads racistes. Ce n’est qu’à la fin de son adolescence qu’il a redécouvert la religion qui allait l’inspirer, et lui causer tant de misères.


Azmat, le père de Moazzam, s'est battu sans relâche dès le premier jour pour sa libération.

Après sa capture, Begg a été conduit d’ Islamabad à Kandahar, traîné (littéralement, NdT) dans la boue, fouillé à nu et jeté dans une « cellule » faite de barbelés et pourvue en tout et pour tout d’une couverture et d’un seau. La cellule se trouvait à l’intérieur d’une écurie reconvertie avec un éclairage et un son bruyant 24 heures sur 24. Dépouillé de son identité, il ne lui restait plus qu’un numéro : le 558.
De là il a été amené dans une ancienne usine russe à la base aérienne de Bagram, où un garde lui a donné un exemplaire du livre Catch-22, portant un tampon : « Approuvé par les Forces US ». C’était un cadeau tout indiqué : comme le héros de Joseph Heller, Yossarian, Begg se trouvait face à un dilemme. Les Américains arguaient que s’il était coupable d’avoir aidé Al Qaïda, sa place était en prison; pour ses geôliers, le simple fait qu’il était détenu signifiait qu’il devait donc être coupable d’avoir aidé Al Qaïda.
Begg a accueilli avec plaisir la nouvelle qu’il allait être emmené à Guantánamo. « Les gens disaient que là-bas, on aurait des repas chauds » Plus important, disaient-ils, vous aurez des avocats. Cela a pris encore vingt mois, mais grâce à ces avocats, Begg – qui avait été désigné pour être le premier à comparaître devant les tribunaux bidon du camp – a au lieu de cela été le premier à être remis en liberté.
Si cet homme est un terroriste, il le cache bien. Et ceux qui croient encore au raisonnement à la Catch-22 ont eu beaucoup de mal à prouver leurs allégations. La vie de Begg a été disséquée sans qu’aucune preuve ait pu être produite à sa charge.
Prenez par exemple cette photocopie d’un ordre de transfert d’argent – qui aurait été trouvée dans un camp d’Al Qaïda en Afghanistan – qui est censée avoir déclenché son kidnapping. Ni Begg et ses avocats ni aucun tribunal n’a vu ce document. Il est censé établir un transfert entre filiales d’une même banque à Londres et Karachi, mais le numéro de compte, la date et le montant sont secrets. Et personne n’a pu fournir une explication plausible de la raison pour laquelle elle se serait retrouvée dans un camp en Afghanistan. Begg : “Là-bas, il n’y avait pas de banques.”
L’exemple le plus pernicieux des allégations à la Catch-22 est le fait qu’il a été arrêté dans le cadre des lois anti-terroristes britanniques lors d’une descente dans sa librairie à Birmingham en 2000. Il avait alors été relâché sans inculpation. Aux yeux de ceux qui le critiquent, cela implique que les services de renseignement le soupçonnaient déjà, ce qui donnerait du poids aux allégations qu’i l’ont fait échouer à Guantánamo. Une interprétation plus simple est que les persécutions contre lui avaient déjà commencé dans son pays, la Grande-Bretagne.

jeudi 9 août 2007

Gordon Brown demande la libération des cinq résidents britanniques

Par Mali Ilse Paquin, La Presse, 9 août 2007

Gordon Brown prouve une fois de plus qu'il ne sera pas le caniche de George Bush. (sic)
Son ministre des Affaires étrangères, David Miliband, a demandé mardi la libération de cinq résidents britanniques de Guantánamo à Condoleezza Rice. Une démarche que Tony Blair avait toujours balayée d'un revers de main.
Sous son règne, Downing Street avait seulement tenté de rapatrier neuf citoyens britanniques de la prison américaine. Et ce, malgré les pressions des familles des cinq résidents. Ils auraient tous reçu de mauvais traitements, selon leurs avocats.«Le gouvernement applaudit les pas faits par le gouvernement américain pour réduire le nombre de détenus à Guantánamo, et pour aboutir à la fermeture du centre de détention», a déclaré le ministère des Affaires étrangères britannique. Il a par contre précisé que les procédures pourraient prendre plusieurs mois.
Le cas de Jamil El Banna, d'origine jordanienne, avait été fortement médiatisé depuis deux ans. Il a été arrêté en 2002 avec son meilleur ami en Gambie lors d'un voyage d'affaires. L'agence de sécurité MI5 lui avait demandé peu avant de l'aider à espionner Abou Qatada, soupçonné d'être lié à Al-Qaeda. Le père de famille aurait refusé.La députée de la circonscription de la famille d'El Banna célébrait leur victoire à Londres hier. «C'est un soulagement énorme pour toute la famille, a dit Sarah Teather. La fille cadette de Jamil pourra enfin rencontrer son père pour la première fois.»


Geste symbolique

Sous Blair, Guantánamo n'était qu'une «anomalie». Les temps ont changé depuis son départ en juin.Plusieurs analystes interprètent cette volte-face comme une nouvelle preuve que Gordon Brown veut se distancier de George Bush. À leur rencontre à Camp David la semaine dernière, le premier ministre britannique avait pris soin de louanger la politique américaine de lutte contre le terrorisme sans mentionner le président lui-même.
«C'est un geste très symbolique, dit l'expert en sécurité internationale, Bob Ayers. Il envoie un message très clair. Les relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne seront différentes maintenant qu'il est aux commandes.»Gordon Brown est déjà en campagne électorale, selon l'analyste de l'institut Chatham House. «La rumeur veut qu'il déclenche des élections au printemps prochain, dit-il à La Presse. D'ici là, il prendra des décisions populaires auprès des électeurs, comme celles-ci.»La presse britannique a applaudi le premier ministre tout en rappelant la responsabilité morale de la Grande-Bretagne face à ces détenus.

Fermera? Fermera pas?

