par Martine Sirois, Agence de presse étudiante mondiale, 27 janvier 2007
Nichée sur une île des Caraïbes bien connue pour ses plages ensoleillées, la prison de Guantánamo aurait tout pour devenir un centre de villégiature paradisiaque. Cependant, sa réputation internationale est toute autre. Au-delà de la nature carcérale de l’établissement, c’est le constant vide juridique maintenu sur cette prison qui la transforme en véritable « trou noir » du droit. Conséquemment, maintes questions surviennent quant à sa légitimité, notamment sur le fondement de cette zone de « non droit » et sur le statut des prisonniers qu’elle abrite.
Premièrement, l’emplacement de la base militaire de Guantánamo représente avant tout une localisation politique stratégique. C’est en 1898, durant la guerre hispano-américaine et suite à la destruction du navire de guerre Maine, que les États-unis se sont imposés pour la première fois sur les côtes cubaines.
Sous prétexte de grands idéaux, ils ont chassé les Espagnols de l’île et en ont fait un protectorat américain. Ils ont ensuite fortifié le port de Guantánamo pour y construire les bâtiments nécessaires à leur appareillage de guerre. Puis, en 1903, suite à un bail perpétuel passé avec Cuba (alors pratiquement soumis au gouvernement américain), les États-Unis ont pu établir officiellement leur base navale à Guantánamo . Un deuxième traité réaffirme en 1934 le louage de la baie et stipule que le consentement des deux gouvernements devient dès lors nécessaire à sa résiliation. Aujourd’hui, quoique le gouvernement cubain dénonce la présence américaine, les États-Unis considèrent ses troupes légitimement installées autour de la baie.
Aussi connue sous le pseudonyme de « trou noir », la prison de Guantánamo accueille approximativement 500 détenus de 34 nationalités différentes. Plusieurs mineurs, dont l’âge varie entre 13 et 17 ans, y ont également séjournés. Les différents camps de la base présentent chacun des degrés de sécurité qui leur sont propres. Ils varient entre un niveau très bas et un niveau extrêmement élevé, puisqu’une « chambre de la mort » est même présente sur les lieux. Vu le refus continuel de l’exécutif américain de permettre aux organisations extérieures de pénétrer le périmètre de la base, l’exacte vérité quant à la situation des détenus est jalousement gardée confidentielle.
À ce jour, seule la Croix-Rouge, qui est une organisation bien connue pour sa politique de confidentialité, a pu accéder aux prisonniers et s’entretenir avec eux. Implicitement, cela indique que les prisonniers ne sont pas traités conformément aux normes minimales requises par la communauté internationale.En fait, c’est justement ce manque de concordance et de respect des lois établies qui crée la zone problématique de « non droit » de Guantánamo. Tant au niveau du droit international que du droit interne américain, le vide juridique volontairement imposé sur ce centre de détention masque mal le déni de justice voulu par l’exécutif.
En effet, sous prétexte que la prison se situe hors des frontières américaines, on refuse aux prisonniers la presque totalité des garanties juridiques inhérentes au système judiciaire américain. Dans la même lignée, on soustrait les détenus à l’application des conventions internationales en affirmant que leur statut juridique diffère de ceux prévus par ces ententes. Pendant ces débats d’ordre juridique qui durent maintenant depuis cinq ans, des centaines de détenus sont cloîtrés arbitrairement dans des conditions que l’on peut raisonnablement présumer atroces, et ce pour une durée indéterminée.C’est pour calmer les inquiétudes causées par ce flou juridique que le gouvernement américain en est venu à proposer une solution bien commode : soit la mise sur pied de commissions militaires habilitées à juger les prisonniers et la validité de leur détention.
