dimanche 4 mars 2007

Le gouvernement Aznar a envoyé des policiers interroger des détenus à Guantánamo en 2002

Par José Manuel Romero, El Pais, Madrid, 13 février 2007

Aznar, Trillo, Acebes

Selon des sources officielles, le gouvernement de José Maria Aznar, à l'époque où Federico Trillo était ministre de la Défense et Angel Acebes ministre de l'Intérieur, avait envoyé des fonctionnaires de la police nationale à Guantánamo entre le 21 et le 26 juillet 2002 pour interroger, sans y être autorisés par aucun juge espagnol, une vingtaine de prisonniers, dont Hamed Abderrahmane, dit Hmido, un habitant de Ceuta (donc citoyen espagnol) arrêté en Afghanistan, ainsi que d'autres détenus, citoyens marocains.
C'était le second voyage de fonctionnaires espagnols à Guantánamo où étaient incarcérées dans des conditions infra-humaines 598 personnes de 34 nationalités différentes. A l'intérieur de la base militaire de 117 km2 dans l'île de Cuba, les prisonniers vêtus de combinaisons orange se déplaçaient mains, pieds et taille enchaînés et le visage cagoulé. Lors du premier voyage des membres de l'ambassade espagnole à Washington s'étaient déplacés à Guantánamo pour identifier d'éventuels détenus espagnols.
Le second voyage a eu lieu le 21 juillet 2002 lorsque des fonctionnaires de la police nationale, accompagnés d'agents de la CIA, avaient quitté l'Espagne pour la base US afin d'interroger une vingtaine de détenus, en majorité Marocains.
Cette opération policière avait été coordonnée par un des chefs de l'Unité Centrale des Renseignements Extérieurs, Rafael Gómez Menor, avec la participation de trois autres policiers. L'Unité Centrale enquêtait depuis des années sur la cellule du Syrien Abou Dahdah, présumé chef d'Al Qaida en Espagne et condamné pour appartenance à une bande terroriste.
Avec l'accord des USA, les policiers espagnols avaient interrogé 20 personnes dont Hamed Abderraman de Ceuta et Lahcen Ikassrien, Marocain résidant en Espagne qui avait été arrêté en 2001 en Afghanistan puis envoyé à Guantánamo , porteur d'un bracelet l'identifiant comme « animal numéro 64. »
A propos de ces interrogatoires, Ikassrien a déclaré à notre journal : « Ils m'ont demandé la permission d'enregistrer l'interrogatoire et je leur ai dit de faire ce qu'ils voulaient. Je leur ai raconté ma vérité mais ce qu'ils voulaient c'était que je leur dise que j'étais un terroriste et que je m'entraînais en Afghanistan, ce qui n'est pas la vérité. » Ikassrien assure avoir dit aux policiers espagnols qu'il était Marocain et qu'ils ne pouvaient pas l'interroger. « Ils ont répondu qu'ils voulaient m'aider et je leur ai dit : « Chaque fois que vous venez, les Américains me torturent, » a-t-il expliqué à EL PAIS. Le prisonnier d'alors à Guantánamo – qui aujourd'hui vit libre à Madrid – soutient que les policiers espagnols lui avaient offert de l'argent et lui avaient promis le statut de témoin protégé s'il collaborait avec eux. Les agents espagnols lui avaient montré des photos d'extrémistes marocains tels que Amer el Azizi et Jamal Zougam, un des auteurs présumés des attentats du 11 mars, qu'ils surveillaient alors, ainsi que celle d'un autre islamiste qui par la suite avait été arrêté et incarcéré au Maroc pour l'attentat de Casablanca.
La mission policière faisait partie des enquêtes en cours sur le réseau présumé d'Al Qaida en Espagne.
Un troisième voyage a eu lieu du 20 au 24 janvier 2003 quand des membres de l'ambassade d'Espagne à Washington ont rendu visite à Hamed Abderrahman Ahmed, de nationalité espagnole, afin d'organiser son transfert en Espagne. En février 2004, les USA ont livré Hamed aux autorités espagnoles qui le mirent à la disposition de la justice. La Cour Suprême (espagnole) a considéré que les interrogatoires policiers de Hamed « avaient eu lieu sans notification préalable de ses droits, sans l'assistance d'un avocat et sans autorisation ni mandat de l'autorité judiciaire espagnole compétente. » « La détention de centaines de personnes, dont le requérant, sans inculpation, sans garanties et par conséquent sans contrôles ni limites dans la base de Guantánamo , sous la garde de l'armée américaine, constitue une situation impossible à expliquer et encore moins à justifier compte tenu de la situation juridique et politique dans laquelle elle est insérée. » « On pourrait dire » poursuit la Cour Suprême, « que Guantánamo est un véritable trou noir pour le droit international qui reste défini par une multitude de traités et de conventions signés par la communauté internationale et donne l'exemple achevé de ce qu'une certaine école juridique a défini comme le Droit pénal applicable à l'ennemi. »
Quant à Lahcen Ikassrien, il a été extradé par les USA vers l'Espagne où le tribunal pénal [Audiencia Nacional] l'a absout de toutes les accusations et a refusé les preuves et témoignages obtenus au cours des interrogatoires effectués par la police espagnole à Guantánamo .

Original : El País
Traduit de l’espagnol pour Chronique de Guantánamo par Djazaïri

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