Selon le Financial Times, cette décision fait l'affaire de l'administration Bush. Elle cherche par tous les moyens à réduire le nombre de prisonniers à Guantánamo.Le centre de détention ne ferait plus l'unanimité dans l'entourage de Bush. Robert Gates, le secrétaire de la Défense, et Condoleezza Rice seraient favorables à sa fermeture. Le vice-président Dick Cheney et le procureur général Alberto Gonzalez s'y opposeraient.
Une chose est certaine pour Bob Ayers: Guantánamo ne disparaîtra pas demain. «Les pays d'origine des détenus, comme la Libye ou la Jordanie, ne veulent pas d'eux, explique-t-il. Les pays tiers, encore moins. Les États-Unis seront pris avec eux pour un bon moment.»
Les cinq détenus sont le Saoudien Chaker Aamer, le Jordanien Djamil el Banna, l'Algérien Abdennour Sameur, le Libyen Omar Deghayes et l'Ethiopien Binyam Mohamed.L'un des cinq est déjà libérable, mais il ne sera pas renvoyé dans son pays d'origine… de crainte qu'il n'y soit maltraité, a déclaré jeudi une responsable du Pentagone. Sans rire.

lundi 21 mai 2007

Mystère: Qui est le tortionnaire «Marouani» ?

Dans son ouvrage «Les vols secrets de la CIA», le journaliste Stephen Grey restitue des extraits de l’audition de Binyam Mohamed par un avocat de l’ONG Reprieve qui le défend.
Cet Ethiopien, résident légal au Royaume-Uni, est accusé d’avoir des liens avec Al Qaïda et d’être le complice présumé de José Padilla, un Américain accusé d’appartenir à une cellule terroriste et un temps soupçonné d’avoir voulu préparer une «bombe radiologique». Binyam Mohamed a été arrêté le 21 juillet 2002 au Pakistan, transféré au Maroc où il a été emprisonné et torturé jusqu’au 22 janvier 2004, date à laquelle un avion de la CIA l’a transféré de Rabat à Kaboul. Il a fini par rejoindre Guantanamo le 20 septembre 2004. Pendant son séjour au Maroc, Binyam affirme qu’il a été torturé par une équipe de huit hommes et femmes dont un certain Marouane qu’il décrit en ces termes : «environ 1,85 mètre, 100 kilos, la peau sombre, les yeux marrons, rasé de près. Binyam le désigne également comme le chef des tortionnaires, celui qui décidait des sévices, y compris des entailles effectuées sur son sexe à l’aide d’un couteau (cf. bonnes feuilles du livre «Les vols secrets de la CIA»). Binyam ajoute également que ce «Marouane» fumait des cigarettes Marlboro Light et possédait un téléphone portable Motorola Wing.
Ressemblance frappante
Fait troublant, un autre «restitué», Abou Elkassim Britel, parle, lui, d’un tortionnaire marocain nommé «Marouani». Britel est un italo-marocain qui a été capturé au Pakistan et transféré à Rabat le 24 mai 2002 dans un jet privé de la CIA. La description physique qu’il fait de son «Marouani» évoque celle du «Marouane» de Binyam : «Marouani a la trentaine, est corpulent, de grande taille et fume beaucoup», affirme Britel qui l’a bien connu. «En effet» reprend-il, «Marouani menait mes interrogatoires et m’a dit qu’il appartenait à la DST. Il m’a torturé en me giflant, m’insultant et en me frappant. Lorsque j’ai été remis en liberté, il m’a donné de l’argent : 5 000 dirhams en trois mois avec lesquels j’ai vivoté. Il a essayé de me convaincre de retourner vivre en Italie pour que je serve d’indicateur à la DST dans les milieux islamistes et se rendait souvent à mon domicile, à Kénitra. Il se déplaçait en Fiat Uno de couleur vert olive».
Lire aussi
Le Maroc, escale de torture de la CIA
Les vols secrets de la CIA
Silence radio côté marocain
Source : lejournal-hebdo.com

mardi 20 février 2007

Les Etats-Unis refusent de signer l’interdiction de l’ONU sur les « restitutions » et la détention secrète

