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jeudi 25 juin 2009

Guantánamo chez nous

L'affaire Syed Fahad Hashmi
par Jeanne Theoharis
Traduit par Isabelle Rousselot. Édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Original : The Nation - Guantánamo at home

Deux jours après avoir prêté serment, le quarante-quatrième président des USA, Barack Obama a signé trois décrets pour interdire la torture, exiger que la CIA utilise les mêmes méthodes que les militaires pour interroger les suspects de terrorisme, fermer le réseau des prisons secrètes de la CIA et la prison de Guantánamo Bay à Cuba dans un délai d'un an. « Ce que les cyniques ne veulent pas comprendre, » a proclamé le Président dans son discours inaugural, « est que le sol a bougé sous leurs pieds. »


Zina Saunders

Mais où exactement le sol a-t-il bougé ? Les lieux où sont concentrés tous les regards – et où se concentrent les plus grandes passions contre la politique terroriste de Bush, ces dernières années – se trouvent à l'extérieur des frontières de notre nation, dans des pays éloignés et des prisons lointaines. Le problème de la torture et des autres violations des droits de l'homme dans la « guerre contre le terrorisme » des USA a été présenté comme un problème qui se déroule bien loin de chez nous. La supposition sous-jacente est que si les détenus de Guantánamo étaient jugés sur le sol des USA et dans des cours fédérales (comme le demandent de nombreux groupes), des abus aussi flagrants ne se produiraient pas.

Mais Guantánamo n'est pas juste une absurdité ; sa fermeture ne va pas faire revenir les USA à l'autorité de la loi ou à son ancien rang parmi les autres nations. Guantánamo est une manière particulière de voir la constitution, de construire le paysage comme un terrain sombre où les ennemis sont tapis, où les tribunaux sont devenus des boucliers contre de tels dangers, où les droits ont des limites et où les normes internationales doivent être mises en balance avec la sécurité nationale. C'est une excroissance d'une « guerre contre la terreur » avec des précédents historiques qui a pris racine sous le gouvernement Clinton (dans lois comme l’ Antiterrorism and Effective Death Penalty Act de 1996), qui s'est répandue comme le chiendent sous Bush et a infiltré la structure du système judiciaire. C'est une stratégie préventive où arrêter le terrorisme revient à placer en détention et poursuivre en justice des gens qui n'ont commis aucun acte réel de terrorisme mais dont les croyances religieuses et les associations politiques révèlent une intention ostensible de le faire.

Le jour après que le Président Obama eut signé les trois décrets, j’ai assisté à une audience de tribunal dans l'affaire Syed Fahad Hashmi. Hashmi est un citoyen usaméricain musulman de 29 ans, détenu en isolement cellulaire au Correctional Center (MCC), la prison fédérale, du Bas Manhattan. Il est inculpé de deux chefs d'accusation pour fourniture et conspiration de fourniture de soutien matériel et deux chefs d'accusation pour avoir apporté et comploté pour apporter une contribution de biens et services à Al Qaïda. S'il est jugé coupable, Hashmi risque soixante-dix ans de prison. Il est aussi un de mes anciens étudiants au Brooklyn College qui a obtenu son diplôme en 2003 et a eu une maîtrise en relations internationales à la London Metropolitan University en 2005.

Hashmi a été arrêté en Grande-Bretagne le 6 juin 2006, sur mandat d'arrêt des USA ; son arrestation fut présentée comme la meilleure histoire dans les programmes d'informations de la nuit sur CBS et NBC, qui ont utilisé des graphiques pour exposer la Piste et le Réseau Terroristes. Détenu pendant onze mois sans incident à la prison de Belmarsh, il est devenu le premier citoyen usaméricain à être extradé par la Grande-Bretagne en vertu des nouvelles mesures assouplissant les normes pour les extraditions dans les affaires de terrorisme.

Le Ministère de la Justice affirme que la « pièce maîtresse » de son dossier contre Hashmi est le témoignage de Junaid Babar. Selon le gouvernement, au début 2004, Babar, également citoyen US, a passé deux semaines avec Hashmi, dans son appartement de Londres. Dans ses bagages, selon le gouvernement, Babar avait des imperméables, des ponchos et des chaussettes imperméables qu'il a ensuite remis au Numéro Trois d'Al Qaïda, au Waziristan-Sud, au Pakistan. Hashmi aurait permis à Babar d'appeler d'autres conjurés d'un complot terroriste, en utilisant son téléphone portable. Babar qui a été arrêté en 2004 et a plaidé coupable pour cinq chefs d'accusation de soutien matériel à Al Qaïda, risque jusqu'à soixante-dix ans de prison. En attendant sa sentence, il a accepté de travailler au service du gouvernement en tant que témoin dans les procès des terroristes en Grande-Bretagne et au Canada, ainsi qu'au procès de Hashmi. Pour sa coopération, Babar aura droit à une peine réduite.

