jeudi 8 février 2007

Détenus de Guantánamo : Ces Mauritaniens qu'on lie à Ben Laden

par Amadou SECK, Walf Fadjri, Dakar, février 2007

Dans les dizaines de prisonniers que les Américains détiennent à Guantánamo, avec l'accusation de liens avec Al Qaïda et le terrorisme international, figurent des Mauritaniens. Leurs avocats et leurs familles se battent pour qu'ils ne soient pas oubliés de tous.Trois avocats assurant la défense de deux Mauritaniens détenus sans inculpation ‘précise’ depuis plusieurs années dans le camp américain de Guantánamo (situé en territoire cubain) ont appelé les autorités mauritaniennes à user ‘de la voie diplomatique et officielle’ pour obtenir la libération de leurs clients.
Maître Clive Stafford Smith et ses deux autres collègues ont lancé cet appel de ‘détresse’ il y a une semaine à l’occasion d’une conférence de presse organisée quelques heures après leur arrivée à Nouakchott. Sur les trois Mauritaniens présents à Guantánamo et dont la détention, ‘dans des conditions contraires aux normes judiciaires nationales américaines et internationales’, apparaît au fil des années comme une séquestration pure et simple, avec pour élément de justification la peur ‘du terrorisme’, les avocats ayant séjourné à Nouakchott du 18 au 23 janvier assurent la défense de deux détenus : Ahmed Ould Abdel Aziz et Mohamed Lemine Ould Sidi Mohamed. Quant à Mohamed Ould Sellahy, sa défense est assurée par un autre groupe d’avocats.
Rejetant l’alibi très commode du terrorisme pour servir de justification à toutes les violations, avec pour conséquence la rétention de plusieurs citoyens de diverses nationalités dans une véritable situation de non-droit: ‘procédure de détention contraire à toutes les prescriptions relatives aux droits humains’, la délégation d’avocats, composée de deux Américains et d’un Britannique, a instamment prié le gouvernement mauritanien d’entreprendre une démarche concrète pour obtenir la mise à sa disposition de ses citoyens. Une requête qui serait assortie d’un engagement formel à organiser un procès régulier pour établir toute la vérité sur leur cas. En fait, la démarche des avocats des ‘bannis’ de Guantánamo visant à obtenir l’implication d’un gouvernement étranger en vue de la libération de certains de leurs clients n’est pas la première du genre.
Maître Smith et ses collègues se sont rendus 16 fois au tristement célèbre bagne de Guantánamo au cours des années écoulées. Ils assurent la défense de 55 ‘bagnards’. Parmi ceux-ci, ils ont obtenu la libération de 19 clients de nationalité britannique suite à une démarche diplomatique formelle dans ce sens de la part des autorités anglaises qui se sont engagées à organiser un procès régulier pour leurs nationaux.
Régime carcéral hors du temps et de l’espace à entendre le groupe d’avocats qui vient de séjourner à Nouakchott, le régime carcéral du bagne de Guantánamo pousse ses malheureux pensionnaires dans une situation ubuesque. Ils sont presque réduits à l’état d’hommes hors du temps et de l’espace, avec des conditions de détention renvoyant à plusieurs siècles en arrière, sur le territoire d’une République qui a toujours fait de la quête de la liberté son cheval de bataille, d’où un terrible paradoxe.
Pour protester contre ce régime carcéral, les détenus de Guantánamo ont observé une grève de la faim, il y a environ une année. Face à cette situation, la réaction des geôliers a consisté à les alimenter par la force suivant une méthode - vivement condamnée par la défense - qui a laissé ‘de graves séquelles à la fois au plan physique et mental’, selon les avocats.
Ils ont cité notamment le cas d’Ahmed Ould Abdel Aziz ‘qui souffre terriblement et qui a besoin d’une intervention urgente’ pour recouvrer la liberté. La situation de ses autres compatriotes et compagnons d’infortune n’est guère meilleure. Quant aux accusations contre les Mauritaniens et à la formulation des infractions à l’origine de leur mise au secret, elles restent encore ‘vagues et floues’ selon la défense. Quels sont les liens de ces détenus avec la nébuleuse Al Qaida ? Quel rôle auraient-ils joué dans l’exécution des attentats du 11 septembre 2001? Par rapport à toutes ces questions fondamentales, l’accusation reste muette.
Profitant de la présence du collectif des avocats assurant la défense des Mauritaniens de Guantánamo et de la visite à son QG de campagne du chargé d’affaires de l’ambassade des Usa, le candidat Dahane Ould Ahmed Mahmoud a précédé les autorités en lançant un appel à la libération de nos compatriotes. Une requête que le diplomate s’est engagé à transmettre au gouvernement de son pays.
La visite du collectif d’avocats en Mauritanie vise à établir un contact avec les familles des détenus (tenaillées par l’angoisse et l’incertitude depuis plusieurs années), avec les autorités, les organisations de défense des droits humains et les avocats mauritaniens également constitués en faveur de leurs compatriotes. Ainsi, ils ont pu donner des nouvelles aux familles, aux Ong et échanger fraternellement avec leurs collègues.