Par Kate Randall, 14 février 2007

Cinquante-sept pays ont ratifié mardi le traité de l’ONU interdisant aux gouvernements la pratique des disparitions forcées et la garde de personnes en détention secrète. Washington, tout comme le Canada et un certain nombre de gouvernements européens, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, ont refusé de signer.
Lors de la ratification du traité à Paris, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy a déclaré : « Nos amis américains ont été naturellement invités à cette cérémonie. Ils n’ont pas pu malheureusement se joindre à nous. »
Le porte-parole du département d’Etat américain, Sean McCormack, a simplement dit que le traité « ne correspondait pas à nos attentes. » On comprend clairement toutefois à lire les termes du traité pourquoi il en est ainsi.
La Convention internationale sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées appelle toutes les nations à adopter une « interdiction absolue » des détentions secrètes ; elle prévoit aussi un dispositif pour localiser le lieu où se trouve la personne « disparue ». Elle oblige également chaque Etat partie à garantir que les victimes de « restitutions » et de détention secrète aient un droit à réparation.
La convention oblige chaque nation signataire à engager, par le biais d’autorités compétentes, des actions en poursuite contre toute personne suspectée de pratiquer des disparitions forcées où qu’elle se trouve. La convention a également établi un comité chargé de surveiller l’application du traité et d’intervenir dans certains cas de figure.
Les agents de la Central Intelligence Agency (CIA) qui sont activement impliqués dans les « restitutions » de par le monde, ainsi que les dirigeants au plus haut niveau qui les ont commanditées, seraient en violation directe du traité. Leurs actes ont été autorisés et sanctionnés par George W. Bush et d’autres membres de son gouvernement. En septembre dernier, le président américain avait ouvertement reconnu l’existence d’un réseau de prisons secrètes dirigé par la CIA et insisté pour qu’elles continuent d’être utilisées.
La pratique américaine consistant à rafler des personnes soupçonnées de terrorisme au nom de la « guerre contre le terrorisme » a aussi été ignorée par le congrès américain qui a adopté en septembre dernier la loi américaine sur les Commissions militaires de 2006 (Military Commissions Act of 2006) qui approuvent l’incarcération de prisonniers à Guantánamo Bay et dans d’autres camps de détention de par le monde, nombre d’entre eux restant secrets. Les prisonniers qui ont été libérés, de Guantánamo ou d’autres prisons dirigées par les Américains, ont décrit les conditions régnant dans ces centres, comme relevant de la torture.
Les fonctionnaires français qui ont mené les efforts pour instituer l’interdiction ont dénombré plus de 51 000 personnes que les gouvernements de plus de 90 pays ont porté disparues depuis 1980. La grande majorité de ces personnes, à savoir 41 000, n’a jamais fait l’objet d’explication et leur lieu de séjour et leur sort demeurent un mystère.
Les familles des disparus et les organisations de droits de l’Homme ont fait pression sur l’ONU pendant des années pour promouvoir l’adoption d’un traité interdisant de tels enlèvements. Washington est déterminé à ce que le rôle joué par les agents secrets américains dans ce genre de disparition reste secret et que leurs auteurs restent à l’abri de poursuites judiciaires tant par les tribunaux américains qu’internationaux.
Un certain nombre de gouvernements européens qui ont refusé de signer le traité ont été impliqués en tant que collaborateurs dans les enlèvements illégaux effectués par la CIA et la torture de personnes suspectées de terrorisme. Suite à des articles de journaux faisant état de collusion européenne dans ces pratiques, y compris des rapports relatant l’existence d’établissements de détention en Europe de l’Est, le Conseil de l’Europe (CE) a commandité un rapport pour enquêter sur ces allégations.
Le rapport du CE a décrit une « toile d’araignée mondiale » d’établissements de détention, dirigée par les agences du gouvernement américain, nombre d’entre eux étant « ensevelis dans le secret. » Le rapport constate que les allégations émises contre les Etats-Unis et 14 gouvernements européens sont en « grande partie vraies. » Les pays anciennement dirigés par les staliniens, la Pologne, la Roumanie et les républiques de l’ex-Yougoslavie, la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine, ont joué un rôle crucial dans la collaboration avec la CIA.
Le rapport rédigé par Dick Marty, le rapporteur spécial du CE, a compilé les enregistrements de vols des avions affrétés par des organisations-écran de la CIA et les a comparé aux rapports mentionnant des enlèvements connus. Le rapport a également présenté les récits détaillés de 17 personnes qui disent avoir été enlevées, « restituées » et, par la suite, torturées dans des prisons dirigées par les Américains.
Ces victimes ont rapporté que des groupes d’agents masqués de la CIA, qui les avaient enlevées, les ont enchaînées, leur ont bandé les yeux et les ont fouillées. Les vêtements des détenus leur ont été retirés au moyen de ciseaux en les coupant à même le corps. Les détenus ont été soumis à la fouille de tous les orifices du corps. Certains ont été battus et il y a eu des cas « d’introduction forcée d’un objet quelconque dans l’anus d’un homme ».
Après quoi la victime a été enchaînée, ses oreilles obturées et un sac placé sur sa tête. C’est ainsi qu’il a été embarqué dans un avion pour s’envoler vers un lieu inconnu. « Dans certains cas, l’homme était drogué et se rendait à peine ou pas du tout compte de son réel transfert par avion », précise le rapport.
Le rapport décrit le cas de Binyam Mohamed al Habashi, citoyen éthiopien et résidant au Royaume-Uni. Selon des lettres et des témoignages de première main émanant de sa famille et de son avocat, Al Habashi a été saisi au Pakistan et soumis à la torture alors qu’il était détenu au Maroc. Il a ensuite été transféré à Guantánamo.
Le premier ministre britannique, Tony Blair, a rejeté le rapport du CE en affirmant qu’il ne contenait « rien de nouveau » tout en défendant la pratique des « restitutions » comme étant parfaitement légale. La Grande-Bretagne a refusé de signer le nouveau traité interdisant cette pratique.
Deux procès actuellement en cours et concernant les activités d’agents de la CIA en Europe, et la collaboration de gouvernements européens, attirent une nouvelle fois l’attention sur la pratique illégale des « restitutions ».
Le 31 janvier, le Parquet de Munich a émis des mandats d’arrêt contre 13 agents présumés de la CIA qui sont accusés d’avoir enlevé et torturé un citoyen allemand, Khaled el-Masri. El-Masri, citoyen allemand d’origine libanaise, fut arrêté en décembre 2003 en Macédoine en tant que personne soupçonnée de terrorisme. Il fut illégalement transféré par des agents des services secrets américains en Afghanistan où il fut interrogé et torturé durant une période de quatre mois. Lorsqu’il apparut clairement que son arrestation était une erreur flagrante, el-Masri fut reconduit en pleine nuit par avion dans les Balkans et abandonné dans une forêt près de la frontière albanaise.
Une commission d’enquête parlementaire s’occupe également du dossier d’el-Masri en vue d’établir dans quelle mesure les autorités allemandes étaient informées ou en réalité impliquées dans l’enlèvement et la détention d’el-Masri.
La chancelière allemande, Angela Merkel, (Parti chrétien-démocrate) a immédiatement cherché à distancier le gouvernement allemand de ce dossier. L’Allemagne a également refusé de signer le nouveau traité interdisant la détention secrète.
En Italie, autre pays européen qui refuse de signer l’interdiction, le bureau du procureur général a délivré des mandats d’arrêt contre 26 nouveaux agents de la CIA qui étaient impliqués en 2003 dans l’enlèvement de l’imam Abou Omar.
Abou Omar avait été enlevé en plein jour à Milan et transporté dans une estafette à la base américaine d’Aviano en Italie. De là il fut ensuite transporté par avion à la base aérienne américaine de Ramstein en Allemagne pour finalement être emmené au Caire en Egypte où il fut jeté en prison et torturé. A ce jour, il reste détenu au Caire dans la tristement célèbre prison Torah et privé de tout procès.
L’ancien directeur des services secrets militaires italiens (SISMI) est menacé d’inculpation pour avoir aidé la CIA dans ses opérations de « restitutions ». L’un des principaux obstacles à la procédure judiciaire contre les agents de la CIA est le rôle joué par le premier ministre italien Romano Prodi qui a invoqué le secret d’Etat pour toute information importante liée à la coopération entre la CIA et le SISMI.
(Article original anglais paru le 9 février 2007)
Source : http://www.wsws.org/francais/News/2007/fevrier07/140207_restitutions.shtml

vendredi 5 janvier 2007

Dans l’affaire José Padilla, les écoutes téléphoniques donnent une vision plutôt opaque du « jihad »

Par Deborah Sontag, The New York Times, 4 janvier 2007


Jose Padilla Adham Hassoun

En 1997, alors que leurs téléphones étaient sur table d'écoute, Adham Hassoun, informaticien à Boward County en Floride, avait proposé une balade en voiture à José Padilla, un salarié à faibles revenus. L'excursion à Tampa serait son cadeau, lui disait M. Hassoun et une chance de rencontrer "quelques frères sympas."