Les lois sur le soutien matériel sont fondées sur la culpabilité par association. Elles permettent de fabriquer une boite noire dans laquelle toutes sortes d'activités protégées par la constitution peuvent être jetées et classés comme suspectes, voire criminelles. Comme dans cette affaire, il y a peu de preuves qui lient directement Hashmi à un acte criminel, la majeure partie de l’accusation consistera à établir quelle était son intention. Pour ce faire, le gouvernement va probablement s'appuyer sur les déclarations qu'a fait Hashmi au sujet de la politique étrangère des USA, sur le traitement des musulmans ici et à l'étranger et sur d'autres questions politiques. Hashmi qui était membre du groupe politique de New York, Al Muhajiroun (Les Émigrés) lorsqu'il était étudiant au Brooklyn College, défendait des positions bien en marge du courant dominant de l'opinion publique usaméricaine. D'ailleurs, il avait attiré l'attention du Time et de CNN, en mai 2002, pour son activisme étudiant et la menace potentielle pour le pays qu’il était censé représenter ; les deux médias rapportaient ses propos lors d'une réunion du Brooklyn College en 2002 : les USA sont « les plus grands terroristes du monde. » Le gouvernement n'a cependant pas classé Al Muhajiroun sur la liste des organisations terroristes ni considéré illégale, l'adhésion à cette organisation. Ainsi, ces poursuites judiciaires permettent de criminaliser un discours politique protégé par la constitution.


Mohamed Junaid Babar, un prétendu membre opérationnel d'Al Qaïda devenu informateur de la police, témoigne ici à charge au procès de Momin Khawaja à Ottawa. Selon lui, Khawaja aurait voulu se rendre en Afghanistan en 2002, pour y combattre, mais ne l'aurait jamais fait. Il aurait en outre mis une maison à disposition de "frères" à Rawalpindi, au Pakistan. AP Photo

En attendant son procès, Hashmi est en cellule d'isolement au MCC, depuis mai 2007. Depuis octobre de cette année, il est détenu selon les « Mesures administratives spéciales » (SAM d'après leur sigle en anglais) imposées et renouvelées par le ministre de la Justice. Le pouvoir du gouvernement d'imposer les SAM a été instauré en 1996. Depuis le 11 septembre, les normes pour les imposer, et les conditions pour leur renouvellement, ont été simplifiés de façon significative. Avec les SAM, Hashmi n'a droit à aucun contact, à l'exception de son avocat, et plus récemment avec ses parents – à aucun appel téléphonique,, aucune lettre, interdiction de parler aux autres prisonniers au travers des murs et sa cellule est surveillée électroniquement à l'intérieur et à l'extérieur. Il doit se doucher et aller aux toilettes sous la surveillance permanente de la caméra. Il ne peut écrire qu'une lettre par semaine à un unique membre de sa famille, mais il a droit à trois feuilles de papier maximum. Il n'a pas le droit d'être en contact, directement ou par le biais de son avocat, avec les médias. Il a le droit de lire le journal mais seulement les parties approuvées par ses geôliers, et pas avant 30 jours après leur publication. ll a droit à une heure de sortie en dehors de sa cellule, par jour – heure qui est souvent refusée – mais il n'a pas le droit de sortir en plein air, par contre il est obligé de faire de l'exercice en isolement, dans une cage. Les SAM représentent une menace importante pour la santé mentale de Hashmi et pour sa capacité à participer pleinement à sa défense. La sévérité de ces mesures jette une ombre de suspicion sur le détenu, le décrivant en fait, comme coupable avant même qu'il n'entre dans la salle d'audience. Sa « propension à la violence » est citée comme raison à ces mesures, malgré le fait qu'il n'ait jamais été accusé (ou déclaré coupable) d'avoir commis un acte de violence.