Les familles réclament justice
par Amadou Seck, Walf Fadjri, Dakar, février 2007

Les familles des détenus mauritaniens à Guantánamo sont éprouvées par l’incertitude qui plane sur le sort de leurs fils. Elles demandent au Cmjd et au gouvernement d’entreprendre les démarches que tous les pays qui se respectent ont entreprises pour ramener leurs ressortissants.
Ainsi, pour la mère de Ould Sellahi, le détenu qui a été livré par son pays aux autorités américaines en novembre 2001, elle assure être restée sans nouvelles de lui pendant une année et demie, lorsque le directeur de la sûreté d’État de l’époque, Deddahi Ould Abdallahi, lui renvoyait à chaque fois des nouvelles lui certifiant qu’il était en Mauritanie et qu’il allait bien et que c’était pour sa sécurité et celle de son fils qu’il ne pouvait pas la laisser le voir. elle attendra jusquÕen mars 2003 pour recevoir la première lettre Croix-rouge de sa part. C’est là qu’elle a compris que son fils a été livré et qu’il était loin, très loin.
Aujourd’hui elle lance un appel aux autorités, aux décideurs et surtout, dit-elle, au président du Cmjd, pour qu’ils fassent en sorte que son fils revienne dans son pays et qu’elle puisse le voir avant de mourir. Cette femme fragile, malade et très éprouvée, raconte avec beaucoup de tristesse comment lorsqu’elle avait vu revenir son fils à la fin de ses études à l’étranger en 2000, alors qu’il était le seul qui travaillait dans la famille, et qu’elle a commencé à espérer qu’il assiste ses frères et sœurs dans leur vie difficile, la police politique est venue le lui retirer, sans un mot, sans aucune explication, pour l’amener loin et le donner gracieusement aux américains. Sans les messages croix rouge qu’elle recevait une à deux fois par an, elle n’aurait jamais su s’il était encore en vie.
‘Il venait juste de se marier depuis deux mois et il jeûnait lorsqu’ils sont venus le prendre. Depuis, je ne suis plus la même. Quelque chose de lourd, très lourd pèse sur mois
et je ne peux plus me lever. Nos conditions étaient dures, très dures. Nous sommes une famille humble, sans problèmes et lui on l’accuse à tort de je ne sais quoi. Maintenant qu’un nouveau gouvernement est là et que des hommes vrais sont venus au pouvoir, je leur demande de me permettre de revoir mon fils avant de mourir. Je suis vieille et très malade.’
Pour les cinq sœurs de Mohamed Lemine Ould Sidi dit Sid’Amine, elles ne savaient pas si leur frère était vivant ou mort depuis 2002, lorsqu’il avait téléphoné à sa mère pour lui dire qu’il allait bien. Ce n’est qu’en 2004 qu’un message Croix-rouge leur est parvenu pour leur dire qu’il était à Guantánamo. Elles ne savent pas quand ni comment il a été arrêté. Tout ce qu’elles savent c’est que les avocats leur ont dit qu’il a été arrêté sur la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, selon l’armée américaine. Elles ne savent même plus à quoi il peut ressembler parce qu’il les avait quittées en 1992, alors qu’il avait dix ans, pour accompagner son père en Arabie Saoudite. C’est là qu’il a grandi. Aujourd’hui, les détenus de Guantánamo ne peuvent pas envoyer de photos. Elles ne savent même pas si elles pourront le reconnaître s’il arrivait un jour à sortir.

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