Padilla, 36 ans, d'origine portoricaine et né à Brooklyn, s'était convertià l'Islam quelques années plus tôt et avait fait la connaissance dans la mosquée qu'il fréquentait de M. Hassoun, un Palestinien volubile.
"On embarque toute la famille pour s'éclater" disait Hassoun. "On va aux Busch Gardens, tu sais... Tu ne le regretteras pas. Ça vaut le coup."Tout en riant, Padilla suggéra de ne pas parler de ça au téléphone."Pourquoi" lui demanda Hassoun. "Nous allons au Busch Gardens. La belle a ffaire!"
Cette conversation avait eu lieu cinq ans avant que Padilla, un citoyen US accusé de préparer un attentat à la "bombe sale" contre son propre pays soit déclaré "combattant ennemi." Étant donné que Hassoun et Padilla sont aujourd'hui accusés dans une affaire de conspiration terroriste à Miami, elle peut sembler suspecte comme si Hassoun proposait quelque chose de bien moins anodin qu'un week-end dans un parc d'attractions. C'était peut-ëtre le cas - mais peut-être était-il en fait sincère ou plaisantait-il à propos d'une retraite pieuse.
Décrypter de tels dialogues en vue de bâtir un scénario convaincant de complot relève de la gageure. Pourtant l'accusation a annoncé que le gouvernement s'appuiera largement sur les conversations enregistrées pour le procès où il met en cause Padilla, Hassoun et un troisième accusé, Kifah Jayyousi, pour appartenance à la "cellule nord-américaine de soutien" qui envoyait de l'argent, du matériel et des recrues à l'étranger pour épauler le "djihad global".
"Des dizaines de milliers de conversations ont été enregistrées. Quelques 230 communications téléphoniques constituent le coeur du dossier de l'accusation, dont 21 qui font référence à M. Padilla, affirment les procureurs. Mais on n'entend la voix de Padilla que dans seulement sept d'entre elles. Et dans ces sept conversations dont le Times a obtenu une copie, M. Padilla ne discute jamais de projets d'attentats.
Mais c'est un autre Padilla - membre d'Al Qaïda et poseur de bombes potentiel - que John Ashcroft, alors attorney général (ministre de la Justice), avait présenté en 2002, interrompant un voyage à Moscou pour claironner sa capture. Pendant les quatre années et demie qui se sont écoulées depuis, alors que le gouvernement est allé jusqu'aux limites de son pouvoir à traiter le terrorisme en dehors du droit commun, Padilla est le seul inculpé pour terrorisme à être passé du statut d'ennemi combattant à celui d'accusé dans une affaire criminelle.