De plus, avec la Classified Information Procedures Act (Loi de procédure pour les informations classifiées), édictée en 1981, qui vise à empêcher toute manipulation par des agents de renseignements US lors de poursuites judiciaires, la plupart des preuves contre Hashmi sont classées confidentielles, ce qui signifie qu'il n'aura pas le droit de voir beaucoup de preuves lors de son procès. Son avocat a du obtenir une habilitation de sécurité de la CIA pour avoir la possibilité d'en prendre connaissance. Cependant, pour préserver la sécurité nationale, l'avocat de Hashmi a l'interdiction de discuter des preuves du gouvernement avec Hashmi, ni avec aucun expert extérieur qui n'ait pas reçu l’habilitation de la CIA.

À l'audience de Hashmi du 23 janvier, la juge fédérale du district Loretta Preska a écouté la défense contester les conditions de son isolement, avant son procès. La défense a présenté la preuve de l'impact dévastateur de l'isolement cellulaire à long terme et de la privation sensorielle sur le mental des prisonniers ainsi que sur leur santé physique et sur leur capacité à participer à leur défense. L'avocat de la défense, Sean Maher a cité le travail de différents experts médicaux et de spécialistes comme le professeur de psychologie, Craig Haney à l'Université de Californie, à Santa Cruz, qui conclut que « il n'y a pas une seule étude publiée sur l'isolement cellulaire ou l'isolement en sécurité maximum .. qui n'ait pas démontré ses effets négatifs psychologiques. »

La défense a demandé quelques modestes changements aux conditions d'isolement de Hashmi : que ses parents âgés et infirmes aient l'autorisation d'aller le voir tous les deux ensemble, qu'il ait l'autorisation de faire de l'exercice sur l’aire de récréation aménagée sur les toits du MCC et avec d’ autres prisonniers, de participer à un groupe de prière et d'avoir un compagnon de cellule. Le juge a refusé toutes ces demandes, se rangeant du côté de l'argument tautologique du procureur général comme quoi l'imposition première des SAM prescrivant des mesures de haute sécurité démontrait la justesse des considérations de sécurité nationale dans l'affaire Hashimi, rendant ainsi les conditions de son isolement légitimes et nécessaires. Ce n'est donc pas surprenant que, dans des affaires comme celle de Hashmi où les SAM ont été imposées depuis le 11 septembre, presque aucune de ces mesures n'ait été levée. La juge Preska a également soutenu que les restrictions imposées à Hashmi sont « administratives plutôt que punitives » et donc constitutionnelles.

Hashmi a passé presque un an et demi, sous SAM, dans un centre de détention fédéral à Manhattan sous l'autorité du Tribunal fédéral du District Sud de New York. Les conditions de son isolement avant son procès ne sont pas vraiment plus humaines que celles de beaucoup de prisonniers à Guantánamo, tout comme son droit à un procès juste dans la ville de New York n'est pas explicitement plus protégé que celui des ressortissants étrangers confrontés aux commissions militaires US dans d'autres parties du monde. Que va t-il se passer alors si les détenus de Guantanamo sont transférés et jugés par des tribunaux fédéraux ?

Les conditions inhumaines de l’isolement de Hashmi pendant sa détention préventive ne sont pas isolées. Le citoyen canadien et résident légal aux USA, Mohammed Warsame a été détenu pendant plus de cinq ans à Minneapolis sans procès (dont la majorité en isolement cellulaire en application de SAM) malgré une procédure pour accélérer le procès enclenchée par ses avocats, il y a plus de trois ans. En décembre 2003, Warsame disparut secrètement pendant quatre jours pour interrogatoire "volontaire" dans une base militaire au nord du Minnesota. Les autorités pensaient qu'il détenait des informations sur Zacarias Moussaoui, car les deux hommes allaient à la même mosquée au Minnesota. Détenu en tant que témoin matériel, Warsame connaissait à peine Moussaoui et n'avait aucun témoignage à fournir à son sujet, même lorsqu'il a comparu à son procès. Le gouvernement a alors déposé des accusations de soutien matériel contre Warsame, affirmant qu'il avait enseigné l'anglais à des infirmières talibanes, qu'il avait mangé dans la même pièce qu'Ossama Ben Laden et qu'il avait envoyé 2 000 $ à des gens en Afghanistan qui, selon le gouvernement, seraient des Talibans.

