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samedi 9 juin 2007

Le 2ème rapport de Dick Marty sur les détentions secrètes et les transferts illégaux de détenus par la CIA rendu public

Détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : Le 2e rapport de Dick Marty à la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est en ligne. Cliquer sur http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2007/FMarty_20070608_NoEmbargo.pdf

Consulter le dossier du quotidien Le Temps sur La Suisse et les prisons de la CIA

vendredi 8 juin 2007

Sale temps pour la CIA

L'ambiance est à la déprime à Langley, Virginie, au siège de la Central Intelligence Agency, à la veille de ce deuxième week-end de juin, où on suit avec effarement les nouvelles en provenance de la vieille Europe.
À Milan, commence en effet aujourd'hui le procès - en contumace, malheureusement - des 26 agents de la CIA impliqués dans l'enlèvement de l'imam égyptien Abou Omar, ensuite livré aux services égyptiens, qui le torturèrent pour lui faire avouer on ne sait quoi. Une première que ce procès. Car la CIA a l'habitude d'être impunie pour ses agissements ou bien d'être présente dans les procès, mais du bon côté de la barre.

À Paris, le Suisse Dick Marty, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), doit présenter aujourd'hui son deuxième rapport sur les “Allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques de détenus concernant les Etats membres du Conseil de l’Europe” à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée.
La réunion n’est pas ouverte à la presse mais, si le rapport est approuvé par la commission, il sera rendu public à cette occasion. En outre, M. Marty tiendra une conférence de presse à 14h.
M. Marty commente ainsi le projet : “ Mon premier rapport portait essentiellement sur les transferts illégaux de détenus entre États et les restitutions extraordinaires. Ce deuxième rapport concernera surtout l’autre partie de mon mandat : les détentions secrètes.”
S’il est approuvé, le rapport sera débattu par l’Assemblée (qui compte 318 parlementaires des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe), le mercredi 27 juin 2007, lors de sa session plénière de juin à Strasbourg.

Et pendant ce temps , la CIA est aussi sur la sellette aux USA mêmes, pour une autre affaire : les agents de l'ATF, une des agences concurrentes du FBI et de la CIA, a arrêté le 4 juin dix hommes accusés de préparer une vaste opération de terrorisme et de déstabilisation au Laos. le principal suspect est l'ancien général Vang Pao, vieux cheval de retour, qui dirigea l'Armée clandestine hmong dans les années 60 et 70, sous les ordres de la CIA, qui acheminait l'opium produit par les troupes de Vang Pao ver sles laboratoires de Thaïlande et de Birmanie d'où, transformée en héroïne, la denrée précieuse était ensuite livrée aux troupes US au Vietnam. Selon les enquêteurs, Vang Pao préparait une opération du style 11 septembre au Laos, comme élément déclencheur de sa prise de pouvoir. Le Pentagone et le CIA étaient apparemment dans le coup. Alors, y aurait-t-il une cage de libre pour accueillir Vang Pao à guantánamo ?
Lire à ce sujet
http://azls.blogspot.com/2007/06/un-complot-assist-par-la-cia-contre-le.html

mardi 5 juin 2007

René van der Linden : "Le chaos juridique de Guantánamo compromet la lutte contre le terrorisme"

« Après plus de cinq ans, les autorités américaines n’ont toujours pas rendu un semblant de décision de justice à l’égard des terroristes présumés détenus à Guantánamo », a déclaré aujourd’hui René van der Linden, Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), au sujet d’une décision du tribunal militaire américain indiquant qu’il n’avait pas compétence pour juger les détenus.
« La loi sur les commissions militaires vient de s’avérer tout aussi inefficace que le système qu’elle a remplacé », a poursuivi le Président van der Linden. « En cherchant à exclure les garanties juridiques prévues par la Constitution américaine et le droit international, le Gouvernement des Etats-Unis fait fi de la justice et compromet du même coup la lutte contre le terrorisme ».
« Par conséquent je salue la courageuse position fondée sur les principes adoptée par les juges militaires et les avocats de la défense, qui montre que le respect de la primauté du droit et l’attachement à la Constitution continuent à exister aux Etats-Unis ».
« Ce nouvel échec devrait donner aux autorités américaines une occasion de réfléchir à leur ’guerre contre le terrorisme’. Il faut immédiatement fermer Guantánamo et libérer les détenus ou les traduire sans délai devant un tribunal dûment constitué. J’attends également avec impatience le deuxième rapport de M. Marty sur les détentions secrètes et les transferts interétatiques illégaux de détenus, que notre Commission des questions juridiques et des droits de l’homme devrait adopter vendredi prochain ».

jeudi 19 avril 2007

Suisse : En publiant le « fax égyptien », les journalistes de Sonntagsblick n’ont pas violé de secret militaire


De gauche à droite Beat Jost, Christoph Grenacher et Sandro Brotz. Photo Michele Limina, Sonntagsblick

Christoph Grenacher, ancien rédacteur en chef, Sandro Brotz, reporter et Beat Jost, rédacteur du quotidien de langue allemande Sonntagsblick ont été acquittés mardi 17 avril par le tribunal militaire de Saint-Gall, devant lequel ils comparaissaient pour « violation du secret militaire », charge pour laquelle ils risquaient cinq ans de prison. Les journalistes recevront des indemnités de 20 000 Francs suisses. Il leur était reproché d’avoir rendu public en janvier 2006 un fax du ministère des Affaires étrangères égyptien, intercepté par les services de renseignement suisses, et faisant état de prisons secrètes de la CIA.La justice militaire suisse a donc donné raison à Christoph Gerlacher, qui écrivait dans son éditorial du 9 janvier 2006 : « Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants. Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs. »Voici les articles qui ont valu aux journalistes d’être traités comme des espions.

Les révélations de Sonntagsblick (janvier 2006)
Sommaire
Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve ! Les écoutes téléphoniques - Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien Ceux qui se taisent - La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures Les conséquences - Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative Les Enquêteurs - Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Petit glossaire des sigles utilisés
Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Nous autres les gardiens, par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick
Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »

Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve !
par Sandro Brotz et Beat Jost, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
C’est la première preuve: Les Américains possèdent des prisons secrètes pratiquant la torture en Europe. Ceci peut être conclu d’un échange de télécopies entre le Ministre des Affaires étrangères égyptien et son ambassade à Londres. Le fax a été intercepté par les services secrets suisses et a été obtenu par le Sonntagsblick.
Les écoutes téléphoniques
Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien - Au milieu de la nuit une histoire sombre est éclairée par un premier rayon de lumière.
On est le 15 novembre 2005 juste avant une heure est demi du matin. La centrale des écoutes du Ministère de la Défense suisse (DDPS ) à Zimmerwald, à quelques kilomètres au sud de Berne, surveille comme d’habitude tout en respectant les règles. Le système satellite des écoutes Onyx tourne aussi à plein régime cette nuit-là. L’opérateur des services secrets avec le nom abrégé wbm rédige le rapport « Report COMINT SAT » qui porte le numéro d’ordre S160018TER00000115.Wbm sait-il quel message explosif destiné à ses chefs de la Base d’aide au commandement de l’armée (FUB) il est en train de transcrire en français ? Le message avait été intercepté dans l’espace et retransmis par un satellite à la terre cinq jours auparavant : le 10 novembre à 20h24. C’est un échange de télécopie entre le Ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit (63 ans) au Caire et son ambassadeur à Londres. Les agents suisses titrent le message « Les Égyptiens disposent de sources qui confirment l’existence de prisons secrètes américaines ». Selon le rapport des services secrets suisses, les Égyptiens disent mot à mot: « L’ambassade a appris de ses propres sources qu’en effet 23 citoyens irakiens et afghans ont été interrogés sur la base Mihail Kogalniceanu près de la ville de Constanza au bord de la Mer Noire (en Roumanie – remarque de l’éditeur). De tels centres d’interrogatoires existent en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie. »
En outre, ils rapportent que selon un article de presse, l’organisation des droits de l’Homme Human Rights Watch dispose de preuves pour des transports de « prisonniers le 21 et 22 septembre qui ont été transférés par des avions militaires américains de la base Salt Pit (mine de sel) à Kaboul à la base polonaise Szymany et à la base roumaine mentionnée ci-dessus ». Les Égyptiens écrivent explicitement : « Malgré tous les faits précités, les responsables roumains continuent à nier l’existence de prisons secrètes dans lesquelles les services secrets américains interrogent des membres d’Al Qaïda. Le porte-parole de la délégation européenne a accueilli positivement le démenti officiel des Roumains ».
La sensation
Pour la première fois un État confirme qu’il était au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe La force explosive du fax du Ministre des Affaires étrangères égyptien est difficilement égalable: Un État est au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA sur le territoire européen. Cette information n’est pas basée sur des Open Sources, des sources officiellement accessibles, comme des articles de presse ou des rapports d’organisations non gouvernementales comme Human Rights Watch. Dans le cas présent le fax mentionne qu’il s’agit de « propres sources ». Le travail des services secrets égyptiens est estimé comme étant « extrêmement professionnel » par des experts qui souhaitent garder l’anonymat. Dans le milieu des services secrets, les informations provenant des services des renseignements du Caire sont en général considérées comme étant « absolument fiables et crédibles ».
L’ambassadeur égyptien à Berne n’a pas souhaité s’exprimer face à SonntagsBlick par rapport à cet échange de télécopies. La rédaction n’a pas cédé à son souhait d’obtenir le document. Il n’a pas non plus souhaité répondre à la question de savoir s’il contestait l’authenticité du document.
Les sources égyptiennes ont confirmé ce que le monde entier ne pouvait jusque-là que soupçonner : au nom de la lutte contre le terrorisme, les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers. « Nous n’avons utilisé ni les aéroports ni l’espace aérien en Europe pour transporter des personnes à des endroits afin de les torturer là-bas », affirmait la Ministre des Affaires Etrangères américaine Condoleezza Rice (51 ans) il y a environ un mois à l’occasion de la rencontre des Ministres des Affaires Etrangères de l’OTAN à Bruxelles. Mais elle a omis de confirmer que ces prisons et ces transports n’existent pas.
Ceux qui se taisent
La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures
Une explication est maintenant également désespérément recherchée au Bundeshaus (Palais fédéral) depuis que SonntagsBlick a confronté mercredi les responsables de l’armée avec des questions concernant leur propre rapport d’espionnage. Comment se fait-il que les services secrets de l’armée espionnent un État ami ? Est-ce qu’on a informé le Ministre de la Défense Samuel Schmid (59 ans), la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey (60 ans) et le Ministre de la Justice Christoph Blocher (65 ans) du contenu important du message ? Est-ce qu’on a informé la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales (DélCdG)? Est-ce qu’on a transmis le document aux services secrets américains ou à d’autres États comme on le fait d’habitude avec des messages obtenus à l’aide d’Onyx ? 48 heures passent jusqu’à ce que le chef de l’armée Christophe Keckeis (60 ans) réagisse.
Le commandant du corps refuse catégoriquement de répondre aux questions du SonntagsBlick mais la DélCdG sera informée de façon détaillée. Le président de la DélCdG, Conseiller des États SVP Hans Hofmann (66 ans, Zurich), déclare vendredi après-midi suite à notre demande qu’il n’avait pas eu connaissance de ce dossier délicat. Parallèlement, Hofmann désigne la révélation spontanément comme une « indiscrétion incroyable ».
Silence radio également du côté de Autorité de contrôle indépendante (ACI) chargé de la surveillance de l’espionnage radio. Ses membres, trois hauts fonctionnaires des Ministères de la Défense, de la Justice et des Transports, doivent examiner, selon le règlement, tous les ordres de surveillances des télécommunications. Si l’organisme de contrôle juge la légitimité de l’ordre comme étant insuffisante, il peut demander l’arrêt de l’ordre auprès des Conseillers Fédéraux chargés des services de renseignement, à savoir Samuel Schmid (DDPS) ou Christoph Blocher (département de justice et police, DFJP).
Est-ce qu’on a également examiné l’ordre de surveillance concernant l’Égypte et peut-être même demandé son arrêt ? Le président de l’ACI , le professeur Luzius Mader, vice-directeur de l’agence fédérale de la justice refuse de répondre aux questions : « C’est le DDPS qui est chargé de l’information du public concernant les activités de l’ACI ». Mais là-bas on nous dit également : « no comment ». Le porte-parole de Schmid, Jean-Blaise Defago : « Le DDPS ne souhaite pas répondre aux questions ».
Les conséquences
Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative
Excitation, nervosité, dissimulation : L’excitation à Berne est compréhensible. Au maximum trois ou quatre personnes sont habilitées à lire les originaux des rapports d’écoute. Les messages importants sont transformés en rapports secrets, dont les sources sont systématiquement cachées et dissimulées.« C’est une catastrophe que le dossier autour du fax égyptien ait été rendu public » dit un initié des services secrets de haut rang. « Moi, j’aurais transmis le message directement au Président de la République de l’époque, Samuel Schmid, qui est en tant que président du DDPS le président du Comité de Sécurité des Conseillers fédéraux.Si et quand Schmid a informé ses deux collègues du Conseil fédéral au sein de la Délégation à la Sécurité (SiA) est préservé comme un secret d’État . Le DDPS se tait, Le Ministère des Affaires Etrangères Calmy-Rey ne commente pas cette affaire et le Ministre de la Justice de Christoph Blocher fait également blocage. Le porte-parole du DFJP Sascha Hardegger : « Nous ne souhaitons pas prendre position par rapport à ce dossier ».Le porte-parole du DDPS Defago ajoute que le Conseiller fédéral Schmid allait sûrement lancer une enquête administrative afin de constater comment une telle indiscrétion a pu être commise et comment un rapport secret a pu parvenir au public.
Les enquêteurs
Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Est-ce qu’un journal a le droit de publier des documents secrets concernant de potentielles prisons de la CIA ? « Bien évidemment il a le droit, c’est un sujet d’intérêt public » dit Manfred Nowak (55), rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. « C’est un scoop », dit Dick Marty (61), agent spécial du Conseil de l’Europe chargé du dossier CIA et conseiller municipal du parti libéral de langue allemande FDP. Sous réserve qu’il ne pouvait pas confirmer l’authenticité du document il dit clairement : « Il s’agit là d’un indice supplémentaire qui confirme notre soupçon ». La vérité se dévoilait maintenant « petit à petit ». L’ancien persécuteur de la mafia Marty qui examine depuis deux mois le dossier de la CIA demande au gouvernement de « dire enfin la vérité dans cette affaire ».
Petit glossaire des sigles utilisés
COMINT (Communications Intelligence) : Ecoute électronique, évaluation et radio-transmission.
SAP ce Service d'analyse et de prévention au sein du département de justice et police est chargé de la protection de l’État et de la sécurité intérieure. Sont concernés par ce service entre autres : terrorisme, extremisme violent, services des renseignements interdits.
FUB Base d’aide au commandement de l’armée. Le domaine phare de la FUB est la guerre électronique, c’est à dire l’utilisation de systèmes militaires de surveillance de la communication sans fil, de la détermination de ses sources et, le cas échéant, son brouillage. Ceci comprend également l’espionnage de signaux provenant de systèmes étrangers de télécommunication.
SRFA Service de renseignement des Forces aériennes qui procure les renseignements secrets nécessaires pour les actions militaires de l’armée de l’air.
SRM Service de renseignement militaire : travaille pour l’armée et est sous les ordres du chef du grand État- major de l’armée.
ONYX Depuis cinq ans le DDPS exploite à partir de Zimmerwald (Berne) et via les stations de satellite Leuk (Valais) et Heimenschwand (Berne) le système d’écoute sophistiqué Onyx à l’aide duquel tous les conversations téléphoniques, les emails et télécopies envoyés via satellite peuvent être interceptés. Parmi les clients d’Onyx se trouvent les services secrets militaires SRS et SRFA ainsi que le service secret intérieur SAP.
SiA La délégation responsable des questions de sécurité du Conseil fédéral. Le Ministre de la Défense Samuel Schmid (Président), le Ministre de la Justice et la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey font actuellement partie de ce collège.
SRS Service des renseignements stratégique du Ministère de la Défense.
ACI Autorité de contrôle indépendante pour la surveillance des renseignements radio. Elle surveille aussi la légitimité de tous les ordres de surveillance radio.

Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Lorsque la CIA pourchasse des terroristes, notre pays est aussi concerné, peut importe s’il s’agit de jets des services secrets qui traversent l’espace aérien suisse ou si des agents abusent de la Suisse en tant que refuge. La justice et le parlement à Berne sont en état d’alerte. Plus de 70 fois les avions des services secrets pour l’étranger américains CIA ont survolé la Suisse au cours des quatre dernières années. Il existe des indications selon lesquelles il y avait des détenus à bord d’une partie des vols qui avaient été kidnappés et transféré par la CIA vers des prisons de torture secrètes.
Le procureur de l’État a commencé son enquête car les autorités à Berne n’avaient pas été informés de ces traversées et la souveraineté de la Suisse a ainsi été violée. Parmi ces cas se trouve aussi celui de l’imam égyptien Abu Omar (45) qui a été kidnappé par la CIA le 17 février 2003 à Milan en Italie, qui a été transféré via l’espace aérien suisse en Allemagne et puis transporté en toute illégalité au Caire. Le chef du commando responsable, Rober Seldon Lady (52 ans) et au moins deux autres agents se sont rencontrés après l’enlèvement dans un hôtel à Zurich pour un briefing.Quatre de ces avions de la CIA ont même attéri à Genève. C’est pour cette raison que la Suisse demande à savoir maintenant qui se trouvait alors à bord. La Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey est intervenue en décembre auprès de l’ambassade US à Bern et a demandé des réponses. Cette demande est restée jusqu’à présent sans réponse.Au total, ce sont trois interpellations et demandes de la part de membres du parlement qui sont en cours au Palais fédéral concernant le dossier CIA. Et les Conseillers Nationaux SP Boris Banga (SO) et Josef Lang des Verts (ZG) souhaitent savoir entre autres si la Suisse était au courant de prisons secrètes de la CIA en Europe. Maintenant c’est affirmatif, la Suisse a bien été informée, c’est du moins de que démontre le fax égyptien intercepté par la Suisse.
Mais le Conseil fédéral n’a toujours pas donné une réponse officielle aux membres du parlement et à la population suisse.
Nous autres les gardiens
par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Bonjour la Suisse. Aujourd’hui on est dimanche. Et la nation a un nouveau problème. Le problème c’est que nos services secrets écoutent. Les espions ouvrent même les oreilles là où ils ne devraient pas le faire. Ils ne surveillent pas seulement ce que les méchants planifient en Suisse ou à l’encontre de notre pays.Un fonctionnaire zélé intercepte un message à contenu explosif : Le Ministre des Affaires étrangères égyptien confirme expressément à son ambassade par fax l’existence de prisons secrètes américaines en Europe pour y détenir des sympathisants d’Al Qaïda. Cet écrit est comme de la dynamite. Pour la première fois il y a un pays qui dit : Oui, c’est vrai. Les prisons secrètes de la CIA existent. Même si tous les États ont jusqu’à maintenant démenti, les Américains ça va de soi, mais aussi les Européens.Le fax que l’agent à Berne a détecté parmi toutes les données a été classifié secret par les autorités suisses ce qui signifie : Si SonntagsBlick en parle, ceci pourra entraîner des suites légales. Il s’agit de trahison d’un secret ou bien de trahison nationale. Néanmoins nous publions l’histoire de façon transparente, détaillée et ouverte.Lorsque nous avons pris connaissance de l’existence du document, je le savais tout de suite : si d’autres pays réalisent que la Suisse surveille leur courrier ça va causer des problèmes. Les Égyptiens vont faire opposition et protester. Les Américains seront fous furieux. Les pays mentionnés dans le fax des Égyptiens ne vont pas nous embrasser de gratitude ; les services secrets amis vont fermer leurs canaux de fréquences vers la Suisse. Lorsque nous avons été sûrs que le document était authentique, ma décision était prise : Nous allons rendre public les informations secrètes. Sans foi ni loi.Et nous le faisons par amour de la vérité. Et nous devons la vérité aussi à l’opinion publique, à nos lecteurs que nous souhaitons informer complètement. Et dans notre travail nous mettons les droits à la liberté des hommes et la dignité humaine des individus au-dessus des intérêts d’un seul État. Le pays a le droit de connaître la vérité. Nous faisons également appel à la liberté de la presse. Le fait de ne pas divulguer une action contre le droit des peuples commise par les autorités suisses ne rendra pas le monde plus paisible. Le fait d’occulter une information ne correspond pas aux traditions démocratiques et surtout pas lorsqu’une rumeur s’avère être un fait.
Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants.Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs.

Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
par Alexander Sautter et Sandro Brotz, Sonntagsblick, 18 décembre 2005
La CIA ne l’avouera jamais mais tout l’indique pourtant: elle espionne bien le Suisse Dick Marty (60 ans) qui poursuit les tortionnaires.
Dick Marty est cet homme qui sera redouté par les services secrets les plus puissants au monde. La mission du Conseiller des États FDP du Tessin: L’ex-persécuteur de la mafia a été chargé par le Conseil de l’Europe à Strasbourg en France de prouver ce que le monde entier ne faisait que soupçonner jusque là. Les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers au cours de leur guerre contre le terrorisme mondial. Dans ces camps secrets vers lesquels les poursuivants de la CIA transfèrent les terroristes présumés on pratique aussi la torture. « Je ne mets pas la guerre contre le terrorisme en question », dit Marty « mais il faut qu’elle soit menée par des moyens d’un État de droit ». Selon lui, la torture « n’est pas efficace et elle est contre-productive ». Maintenant la CIA a le chasseur suisse dans le collimateur.
« Je ne serais pas étonné si j’étais sur écoutes » dit Marty à l’occasion de la session d’hiver à Berne au SonntagsBlick. Il présume que la CIA va essayer « d’apprendre de quelles informations je dispose ». Et Marty ajoute : « Ils pourraient aussi essayer de me discréditer ».
Le chasseur devient alors le chassé. Les experts des services secrets sont unanimes : La grande pose d’écoutes de la CIA à Marty a déjà commencé. « Les Américains vont à 100% essayer de savoir ce que Monsieur Marty sait », dit Erich Schmidt-Eenboom (53 ans), dirigeant de l’institut pour la politique de la paix à Weilheim en Allemagne.L’expert renommé des services secrets est convaincu que les services secrets américains « vont tenter cela par tous les moyens électroniques ». Un fonctionnaire de haut rang des services secrets suisses qui souhaite garder l’anonymat soutient ces informations. « La CIA voudra surtout savoir qui sont les sources de Marty », dit-il. Pour l’agent spécial suisse ceci comprend notamment que :- toutes les conversations qu’il mène avec son portable Samsung sont écoutés ; - chaque email sur son ordinateur portable Macintosh atterrit chez la CIA ; - chaque fax envoyé par lui ou qui lui est adressé est intercepté par les fouineurs américains. Trois cas rendus publics du passé récent prouvent qu’il ne s’agit pas de chimères :
- A Genève la CIA a mis sur écoute une délégation d’économistes japonais qui se préparait à des entretiens avec les Américains ;
- En Iraq, des agents ont infiltré un groupe de contrôleurs américains de désarmement. Les inspecteurs se sentaient alors abusés à des fins d’espionnage.
- A New York, les services secrets ont mis sur écoute des membres du Conseil de Sécurité afin de connaître leur attitude envers la guerre projetée en Iraq.
A toutes ces occasions l’Agence Nationale de Sécurité (National Security Agency (NSA)) a employé sur demande de la CIA des moyens techniques très sophistiqués. Au quartier général de la CIA à Langley en Virginie on ne souhaite commenter ni la mission de Marty ni son espionnage. « Et nous n’allons pas non plus émettre un commentaire à l’avenir » dit une porte-parole.Malgré cet adversaire puissant l’ex-procureur poursuit son enquête : « Vous allez peut-être me trouver naïf », dit Marty, « mais je me suis mis au service d’une bonne cause et ça, c’est la meilleure protection ».
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
En 1995 le Président américain Bill Clinton donne un nouvel ordre à la CIA : Désormais les services secrets doivent traquer des terroristes islamistes présumés partout dans le monde entier, les arrêter et les transmettre à la justice dans leurs pays d’origine. La Maison Blanche accepte des interrogatoires avec torture qui peuvent parfois entraîner la mort.
epuis les attaques du 11 septembre 2001 George W. Bush a ordonné autre chose. Désormais, les terroristes présumés sont détenus dans des services secrets de la CIA. Le Vice-Président Dick Cheney défend la pratique de la torture décrite comme « des méthodes innovantes d’interrogatoire » dans ces camps et il continue à le faire lorsque les protestations internationales deviennent de plus en plus nombreuses.
Les Européens ont surtout été interpellés par des articles de presse parlant des transports secrets de la CIA de détenus et des prisons secrètes de ces services secrets en Europe de l’Est.Aujourd’hui il y a des preuves pour des centaines de vols des services secrets à travers l’espace aérien européen au cours des deux dernières années. La seule Suisse a constaté plus de 70 vols et quatre atterrissages à Genève depuis 2003.Deux parmi ces vols servaient à transférer sans disposer d’un jugement d’extradition le prêcheur de haine (sic!) égyptien Abou Omar qui a été enlevé le 17 février 2003 à Milan par un commando de la CIA et livré entre les mains de la justice militaire au Caire (NDLR Quibla : c’est faux ! Il n’a jamais été présenté à la justice). Le 7 novembre le Conseil de l’Europe a chargé le procureur Suisse Dick Marty d’enquêter sur les reproches faites à la CIA.

Les vols internationaux de la torture
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »
par Henry Habegger, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
Berne – Le document égyptien représente « un indice supplémentaire pour des prisons secrètes » pour le Conseiller des États FDP Dick Marty (61) qui enquête pour le Conseil de l’Europe dans le dossier de la CIA. Pourtant il se pose la question de savoir pourquoi le document a été justement découvert par la Suisse.
BLICK : Que pensez-vous du fax égyptien ?
DICK MARTY : Je ne peux pas juger l’authenticité du document. Dans l’affirmative il s’agit d’un indice supplémentaire pour l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.
BLICK : Est-ce que vous doutez de l’authenticité du document?
DM : Je n’ai pas les bases qui me permettraient de l’évaluer. Je me pose pourtant plusieurs questions. Pourquoi est-ce que les services secrets suisses ont intercepté une correspondance entre Londres et le Caire ? Est-ce que le document a été transmis à la Suisse exprès ? Est-ce qu’il était dans l’intérêt de quelqu’un de rendre l’affaire publique en Suisse ?
BLICK : Qu’en pensez-vous ?
DM : Je ne sais pas. Le monde des services secrets est assez compliqué.
BLICK : Que pensez-vous du contenu du message ?
DM : Je ne savais pas encore que 23 personnes auraient été interrogées sur la base en Roumanie. Je vois ce chiffre pour la première fois. Les lieux indiqués de camps potentiels de détenus sont déjà connus depuis un certain temps.
BLICK : Quelle importance le service des renseignements a-t-il accordé au message intercepté ?
DM : Toujours en supposant que le message est authentique, il lui a accordé une importance relativement grande. Ce message est daté du 10 novembre 2005. Depuis début du mois de novembre la presse mondiale parle de prisons secrètes potentielles. Le 7 novembre, le Conseil de l’Europe m’a chargé de l’enquête – moi, un Suisse. Tout cela a dû inciter les services des renseignements à informer le milieu politique, c’est à dire le Conseil fédéral.
BLICK : Fallait-il aussi informer la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey ?
DM : Oui. Les informations avaient pris une dimension de politique extérieure. Et Calmy-Rey a déjà demandé en juin 2005 à la Ministre des Affaires Etrangères américaine Rice de lui donner des explications quant au dossier CIA.
BLICK : Comment progresse votre propre enquête concernant les prisons de la CIA en Europe ?
DM : Le chemin sera long et compliqué mais je suis confiant qu’il nous mènera droit au but. De plus en plus de pays se réveillent , même les États-Unis, ce que prouve la critique publique exprimée sur les écoutes effectuées par le gouvernement Bush. En Italie l’implication de la CIA dans l’enlèvement de l’imam Abou Omar a été prouvée. Les procureurs milanais ont fait un excellent travail.
BLICK : Mais le Premier ministre Berlusconi affirme que les reproches ne sont pas fondés.
DM : Cela ne veut rien dire. Presque tous les gouvernements dissimulent la vérité dans cette affaire.
BLICK : Avez-vous déjà obtenu les données de vol Eurocontrol d’avions de la CIA et les images prises par des satellites d’emplacements potentiels de prisons ?
DM : Non, pas encore. Mais l’éventuelle non obtention de ces données est aussi une réponse.

