mardi 20 février 2007

Un "corbeau" dans l'affaire des Français de Guantánamo

par Yves Bordenave, Le Monde, 19 février 2007

La lettre du corbeau est arrivée sur le bureau du vice-président de la 16e chambre correctionnelle de Paris, Jean-Claude Kross, le 3 février. La missive dactylographiée, postée dans le 16e arrondissement de la capitale, désignait nommément un commissaire de la direction de la surveillance du territoire (DST) et un colonel de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) comme étant les deux agents spéciaux ayant interrogé les prisonniers français au centre d'internement américain de Guantánamo en janvier et mars 2002. Pour cette mission, toujours couverte par le secret-défense, les deux officiers actuellement en poste à l'étranger étaient accompagnés d'un représentant du ministère des affaires étrangères. Ce rebondissement dans l'affaire des six Français de Guantánamo pourrait retarder la réouverture de leur procès, prévue le 2 mai.
Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Brahim Yadel, Imad Achab Kanouni, Khaled Ben Mustapha et Redouane Khalid avaient comparu, du 3 au 12 juillet 2006, devant le tribunal correctionnel de Paris pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", après avoir été internés hors de tout cadre légal à Guantánamo pendant plus de deux ans à partir de janvier 2002.
A l'issue de cette audience, le tribunal avait décidé, le 27 septembre, de renvoyer l'affaire pour "supplément d'information" (Le Monde du 29 septembre 2006). Le tribunal souhaitait connaître les conditions dans lesquelles les fonctionnaires français qui s'étaient rendus à Guantánamo avaient interrogé les prévenus.A la mi-décembre 2006, Jean-Claude Kross a entendu comme témoins le diplomate François Barry Delongchamps - auteur d'une note confidentielle sur le sujet, datée de Washington en avril 2002 -, l'officier de la DST Jean-Louis Gimenez et l'ancien directeur de cet organisme, Louis Caprioli. Se protégeant derrière le secret-défense, les trois fonctionnaires n'ont pas voulu révéler l'identité des agents dont le juge vient d'avoir connaissance.
"Cette mission était conduite par un agent du ministère des affaires étrangères dont le nom est couvert par le secret de la défense nationale", a déclaré au juge M. Barry Delongchamps.Au cours de ces auditions, dont Le Monde a pu lire les procès-verbaux, les trois fonctionnaires ont également refusé de préciser au magistrat le cadre dans lequel les interrogatoires avaient été menés. "Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question qui relève du secret de la défense nationale", a indiqué M. Barry Delongchamps.
"PAS AUTORISÉ À EN PARLER"
Convoqués le même jour, les officiers de la DST n'ont guère été plus prolixes. "Je sais que des missions de la DST ont été mises en oeuvre sur Guantánamo, mais je ne sais pas exactement quelle a été leur ampleur et leur nature", a assuré Jean-Louis Gimenez tout en concédant que "de toute manière, (il n'est) pas autorisé à en parler car il s'agit exclusivement d'une mission de renseignement". Un coin du voile entourant ce mystère est désormais levé.
Les révélations du corbeau permettent au président Kross, qui avait envisagé de confronter les six prévenus aux trois témoins, d'entendre directement les acteurs de cette mission secrète. C'est en tout cas ce que souhaitent les avocats des prévenus.

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