Les violations des droits civiques sont également établies dans la politique pénitentiaire. En décembre 2006, le Ministère de la Justice a tranquillement mis en place une infrastructure ségrégationniste, l'Unité de gestion de communication, à la prison fédérale de Terre Haute dans l'Indiana, pour des détenus pour terrorisme de sécurité moyenne. Presque tous les détenus transférés à Terre Haute sont musulmans. Tous les appels et courriers (communication habituellement restreinte par les employés de la prison) sont surveillés et les prisonniers ne sont autorisés à communiquer entre eux qu’en anglais. Les terroristes les plus dangereux sont généralement envoyés dans l'unité pénitentiaire et administrative de sécurité maximum, connue sous le nom de Supermax, à Florence au Colorado. Le Gouverneur du Colorado, Bill Ritter envisage d'ouvrir les portes de la prison aux détenus de Guantanamo ; l'infrastructure, selon le porte-parole de Ritter, est "construite exactement pour ce type de détenus à haut risque" Amnesty International a émis des critiques envers les conditions de vie à Supermax, où les prisonniers n'ont pratiquement aucune possibilité d'interaction humaine, d'exercice physique ou de stimulation mentale – ces mêmes conditions que subissent beaucoup d'hommes à Guantánamo et que subit Hashmi à Manhattan. De fait, un des suspects de terrorisme les plus recherchés des USA, Khalid Al Fawwaz se bat contre son extradition aux USA en plaidant que les conditions dans une prison comme Supermax au Colorado, sont en violation de l'article 3 de la Loi britannique sur les droits de l'homme, qui interdit la torture et autre traitement ou châtiment inhumain ou dégradant.



Le Metropolitan Correction Center de Manhattan


Des six personnes, dont Hashmi , soumises aux SAM en détention préventive aux USA, trois se trouvent sous la juridiction du procureur général pour le District Sud de New York. Proche de Ground Zero, théâtre politique du 11 septembre, ce bureau de Manhattan a pris une grande latitude en imposant des conditions d'emprisonnement extrêmes. Avant 2001, les SAM étaient utilisées contre les prisonniers de haute dangerosité dont le pouvoir et l'influence pouvaient inspirer des actes de violence à l'extérieur de la prison (comme le chef du gang des Latin Kings qui a ordonné un meurtre depuis la prison). Aujourd'hui, ces mesures sont imposées de façon plus abusive, contre les suspects que le gouvernement cherche à étiqueter comme dangereux, sans tenir compte d’ actes qu'ils auraient réellement commis ni de leur influence à l'extérieur de la prison (D'ailleurs, le procureur général n'a pas affirmé publiquement que Hashmi avait une action à l'extérieur de la prison). De plus, le District Sud de New York est un tremplin majeur pour un poste national – et poursuivre des terroristes donne un plus à votre CV.


Sur la scène de la justice usaméricaine contre le terrorisme, les procureurs généraux à travers tout le pays sont désormais devenus les acteurs principaux. Mis en avant aux actualités télévisées du soir, ils parlent avec des tons sinistres de l'importance des derniers actes d'accusation de terrorisme – complots déjoués, cellules dormantes découvertes, terroristes attrapés. La représentation publique de ces actes d'accusation rappelle aux Usaméricains le grave danger auquel fait face la nation et la nécessité de mesures spéciales pour nous protéger, et ceci nous rassure sur la capacité du gouvernement à déjouer le danger. L’absence de preuves dans beaucoup de ces affaires et le traitement inhumain des suspects ont suscité une indifférence notable des juges. Mais de telles dérogations au droit et au principe d’une justice équitable reçoivent rarement une couverture médiatique importante.


À Miami, les procureurs retournent pour la troisième fois au tribunal, cherchant à condamner six hommes pour les chefs d'accusation de soutien matériel et de conspiration dans l'intention de faire sauter la Tour Sears. Les informations du soir de juin 2006 avaient claironné l'arrestation de sept hommes « musulmans » et la mise en échec de leur plan d'attaquer la Tour Sears dans le cadre d'un jihad (le jour suivant cependant, même le FBI a décrit le plan comme « un projet plutôt qu'une réelle opération. » ["aspirational rather than operational."]) Les sept hommes sont en fait des membres du Moorish Science Temple, une secte religieuse qui mélange des éléments du christianisme, du judaïsme, de l'Islam et du nationalisme noir. L'affaire, manquant de preuve concrète, comme des armes ou des plans et utilisant des informateurs douteux (les jurés eurent le sentiment qu'un informateur du FBI influençait les hommes), s'est déjà terminée par deux non-lieux pour vices de procédure. Pourtant le procureur des USA a fait pression pour un troisième procès afin de « protéger la communauté », même si aucune nouvelle preuve n'est apparue.