Originaux : http://www.sonntagsblick.ch
Première publication en français : http://quibla.net/guantanamo2006/cia.htm
Traduit de l’allemand par Eva-Luise Hirschmugl et édité par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

samedi 24 mars 2007

Dick Marty : « Faut-il combattre la tyrannie avec les instruments des tyrans ? »

Texte d’une conférence prononcée à l’université de Neuchâtel le 1er février 2007, retranscrite et réécrite par Silvia Cattori, en accord avec Dick Marty.
Docteur en droit, Dick Marty, est membre du Conseil des États de la Confédération helvétique, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont il préside la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l’Homme, il a été chargé par cette dernière d’établir un rapport sur les allégations concernant l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.
Quand, en novembre 2005, le quotidien Washington Post a révélé que des agents de la Central Intelligence Agency (CIA) avaient enlevé des présumés terroristes musulmans et les avaient internés dans des centres secrets illégaux, j’étais loin d’imaginer alors ce qui allait m’arriver dans les mois qui suivraient. Le même jour, l’ONG américaine Human Rights Watch publiait un rapport qui donnait une information similaire et, au surplus, précisait que ces centres de détention se trouvaient en Pologne, en Roumanie ainsi que dans d’autres pays de l’Europe orientale. Leurs sources, avons-nous appris par la suite, provenaient, entre autres, des milieux mêmes de la CIA.Parallèlement, la chaîne de radio ABC publiait sur son site Internet une information analogue. Celle-ci n’est restée qu’une demi-heure en ligne car le propriétaire de cette radio est intervenu pour interdire sa diffusion. Dès qu’il a eu vent de cette interdiction, le journaliste s’est empressé de prévenir ses amis afin qu’ils enregistrent cette nouvelle, pour la postérité, avant qu’elle ne disparaisse.Les révélations du Washington Post et de l’ONG Human Rights Watch n’étaient pas une nouveauté. Le journaliste Stephen Grey, pour ne citer qu’un exemple, avait déjà publié des articles qui parlaient des « restitutions extraordinaires » et de « délocalisation de la torture » mais, à ce moment-là, l’opinion publique n’en avait pas pris vraiment conscience.
Tout cela pour dire que, certes il y a eu une presse qui a parlé des enlèvements de la CIA et de ses prisons secrètes mais, qu’en même temps, on a pu vite constater que des pressions intenses s’étaient exercées pour la faire taire. On a découvert par la suite qu’il y avait eu une réunion à la Maison Blanche, avec les rédacteurs en chef des principaux journaux, qui avait eu vraisemblablement pour but de leur indiquer qu’il était mal venu de diffuser des informations qui avaient trait à la lutte contre le terrorisme.Dès l’instant où ces indices sur la présence de prisons secrètes en Europe ont été connus, le Conseil de l’Europe a immédiatement réagi : l’Assemblée parlementaire a demandé à ce que l’on fasse un rapport sur ces enlèvements, dont l’existence, si avérée, aurait été manifestement contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme.Je tiens à rappeler qu’il n’y a aucune organisation intergouvernementale, qui connaît une dimension parlementaire aussi prononcée et forte qu’au Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire est composée des délégations des différents parlements des 46 pays membres. Ces délégations représentent les parlements nationaux, les différents partis, et doivent représenter les deux sexes et, proportionnellement, toutes les minorités de leur pays.Le hasard a voulu que, deux jours après les révélations du Washington Post et de l’ONG Human Rights Watch, la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire siégeait à Paris pour, notamment, élire son nouveau président. J’ai été proposé ; c’est ainsi que je me suis trouvé à la tête de la Commission.Le premier objet que j’ai eu à affronter était donc celui des enlèvements et des prisons secrètes.
Je me suis aperçu de ce que cela pouvait signifier comme charge quelques semaines plus tard, quand, le 25 novembre 2005, à Bucarest, l’Assemblée parlementaire devait confirmer le mandat que m’avait confié la Commission. La conférence de presse qui annonçait ma nomination comme rapporteur avait failli tourner à l’émeute tellement il y avait de journalistes. Ce n’est que là que j’ai pleinement perçu le caractère explosif de cette affaire et que mon travail a vraiment commencé.
La presse me désigne habituellement comme « l’enquêteur » du Conseil de l’Europe. En fait, je n’étais et je ne suis pas un véritable enquêteur. Car un enquêteur a la possibilité de citer des personnes, de saisir des documents, d’arrêter des personnes. Pouvoirs que j’avais eus pendant quinze ans comme procureur mais qui m’ont cruellement manqué dans cette action-ci ! J’ai alors décidé de me battre sur le même terrain que ceux que l’on soupçonnait d’avoir entretenu les prisons secrètes, et d’essayer de faire un travail d’« intelligence ».
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mardi 20 février 2007

Les Etats-Unis refusent de signer l’interdiction de l’ONU sur les « restitutions » et la détention secrète

Par Kate Randall, 14 février 2007

Cinquante-sept pays ont ratifié mardi le traité de l’ONU interdisant aux gouvernements la pratique des disparitions forcées et la garde de personnes en détention secrète. Washington, tout comme le Canada et un certain nombre de gouvernements européens, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, ont refusé de signer.
Lors de la ratification du traité à Paris, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy a déclaré : « Nos amis américains ont été naturellement invités à cette cérémonie. Ils n’ont pas pu malheureusement se joindre à nous. »
Le porte-parole du département d’Etat américain, Sean McCormack, a simplement dit que le traité « ne correspondait pas à nos attentes. » On comprend clairement toutefois à lire les termes du traité pourquoi il en est ainsi.
La Convention internationale sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées appelle toutes les nations à adopter une « interdiction absolue » des détentions secrètes ; elle prévoit aussi un dispositif pour localiser le lieu où se trouve la personne « disparue ». Elle oblige également chaque Etat partie à garantir que les victimes de « restitutions » et de détention secrète aient un droit à réparation.
La convention oblige chaque nation signataire à engager, par le biais d’autorités compétentes, des actions en poursuite contre toute personne suspectée de pratiquer des disparitions forcées où qu’elle se trouve. La convention a également établi un comité chargé de surveiller l’application du traité et d’intervenir dans certains cas de figure.
Les agents de la Central Intelligence Agency (CIA) qui sont activement impliqués dans les « restitutions » de par le monde, ainsi que les dirigeants au plus haut niveau qui les ont commanditées, seraient en violation directe du traité. Leurs actes ont été autorisés et sanctionnés par George W. Bush et d’autres membres de son gouvernement. En septembre dernier, le président américain avait ouvertement reconnu l’existence d’un réseau de prisons secrètes dirigé par la CIA et insisté pour qu’elles continuent d’être utilisées.
La pratique américaine consistant à rafler des personnes soupçonnées de terrorisme au nom de la « guerre contre le terrorisme » a aussi été ignorée par le congrès américain qui a adopté en septembre dernier la loi américaine sur les Commissions militaires de 2006 (Military Commissions Act of 2006) qui approuvent l’incarcération de prisonniers à Guantánamo Bay et dans d’autres camps de détention de par le monde, nombre d’entre eux restant secrets. Les prisonniers qui ont été libérés, de Guantánamo ou d’autres prisons dirigées par les Américains, ont décrit les conditions régnant dans ces centres, comme relevant de la torture.
Les fonctionnaires français qui ont mené les efforts pour instituer l’interdiction ont dénombré plus de 51 000 personnes que les gouvernements de plus de 90 pays ont porté disparues depuis 1980. La grande majorité de ces personnes, à savoir 41 000, n’a jamais fait l’objet d’explication et leur lieu de séjour et leur sort demeurent un mystère.
Les familles des disparus et les organisations de droits de l’Homme ont fait pression sur l’ONU pendant des années pour promouvoir l’adoption d’un traité interdisant de tels enlèvements. Washington est déterminé à ce que le rôle joué par les agents secrets américains dans ce genre de disparition reste secret et que leurs auteurs restent à l’abri de poursuites judiciaires tant par les tribunaux américains qu’internationaux.
Un certain nombre de gouvernements européens qui ont refusé de signer le traité ont été impliqués en tant que collaborateurs dans les enlèvements illégaux effectués par la CIA et la torture de personnes suspectées de terrorisme. Suite à des articles de journaux faisant état de collusion européenne dans ces pratiques, y compris des rapports relatant l’existence d’établissements de détention en Europe de l’Est, le Conseil de l’Europe (CE) a commandité un rapport pour enquêter sur ces allégations.
Le rapport du CE a décrit une « toile d’araignée mondiale » d’établissements de détention, dirigée par les agences du gouvernement américain, nombre d’entre eux étant « ensevelis dans le secret. » Le rapport constate que les allégations émises contre les Etats-Unis et 14 gouvernements européens sont en « grande partie vraies. » Les pays anciennement dirigés par les staliniens, la Pologne, la Roumanie et les républiques de l’ex-Yougoslavie, la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine, ont joué un rôle crucial dans la collaboration avec la CIA.
Le rapport rédigé par Dick Marty, le rapporteur spécial du CE, a compilé les enregistrements de vols des avions affrétés par des organisations-écran de la CIA et les a comparé aux rapports mentionnant des enlèvements connus. Le rapport a également présenté les récits détaillés de 17 personnes qui disent avoir été enlevées, « restituées » et, par la suite, torturées dans des prisons dirigées par les Américains.
Ces victimes ont rapporté que des groupes d’agents masqués de la CIA, qui les avaient enlevées, les ont enchaînées, leur ont bandé les yeux et les ont fouillées. Les vêtements des détenus leur ont été retirés au moyen de ciseaux en les coupant à même le corps. Les détenus ont été soumis à la fouille de tous les orifices du corps. Certains ont été battus et il y a eu des cas « d’introduction forcée d’un objet quelconque dans l’anus d’un homme ».
Après quoi la victime a été enchaînée, ses oreilles obturées et un sac placé sur sa tête. C’est ainsi qu’il a été embarqué dans un avion pour s’envoler vers un lieu inconnu. « Dans certains cas, l’homme était drogué et se rendait à peine ou pas du tout compte de son réel transfert par avion », précise le rapport.
Le rapport décrit le cas de Binyam Mohamed al Habashi, citoyen éthiopien et résidant au Royaume-Uni. Selon des lettres et des témoignages de première main émanant de sa famille et de son avocat, Al Habashi a été saisi au Pakistan et soumis à la torture alors qu’il était détenu au Maroc. Il a ensuite été transféré à Guantánamo.
Le premier ministre britannique, Tony Blair, a rejeté le rapport du CE en affirmant qu’il ne contenait « rien de nouveau » tout en défendant la pratique des « restitutions » comme étant parfaitement légale. La Grande-Bretagne a refusé de signer le nouveau traité interdisant cette pratique.
Deux procès actuellement en cours et concernant les activités d’agents de la CIA en Europe, et la collaboration de gouvernements européens, attirent une nouvelle fois l’attention sur la pratique illégale des « restitutions ».
Le 31 janvier, le Parquet de Munich a émis des mandats d’arrêt contre 13 agents présumés de la CIA qui sont accusés d’avoir enlevé et torturé un citoyen allemand, Khaled el-Masri. El-Masri, citoyen allemand d’origine libanaise, fut arrêté en décembre 2003 en Macédoine en tant que personne soupçonnée de terrorisme. Il fut illégalement transféré par des agents des services secrets américains en Afghanistan où il fut interrogé et torturé durant une période de quatre mois. Lorsqu’il apparut clairement que son arrestation était une erreur flagrante, el-Masri fut reconduit en pleine nuit par avion dans les Balkans et abandonné dans une forêt près de la frontière albanaise.
Une commission d’enquête parlementaire s’occupe également du dossier d’el-Masri en vue d’établir dans quelle mesure les autorités allemandes étaient informées ou en réalité impliquées dans l’enlèvement et la détention d’el-Masri.
La chancelière allemande, Angela Merkel, (Parti chrétien-démocrate) a immédiatement cherché à distancier le gouvernement allemand de ce dossier. L’Allemagne a également refusé de signer le nouveau traité interdisant la détention secrète.
En Italie, autre pays européen qui refuse de signer l’interdiction, le bureau du procureur général a délivré des mandats d’arrêt contre 26 nouveaux agents de la CIA qui étaient impliqués en 2003 dans l’enlèvement de l’imam Abou Omar.
Abou Omar avait été enlevé en plein jour à Milan et transporté dans une estafette à la base américaine d’Aviano en Italie. De là il fut ensuite transporté par avion à la base aérienne américaine de Ramstein en Allemagne pour finalement être emmené au Caire en Egypte où il fut jeté en prison et torturé. A ce jour, il reste détenu au Caire dans la tristement célèbre prison Torah et privé de tout procès.
L’ancien directeur des services secrets militaires italiens (SISMI) est menacé d’inculpation pour avoir aidé la CIA dans ses opérations de « restitutions ». L’un des principaux obstacles à la procédure judiciaire contre les agents de la CIA est le rôle joué par le premier ministre italien Romano Prodi qui a invoqué le secret d’Etat pour toute information importante liée à la coopération entre la CIA et le SISMI.
(Article original anglais paru le 9 février 2007)
Source : http://www.wsws.org/francais/News/2007/fevrier07/140207_restitutions.shtml