Son procès en assises qui doit débuter fin janvier, n'abordera aucune desa ccusations initiales de conspiration violente avec Al Qaïda que le gouvernement avait citées pour justifier la détention de Padilla sans inculpation pendant trois ans et demi. Les assertions du gouvernement reposaient sur des interrogatoires menés à l'étranger sur des suspects de terrorisme comme Abou Zoubaydah et corroborés partiellement, selon le gouvernement, par Padilla pendant son propre interrogatoire dans un cachot de l'armée en Caroline du Sud.
Mais la rigueur des règles fédérales d'administration de la preuve qui auraient interdit ou restreint le recours à des informations obtenues par de tels interrogatoires a contraint le gouvernement à présenter un dossier bien plus limité contre Padilla au tribunal, le faisant rétrograder du statut de poseur de bombes sales pour Al Qaïda à celui d'homme de troupe d'une conspiration plutôt nébuleuse.
L'accusation initiale de poseur de bombes sales n'a pas disparu. Elle a refait doucement surface à Guantanamo Bay pour être mise sur le dos par le gouvernement d'un supposé complice de Padilla, un détenu d'origine éthiopienne au moment même où l'acte d'accusation de Padilla en cour d'assises était sensiblement allégé.
Un changement de stratégie
Le changement de statut de Padilla, passé d'ennemi combattant à accusé dans une affaire criminelle, a été soudain. Il s'est produit fin 2005 lorsque la Cour Suprême, saisie pour évaluer la légalité de la détention militaire de Padilla, s'était faite prendre de vitesse par l'administration Bush qui avait décidé de présenter un dossier de type criminel. Dans un sens, ces poursuites [criminelles] étaient une manoeuvre juridique pour retirer à la Cour Suprême l'étude du problème de la détention sans inculpation.
Après l'avoir arrêté en mai 2002 à l'aéroport international O'Hare de Chicago, l'administration Bush avait fait un choix : placer Padilla en détention militaire pour faire échouer un attentat en préparation plutôt que de le faire filer en vue de rassembler des preuves qui auraient pu être utilisées pour des poursuites criminelles. Maintenant qu'en fin de compte Padilla se retrouve accusé dans une affairecriminelle, le dossier de l'accusation n'est plus le reflet fidèle de la manière dont l'administration Bush conçoit le personnage et ce qu'il a fait.
Des hauts fonctionnaires du gouvernement ont affirmé publiquement que M.Padilla avait donné lui-même pendant les interrogatoires, des informationsle mettant en cause, reconnaissant, disent-ils, avoir subi une formation terroriste de base, avoir accepté la mission de faire sauter des immeubles d'habitation aux USA et avoir assisté, avant de s'envoler pour Chicago en 2002, à un dîner d'adieu avec Khaled Sheikh Mohammed, le présumé maître d'oeuvre des attentats du 11 septembre.
Mais aucun des aveux de M. Padilla au cours de sa détention sans inculpation et sans accès à un avocat - qu'il ait ou non subi des mauvais traitements comme l'affirment ses défenseurs - ne saurait être accepté par un tribunal. Et il est peu probable que des informations obtenues au cours des interrogatoires brutaux des détenus d'Al Qaïda puissent non plus êtrea dmises - sans compter que le gouvernement n'est guère enclin à exposer des renseignements sensibles ni à attirer une attention soutenue sur ses prisons secrètes à l'étranger.
La conséquence probable en est que le dossier criminel en cours se concentre sur ce que le gouvernement considère comme la phase préliminaire de l'engagement terroriste de M. Padilla. Le dossier est d'abord centré sur le soutien apporté par les autres accusés à des causes islamiques à l'étranger dans les années 1990, particulièrement en Bosnie, au Kosovo et en Tchétchénie. Padilla, qui a été ajouté dans ces affaires préexistantes, dans lesquelles il n'était qu'un co-conspirateur jamais nommé, est décrit comme leur recrue.
Même si l'accusation refuse de parler de la stratégie du gouvernement, ses requêtes et ses déclarations devant la cour donnent la physionomie du dossier qu'on s'attend à voir présenté au procès. L'accusation la plus tangible contre Padilla est qu'en 2000 il a complété, sous un pseudonyme, un formulaire en langue arabe pour participer à un camp d'entraînement terroriste. On s'attend à ce que ce formulaire soit présenté comme pièce à conviction à côté des conversations enregistrées, mais les avocats de Padilla indiquent qu'ils contesteront sa validité et l'affirmation du gouvernement selon laquelle le "formulaire de candidature auprès des moudjahidine" appartient à leur client.
Robert Chesney, spécialiste du droit de la sécurité nationale à la Wake Forest University, décrit l'acte d'accusation comme pragmatique, analogue aux "poursuites contre Al Capone pour fraude fiscale."
Mais Deborah Pearlstein, juriste de l'organisation Human Rights First qui s'est concertée avec la défense de Padilla, explique qu'on ne pourra jamais parler de poursuites classiques et pragmatiques. "Peut-être si Jose Padilla avait été inculpé dès le premier jour puis jugé" a-t-elle expliqué. "Mais ici l'inculpation ne survient qu'après trois années et demie de la plus grave privation des droits de l'Homme observée dans ce pays depuis longtemps.
"En outre, constate Mme Pearlstein, le gouvernement s'est réservé l'option, en cas d'échec de l'accusation au procès, de renvoyer M. Padilla au cachot militaire. Ce qui, selon elle, "jette une ombre" sur les poursuites en cours.
La procédure militaire de l'administration Bush à l'encontre de Binyam Mohamed, le détenu éthiopien de Guantanamo, apportent un autre éclairage aux événements en cours. En décembre 2005, M. Mohamed avait été déféré devant la commission militaire de Guantanamo sur l'accusation d'avoir conspiré avec M. Padilla dans le plan de bombe sale. Ceci était passé presque inaperçu à l'époque. Mais les charges contre Padilla introuvables dans l'acte d'accusation dressé contre lui remplissent des pages du dossier d'accusation de M.Mohamed, où M. Padilla est cité nommément à plusieurs reprises.
Le dossier se réfère à la rencontre des deux hommes au Pakistan après le 11 septembre 2001, au cours de laquelle ils auraient étudié la fabrication d'une bombe sale artisanale, discuté avec des responsables d'Al Qaïda la faisabilité d'un attentat à la bombe sale et accepté la mission de faire sauter des immeubles.
Clive Stafford Smith, l'avocat de M. Mohamed, affirme que ces charges reposent sur des aveux extorqués à M. Mohamed qui a été torturé à l'étranger jusqu'à ce qu'il reconnaisse une histoire qu'on lui a mise dansl e crâne. "On a répété tout le temps à Binyam que son rôle était d'être unt émoin contre Padilla, Abou Zubaydah et Khaled Sheikh Mohammed" explique M.Stafford Smith qui ajoute que son client "n'a aucun souvenir d'avoir jamais rencontré" M. Padilla.
Les charges retenues contre M. Mohamed et d'autres prisonniers de Guantanamo qui allaient faire l'objet de poursuites là-bas ont été suspendues provisoirement suite à l'adoption en octobre par le Congrès de la loi sur les Commissions militaires. Ces charges vont probablement être rétablies, a déclaré hier un fonctionnaire du Pentagone. Le fait que M. Mohamed soit accusé d'un projet d'attentat à la bombe sale et pas M. Padilla résume la différence essentielle entre le fait d'être un terroriste suspect à Guantanamo et celui d'être accusé sur des charges criminelles en lien avec le terrorisme aux USA.