Les différents médias du pays ont gonflé l'histoire des « cellules dormantes » découvertes à Detroit en 2002 et à Lodi en Californie en 2005. Deux hommes à Detroit furent reconnus coupables en 2003 mais virent par la suite leurs sentences suspendues (et le procureur général fut inculpé) quand il fut découvert que le procureur général dissimulait une preuve disculpatoire. À Lodi, un autre informateur du FBI qui avait été payé 250 000 $ pour son travail, avait agi en tant qu'agent provocateur avec le père et le fils, Umer et Hamid Hayat. Le gouvernement réussit à obtenir une condamnation du fils en utilisant les confessions contradictoires et mensongères des Hayat – les deux demandèrent à coopérer avec les enquêteurs. (Le père alla jusqu'à affirmer que son fils s'entraînait dans un sous-sol, et y pratiquait des exercices de sauts à la perche. Quand l'interrogateur du FBI remarqua que le plafond du sous-sol devait être très haut, le père fut d'accord…). Un agent du FBI depuis de longues années, allait témoigner pour la défense des Hayat en disant que c'était « l'enquête la plus négligente et juvénile » qu'il ait jamais vu produite par le FBI, mais la cour rejeta son témoignage.

Et puis il y a l'affaire du « chef terroriste » et professeur à l'Université de Floride du Sud, Sami Al-Arian, racontée en détail par Alexander Cockburn dans The Nation. Après plus d'une décennie de surveillance, des années d'isolement cellulaire et un procès qui a duré six mois et a coûté 50 millions de $, les jurés ont acquitté Al-Arian pour huit des chefs d'accusation les plus graves (et classé sans suite le reste des accusations). Le gouvernement a poussé Al-Arian à plaider coupable pour un chef d’inculpation et puis a annulé son accord en l'assignant devant un grand jury. Refusant de se présenter, Al-Arian risque maintenant une condamnation pour outrage à magistrat, portée par l'assistant du procureur général pour le District Oriental de Virginie. La Juge Leonie Brinkema envisage un non-lieu pour cette affaire. Début mars, elle a mis en doute les actions du procureur général dans l’accord avec Al-Arian : « Je pense qu'il y a quelque chose de plus important ici, et c'est l'intégrité du ministère de la justice».


Lors de sa confirmation au poste du ministre de la Justice, Eric Holder a déclaré sans équivoque que « Guantánamo sera fermé », tout en promettant simultanément de « combattre le terrorisme avec tous les outils disponibles. » Il est important de fermer une prison renégate dans un coin éloigné de Cuba. Mais c'est tout aussi important, même si c'est plus difficile, de regarder ce qui se passe chez nous. C'est ici, dans le Bas Manhattan, à Minneapolis et à Miami, dans notre ministère de la Justice, que les choses doivent bouger sous nos pieds. C'est ici que des citoyens Usaméricains et des résidents, dans notre système de cours fédérales et sous nos yeux, attendent leurs procès et se trouvent souvent face à des preuves classées secrètes et spécieuses dans des conditions inhumaines qui donnent lieu à des punitions cruelles et inhabituelles. Fermer Guantánamo exige que nous examinions et reconstruisions les systèmes politiques et judiciaires à l'intérieur de nos frontières – réformer le ministère de la Justice, les tribunaux et la politique pénitentiaire. Il serait judicieux que nous prêtions attention à l'avertissement de l'ancien Président de la Cour suprême, Earl Warren, sur les dangers qui guettent nos processus judiciaires : « Ce serait vraiment ironique, » prévenait Warren en 1967, « que, au nom de la défense nationale, nous autorisions la destruction de (…) ces libertés (…) qui font que la nation vaut la peine d’être défendue. »

vendredi 19 juin 2009

La Chambre des représentants dit NO au transfert de détenus de Guantánamo vers le territoire US