Le rapporteur du Conseil de l'Europe n'ira pas à Guantánamo

Dick Marty, le rapporteur du Conseil de l'Europe chargé d'enquêter sur des activités illicites de la CIA en Europe, a annoncé vendredi sa décision de ne pas se rendre à Guantánamo.M. Marty avait expliqué, en octobre dernier, vouloir se rendre à Guantánamo afin d'y interroger des prisonniers sur leur éventuelle détention au sein de prisons secrètes en Europe. Vendredi, il a motivé sa décison par l'impossibilité d'interroger les détenus sur place. "Si je ne peux parler librement avec les détenus (comme, me semble-t-il, le laisse entendre la réponse américaine), cette visite sera inutile", a indiqué M. Marty."Je ne crois pas au tourisme parlementaire aux frais du contribuable. Je suis déçu de ce refus des Etats-Unis, Etat observateur auprès du Conseil de l'Europe, mais l'enquête continue", a-t-il ajouté. Le rapport d'enquête de Dick Marty avait épinglé, en juin dernier, quatorze Etats européens pour leur implication dans des vols secrets de la CIA et, dans le cas de la Pologne et de la Roumanie, pour avoir abrité des centres de détention clandestins.Les Etats-Unis avaient fini par reconnaître en septembre dernier l'existence de prisons secrètes américaines hors de leur territoire, confortant le Conseil de l'Europe dans son enquête lancée à ce sujet dans ses 46 Etats membres.
Source : http://www.7sur7.be/hlns/cache/fr/det/art_381114.html?wt.bron=homeBottomOvz, 16 février 2007

vendredi 9 février 2007

Dick Marty : "Il faut tirer au clair l’affaire des vols secrets de la CIA"

« Les pays européens eux aussi doivent respecter le droit international »
Propos recueillis par Sabine Bitter, 23 janvier 2007
Le Conseiller d’État radical Dick Marty, rapporteur spécial du Conseil de l’Europe dans l’affaire des vols secrets de la CIA, s’entretient avec Sabine Bitter, Radio DRS (Suisse)

Il y a cinq ans les USA ont transporté les premiers détenus de la guerre au terrorisme à Guantánamo. Le service secret américain, la CIA pouvait compter sur le soutien de l’Europe en déportant des personnes suspectes dans des centres de détention secrets où la torture est notoirement appliquée. Les valeurs suprêmes d’une démocratie, le respect des droits de l’homme et de l’État de droit ont été mises en jeu selon le député radical au Conseil d’État Dick Marty, rapporteur spécial du Conseil de l’Europe dans l’affaire des vols secrets de la CIA. Il s’entretient avec Sabine Bitter.

Sabine Bitter: Depuis 2005 vous avez reçu le mandat du Conseil de l’Europe d’enquêter sur cette affaire de la CIA. De temps en temps vous parlez d’une «mission impossible», pourquoi?

Dick Marty: L’affaire est devenue actuelle au début de novembre 2005 au moment où le Washington Post et Human Rights Watch ont publié un rapport selon lequel des centres de détention secrets pour des terroristes présumés existaient en Europe. Des centres de détention secrets représentent naturellement une grave infraction à la Convention européenne des droits de l’homme, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a par conséquent immédiatement réagi. Elle a exigé qu’un rapport respectif soit établi.

Je venais d’être nommé président de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, et tous les membres de la commission ont spontanément dit: «C’est un rapport que le président lui-même doit effectuer.» J’ai tout de suite réalisé quels sont les problèmes. J’étais obligé de trouver la vérité contre la volonté de presque tous les gouvernements européens et avant tout de tous les services secrets. Et ceci pratiquement sans moyens. C’est-à-dire, je n’ai pas de moyens d’investigation comme je les avais autrefois en tant qu’avocat général. Je ne peux pas convoquer les gens, je n’ai pas la possibilité de prendre des mesures coercitives et je ne disposais pas non plus de ressources personnelles – certes le secrétariat de la commission, mais il s’agit d’un secrétariat qui est déjà surchargé d’autres choses.

Le Conseil de l’Europe a prolongé votre mandat. Est-ce que vos conditions de travail se sont entretemps améliorées?

J’ai réussi, au début de l’année dernière, en février 2006, qu’un jeune Ecossais de 28 ans soit engagé spécialement pour cette tâche. C’est un excellent jeune homme disposant d’expériences faites en Afrique du Sud dans la Commission vérité et réconciliation. Il s’agissait pour moi naturellement d’un grand soutien. C’était le secrétariat qui l’a rendu possible. Les moyens cependant sont restés très modestes.

Il y a un an vous avez présenté un premier rapport d’étape, puis un second en été. On a émis la critique que ces rapports présentaient des indices mais très peu de preuves. Un parlementaire a dit que votre rapport avait plus de trous que le fromage suisse. Est-ce que vous pouvez entre-temps indiquer les lieux de ces détentions secrètes, est-ce que vous pouvez les identifier?

Il faut souligner que même le président des États-Unis a avoué au début de septembre l’existence de tels centres de détention. Je crois que si l’on lit le rapport de manière sérieuse – pas comme ce député anglais – , on est pourtant étonné, vu les moyens modestes, de voir comment il a été possible de recueillir tant d’informations. Ceci me permet de dire que si les gouvernements européens avaient eu la volonté de connaître la vérité, ceci aurait été très facile et l’on aurait pu recueillir davantage d’informations. Je sais – cependant il est dificile d’en donner les preuves –, que ces centres de détention secrets étaient situés jusqu’en automne en Europe de l’Est et ensuite ils ont été transférés en Afrique du Nord. Et ces prisons – ce n’est pas le seul scandale! Tout ce qui y est lié, les vols par exemple, les transports, les arrestations arbitraires qui ne sont pas des arrestations au vrai sens du terme, car il n’y avait pas d’autorité compétente qui les ordonnait–, il s’agissait de prises d’otage: Ceci a été toléré partout. Cependant c’est inacceptable, même si tout ceci se fait au nom de la guerre au terrorisme. Je prétends, et avec moi beaucoup d’autres spécialistes, que le terrorisme ne peut être combattu de cette manière, bien au contraire.

Vous venez de mentionner que Bush a admis que ces centres de détention secrets avaient existé. Est-ce que vous en étiez satisfait ou comment est-ce que vous avez réagi?

C’était une surprise et je dois admettre un soulagement. Je l’ai appris par un SMS de ma fille qui vit en Tanzanie et qui a l’habitude d’écouter CNN; c’est elle qui m’a tout de suite envoyé un SMS: Tu as obligé Bush à passer aux aveux. Au premier moment je n’ai pas compris ce qu’elle voulait dire mais quand j’ai reçu des coups de téléphone des journalistes j’ai tout de suite compris. Depuis ce moment-là mon rapport et moi-même sommes de nouveau entrés dans les mœurs.