À Guantanamo, on considère que le système des Commissions militaires, qui a à connaître des suspects de terrorisme nés à l'étranger, autorisera, à quelques exceptions près, l'utilisation d'informations obtenues par la coercition."Les règles de fonctionnement des cours fédérales sont restrictives", explique le professeur Chesney de la faculté de droit de la Wake Forest University. "Ce qui les a fondamentalement motivés pour avoir ce système militaire distinct était de créer des règles d'utilisation del'information considérées comme fiables par les services de renseignements mais qui seraient sans valeur selon les règles fédérales d'administration de la preuve."
David Cole, professeur de droit à l'université de Georgetown et auteur de livres sur le terrorisme et les libertés civiques, voit la différence entre les deux systèmes d'une façon plus critique : "Ce que cela dit clairement est que, dans le système des commissions militaires, ils estiment pouvoir s'en tirer avec des preuves viciées qu'ils ne peuvent pas utiliser dans les juridictions criminelles".
L'affaire des écoutes téléphoniques
Le dossier criminel contre Padilla trouve son origine dans les poursuites contre Sheikh Omer Abdel Rahman, le religieux égyptien aveugle, qui avait été condamné en 1995 pour avoir fomenté des attentats contre l'ONU et d'autres sites à New-York. Au début des années 90, le téléphone de Sheikh Rahman avait été mis sur écoute et c'est ainsi que M. Hassoun et le Dr Jayyousi, un docteur en génie civil de nationalité US né en Jordanie, avaient attiré l'attention des autorités par des appels téléphoniques vers ou de cette ligne.
Le gouvernement a alors, en application du Foreign Intelligence SurveillanceAct (Loi sur la surveillance du renseignement étranger), commencé à les surveiller, ce qui a finalement amené aussi Padilla dans ses filets.Le gouvernement présente les trois accusés comme "bras dessus-brasdessous" selon l'expression d'un procureur lors d'une audition l'été dernier. Mais la juge Marcia G. Cooke du tribunal fédéral de district,constatant l'ajout de M. Padilla à une affaire déjà bien avancée, avait demandé à l'accusation : "S'ils sont bras dessus-bras dessous, pourquoi M.Padilla entre-t-il si tardivement dans la danse?"
Selon son avocat, William Swor, le Dr Jayyousi, ancien responsabled'établissements scolaires à Detroit et à Washington D.C., n'a jamaisrencontré M. Padilla. C'est M. Hassoun, avait déclaré le gouvernement, qui avait enrôlé M.Padilla. Mais M. Hassoun comme les avocats de M. Padilla démentent que M.Padilla ait été enrôlé.
Sept enregistrements d'appels téléphoniques
Le avocats de Padilla et ses proches disent qu'il a quitté le sud de laFloride pour l'Égypte en septembre 1998 dans un but spirituel. Ancien jeune délinquant, sa conversion à l'islam participait de ses efforts pour rentrer dans le droit chemin, expliquent-ils. Sa mosquée de Fort Lauderdale avait financé son voyage, avait-il dit à des amis, des proches et à des agents du FBI qui l'avaient interrogé en 2002.
M. Hassoun était membre de cette mosquée et les transcriptions d'appels téléphoniques semblent indiquer que M. Hassoun avait aidé M. Padilla au moins pour l'organisationde son voyage. Les sept enregistrements d'appels téléphoniques qui comportent la voix de M. Padilla concernent des conversations avec M, Hassoun entre 1997 et2000. Dans ces appels, M. Padilla, à la différence des autres accusés, n'emploiep as ce que le gouvernement appelle un langage codé.
Selon le gouvernement, les autres accusés évoquent leurs projets liés au djihad en parlant "de prendre un peu l'air," "de travailler dans le tourisme," "d'ouvrir unmarché," "de jouer au football," etc. Ce qui donne des échanges en apparence bénins où "les frères" discutent de "pique-niques" pour "aller respirer de l'air frais et manger du fromage" ou de dépenser 3500$ pour acheter des "courgettes."
Par contraste, les sept conversations de Padilla avec Hassoun vont du style direct - M. Hassoun dit à M. Padilla que sa grand-mère est morte; Padilla dit à Hassoun qu'il s'est trouvé une fiancée égyptienne de 18 ans qui accepte de porter le voile - au disours vague et suggestif ou simplement décousu. Au cours d'une conversation téléphonique, les deux hommes ont parlé d'un rêve. Selon ses proches, il s'agissait d'un rêve que M. Padilla cite comme ayant joué un rôle crucial dans sa décision de se convertir à l'Islam : lavision d'un homme coiffé d'un turban, cerné par la poussièretourbillonnante d'un désert.
Hassoun s'arrêta sur ce sujet et dit à Padilla que lui-même avait éprouvé la même vision. "Vous voulez dire que vous avez eu le même rêve?" demanda Padilla. "J'ai eu le rêve de euh... la personne avec le turban", lui dit Hassoun. Hassoun expliqua comment, dans son rêve, le turban était mal fixé, ce quil'avait amené à penser que l'homme pouvait être un espion auquel cas il était prêt "à le couper en deux." Mais alors, disait-il, il se rendit compte que "le frère... était du bon côté.""Ah oui?" dit Padilla.
Dans trois des sept conversations, M. Padilla a tenu des propos que le gouvernement a identifié comme étant "ouvertement des actes" préparatoires de la conspiration dont il est accusé. Dans la première, Hassoun demandait : "Tu es prêt, n'est-ce-pas?" et M.Padilla répondait, "Si Dieu veut, frère, ça va bientôt arriver." C'était en été 1997, un an avant que Padilla quitte la Floride du sud pourl'Égypte. Dans la deuxième, Padilla disait à Hassoun qu'il appelait d'Égypte, qu'il avait demandé à son ex-femme qui vit aux USA de faire en sorte qu'il reçoive une veste de l'armée, un sac à dos et un sac de couchage, matériel qu'il voulait parce que "le bruit courait ici que la porte était ouverte quelque part."
Dans la troisième, Padilla disait à Hassoun en avril 2000 qu'il aurait besoin d'une recommandation pour "me mettre en relation avecles bons frères, animés de la vraie foi" s'il devait se rendre au Yémen. L'accusation affirme que M. Padilla est mentionné, bien que sous son nom musulman Ibrahim ou sous un autre alias, sur 21 autres enregistrements. L'un d'entre eux parle d'Ibrahim comme étant dans "le secteur d'Oussama,"ce que le gouvernement comprend comme : « il était proche d'Oussama Ben Laden ».
Mais les avocats de Padilla contestent cette interprétation."Ça n'a tout simplement aucun sens, Votre Honneur, que ces hommes qui pendant des années, selon le gouvernement, ont communiqué en code, se mettent tout à coup à dire ouvertement le nom d'Oussama Ben Laden," a déclaré au tribunal l'avocat Michael Caruso.
M. Padilla a plaidé non coupable. Mais avant que son affaire soit présentée devant un jury, son aptitude à être jugé sera expertisée. Surles bases des affirmations des avocats de m. Padilla selon lesquelles la santé mentale de ce dernier est altérée en raison de son isolement prolongé et de ses interrogatoires au cachot, le juge Coke a ordonné uneexpertise psychiatrique que le service de médecine pénitentiaire doit terminer cette semaine.
Source : The New York Times
Traduit de l’anglais par BB et révisé par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
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lundi 1 janvier 2007