La commission des Services armés de la Chambre des représentants américaine a interdit hier, dans le cadre du projet de budget 2010 de la Défense, le transfert vers les États-Unis de détenus de Guantánamo.
La commission a approuvé par 61 voix à 0 le budget du ministère de la Défense américain pour l'exercice 2010, soit 550,4 milliards de dollars.
Le projet de budget, qui devra être approuvé par la Chambre dans son ensemble, prévoit également la mise à disposition du ministère de 130 milliards de dollars pour les opérations en Irak et en Afghanistan, ou tout autre théâtre d'opération étranger éventuel.
Mais le texte ne contient pas de fonds visant à financer des transferts de détenus de Guantánamo vers les États-Unis pour l'exercice 2010 qui commence le 1er octobre 2009.
«Il est interdit de transférer les détenus sans que le président [Barack Obama] ait présenté un plan sur les dangers potentiels pour les États-Unis, leurs territoires et possessions, sur la façon dont le président envisage d'atténuer ces risques et sur le sort de chaque détenu», lit-on dans le résumé du projet approuvé par la commission.
Début juin, les membres d'une sous-commission du Congrès chargée de la répartition de fonds publics avaient approuvé le budget 2010 du ministère de la Justice de 64,4 milliards de dollars, sans y inclure les fonds demandés par l'administration pour fermer Guantánamo.
Cette commission avait également interdit le transfert de détenus sur le sol américain.
Par ailleurs, le projet de budget supplémentaire pour financer les troupes américaines jusqu'au 30 septembre 2009, adopté par la Chambre mardi soir, ne fournit pas non plus de fonds pour la fermeture du camp. En revanche, dans ce cadre, un accord permet à l'administration de transférer des détenus sur le sol américain en vue de leur procès.
Le ministre de la Justice, Eric Holder, s'est dit convaincu hier que les États-Unis parviendraient «à trouver un pays d'accueil» pour la cinquantaine de détenus de Guantánamo considérés comme libérables.
Source : AFP, 18/6/2009

Un europhile pour «vendre» Guantánamo

par Luis Lema, Le Temps, 19/6/2009


En tournée en Europe, Daniel Fried arrive ce vendredi à Berne pour tenter de placer des détenus «libérables»
Trois détenus pour l’Italie. Quatre supplémentaires pour l’Espagne. Peut-être «un ou deux» en Hongrie. Et la Suisse? En tournée d’une semaine en Europe, Daniel Fried, le «Monsieur Guantanamo» du Département d’Etat américain, devrait tenter ce vendredi d’ajouter Berne à son palmarès. Ce diplomate europhile, nommé à son poste en mars dernier par Hillary Clinton, a une tâche bien précise: convaincre l’Europe de prendre des engagements concrets à l’heure d’accepter les prisonniers de Guantanamo dont les Etats-Unis ne veulent pas.

L’Europe réticente
Dès la première heure, Daniel Fried fut l’un des défenseurs, aux Etats-Unis, du métallurgiste de Gdansk Lech Walesa. Devenu l’un des maîtres d’œuvre de l’élargissement de l’OTAN à l’Europe de l’Est, puis ambassadeur en Pologne, il a été choisi parce qu’il connaît bien l’Europe et les Européens. Plus: sous George Bush, il faisait le poing dans la poche, défendant les intérêts européens au Conseil national de sécurité, alors que son administration raillait à qui mieux mieux cette «vieille Europe» décadente.

Aujourd’hui, c’est à ce même Daniel Fried d’essayer de réparer les pots cassés. Or il le sait mieux que personne: l’Europe est encore extrêmement réticente à l’idée d’endosser ce fardeau hérité de l’administration Bush. Et ses réserves ne sont pas infondées. Comme le résumait récemment le ministre allemand de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble: «Si aucun des Etats américains ne veut prendre ces prisonniers, il faut expliquer au public européen pourquoi les règles en Europe devraient être différentes de celles des Etats-Unis.»
Pour une raison bien simple, en réalité: devenue un très gros enjeu politique américain, la libération des prisonniers de Guantanamo rencontre une opposition de plus en plus frontale aux Etats-Unis. Républicains et démocrates confondus, les élus ne veulent pas entendre parler de ces détenus qui, après avoir été présentés comme «le pire du pire» par l’équipe de George Bush, se perdraient dans la nature en Amérique. Or ils ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine où ils risquent la torture et la persécution. Si Daniel Fried ne parvient pas à faire plier les Européens, la promesse présidentielle de fermer Guantanamo d’ici à janvier prochain pourrait être sérieusement compromise.
Pressé de questions, le ministre de la Justice, Eric Holder, l’a admis devant les sénateurs mercredi: il estime que, sur les quelque 230 détenus qui restent à Guantanamo, une cinquantaine tout au plus seront jugés aux Etats-Unis, dans des cours civiles ou militaires. D’autres (dont le nombre n’est pas établi) continueront d’être emprisonnés sans jugement. Des négociations sont par ailleurs en cours avec l’Arabie saoudite pour qu’elle se charge d’un fort contingent de prisonniers yéménites que l’administration ne veut renvoyer au Yémen de peur qu’ils grossissent là-bas les rangs des sympathisants d’Al-Qaida. Restent encore une soixantaine de détenus «libérables», sur lesquels ne pèse aucune charge, et que Daniel Fried doit «vendre» en Europe, ou alors en Asie ou en Australie.

