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jeudi 5 juin 2008

« 17 Guantánamo flottants »

Par Fausto Della Porta, il manifesto , 3 juin 2008. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pas un, mais 17 Guantánamo. Avec des prisonniers enfermés non pas sur une île mais sur 17 bateaux de guerre. La dénonciation provient de l’ONG Reprieve, d’après laquelle des bateaux de guerre usaméricains seraient utilisés comme prisons pour détenir, interroger – avec des méthodes proches de la torture- et déplacer à travers la planète une partie des prisonniers capturés pendant la « guerre contre le terrorisme ». Washington a immédiatement démenti le rapport.

L’utilisation de bateaux-prisons aurait commencé fin 2001 (au début donc de la campagne contre l’Afghanistan des talibans). Le rapport de Reprieve sera publié dans les prochains jours mais il a été anticipé le 2 juin par le quotidien britannique Guardian.

Il avait déjà été question ces dernières semaines de la possibilité que les USA utilisent des bateaux de guerre en déplacement pour cacher des personnes détenues illégalement. Selon les éléments recueillis par l’ONG, au moins 200 cas de rendition – « transferts extraordinaires » illégaux dans des prisons secrètes délocalisées dans des pays où il est possible de pratiquer la torture - auraient eu lieu de manière avérée depuis 2006. Et pourtant, il y a deux ans, le président Georges Bush avait assuré qu’on avait mis fin à de telles pratiques. Clive Stafford Smith, le responsable juridique de Reprieve, a déclaré au Guardian que les USA « ont choisi les bateaux afin de tenir leurs méfaits loin des yeux des médias et des avocats des associations humanitaires ; mais nous arriverons bien finalement à réunir tous ces détenus fantômes et à faire valoir leurs droits ». « Les USA – poursuit Smith - détiennent en ce moment, de leur propre aveu, 26 000 personnes dans leurs prisons secrètes, mais nos estimations sont qu’au moins 80 000 pesonnes, à partir de 2001, sont passées par cet engrenage. Il est temps que l’administration US montre un engagement concret à respecter les droits humains ». Parmi les nombreux témoignages recueillis dans les documents de l’ONG britannique, on peut lire celui d’un prisonnier de Guantanamo (où environ 300 musulmans restent prisonniers en régime de détention administrative, sans accusation formelle à leur charge) qui rapporte l’expérience d’un de ses voisins de cage : « Il m’a raconté qu’ils étaient une cinquantaine sur ce bateau, enfermés à fond de cale, et qu’ils étaient plus tabassés qu’à Guantanamo ».

Le rapport suspecte en outre que certains prisonniers fantômes ont transité par des structures de la base militaire de Diego Garcia, dans l’Océan Indien. Ce qui coïnciderait avec la reconnaissance partielle du ministre des Affaires Étrangères de Londres, David Miliband, qui avait dit en février dernier que deux avions US en mission de « rendition » avaient fait escale sur cette base. « Pas à pas – a commenté Andrew Tyrie, président de la Commission parlementaire sur les missions de torture - la vérité sur les « renditions » vient au jour : ce n’est qu’une question de temps. Le gouvernement ferait mieux d’éclaircir ça immédiatement ».

Un porte-parole de la marine militaire US a cependant démenti les conclusions de Reprieve. « Il n’y a pas de prisons sur les bateaux usaméricains » a dit le commandant Jeffrey Gordon au Guardian. Mais c’est désormais un fait établi que les missions de torture usaméricaines ont été consolidées et sont de pratique commune : des bases secrètes de la CIA – dit le Guardian- opéraient en Roumanie, en Pologne, en Thaïlande et en Afghanistan. « Toutes ces bases secrètes font partie d’un réseau mondial dans lequel les gens sont détenus indéfiniment, sans que des chefs d’accusation soient formalisés, et sont soumis à la torture – en violation totale des Conventions de Genève et de la Charte des droits de l’homme de l’ONU », avait déclaré Ben Griffin, ex-membre des forces spéciales britanniques. Griffin a ensuite ensuite été réduit au silence par le ministre de la Défense qui a obtenu, une mise en demeure de tribunal à son encontre.



La base de Diego Garcia, dans l'Océan Indien

dimanche 21 octobre 2007

Diego Garcia, succursale de Guantánamo ?

