Des agents de la CIA et du FBI traquant des militants d'Al Qaïda dans la Corne de l'Afrique retiennent des personnes soupçonnées de terrorisme et originaires de 19 pays dans des prisons secrètes en Éthiopie, révèle une enquête menée dans la région par l'Associated Press.
La semaine dernière, le Pentagone avait annoncé avoir transféré à Guantánamo un Kényan, Mohamed Abul Malik, arrêté alors qu’il tentait de fuir la Somalie après l’invasion éthiopienne.
D'après les organisations de défense des droits de l'Homme, des avocats et des diplomates occidentaux interrogés par l'AP, plusieurs centaines de prisonniers, dont des femmes et des enfants, ont été transférés secrètement et illégalement ces derniers mois du Kenya et de Somalie vers l'Éthiopie, où ils sont détenus sans inculpation, ni accès à des défenseurs ou à leurs familles.
Parmi les détenus figure au moins un citoyen américain, alors que d'autres sont originaires du Canada, de Suède et de France, selon les données rassemblées par une organisation musulmane kenyane des droits de l'Homme et un listing de vol obtenu par l'AP. Il y a aussi des détenus originaires d’Érythrée, de Tanzanie, d’Arabie saoudite, du Rwanda, de Tunisie et du Maroc. Le citoyen canadien Bashir Makhtal est parmi les détenus. Le gouvernement érythréen a demandé aux autorités kényanes la libération de trois ressortissants détenus.
Amir Meshal, de Tinton Falls, New Jersey, photographié par un officier consulaire US alors qu’il remplit une demande de passeport US le mercredi 4 avril au siège du QG des services de renseignement et de sécurité éthiopiens à Addis Abeba.
Amir Mohamed Meshal, 24 ans, un citoyen US, a reçu trois visites de représentants de l’ambassade US et a transmis un message à sa famille, lui demandant d’être “patiente”.La porte-parole du ministère suédois des Affaires étrangères Nina Ersman a dit que son ministère était parvenu à accéder à deux ressortissants suédois et à un résident permanent étranger en Suède, tous détenus en Éthiopie.
Certains détenus ont été interpellés par les troupes éthiopiennes qui ont renversé le gouvernement de l’Union des tribunaux islamiques à la fin de l'année dernière à Mogadiscio, en Somalie. D'autres ont été expulsés du Kenya, pays où de nombreux Somaliens se sont réfugiés pour fuir les violences dans leur pays natal.
L'Éthiopie, qui dément détenir secrètement des prisonniers, est un pays d'Afrique de l'Est où les droits de l'Homme sont fréquemment bafoués. Ces dernières années, le régime d'Addis Abeba a aussi été un proche allié des USA dans la lutte contre Al Qaïda, qui essaye de s'implanter parmi les musulmans de la Corne de l'Afrique.Des responsables américains, contactés par l'Associated Press, ont reconnu que des prisonniers avaient été interrogés en Éthiopie. Mais ils ont assuré que les agents américains respectaient la loi et que leur action était justifiée parce qu'ils enquêtaient sur des attaques passées et sur des menaces terroristes actuelles.Les prisonniers n'ont jamais été sous la garde des Américains, a affirmé un porte-parole du FBI, Richard Kolko, démentant que son agence soutiendrait ou participerait à des arrestations illégales. A l'en croire, les agents américains ont obtenu l'autorisation des gouvernements des pays de la Corne de l'Afrique d'interroger des prisonniers dans le cadre de la lutte antiterroriste.Selon des responsables occidentaux, parmi les personnes détenues figurent des suspects connus pour les liens étroits qu'ils entretiendraient avec Al Qaïda. Mais certains alliés USA ont fait part de leur consternation concernant les transferts dans ces prisons secrètes.
John Sifton, expert de Human Rights Watch en matière d'antiterrorisme, est allé jusqu'à dire que les USA s'étaient comportés en "meneurs" dans une affaire qu'il a qualifiée de "Guantánamo décentralisé, externalisé".
Un enquêteur d'une ONG internationale de défense des droits de homme a lui précisé que l'Éthiopie avait installé des prisons secrètes sur trois sites: à Addis Abeba, sur une base aérienne éthiopienne à 59km à l'est de la capitale, et dans le désert près de la frontière somalienne."C'était un cauchemar du début à la fin", a raconté Kamilya Mohammedi Tuweni, une femme de 42 ans, mère de trois enfants et titulaire d'un passeport des Émirats arabes unis, dans ses premiers commentaires après sa libération à Addis Abeba, le 24 mars. Elle dit avoir passé deux mois et demi en détention sans avoir été inculpée. Elle est la seule détenue libérée à s'être exprimée publiquement.
Elle dit avoir été arrêtée au cours d'un voyage d'affaires au Kenya, le 10 janvier, avoir été battue, puis envoyée en Somalie où elle aurait partagé une chambre avec 22 autres femmes et enfants. Elle affirme avoir été conduite en Éthiopie, où un agent américain l'aurait interrogée et exhortée à coopérer.
Helena Benaouda avec une photo de Safia enfant
La famille de la détenue suédoise Safia Benaouda, 17 ans, a déclaré que celle-ci a été libérée par l’Éthiopie le 27 mars et est rentrée le Suède le 28. “Elle est épuisée, son visage est jaune et elle a perdu 10 kilos”, a déclaré sa mère Helena Benaouda, une convertie de 47 ans qui dirige le Conseil musulman suédois. Safia avait été arrêtée avec son fiancé au Kenya, où ils s’étaient enfuis après l’invasion éthiopienne de la Somalie. Ils s’étaient rendus en Somalie lors d’un séjour à Dubaï en décembre. Ils ont fait partie des 63 détenus transportés en avion de Nairobi à Mogadiscio le 27 janvier dernier. Puis ils ont été conduits en Éthiopie. Safia a dit qu’un représentant US est venu relever les empreintes digitales et prélever de la salive des détenus. Un bébé de 7 mois était détenu avec elle. Son fiancé est toujours emprisonné en Éthiopie.
Source : AP, 4-6 avril 2007
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