Niveau de «dangerosité»?
Vendre? Cette semaine, le délégué américain a exclu que les Etats-Unis offrent de l’argent en échange des détenus. Il a cependant répété que Washington était prêt à financer une partie des coûts de leur prise en charge. Fait nouveau: le diplomate vient aussi de suggérer que les futurs pays hôtes pourront «interviewer» les prisonniers avant de décider ou non de les accepter. Comme la Suisse (LT du 16.06.2009), de nombreux pays d’accueil se sont plaints du fait que les dossiers transmis par Washington sont extrêmement lacunaires. Pas moyen, notent ces Etats, d’avoir une idée précise de l’histoire des détenus ou de leur niveau de «dangerosité».

La Suisse a été le premier pays à s’engager à accueillir des prisonniers de Guantanamo, le jour même de l’investiture de Barack Obama. Jeudi, Amnesty International invitait Berne à se saisir de l’occasion de la visite de Daniel Fried pour «débloquer le dialogue hésitant mené jusque-là». Le Conseil fédéral, disait encore l’organisation de défense des droits de l’homme, «doit maintenant donner des informations de manière transparente sur la suite de la procédure et sur les problèmes restant à résoudre pour qu’une décision puisse rapidement être prise».


mardi 9 juin 2009

Ahmed Ghailani transféré de Guantánamo à New York

WASHINGTON - Ahmed Khalfan Ghailani, militant présumé d'Al Qaïda accusé d'implication dans les attentats de 1998 contre les ambassades US au Kenya et en Tanzanie, a été transféré mardi de la prison de Guantanamo à New York, où il comparaîtra devant un tribunal, annonce le département de la Justice.

Ghailani est le premier détenu de Guantanamo à être traduit devant la justice civile. Il sera présenté dans la journée à un tribunal fédéral de Manhattan, a précisé le ministère.
Cette comparution découle de la décision du président Barack Obama de fermer d'ici un an le centre de détention créé par l'administration Bush sur la base navale US située à la pointe est de Cuba.
Ghailani est arrivé à New York escorté par des "Marshals", un corps de police fédérale.
De nationalité tanzanienne, il fait partie d'un groupe de 14 "détenus de grande valeur" transférés à Guantanamo en septembre 2006 à partir de prisons secrètes de la CIA.
Le prévenu devra répondre de 286 chefs d'accusation, dont celui de conspiration avec Oussama ben Laden et d'autres membres d'Al Qaïda en vue de tuer des Usaméricains.
Il est également accusé du meurtre de chacun des 224 personnes tuées lors des attentats contre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et Dar es Salaam le 7 août 1998.
L'attentat de Tanzanie avait fait 11 morts, celui du Kenya 213 morts. On accuse notamment Ghailani d'avoir participé à l'achat et au chargement des réservoirs de produits chimiques et des caisses d'explosifs utilisés à Dar es Salaam.
Selon les minutes d'une audience en 2007 à Guantanamo, il avait reconnu avoir livré ces produits et présenté ses excuses, assurant ne pas avoir su qu'ils serviraient à un attentat.
L'éventuelle présence sur le sol US d'ex-détenus de Guantanamo a suscité des critiques du camp républicain, pour qui ils constitueraient une menace pour la sécurité nationale.
Dans un communiqué, le ministre de la Justice Eric Holder a souligné que son département avait une longue expérience de gestion de la détention et des procédures judiciaires en matière de terrorisme qu'il mettrait à profit pour obtenir la justice dans ce dossier.
Source : Reuters, 9/6/2009