Enquête. Les Marocains de Guantanamo

Par Abdellatif El Azizi
Le 19 janvier 2007, la Cour d'Appel de Rabat jugera cinq ex-détenus marocains de Guantanamo, qui ont également fait un détour par le centre de détention de Témara. État des lieux, en attendant le verdict.“Passages à tabac, interrogatoires interminables, privations de nourriture, humiliations quotidiennes, Coran piétiné et souillé…”. Les témoignages des rescapés marocains de Guantanamo se suivent et se ressemblent. Dans le lot, certains ont recouvré leur liberté, d'autres ont troqué la combinaison orange du fameux camp contre un uniforme au coloris moins criard à la prison Zaki de Salé, alors qu'une dernière poignée se morfond dans l'attente d'un hypothétique retour au pays.
Au pays, justement, les familles des anciens et actuels détenus du camp américain se sont regroupées pour tenter de mobiliser “tous les moyens possibles pour obtenir leur libération”, selon les termes employés par la mère de Mohamed Soulaïmani, l'un des rescapés de Guantanamo, aujourd'hui incarcéré au pénitentier de Salé. Le tout via un comité, constitué par ceux qu'on appelle désormais les Marocains de Guantanamo.
Fondé par Brahim Benchekroun et Mohamed Mazouz, deux ex-prisonniers extradés en 2004 vers le Maroc, ledit comité compte mener des actions, au Maroc mais aussi à l'étranger, pour demander la libération des derniers “pensionnaires” des camps Delta et X-Ray… et leur offrir la possibilité de choisir un autre pays, au cas où ils ne voudraient pas rentrer au Maroc. Au programme : des manifestations devant les prisons, des sit-in et autres lettres de protestation.
“Nous sommes déterminés à nous battre pour libérer nos proches. Nous irons même jusqu'à entamer des poursuites judiciaires à l'encontre des autorités américaines”, s'enflamme Fatima Boujaâdiya, la soeur de Saïd Boujaâdiya, toujours détenu sur l'île cubaine.
Ce que les familles des détenus reprochent au gouvernement marocain ? Principalement d'avoir opté pour une position particulièrement passive vis-à-vis du sort des Marocains emprisonnés à Guantanamo Bay.
“Il est scandaleux qu'une vingtaine de Marocains aient transité par Guantanamo depuis 2001, sans que le gouvernement n'ait levé le petit doigt pour réclamer leur libération ou, à défaut, leur droit à être équitablement jugés”, s'indigne Abderrahim Mouhtade, le président de l'association “Annassir” et membre très actif du Comité pour la libération des Marocains de Guantanamo. D'autant plus qu'aucune charge ni preuve n'a été retenue contre l'intégralité des ex-détenus rapatriés au Maroc.
Quant à ceux qui sont encore “là-bas”, c'est toujours le silence radio. “Cela fait plus d'une année que nous n'avons plus de nouvelles de notre frère. La dernière lettre que nous lui avons envoyée, il y a trois mois, par l'intermédiaire du CICR, est restée sans réponse”, ajoute la sœur de Boujaâdiya.
Saïd Boujaâdiya avait quitté sa famille en 2001, trois mois avant les raids américains en Afghanistan. Ce jeune commerçant devait se rendre en Syrie pour tenter d'y installer un petit commerce. Sa mère, comme sa sœur, ne savent toujours pas comment ni pourquoi ce jeune homme, qui n'avait rien du fanatique admirateur de Ben Laden, s'était rendu en Afghanistan en compagnie de sa femme (Bouchra Benmoujane, la sœur d'un autre détenu à Guantanamo) et de ses trois enfants. “Il a été arrêté en Afghanistan avec son gendre Mohamed Benmoujane. Mais on ne l'a su que trois mois plus tard, quand sa femme et ses enfants ont pu rentrer au Maroc”, rapporte sa soeur.
Malgré son âge avancé, la mère de Saïd avait fait le déplacement jusqu'au centre de la DST, en août 2003, pour savoir si son fils faisait partie des ex-détenus livrés par les Américains aux services de renseignements marocains. Et si Saïd Boujaâdia n'a pas encore transité par Témara, ses compagnons d'infortune, qui ont été remis aux autorités marocaines, ont pratiquement tous fait le détour par le centre de détention.
“Nous avons quitté un enfer pour un autre”, diront certains d'entre eux.
Des enquêteurs marocains à Guantanamo ?
Le cas de Abdellah Tabarak et de Mohamed Mazouz est particulièrement édifiant. Les deux hommes avaient été remis aux autorités marocaines par le FBI en 2004. Après leur arrestation en 2001, ils ont séjourné, d'après leurs déclarations, dans plusieurs lieux de détention en Afghanistan, avant leur transfert à Guantanamo Bay. Les deux ex-détenus ont également affirmé que lors de leur séjour dans la base américaine, ils auraient été interrogés par des agents qui maîtrisaient parfaitement la darija.
À l'époque, les Américains eux-mêmes s'étaient félicités, par la voie de Donald Rumsfeld, de l'excellente coopération entre les services marocains et leurs homologues américains. L'un des avocats des détenus, Mohamed Hilal, avait confié alors à la presse que “ses clients lui avaient confirmé avoir refusé des propositions américaines de travailler pour la CIA sous couvert de statuts de réfugiés politiques aux Pays-Bas ou en Autriche. Et c'est après leur refus qu'ils ont été livrés aux autorités marocaines”.
Abdallah Tabarak était notamment soupçonné d'avoir été l'un des gardes du corps d'Oussama Ben Laden. C'est le Washington Post qui avait avancé que “Tabarak aurait trompé les forces américaines en utilisant le téléphone cellulaire de Ben Laden, qui s'était enfui dans une direction opposée lors du siège de Tora Bora en 2001”.
“Les liens personnels de Tabarak avec Ben Laden semblent plausibles. Il a lui-même reconnu lors de sa détention à Guantanamo Bay qu'il connaissait le chef d'Al Qaïda. Mais il est difficile de croire que cet homme chétif, père de huit enfants, ait été le garde du corps de Ben Laden”, nous a confié une source sécuritaire marocaine.
Pour sa part, l'ancien receveur des transports publics à Casablanca affirme qu'il avait simplement voyagé en Arabie Saoudite, au Soudan, au Pakistan, avant de s'établir en Afghanistan où il a donné des cours de théologie islamique.Une fois au Maroc, Tabarak avait été remis en liberté provisoire, le 20 décembre 2004, avant d'être arrêté une nouvelle fois, fin 2005, pour ses relations avec la cellule terroriste de Mohamed Rha, un Belge d'origine marocaine accusé de recruter des jihadistes pour l'Irak.