Vous venez de mentionner les pays de l’Europe de l’Est et vous avez dit qu’on a transféré ces lieux de détention secrets vers l’Afrique du Nord. Si vous parlez de l’Europe de l’Est – on parle de la Pologne, de la Roumanie et de la Turquie – est-ce que ce sont les pays ou il y avait de telles prisons secrètes?

Je peux confirmer la Pologne et la Roumanie; quant à la Turquie je ne sais pas précisément. Mais les indices que nous avons, et nous disposons également de témoignages confidentiels, confirment les premières informations. Et je dois dire que les informations dont nous disposons et dont le Washington Post disposait le premier, ce sont des informations qui proviennent de la meilleure source, soit de la CIA elle-même. C’est parce que de nombreux cercles au sein de la CIA n’ont jamais accepté ces méthodes. Un grand nombre de fonctionnaires de la CIA a dit, nous sommes un service secret mais pas une bande criminelle qui enlève des gens et les enferme dans des prisons secrètes.

On m’a reproché d’être anti-américain– ce n’est pas du tout vrai. Ceci également pour des raisons personnelles, mon frère a un passeport américain, mon neveu est Américain, il a fait son service à l’ US Air Force. – Non, je crois que les premières réactions venaient des États-Unis.

Ce qui m’a rassuré dans mon travail, c’est que j’ai pu consulter le 5 janvier 2006 tous les dossiers du ministère public italien à Milan. Ceci concerne l’enlèvement d’un Égyptien Abu Omar. Après avoir étudié ces dossiers je me suis rendu compte que c’est impossible que de telles choses puissent se passer sans que les services secrets locaux les tolèrent, ou y collaborent même. Ceci a été confirmé quelques mois plus tard en Italie, actuellement même le chef du service secret militaire italien passe en jugement.

Ce procès vient de commencer. Parlons de la Roumanie et de la Pologne. Savez-vous combien de détenus y étaient emprisonnés et comment on les a traités?

Ce ne sont certainement pas des prisons au sens classique du terme, telles que nous les imaginons normalement. Ce sont des personnes qu’on a détenues à l’isolement, elles n’étaient pas nombreuses en même temps et, ce qui est également clair, c’est que ces gens-là ont été torturés. Même les Américains avouent qu’on a pratiqué certaines méthodes.

Certes, ils disent qu’il ne s’agit pas de torture, mais selon les standards internationaux

il s’agit de torture. Louise Arbour, le Haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU dit que seul le fait qu’on enlève des personnes, qu’on les enferme dans des lieux de détention secrets et qu’elles soient privées de tout contact, est déjà une forme de torture inacceptable.

Ce sont des méthodes qui ne contribuent pas du tout à la sécurité des citoyens, bien au contraire. De telles méthodes provoquent qu’on sympathise avec les détenus, et le fait qu’on éprouve de la sympathie pour des terroristes est très dangereux. Il faut ajouter que beaucoup de détenus étaient totalement innocents.

Il y a des prisonniers qui ont été libérés sans excuse, sans indemnisation. Cela arrive au XXIe siècle, dans une des plus anciennes démocraties du monde. C’est effrayant.

Le fait que ces prisons secrètes de la CIA se trouvaient en Europe de l’Est, n’est pas un hasard?

Bien sûr que non. Ce sont des pays qui viennent de sortir d’une très lourde expérience historique, ils se tournent vers l’Amérique avec respect et reconnaissance, ceci certainement pour de bonnes raisons. Et ils sont prêts à tout accepter. Ce n’est pas par hasard, que l’armée américaine va beaucoup investir en Roumanie les années à venir.

Qu’est-ce qu’elle investit?

Elle va y construire une nouvelle base militaire qui sera l’une des plus importantes de cette région. Par conséquent des milliers d’emplois seront créés. Il était par conséquent facile d’en obtenir la permission.

Une douzaine de pays ont été exhortés par la commission d’enquête du parlement européen à examiner maintenant d’éventuelles infractions de leurs gouvernements. La commission suppose des infractions au droit dans plusieurs pays: on parle de l’Allemagne, de la Suède, de la Bosnie-Herzégovine, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de la Macédoine et de la Turquie. Qu’attendez-vous de cette demande pressante?

C’est un peu mon devoir maintenant, il s’agit de savoir ce qui se passe dans les différents pays. En Allemagne par exemple, le Bundestag a établi une commission d’enquête qui est chargée d’obtenir des précisions sur cette affaire. Nous espérons que dans différents pays une telle dynamique de la vérité se développera; ceci parce que je suis complètement convaincu que dans une démocratie les citoyens ont droit à la vérité.

De terribles choses se sont passées en Europe – inacceptables –, de claires infractions à la Convention européenne des droits de l’homme, et sur ceci il faut obtenir des précisions. Il est évident que les gouvernements n’en ont guère la volonté, les nombreux partis de gauche à droite non plus. Il est clair que pendant cette période tous ont participé un peu au gouvernement et tous ont quelque chose à perdre sur le plan politique.

Ce n’est pas par hasard qu’en Allemagne le seul parti qui se prononce pour la recherche de la vérité soit celui du PDS parce qu’il ne faisait pas partie du gouvernement à cette époque-là. Le CDU, le SPD, les Verts cependant en faisaient tous partie à un moment donné et ils portent leur part de responsabilité dans cette affaire.

Vous avez dit qu’une de vos sources était le Service secret, la CIA elle-même. Avez-vous parlé également aux détenus?

Oui, avec d’anciens détenus, des gens qui ont été arrêtés en Afghanistan ou qui ont été à Guantánamo pendant presque trois ans. Et je dois souligner ce sont d’ horribles histoires. Si l’on se rend compte que les gens ont été enlevés de leur vie de tous les jours, ils sont emprisonnés, ils n’ont jamais reçu une accusation, on ne leur a jamais fait de procès. C’est l’arbitraire absolu, j’en suis scandalisé. Certes, il faut combattre le terrorisme, j’ai passé 15 voire 16 ans à lutter contre la criminalité, autrefois j’ai collaboré également avec la justice italienne en luttant contre les Brigades rouges, parce qu’en Suisse se sont également passées certaines choses dans ce contexte.

Mais on ne s’est jamais servi de telles méthodes, ces méthodes sont contre-productives.

Ce sont combien de détenus, d’anciens détenus à qui vous avez pu parler?

Moi, personnellement à deux et mon collaborateur a parlé à d’autres, puis nous avons consulté également des avocats qui soutiennent des détenus à Guantánamo. A vrai dire, la société américaine m’a étonné de manière positive. Aujourd’hui il y a 500 avocats qui s’engagent volontairement pour ces gens-là. Il ne s’agit pas de sympathie pour le terrorisme, mais de la défense de l’État de droit. C’est un engagement pour la dignité de l’homme, et je pense que si le crime est grand, il faut une punition sévère. Mais la punition n’est sensée que si elle est le résultat d’un procès juste selon les règles de l’tat de droit.

Vous attendez depuis des mois la permission de visiter Guantánamo. Comment expliquez-vous le fait que cela dure si longtemps?

Probablement, il y a différentes opinions au sein de l’administration américaine et il est clair que je ne veux pas faire du tourisme. J’ irai seulement à Guantánamo si je peux parler à ces 14 détenus qui ont été dans des centres de détention secrets, ceux que Bush a annoncés, ceux qui sont maintenant transportés à Guantánamo, ceux qui ont été dans des prisons secrètes – si je peux parler librement avec eux, sinon cela ne vaut pas la peine.

S’agit-il de ceux qui étaient dans des prisons secrètes en Europe?

Le président Bush a admis l’existence de prisons secrètes mais sans mentionner explicitement l’Europe. Ce qui est cependant intéressant, c’est un discours de Madame Rice le 5 décembre 2005 à Bruxelles. Elle a explicitement dit que les États-Unis n’avaient jamais ignoré la souveraineté des pays européens dans cette affaire.

C’est-à-dire qu’ils avaient leur accord.

Oui, et à cette époque-là je n’avais pas encore connaissance de l’affaire italienne, et puis j’en ai étudié les dossiers, ce qui m’a confirmé que ceci ne pouvait se passer qu’avec le soutien des services secrets locaux, et je pense que beaucoup de choses en Europe ne pouvaient se passer qu’avec l’accord actif ou passif des services locaux.

Dans une interview accordée à la «NZZ am Sonntag» vous dites que vous étiez très seul en faisant des recherches et que non seulement la CIA mais aussi des gouvernements européens vous avaient menti. Pouvez-vous en donner un exemple?

Si l’on dit qu’on ignore tout, je trouve qu’il s’agit d’un mensonge. Je pense que nous avons un problème immense. Ces gouvernements- là mentent tout en étant convaincus qu’il en ont le droit parce qu’ils pensent : Nous avons d’importants intérêts de l’État à défendre – les fameux intérêts supérieurs de l’État. Ce sont des termes qui sont dangereux, qu’il ne faut pas accepter sans réflexion et en particulier dans cette affaire. Je pense par contre que les citoyens ont le droit d’apprendre la vérité.

Monsieur, est-ce que la Grande-Bretagne par exemple vous a menti?

Si quelqu’un est au courant dans cette affaire, ce sont les Anglais, ce sont les alliés les plus proches des États-Unis et certes, je ne prétends pas que tous les membres du gouvernement britannique soient informés, mais quelques- uns certainement.

Tout le monde n’approuve pas votre recherche de la vérité. Est-ce que vous en sentez les conséquences, est-ce que vous êtes pris en filature, est-ce qu’on vous menace?

Pris en filature? J’en sais rien, je ne m’en soucie pas parce que je n’ai rien à cacher. Ils peuvent même écouter mes entretiens téléphoniques, ils ne seront pas plus intelligents après.

Menacé? Je pense que dans ce milieu on n’est pas menacé. Je ne peux imaginer que les services américains tentent d’entreprendre n’importe quoi contre un rapporteur du Conseil de l’Europe. Ce serait une bêtise par excellence. Je pense que ce sont des privés fanatiques, voulant faire quelque chose de particulier, qui sont dangereux. Je ne m’en suis jamais occupé.