mercredi 18 mars 2009

L'Europe négocie l'accueil de détenus de Guantanamo

par Corine Lesnes, Le Monde, 18/3/2009
Les Etats-Unis et l'Union européenne ont entamé officiellement, lundi 16 mars, leurs discussions sur l'accueil éventuel de détenus de Guantanamo en Europe. Jusqu'ici, Washington n'a pas formulé de demande officielle, mais une soixantaine de prisonniers seraient concernés. Les Européens ont réclamé la transparence sur la situation des détenus et les raisons pour lesquelles ils ont été arrêtés. La décision finale d'accueil reviendra à chaque pays mais, compte tenu de la liberté de circulation qui prévaut dans l'espace Schengen, la commission de Bruxelles veut agir "de manière coordonnée".
Deux mois après l'annonce par Barack Obama de sa décision de fermer Guantanamo avant la fin janvier 2010, une délégation européenne a présenté au ministre américain de la justice, Eric Holder, et au numéro deux du département d'Etat, Jim Steinberg, une "liste de questions" en vue d'étudier la possibilité de "reloger" la soixantaine d'étrangers - sur les 240 encore détenus - contre lesquels les Etats-Unis ne souhaitent pas engager de poursuites et qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine.
Selon le vice-président de la Commission européenne chargé de la justice, Jacques Barrot, et le ministre de l'intérieur tchèque, Ivan Langer, dont le pays préside l'Union européenne, le département d'Etat a de son côté proposé d'élaborer un protocole d'accord qui rappellerait "les principes qui doivent inspirer la lutte antiterroriste".
Cette déclaration montrerait que les Etats-Unis ont clairement l'intention de tourner la page sur leur politique de détention, a expliqué M. Barrot, "de manière à nous rassurer sur la conduite future des Etats-Unis".
La liste de questions, préparée par la Commission européenne et la présidence, compte une vingtaine de points. La moitié concerne les détenus eux-mêmes et leur dossier. Les Européens veulent, par exemple, comprendre la différence, dans la nomenclature américaine, entre un détenu déclaré "prêt à être libéré" ou "prêt à être transféré".
Les autres questions sont d'ordre plus général, les Européens voulant s'assurer que "les erreurs du passé ne seront pas reproduites", a expliqué M. Barrot, en précisant qu'il avait évoqué la situation à la prison de Bagram, située en Afghanistan.
Le ministre tchèque, Ivan Langer, a souligné quant à lui que la délégation n'avait "pas mandat pour négocier", mais il a néanmoins fait mention d'une "condition" européenne : obtenir "le maximum d'informations" sur les individus concernés.
La République tchèque est l'un des pays, avec le Danemark et les Pays-Bas, qui ne souhaitent pas héberger d'anciens de "Gitmo". Plusieurs autres se sont en revanche proposés, comme l'Espagne et le Portugal.
Les Européens ont aussi fait comprendre à leurs interlocuteurs qu'ils n'avaient pas l'intention de se fâcher avec la Chine en accueillant les dix-sept Ouïgours qui ont été blanchis dès 2003, et qui sont détenus à part en attente d'un pays d'accueil depuis plus de cinq ans.
M. Barrot a fait valoir que les pays dotés d'une forte communauté chinoise sont mieux préparés que les Européens pour accueillir ces Ouïgours. Mais le partage du fardeau ne semble plus une condition préalable, aux yeux des Européens, comme sous l'administration Bush.
Parmi les soixante détenus qui pourraient être "relogés" en Europe figurent des ressortissants de l'Algérie, de la Tunisie, de l'Egypte, de la Libye, de la Syrie, de la Chine, de la Russie, de l'Azerbaïdjan, du Tadjikistan, de l'Ouzbékistan et des Territoires palestiniens.
En ce qui concerne les suspects que Washington espère passer en procès, le gouvernement n'a toujours pas décidé si les poursuites seraient engagées devant la justice militaire ou la justice civile.
Vingt et une personnes inculpées de crimes de guerre
800. C'est le chiffre total de prisonniers qui ont été incarcérés depuis janvier 2002 et soupçonnés d'être des "ennemis combattants illégaux", une catégorie juridique inventée en 2001 par l'administration Bush pour se soustraire aux conventions de Genève et qui vient d'être abandonnée officiellement par l'administration Obama.
240 d'entre eux restent détenus à Guantanamo dont vingt et un sont inculpés de crimes de guerre.
60 hommes sont libérables, mais ils ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine où ils risquent des persécutions.
Condamnations. Des tribunaux militaires d'exception ont jugé le Yéménite Ali Hamza Al-Bahlul (qui avait été condamné à la prison à vie en novembre 2008), l'Australien David Hicks (neuf mois de prison et aujourd'hui libre dans son pays) et le Yéménite Salim Hamdan (cinq ans et demi).