A priori, l’annonce officielle de la reconnaissance d’une compétence judiciaire à Guantánamo pourrait sembler de bon augure pour les prisonniers. Pourtant, le type d’institutions préconisé peut susciter plusieurs craintes quant à l’équité des procès à venir. En effet, les détenus seront jugés par des commissions militaires spécialement mises sur pied pour étudier leur cas. Auparavant, les États-Unis ont fait appel à de telles commissions parcimonieusement, peut-être vu les critiques acerbes qu’elles entraînent. Elles ont notamment servies à juger les accusés suspectés de trahison et de sabotage durant la guerre civile américaine, les potentiels assassins d’Abraham Lincoln et certains ressortissants allemands durant la seconde guerre mondiale. Tous les suspects furent déclarés coupables et soumis à la peine capitale.Ainsi, le recours aux commissions militaires engendre pour les accusés des conséquences judiciaires importantes qui laissent présumer un grand manque d’impartialité.
Certains droits, reconnus comme étant indispensables à un procès équitable par plusieurs constitutions (dont celle des États-Unis) et par le droit martial américain, ne seront pas accordés aux détenus. Par exemple, il se peut que la défense n’ait pas accès à tous les éléments de preuve invoqués contre elle. Pourtant, les autorités pourront tenir compte de ces mêmes éléments pour juger de la culpabilité de l’accusé. Elles pourront également tenir compte de toutes confessions obtenues sous la torture ou suite à des méthodes coercitives d’interrogatoire. En outre, l’autorité en charge d’une commission a le pouvoir discrétionnaire de mettre fin à tout procès risquant de mettre en péril une information jugée secrète et ce, sans qu’un avertissement, une explication ou même un délai préalable ne soit accordé.
Enfin, même acquitté de toutes charges, l’accusé n’est pas garanti d’être libéré. Bref, réglementé en parallèle de toutes lois établies, un tel procès est plus qu’un déni de justice : c’est du despotisme.
Deuxièmement, une autre des particularités hautement controversées de la prison de Guantánamo réside dans le statut juridique des hommes qui y sont maintenus en détention. En effet, l’insistance des États-Unis à ce que ces prisonniers ne reçoivent pas les qualifications normales, sous prétexte du contexte particulier de la guerre contre le terrorisme, contribue à renforcer la confusion juridique les entourant.Tout d’abord, on refuse d’accorder le statut de prisonnier de guerre à des détenus qui en sont pourtant. En plus des inquiétudes qu’un tel comportement soulève au niveau du respect des droits humains, c’est surtout la crédibilité de la légitimité des procédures judiciaires appliquées, lorsque procédures il y a, qui vacille devant cette dénégation non fondée.
La définition du prisonnier de guerre, donnée à l’article 4 de la Convention de Genève, est très englobante et peut fort bien s’appliquer à beaucoup de prisonniers peuplant les cellules de Guantánamo . Au niveau international, l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe présentait en 2005 une résolution demandant à ce que la présomption du statut de prisonnier de guerre soit reconnue aux hommes faits prisonniers en Afghanistan, et ce conformément aux principes de l’État de droit. Or, les États-Unis tardent toujours à obtempérer.
Suite à la polémique grandissante quant au flou juridique entourant le statut de leurs captifs, les autorités américaines se sont forgé de nouveaux termes pour les définir : ceux de combattants illégaux ou de combattants ennemis, selon la nationalité du détenu. Ces qualifications, qui n’ont aucune valeur réelle en droit, s’avèrent bien commodes puisqu’elles leur permettent de se soustraire aux exigences de la Convention de Genève.Finalement, en invoquant la nécessité d’agir, le gouvernement américain tente de légitimer la conduite illégale qu’il inflige aux prisonniers, soit la détention arbitraire, les mauvais traitements et la torture.
Heureusement, la communauté internationale se conscientise. Espérons maintenant que l’impressionnante machine de guerre déployée pour contrer le terrorisme ne prendra pas sa revanche en engendrant d’autres clones clandestins de prisons comme celles d’Abou Ghraib, de Bagram et bien entendu, de Guantánamo Bay.
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