Un de ces enlèvement, effectué par ce service secret américain sur le territoire européen concerne cet imam égyptien. Vous venez de le mentionner, celui qui s’appelle Abou Omar et qui a été enlevé en 2003 à Milan, transporté à travers l’espace aérien suisse en Allemagne et à partir de là dans une prison où il a été torturé, semble-t-il. Le parquet fédéral suisse a ouvert en 2005 une procédure pénale à ce sujet.

L’enlèvement d’Abou Omar à Milan en plein centre-ville à midi en février 2003, c’est un acte criminel, c’est un enlèvement. L’homme fut transporté à Aviano, d’Aviano à Ramstein et de Ramstein au Caire. Et puisque l’aéronef a survolé la Suisse, nous portons une part de responsabilité. C’est-à-dire un acte criminel a été commis également sur le territoire suisse, étant pour ainsi dire de la compétence de la Confédération.

On dit pourtant que la Suisse veut toujours accorder des droits de survol aux États-Unis, c’est ce que dit par exemple Amnesty International; une pétition demande également que la Suisse interdise ces survols. Faut-il qu’elle le fasse?

A mon avis, il faudrait le faire jusqu’à ce que les Américains donnent une réponse claire.

On s’est contenté d’une explication orale d’un fonctionnaire à Washington sans exiger une réponse écrite. Mais ceci est le point où les intérêts se heurtent aux valeurs. Et l’on a décidé que dans ce cas-là les intérêts prévalaient sur les valeurs.

Il y a cette sécurité aérienne, Eurocontrol, qui dit également qu’il y a eu des atterrissages en Suisse qui pourraient être attribués à la CIA, aux aéroports de Zurich, Genève, Sion. Savez-vous ce que la CIA a à faire à Sion?

Non, certainement pas faire du ski à Zermatt. J’aurais bien aimé le savoir. Mais, curieusement les Suisses ne s’y intéressent pas. Il est étrange que des aéroplanes puissent atterrir en Suisse sans que quelqu’un sache qui est à bord et pourquoi. Si l’on se rend compte des contrôles qui existent dans d’autres domaines, j’en suis vraiment étonné. Je ne peux imaginer que des avions suisses puissent atterrir sous de telles modalités aux États-Unis.

Le gouvernement suisse a fait dire par le conseiller fédéral Pascal Couchepin, lui aussi membre du PRD, que la Suisse n’était pas le saint siège des droits de l’homme. Comment interprétez-vous ce propos?Je l’ai tout de suite jugé peu intelligent. Le Conseil fédéral n’hésite pas à souligner à chaque occasion que les droits de l’homme sont un pilier important de notre politique. A mon avis il ne faut pas seulement en parler mais le faire.

Vous critiquez le Conseil fédéral en disant qu’il ne voulait pas vraiment enquêter sur cette affaire, qu’il voulait éviter des dificultés avec les Américains. Qu’est-ce que cela veut dire, exactement?

Cela veut dire que les intérêts prévalaient sur les valeurs et je pense que la Suisse a un rôle particulier à jouer. Nous sommes le pays qui a créé le Comité international de la Croix rouge (CICR). Nous sommes le pays qui doit veiller sur les Conventions de Genève c’est pourquoi nous avons une responsabilité particulière dans ce domaine-là. A mon avis c’est évident.

Est-ce que vous diriez que la Suisse ne veut pas d’enquêtes pour ne pas mettre en jeu des intérêts économiques?

Ces intérêts économiques ont joué un rôle, voire un grand rôle, j’en suis sûr.

Pourriez-vous donner des exemples concrets?

Par exemple, juste à ce moment-là on était en train de négocier à Berne un traité de libre échange avec les États-Unis. Il y a de grands intérêts financiers, nos banques en profitent beaucoup et j’ai bien conscience qu’il faut défendre ces intérêts, mais pas à tout prix.

Vous critiquez également le parquet fédéral en disant que les enquêtes n’avancent pas vraiment. Supposeriez-vous que le parquet fédéral soit freiné politiquement?Que le parquet fédéral soit sous pression, j’y crois bien, ceci a été prouvé par le fait que l’avocat général a quitté son poste, que la relation entre le département fédéral de justice et le parquet fédéral était tendue. Je pense qu’il s’agit d’une vérité bien connue. Pourquoi l’Italie est-elle le seul pays qui ait trouvé la vérité dans cette histoire? C’est parce qu’en Italie le ministère public est totalement indépendant. Il s’agit d’un service juridique au sens propre du terme. Cela veut dire que les avocats généraux sont élus comme les juges et ils sont soumis à la même autorité de contrôle. Ce sont des juges élus et ils sont soumis à la même autorité de contrôle. Ces autorités de contrôle sont totalement indépendantes du pouvoir exécutif et législatif.

C’est-à-dire vous diriez qu’en Suisse la séparation des pouvoirs ne joue pas vraiment en ce moment?

Oui, pas seulement en Suisse mais aussi en Allemagne et en France. L’exemple italien est particulièrement intéressant, ils disposent d’un autre système. Et si l’Italie avait eu le système suisse ou allemand mani pulite n’aurait pas existé. Le cas actuel de Milan n’a été possible que grâce à l’indépendance du ministère public.

Diriez-vous qu’en Suisse c’est probablement le conseiller fédéral Christoph Blocher qui freine les enquêtes du parquet fédéral?

Non, je ne peux pas le prétendre. Mais le parquet fédéral qui se sent freiné par la politique se trouve dans une situation particulière. Notre système juridique pose quelques problèmes. – Vous savez bien que les juges fédéraux doivent être réélus tous les 4 à 5 ans par l’Assemblée fédérale. Ce sont des juges qui sont proposés par les partis politiques – ce système est unique.

Jusqu’alors il a bien fonctionné. Mais vous savez qu’après certaines décisions du Tribunal fédéral, dans l’affaire des naturalisations par exemple, le Tribunal fédéral n’a pas seulement été critiqué, mais certains partis, des partis gouvernementaux ont menacé les juges de ne plus les réélire. C’est effrayant.

C’était l’UDC?

Dans ce cas-là, il s’agit de l’UDC.

Peut-on dire que Valentin Rorschacher est devenu victime de cette affaire de la CIA? Non, je ne pense pas que la CIA ait joué un rôle.Monsieur, vous êtes également conseiller d’État du parti radical démocratique (PRD) du Tessin et membre de la commission de politique extérieure du Conseil d’État – le Conseil fédéral ou vos collègues de parti ont-ils réagi à votre critique? Est-ce qu’on vous parle de cette affaire de la CIA?

Que veut dire parle-t-on avec moi? On s’est moqué un peu de moi au début, on m’a regardé de haut – oui, ce nouveau Don Quichotte… L’atmosphère a naturellement changé un peu après que le président Bush était passé aux aveux et que la majorité en Amérique a changé. Tout à coup la chose est considérée un peu différemment.

Quels seraient selon vous les pas les plus importants que les pays européens doivent faire s’ils ne veulent pas être complices d’une pratique des services secrets qui est illégale et qui viole les droits de l’homme ? Qu’est-ce que ces pays doivent faire?

Je pense qu’il y a deux choses importantes. Tout d’abord – ce qui m’a beaucoup impressionné – il n’y a pas de stratégie commune contre le terrorisme et ceci est urgent. Comment combattre de manière efficace le terrorisme international?

Cela veut dire qu’il n’y pas de politique européenne dans ce domaine-là?

Il n’y en a pas, malheureusement. On a laissé faire les Américains. Les Américains doivent coopérer et nous devons coopérer sinon on ne va jamais réussir. Cependant la stratégie devrait être discutée ensemble en tant que partenaires. Un autre aspect est la surveillance des services secrets. Je pense que des points faibles existent dans tous les pays. Dans beaucoup de pays les services secrets font ce qu’ils veulent et les gouvernements en sont mal informés, et encore bien moins les parlements.
Original : Radio DRS 2 Kontext du 23 janvier 2007
Traduit de l’allemand par Horizons et débats N° 5, 8 février 2007 et révisé par Fausto Giudice, membre de
Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
URL de cet article :
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2029&lg=fr