L’île de Diego Garcia, dans l’Archipel des Chagos, dans l’Océan Indien, est-elle un des sites noirs utilisés par la CIA et le Pentagone pour détenir secrètement des prisonniers de la “guerre contre le terrorisme” ? On se pose cette question depuis des années. On va peut-être finir par connaître la vérité : la commission des Affaires étrangères du parlement britannique va mener une enquête sur cette affaire, à la demande de l’assocation Reprieve, qui défend les intérêts de nombreux détenus de guantánamo.Diego Garcia est un territoire britannique dont les 2000 habitants ont été chassés au début des années 1970, après que le Royaume-Uni, par un accord secret, eut cédé l’île aux USA, qui y ont établi une base aéronavale. Selon un document de 1984, la base comprend aussi une prison, qui aurait été réaménagée après le 11 septembre 2001. Plusieurs détenus transférés d’Afghanistan à guantánamo ont été détenus sur un navire-prison militaire qui aurait pu être au mouillage à Diego Garcia. S’il s’avérait qu’un territoire britannique servait de lieu de détention secret US, cela créerait un embarras certain au gouvernement de Londres.
Source : http://www.guardian.co.uk/usa/story/0,,2194649,00.html

mardi 7 août 2007

Plongée au cœur des prisons secrètes de la CIA

par Benoît Vitkine, Le Monde, 7 août 2007

Que s'est-il passé dans les prisons secrètes de la CIA où ont été enfermés nombre de suspects de terrorisme après les attentats du 11 septembre ? Dans son édition datée du 13 août, le magazine américain New Yorker propose une plongée dans ces sites secrets où, malgré les dénégations officielles, la torture semble avoir été pratiquée à grande échelle et de façon systématique. La journaliste, Jane Mayer, appuie son enquête sur un rapport confidentiel du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a eu accès aux témoignages de quinze suspects désormais détenus à Guantánamo. Le rapport du CICR est confidentiel, l'organisation estimant la discrétion nécessaire à la poursuite de son travail.
Ses conclusions sont sans appel. Les responsables américains impliqués dans le programme de la CIA ont commis des "crimes sérieux", en violation de la convention de Genève et de la législation américaine, selon l'auteure de l'article. Au point que de nombreux agents de la CIA commenceraient à s'inquiéter et chercheraient à couvrir leurs arrières sur le plan judiciaire.

INTERROGATEURS FORMÉS SUR LE TAS AUX TECHNIQUES DU KGB
La genèse du programme des prisons secrètes remonte, selon la journaliste, au 17 septembre 2001, date à laquelle le président Bush a autorisé la formation d'unités paramilitaires chargées de capturer ou de tuer des cibles désignées comme terroristes dans le monde entier. A cette époque, la CIA manquait d'agents aguerris dans le domaine des interrogatoires. Des officiers ont alors épluché les archives de l'agence jusqu'à retrouver trace du plan Phoenix, utilisé par l'armée américaine au Vietnam entre 1970 et 1971, et devenu une source d'inspiration pour l'agence. Les responsables du renseignement se sont aussi tournés vers leurs alliés plus expérimentés dans la lutte antiterroriste, demandant particulièrement des conseils à l'Egypte, à la Jordanie et à l'Arabie saoudite, des pays régulièrement pointés du doigt par le département d'Etat pour leurs manquements en matière de droits de l'homme.
Quand les premiers suspects ont été capturés, la CIA n'était pas prête, et ses chefs ont alors fait appel à des "sous-traitants" extérieurs, aux méthodes décrites par le monde du renseignement comme "proches du film Orange mécanique [de Stanley Kubrick]", rapporte Jane Mayer. Ces hommes, des anciens psychologues militaires, n'avaient jamais pratiqué la torture mais avaient enseigné aux soldats comment y résister. Sous le commandement américain, ils ont pratiqué simulation de noyade, privation de sommeil, isolement, exposition à des températures extrêmes, exposition à des bruits assourdissants, humiliations sexuelles et religieuses.
Le Pakistanais Abou Zoubaydah, arrêté en mars 2002, fut soumis, rapporte Jane Mayer, à des simulations de noyade et confiné dans une cage – "la niche" – si petite qu'il ne pouvait pas se lever. Ces experts diplômés employaient un schéma de torture calqué sur les méthodes du KGB. L'objectif final du processus était de donner aux détenus la certitude que rien ni personne ne pourrait plus les sauver. Un objectif atteint, notamment, en retirant au suspect sa capacité à envisager le futur – quand sera son prochain repas, quand il pourra aller aux toilettes – et en le privant au maximum de toute perception sensorielle – en le confinant, par exemple, dans une pièce sans odeur, sans lumière, sans son. "Le KGB utilisait ces méthodes contre des individus qui s'étaient retournés contre l'Etat et obtenir d'eux des aveux inventés. Le KGB ne cherchait pas du renseignement", s'insurge dans le New Yorker Steve Kleinman, un colonel de réserve opposé au programme secret de la CIA.