Depuis, le procès de ces Marocains, ex-détenus à Guantanamo, a connu plusieurs reports, pour être finalement ajourné, le 8 décembre dernier, au 19 janvier 2007 par la Cour d'Appel de Rabat. Les deux accusés sont poursuivis pour “appartenance à une bande criminelle, non-dénonciation de crimes d'atteinte à la sûreté de l'Etat, soutien à un groupe criminel à travers le transfert de fonds remis à des Marocains formant une bande criminelle pour porter atteinte aux intérêts marocains et participation à la falsification de passeports”.
Une question sensible
Cela dit, ce n'est que tout récemment que les identités et les nationalités des détenus, arrêtés par centaines en Afghanistan en 2001, ont été rendues publiques par le Pentagone. Parmi eux, se trouvent quelques Marocains toujours emprisonnés à Guantanamo. Il s'agit de Younès Chekkouri, originaire de Safi, de Abdellatif Nasser et Ahmed Rachdi, de Béni Mellal et du Casablancais Tarik Dergoul. Ceci sans compter un certain nombre d'inconnus dont les familles n'ont pas osé réclamer le dossier… de peur de subir la suspicion et la répression policières.
En outre, la nouvelle liste publiée par les services du Pentagone n'inclut pas les noms de prisonniers dits “fantômes”, ceux qui n'ont pas de droits légaux ni d'accès à un avocat, et qui, surtout, ne sont même pas enregistrés ou connus par le Comité International de la Croix-Rouge.
Selon l'ONG américaine Human Rights Watch, des prisonniers qui pourraient bien être des ressortissants marocains, comme Khalid Eljaziri, font partie de cette liste confidentielle.
Aujourd'hui, et si on se fie à une récente édition du quotidien New York Times, les autorités américaines voudraient bien réduire le nombre de prisonniers détenus dans la base sise sur le territoire cubain. Mais le transfert de ces prisonniers vers leurs pays d'origine constitue un véritable casse-tête chinois. La peur qu'ont les islamistes d'être remis à la police de leur pays pousse certains à mentir sur leur nationalité, voire à simuler la folie.
Derniers à rentrer au pays, Mohamed Slimani Alami, Mohamed Ouali et Najib Houssani avaient été remis en février 2006 aux autorités marocaines, à l'occasion de la visite au royaume du directeur du FBI, Robert Muller. Le mois d'octobre 2006 a également été marqué par le retour à Rabat de Mohamed Ben Moujane et de Lahcen Aksirine, deux autres “guantanaméens”, libérés en compagnie de quinze ressortissants afghans.
En attendant, la coalition gouvernementale formée par l'USFP, l'Istiqlal et autres RNI préfère oublier jusqu'à l'existence des Marocains de Guantanamo, histoire de ne pas trop s'aventurer sur les plates-bandes des sécuritaires.
Seul le PJD semble se préoccuper, par le biais de ses députés et très probablement dans une optique électorale, du sort des ressortissants marocains, toujours embastillés dans le camp américain.
L'émoi provoqué par les questions de Abdelilah Benkirane au sein de la coupole parlementaire, la semaine dernière, montre néanmoins à quel point la question reste d'une extrême sensibilité. À suivre...
Guantanamo Bay. Le camp de la honte
Les rescapés de Guantanamo n'oublieront jamais ces enceintes métalliques grillagées recouvertes de nylon vert et surmontées de barbelés électrifiés. “Dès que vous mettez les pieds dans ce camp, c'est la descente aux enfers”, se rappelle Lahcen Aksirine, l'un des anciens détenus. D'après les témoignages de plusieurs rescapés de Guantanamo, les conditions de détention sont effroyables. “Nous étions dans des cellules individuelles d'à peine deux mètres sur deux et demi. Certaines cellules restaient éclairées toute la nuit et il suffisait de lever les yeux vers le ciel pour croiser le regard de gardiens, postés sur des miradors. Même pour prendre la douche de cinq minutes, autorisée trois fois par semaine, nous devions garder les menottes et les chaînes aux pieds. J'ai vu de nombreuses personnes que l'on croyait solides s'effondrer et tenter de se suicider”, raconte Brahim Benchekroun, un autre Marocain revenu de l'enfer. Selon le capitaine John Edmondson, le chirurgien qui dirige l'hôpital du camp et qui s'est confié à la presse américaine, “un détenu sur six est suivi pour des troubles psychologiques, essentiellement des dépressions. Vingt-cinq d'entre eux sont sous traitements psychiatriques. D'autres sont régulièrement en grève de la faim de façon intermittente. Les conditions sont telles que le camp a enregistré 32 tentatives de suicide, effectuées par 21 détenus”.
Côté Maroc. Témara, le passage obligé
Aussi bien Abdallah Tabarak que Yacine Chekkouri, Brahim Benchekroun ou encore Mohamed Mazouz, pour ne citer que ceux-là, tous le crient haut et fort : remis aux autorités marocaines en août 2004, ils ont fait un passage obligé par le tristement célèbre centre de détention de Témara. Ce fut aussi le cas du Britannique d'origine éthiopienne, Binyam Mohamed Al Habashi, soupçonné d'être un lieutenant de Ben Laden, arrêté en avril 2002 à Karachi, avant d'être transféré en juillet 2002 à Rabat. Les horreurs qu'il dit avoir subies au centre de la DST ont donné matière à de nombreux articles dans la presse européenne. Par la suite, de nombreuses enquêtes menées par des ONG internationales, dont Amnesty International, allaient déboucher sur des rapports détaillant la mise en place de structures grillagées identiques à celles de Guantanamo, construites à Témara sous le regard bienveillant des experts américains de la CIA. Étroits, obscurs et insonorisés, les cachots individuels ont régulièrement accueilli les détenus en provenance de Guantanamo. “Même la nourriture semble provenir de Guantanamo. C'était ce même pâté, insipide et inodore, fourni dans des boîtes en plastique bien particulières”, se rappelle l'un des ex-pensionnaires de Témara.