jeudi 1 février 2007

Affaire Khaled El Masri : la CIA poursuivie par la justice allemande

Après la justice italienne, qui a lancé l’année dernière un mandat d’arrêt contre 26 agents de la CIA pour le kidnapping à Milan de l’Égyptien Abou Omar, la justice allemande s’est enfin décidée, après des mois d’hésitations, à lancer un mandat d’arrêt contre les ravisseurs de Khaled El Masri.
La justice allemande réclame que lui soient livrés treize agents de la CIA suspectés d'avoir enlevé en 2003 un inoffensif père de famille confondu avec un dangereux terroriste d'Al-Qaeda. Allemand d'origine libanaise, Khaled El Masri est le cas le plus notoire de transfèrement secret attribué aux services secrets américains.
Ce vendeur de voitures de la ville d'Ulm a été kidnappé sur son lieu de vacances, en Macédoine, mené pieds et poings liés dans un avion et jeté dans une geôle immonde en Afghanistan, où il a été traité «comme un animal», dit-il, pendant cinq mois. Avant d'être relâché en Albanie. La CIA l'aurait, confondu avec un homonyme ­ Khaled El Masri ­ soupçonné d'être lié aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001.
Le parquet de Munich a fait émettre, mercredi 31 janvier «un mandat d'arrêt contre treize ravisseurs présumés», soupçonnés «de séquestration et blessures corporelles graves». Ces suspects, 11 hommes et deux femmes très vraisemblablement des agents de la CIA, seraient pour la plupart domiciliés en Caroline du Nord. La justice allemande a remonté leur piste grâce à la police espagnole. Selon la Garde civile, c'est dans un Boeing enregistré sous le numéro N313P, parti de Majorque, le 23 janvier 2004, que Khaled El Masri a été expédié hors d'Europe. Cet avion, identifié dès novembre 2004, a pu continuer ses vols « spéciaux », décollant et atterrissant à plusieurs reprises de l’aéroport de Francfort-sur-le-Main. Les magistrats munichois se sont également appuyés sur l'enquête du Conseil de l'Europe qui a recensé plus d'un millier de vols secrets de la CIA en Europe entre 2001 et 2005. En septembre 2006, la station de radio-télévision allemande NDR avait rendu publique l’identité de trois des ravisseurs : Eric Fain, James Fairling et Kirk James Bird, pilotes de ce vol spécial, employés par l’entreprise Aero Contractor, qui a pris la succession de la fameuse société de la CIA, Air America, utilisée pendant la guerre d’Indochine, notamment pour le transport d’opium du Laos, produit par l’armée secrète hmong dirigée par le général Van Pao.
Comme le soulignaient mercredi les médias allemands, l'arrestation des suspects sera difficile à mener à bien, sans un mandat d'arrêt international. La justice usaméricaine, de son côté, a jusqu'ici refusé d'aider les enquêteurs allemands. En novembre, la Cour d'appel fédérale de Richmond (Virginie) avait commencé à examiner un recours d'El Masri. Mais Washington considère qu'il s'agit d'activités secrètes, que la CIA ne peut ni confirmer ni démentir.
Quant aux autorités allemandes, très gênées, elles répètent qu'elles n'ont pas favorisé l'enlèvement, qualifiant d' «infamants» tous les soupçons sur une contribution active ou un silence complice de Berlin. Il n’en reste pas moins que des forts soupçons pèsent sur les autorités policières allemandes, qui ont affirmé devant la commission d’enquête du Bundestag qu’elles n’ont pris connaissance de l’enlèvement de Khaled El Masri que le 10 juin 2004, c’est-à-dire après sa libération, et n’ont ouvert une enquête qu’en août 2004. Or, il est avéré que Khaled El Masri était, bien avant son kidnapping par la CIA, sous observation de la police allemande pour ses contacts « suspects » avec le centre multiculturel de Neu-Ulm. Il est donc difficile de croire que la CIA n’a pas informé ses homologues allemands de son enlèvement.
Déjà mis en difficulté par l’enquête sur la détention de Murat Kurnaz, les responsables allemands doivent répondre de leurs faits et geste dans cette autre affaire devant la commission du Bundestag chargée de surveiller les activités du BND, les services de renseignement. Le 1er mars prochain, la commmission entendra Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères, Ernst Uhrlau, chef du BND et son prédécesseur August Hanning. Le 8 mars ce sera au tour de Frank-Walter Steinmeier, actuel ministre des Affaires étrangères, qui était à l’époque des faits membre du secrétaiat du Chanecelier Schröder, ainsi qu’ Otto Schily, alors ministre de l’Intérieur.
L’affaire El Masri ne fait donc que commencer : elle avait déjà été à l’origine de la création de deux commissions d’enquête, celle du Conseil de l’Europe, dirigée par le Suisse Dick Marty, et celle du Parlement européen, dirigée par le député sicilien Claudio Fava.

mercredi 31 janvier 2007

La double morale suisse

Un nouveau scandale agite la placide Confédération helvétique : une collaboration des autorités judiciaires suisses aux interrogatoires de détenus à Guantánamo.
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a demandé aux autorités américaines de montrer des photographies d'islamistes suisses présumés aux détenus de Guantanamo, selon un récent rapport.
Parlementaires, experts en droit international et organisations des droits de l'homme se sont insurgés lundi.
Daniel Vischer (Verts/ZH), président de la commission des affaires juridiques du Conseil national, a qualifié lundi sur les ondes de la radio alémanique DSR l'affaire de «scandale». Il a promis d'engager «un débat politique» au parlement.
L'organisation des droits de l'homme Amnesty International (AI) dénonce pour sa part le «double langage» de la Suisse. D'une part, la Suisse exige que le chapitre consacré à l'interdiction de la torture dans les Conventions de Genève soit respecté à Guantanamo. Dans le même temps, le Ministère public de la Confédération (MPC) collabore avec les institutions responsables des mauvais traitements infligés aux prisonniers dans la base américaine, dénonce Jürg Keller, porte-parole d'AI. «Nous sommes choqués», ajoute-t-il.
La présentation des photos est avérée, relève le quotidien alémanique Blick lundi.
Dans leur rapport annuel, la Commission de gestion du Conseil des États et la Délégation des commissions de gestion (DélCdG) en font brièvement mention.
La commission satisfaite
Le MPC a transmis les photographies à la police fédérale américaine, le FBI, qui les a montrées aux détenus de Guantanamo. Selon le rapport, le MPC a indiqué à la DélCdG s'être «adressé à l'instance judiciaire américaine compétente en passant par la voie de la coopération policière internationale».
«Le but de cette démarche était de savoir si certains détenus connaissaient des personnes mises en examen en Suisse et si ces personnes avaient été vues à proximité ou dans les camps d'entraînement en Afghanistan», poursuit le texte de la commission.
Le rapport ne dit rien en revanche des renseignements qu'auraient pu obtenir les policiers américains. Il mentionne simplement le fait que le MPC a agi «par le truchement de la voie prévue par la procédure d'entraide judiciaire». La DélCdG dit se contenter de ces réponses et estime qu'il n'y avait pas lieu de demander au parlement de prendre des mesures de «haute surveillance».
Amnesty International s'insurge contre cette conclusion. «Il nous faut des lois qui interdisent à toute institution suisse de collaborer avec un organe dont les pratiques de la torture sont avérées», affirme M. Keller.
Informations non-utilisables
La Suisse n'est pas seulement dépositaire des Conventions de Genève sur les droits de l'homme, elle a également signé la Convention internationale contre la torture, ajoute le porte-parole. Cette convention interdit à tout tribunal d'utiliser des informations obtenues sous la torture. Franz Wicki (PDC/LU), président de la commission des affaires juridiques du Conseil des États, doute que les éventuelles réponses apportées par des détenus de Guantanamo aient un quelconque intérêt: car pour un juriste, de telles «preuves» n'ont aucune valeur.
Le professeur de droit pénal zurichois Wolfgang Wohlers considère pour sa part que le MPC, avec sa manière d'agir, compromet ses propres procédures judiciaires, et «se tire une balle dans le pied». «Je voudrais souligner qu'on ne peut pas utiliser devant un tribunal des preuves découlant indirectement d'une confession obtenue sous la torture», relève M. Wohlers.
La démarche du MPC s'inscrivait dans le cadre d'une enquête sur cinq Yéménites, un Somalien et un Irakien jugés actuellement par le Tribunal pénal fédéral à Lugano. Ils sont accusés notamment d'avoir des «liens avec des organisations terroristes».

La collaboration du MPC avec les autorités de Guantanamo est «inacceptable», estime Dick Marty.
Cette prison «constitue un obstacle à la poursuite des terroristes, car aucun tribunal ne peut accepter les preuves qui y sont recueillies».

La demande du Ministère public de la Confédération (MPC) aux autorités américaines de montrer des photographies d'islamistes suisses présumés aux détenus de Guantanamo «est une forme de légitimation de cette prison illégale à tout point de vue», constate Dick Marty, interrogé mardi par l'ATS.
Double attitude
«Cette collaboration est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, à laquelle la Confédération est liée», relève également le rapporteur spécial pour le Conseil de l'Europe. Comme d'autres l'ont déjà relevé, «elle démontre la double attitude de la Suisse, qui parle de l'importance des droits de l'homme dans les discours du dimanche, et mène parallèlement des actions qui expriment un soutien à leur violation», poursuit Dick Marty.
Contre-productive
D'autres pays, notamment l'Allemagne, ont requis de Washington des «preuves» récoltées dans des interrogatoires à Guantanamo. «Cela a également créé un scandale», souligne le conseiller aux États tessinois (PRD).
Sur le plan de la lutte contre le terrorisme, cette collaboration est contre-productive, puisque «aucun tribunal ne peut accepter des preuves recueillies de personnes détenues en dehors de toute protection juridique».
Prochain rapport
Dick Marty, qui enquête lui-même sur les vols secrets de la CIA en Europe, prévoit une «intervention énergique» contre ce genre de pratiques par les autorités judiciaires européennes dans son prochain rapport au Conseil de l'Europe. Celui-ci est prévu en principe pour juin.

Source : SDA/ATS, 29-30 janvier 2007
Opinion
Scandaleuse bourde du Ministère public fédéral
Par Jean-Noël Cuénod, La Tribune de Genève, 30 janvier 2007

On se pince! Et pourtant non, on ne rêve pas. Le Ministère public de la Confédération a bel et bien demandé aux autorités américaines de montrer des photos d'islamistes suisses suspects aux détenus de Guantánamo.
Tout d'abord, cette démarche est aussi inadmissible qu'incohérente. La Suisse critique l'action américaine à Guantánamo, monstrueuse «principauté du non-droit» que le gouvernement Bush a créée. Car l'on sait qu'elle abrite exactions, humiliations, mauvais traitements. Et voilà qu'un important organe juridique helvétique - au niveau fédéral - demande la collaboration des maîtres de Guantánamo pour garnir des dossiers. Au mépris de la plus élémentaire décence et au risque de réduire la parole officielle suisse à des bruits de bouche.
A cet autobut s'en ajoute un second. Les renseignements récoltés à Guantánamo risquent fort d'être éliminés par les tribunaux. En effet, un juge helvétique ne peut pas condamner un prévenu sur la base de déclarations obtenues sous la contrainte. Ainsi, des dossiers entiers passeront peut-être à la trappe. Il faut maintenant savoir qui a entrepris cette calamiteuse entreprise et dans quelles circonstances.