"RETIRER TOUTE DIGNITÉ AU DÉTENU"
Au fil des mois, les méthodes se sont affinées, explique Jane Mayer. Chaque étape pour casser un homme était prévue, codifiée. A tel point qu'avant chaque nouvelle torture, "vous savez ce que va dire chaque détenu, parce que vous l'avez déjà entendu", confie un expert extérieur à la CIA, qui avait connaissance du protocole employé. Ce qui fait dire à la journaliste qu'aucune comparaison n'est possible entre le programme de la CIA et les abus – sanctionnés – de Guantánamo ou Abou Ghraïb, commis par des agents mal entraînés ou déséquilibrés. Chaque transfert, chaque interrogatoire a fait l'objet de plusieurs autorisations et rapports détaillés remontant au plus haut niveau de responsabilité.
Les tortures pratiquées par les agents de la CIA auraient poussé un détenu yéménite à tenter de se suicider trois fois. Pendant des semaines, voire des mois, dans sa cellule étaient diffusés des bruits assourdissants, de la musique ou des ricanements tirés de films d'horreur. Ces pressions psychologiques, de l'avis de tous les détenus interrogés, étaient plus difficiles à supporter que les abus physiques.
Autre cas cité par la journaliste, celui de Khalid Cheikh Mohammed, considéré comme l'architecte des attentats du 11 septembre. Après son arrestation, en mars 2003, Mohammed est transféré dans une prison secrète sur le sol polonais. Il subit alors maintes humilitations. Gardé nu pendant sept jours, il aurait ensuite été interrogé par un nombre inhabituel d'agents femmes, avant d'être suspendu par les bras au plafond de sa cellule, ses orteils touchant à peine le sol.

KHALID CHEIKH MOHAMMED TRANSFÉRÉ EN POLOGNE
Le témoignage de Khalid Cheikh Mohammed permet aussi d'apporter un éclairage sur un autre point. Lors de sa détention, il affirme avoir vu une bouteille d'eau minérale portant des inscriptions en polonais, ce qui viendrait corroborer les accusations du Conseil de l'Europe, qui estime que Varsovie a accueilli sur son territoire des lieux de détention gérés par la CIA.
Pour quels résultats a été mis en place ce dispositif complexe, secret, qui a suscité nombre de débats au sein de l'administration américaine ? Le général Michael Hayden, directeur de la CIA, a affirmé à plusieurs reprises que le programme des prisons secrètes était "irremplaçable". Quant au président Bush, il estime que le travail réalisé par la CIA a permis de "sauver des vies", en "empêchant de nouvelles attaques".
Mais l'exemple de Khalid Cheikh Mohammed, qui a subi plusieurs des tortures prévues par la CIA et connu les prisons de l'agence sur les sols afghan, polonais et cubain (à Guantánamo), est troublant. En tout, Mohammed a endossé la responsabilité de trente et un complots terroristes, un chiffre que les experts jugent "improbable", même pour un terroriste de haut rang. Parmi les crimes dont il s'est attribué la paternité, outre les attentats du 11 septembre, des projets d'attentats contre Bill Clinton, Jimmy Carter ou le pape Jean Paul II. Mais aussi l'assassinat du journaliste américain Daniel Pearl en 2002 au Pakistan. La version des faits donnée par Khalid Cheikh Mohammed est réfutée par les proches de Pearl. Son père, Judea, résume l'opinion de la famille : "Mohammed peut bien affirmer qu'il a tué Jésus, il n'a rien à perdre." La torture, au final, ne semble pas conduire à la vérité.
Selon Jane Mayer, le programme des "black sites" de la CIA a bien été abandonné à l'automne 2006, après les annonces en ce sens de George Bush et le transfert des derniers détenus des prisons secrètes vers Guantánamo. Mais la Maison Blanche se refuse toujours à désavouer les "interrogatoires améliorés", pourtant illégaux sur le sol des Etats-Unis. Ce qui signifie, selon la journaliste, que les agences de renseignement américaines peuvent continuer à détenir indéfiniment des suspects sur des sites secrets, sans aucune base juridique.