vendredi 5 janvier 2007

Guantanamo s'inspire des prisons américaines de l'immigration

Par Mathieu Perreault, La Presse, Montréal, 4 janvier 2006

Mark Dow, American Gulag
Batavia, État de New York - Les prisons du ministère américain de l'Immigration sont les précurseurs de celle de Guantanamo. Des milliers d'étrangers y languissent souvent sans procès, parfois sans pouvoir voir un avocat, pour des périodes allant jusqu'à plusieurs années.Telle est la thèse soutenue par un journaliste américain dans un livre récent, American Gulag. Mark Dow y affirme que le statut légal des présumés terroristes capturés par les États-Unis depuis le 11 septembre 2001 s'inspire de celui des prisonniers de l'immigration.
« Le système d'immigration américain traite tous les contrevenants étrangers comme des menaces à la sécurité nationale, affirme M. Dow, joint à New York. Le durcissement a été graduel depuis une vingtaine d'années. Pour moi, il est clair que l'inspiration pour le système juridique de la prison de Guantanamo, où croupissent sans procès et sans avocat des centaines de terroristes présumés, provient des prisons de l'immigration. »
Mark Dow, poète et essayiste originaire du Texas, s'est intéressé à la question après avoir donné des cours d'anglais dans une prison de l'immigration en Floride, et avoir travaillé pour un groupe d'aide aux réfugiés politiques haïtiens. « Le comportement des gardes en Floride m'a scandalisé. Il y avait notamment de la sédation forcée, de l'intimidation et des pratiques cruelles comme enchaîner les prisonniers sur des lits de béton. J'avais déjà donné des cours dans une prison ordinaire de Boston, et j'ai trouvé que les gardes de l'immigration étaient moins bien formés. »
Chose certaine, l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) n'aime guère ce genre de critiques. Dans un document réfutant les allégations d'American Gulag, l'ICE affirme que " la prémisse centrale du livre est qu'aucun étranger ne devrait être détenu, quel que soit son dossier criminel "; M. Dow a " extrêmement déformé " la réalité; " les cas cités ne représentent pas la norme. "
L'ICE estime que 300 000 étrangers se trouvent illégalement aux États-Unis après avoir été considérés indésirables par un juge.
L'ICE rappelle aussi que les lois de détention des étrangers indésirables ont été renforcées après la condamnation de Ramzi Yousef pour l'attentat à la bombe au World Trade Center en 1993; M. Yousef était entré aux États-Unis en 1992 en tant que réfugié. Une récente série du Washington Post a d'ailleurs confirmé que les lois de l'immigration sont de plus en plus utilisées à des fins de contre-terrorisme, et que des immigrants illégaux qui n'ont commis aucun crime sont parfois traités comme des terroristes.

Cubains et Somaliens

La thèse centrale du livre concerne les étrangers que les États-Unis ne peuvent pas renvoyer chez eux. M. Dow cite notamment le cas des Somaliens, dont le pays est déchiré par une guerre civile depuis 15 ans, et une vague d'immigration cubaine au début des années 80, où s'étaient glissés de nombreux prisonniers de droit commun (Fidel Castro avait été accusé de vouloir vider ses prisons).
« Dans ces deux cas, il n'est pas possible de renvoyer ces gens chez eux, parce que Cuba ne veut pas les reprendre, et que la Somalie n'a pas vraiment de gouvernement qui pourrait recevoir les immigrants expulsés, dit M. Dow. Alors, ils demeurent emprisonnés ici, même s'ils ne sont pas vraiment dangereux. Une récente décision de la Cour suprême a imposé une limite de six mois de détention en vue d'une déportation. Mais l'ICE contourne cette limite en affirmant que certains détenus sont dangereux. Ce sont des bureaucrates de bas niveau qui décident si un prisonnier est dangereux, et ce sont les mêmes qui révisent cette décision tous les ans. »
Pour mieux comprendre le statut des prisonniers de l'immigration américaine, La Presse a visité la prison de Batavia, à une heure à l'est de Buffalo. C'est M. Dow qui a suggéré la visite de cette prison, parce qu'elle est l'une des plus grandes du nord-est du pays.
Le directeur régional de l'ICE, William Cleary, était fier de sa prison toute neuve, construite à la fin des années 90. Mais il s'est raidi quand La Presse lui a demandé s'il était vrai que certains prisonniers sont détenus trop longtemps. « Des fois, leurs avocats vont aller jusqu'au bout de leurs recours. Ils ne peuvent pas se plaindre dans ces circonstances qu'ils restent emprisonnés trop longtemps », a-t-il dit.
La Presse a demandé à l'ICE les statistiques sur le séjour moyen et maximal des détenus, sans obtenir de réponse. Quant au nombre d'étrangers détenus par l'ICE, le chiffre de 20 000 est souvent cité dans les médias.
Robert Elardo, avocat de Buffalo dont le bureau défend souvent, gratuitement, des prisonniers de Batavia, a expliqué à La Presse que M. Cleary est particulièrement respectueux des droits de ses détenus. « Mais ce ne sont pas toutes les prisons de l'ICE qui sont aussi bonnes, dit Me Elardo. En théorie, les détenus ont tous droit à un avocat, et ont un recours raisonnable à une libération sous caution. Mais souvent ils n'ont personne à qui emprunter de l'argent, et les agences de cautionnement n'aiment pas faire affaire avec les prisonniers de l'immigration. »
Source : http://www.cyberpresse.ca/article/20070104/CPMONDE/701040608/1014/CPMONDE

Aucun commentaire: