De gauche à droite Beat Jost, Christoph Grenacher et Sandro Brotz. Photo Michele Limina, Sonntagsblick
Christoph Grenacher, ancien rédacteur en chef, Sandro Brotz, reporter et Beat Jost, rédacteur du quotidien de langue allemande Sonntagsblick ont été acquittés mardi 17 avril par le tribunal militaire de Saint-Gall, devant lequel ils comparaissaient pour « violation du secret militaire », charge pour laquelle ils risquaient cinq ans de prison. Les journalistes recevront des indemnités de 20 000 Francs suisses. Il leur était reproché d’avoir rendu public en janvier 2006 un fax du ministère des Affaires étrangères égyptien, intercepté par les services de renseignement suisses, et faisant état de prisons secrètes de la CIA.La justice militaire suisse a donc donné raison à Christoph Gerlacher, qui écrivait dans son éditorial du 9 janvier 2006 : « Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants. Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs. »Voici les articles qui ont valu aux journalistes d’être traités comme des espions.
Les révélations de Sonntagsblick (janvier 2006)
Sommaire
Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve ! Les écoutes téléphoniques - Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien Ceux qui se taisent - La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures Les conséquences - Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative Les Enquêteurs - Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Petit glossaire des sigles utilisés
Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Nous autres les gardiens, par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick
Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »
Scandale autour de la CIA - Les camps américains de la torture : La preuve !
par Sandro Brotz et Beat Jost, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
C’est la première preuve: Les Américains possèdent des prisons secrètes pratiquant la torture en Europe. Ceci peut être conclu d’un échange de télécopies entre le Ministre des Affaires étrangères égyptien et son ambassade à Londres. Le fax a été intercepté par les services secrets suisses et a été obtenu par le Sonntagsblick.
Les écoutes téléphoniques
Comment des agents suisses ont détecté le fax égyptien - Au milieu de la nuit une histoire sombre est éclairée par un premier rayon de lumière.
On est le 15 novembre 2005 juste avant une heure est demi du matin. La centrale des écoutes du Ministère de la Défense suisse (DDPS ) à Zimmerwald, à quelques kilomètres au sud de Berne, surveille comme d’habitude tout en respectant les règles. Le système satellite des écoutes Onyx tourne aussi à plein régime cette nuit-là. L’opérateur des services secrets avec le nom abrégé wbm rédige le rapport « Report COMINT SAT » qui porte le numéro d’ordre S160018TER00000115.Wbm sait-il quel message explosif destiné à ses chefs de la Base d’aide au commandement de l’armée (FUB) il est en train de transcrire en français ? Le message avait été intercepté dans l’espace et retransmis par un satellite à la terre cinq jours auparavant : le 10 novembre à 20h24. C’est un échange de télécopie entre le Ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit (63 ans) au Caire et son ambassadeur à Londres. Les agents suisses titrent le message « Les Égyptiens disposent de sources qui confirment l’existence de prisons secrètes américaines ». Selon le rapport des services secrets suisses, les Égyptiens disent mot à mot: « L’ambassade a appris de ses propres sources qu’en effet 23 citoyens irakiens et afghans ont été interrogés sur la base Mihail Kogalniceanu près de la ville de Constanza au bord de la Mer Noire (en Roumanie – remarque de l’éditeur). De tels centres d’interrogatoires existent en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie. »
En outre, ils rapportent que selon un article de presse, l’organisation des droits de l’Homme Human Rights Watch dispose de preuves pour des transports de « prisonniers le 21 et 22 septembre qui ont été transférés par des avions militaires américains de la base Salt Pit (mine de sel) à Kaboul à la base polonaise Szymany et à la base roumaine mentionnée ci-dessus ». Les Égyptiens écrivent explicitement : « Malgré tous les faits précités, les responsables roumains continuent à nier l’existence de prisons secrètes dans lesquelles les services secrets américains interrogent des membres d’Al Qaïda. Le porte-parole de la délégation européenne a accueilli positivement le démenti officiel des Roumains ».
La sensation
Pour la première fois un État confirme qu’il était au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe La force explosive du fax du Ministre des Affaires étrangères égyptien est difficilement égalable: Un État est au courant de l’existence de prisons secrètes de la CIA sur le territoire européen. Cette information n’est pas basée sur des Open Sources, des sources officiellement accessibles, comme des articles de presse ou des rapports d’organisations non gouvernementales comme Human Rights Watch. Dans le cas présent le fax mentionne qu’il s’agit de « propres sources ». Le travail des services secrets égyptiens est estimé comme étant « extrêmement professionnel » par des experts qui souhaitent garder l’anonymat. Dans le milieu des services secrets, les informations provenant des services des renseignements du Caire sont en général considérées comme étant « absolument fiables et crédibles ».
L’ambassadeur égyptien à Berne n’a pas souhaité s’exprimer face à SonntagsBlick par rapport à cet échange de télécopies. La rédaction n’a pas cédé à son souhait d’obtenir le document. Il n’a pas non plus souhaité répondre à la question de savoir s’il contestait l’authenticité du document.
Les sources égyptiennes ont confirmé ce que le monde entier ne pouvait jusque-là que soupçonner : au nom de la lutte contre le terrorisme, les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers. « Nous n’avons utilisé ni les aéroports ni l’espace aérien en Europe pour transporter des personnes à des endroits afin de les torturer là-bas », affirmait la Ministre des Affaires Etrangères américaine Condoleezza Rice (51 ans) il y a environ un mois à l’occasion de la rencontre des Ministres des Affaires Etrangères de l’OTAN à Bruxelles. Mais elle a omis de confirmer que ces prisons et ces transports n’existent pas.
Ceux qui se taisent
La réaction du chef de l’armée Christophe Keckeis se fait attendre 48 heures
Une explication est maintenant également désespérément recherchée au Bundeshaus (Palais fédéral) depuis que SonntagsBlick a confronté mercredi les responsables de l’armée avec des questions concernant leur propre rapport d’espionnage. Comment se fait-il que les services secrets de l’armée espionnent un État ami ? Est-ce qu’on a informé le Ministre de la Défense Samuel Schmid (59 ans), la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey (60 ans) et le Ministre de la Justice Christoph Blocher (65 ans) du contenu important du message ? Est-ce qu’on a informé la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales (DélCdG)? Est-ce qu’on a transmis le document aux services secrets américains ou à d’autres États comme on le fait d’habitude avec des messages obtenus à l’aide d’Onyx ? 48 heures passent jusqu’à ce que le chef de l’armée Christophe Keckeis (60 ans) réagisse.
Le commandant du corps refuse catégoriquement de répondre aux questions du SonntagsBlick mais la DélCdG sera informée de façon détaillée. Le président de la DélCdG, Conseiller des États SVP Hans Hofmann (66 ans, Zurich), déclare vendredi après-midi suite à notre demande qu’il n’avait pas eu connaissance de ce dossier délicat. Parallèlement, Hofmann désigne la révélation spontanément comme une « indiscrétion incroyable ».
Silence radio également du côté de Autorité de contrôle indépendante (ACI) chargé de la surveillance de l’espionnage radio. Ses membres, trois hauts fonctionnaires des Ministères de la Défense, de la Justice et des Transports, doivent examiner, selon le règlement, tous les ordres de surveillances des télécommunications. Si l’organisme de contrôle juge la légitimité de l’ordre comme étant insuffisante, il peut demander l’arrêt de l’ordre auprès des Conseillers Fédéraux chargés des services de renseignement, à savoir Samuel Schmid (DDPS) ou Christoph Blocher (département de justice et police, DFJP).
Est-ce qu’on a également examiné l’ordre de surveillance concernant l’Égypte et peut-être même demandé son arrêt ? Le président de l’ACI , le professeur Luzius Mader, vice-directeur de l’agence fédérale de la justice refuse de répondre aux questions : « C’est le DDPS qui est chargé de l’information du public concernant les activités de l’ACI ». Mais là-bas on nous dit également : « no comment ». Le porte-parole de Schmid, Jean-Blaise Defago : « Le DDPS ne souhaite pas répondre aux questions ».
Les conséquences
Le chef du DDPS Samuel Schmid lance une enquête administrative
Excitation, nervosité, dissimulation : L’excitation à Berne est compréhensible. Au maximum trois ou quatre personnes sont habilitées à lire les originaux des rapports d’écoute. Les messages importants sont transformés en rapports secrets, dont les sources sont systématiquement cachées et dissimulées.« C’est une catastrophe que le dossier autour du fax égyptien ait été rendu public » dit un initié des services secrets de haut rang. « Moi, j’aurais transmis le message directement au Président de la République de l’époque, Samuel Schmid, qui est en tant que président du DDPS le président du Comité de Sécurité des Conseillers fédéraux.Si et quand Schmid a informé ses deux collègues du Conseil fédéral au sein de la Délégation à la Sécurité (SiA) est préservé comme un secret d’État . Le DDPS se tait, Le Ministère des Affaires Etrangères Calmy-Rey ne commente pas cette affaire et le Ministre de la Justice de Christoph Blocher fait également blocage. Le porte-parole du DFJP Sascha Hardegger : « Nous ne souhaitons pas prendre position par rapport à ce dossier ».Le porte-parole du DDPS Defago ajoute que le Conseiller fédéral Schmid allait sûrement lancer une enquête administrative afin de constater comment une telle indiscrétion a pu être commise et comment un rapport secret a pu parvenir au public.
Les enquêteurs
Comment des experts internationaux commentent ces révélations
Est-ce qu’un journal a le droit de publier des documents secrets concernant de potentielles prisons de la CIA ? « Bien évidemment il a le droit, c’est un sujet d’intérêt public » dit Manfred Nowak (55), rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. « C’est un scoop », dit Dick Marty (61), agent spécial du Conseil de l’Europe chargé du dossier CIA et conseiller municipal du parti libéral de langue allemande FDP. Sous réserve qu’il ne pouvait pas confirmer l’authenticité du document il dit clairement : « Il s’agit là d’un indice supplémentaire qui confirme notre soupçon ». La vérité se dévoilait maintenant « petit à petit ». L’ancien persécuteur de la mafia Marty qui examine depuis deux mois le dossier de la CIA demande au gouvernement de « dire enfin la vérité dans cette affaire ».
Petit glossaire des sigles utilisés
COMINT (Communications Intelligence) : Ecoute électronique, évaluation et radio-transmission.
SAP ce Service d'analyse et de prévention au sein du département de justice et police est chargé de la protection de l’État et de la sécurité intérieure. Sont concernés par ce service entre autres : terrorisme, extremisme violent, services des renseignements interdits.
FUB Base d’aide au commandement de l’armée. Le domaine phare de la FUB est la guerre électronique, c’est à dire l’utilisation de systèmes militaires de surveillance de la communication sans fil, de la détermination de ses sources et, le cas échéant, son brouillage. Ceci comprend également l’espionnage de signaux provenant de systèmes étrangers de télécommunication.
SRFA Service de renseignement des Forces aériennes qui procure les renseignements secrets nécessaires pour les actions militaires de l’armée de l’air.
SRM Service de renseignement militaire : travaille pour l’armée et est sous les ordres du chef du grand État- major de l’armée.
ONYX Depuis cinq ans le DDPS exploite à partir de Zimmerwald (Berne) et via les stations de satellite Leuk (Valais) et Heimenschwand (Berne) le système d’écoute sophistiqué Onyx à l’aide duquel tous les conversations téléphoniques, les emails et télécopies envoyés via satellite peuvent être interceptés. Parmi les clients d’Onyx se trouvent les services secrets militaires SRS et SRFA ainsi que le service secret intérieur SAP.
SiA La délégation responsable des questions de sécurité du Conseil fédéral. Le Ministre de la Défense Samuel Schmid (Président), le Ministre de la Justice et la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey font actuellement partie de ce collège.
SRS Service des renseignements stratégique du Ministère de la Défense.
ACI Autorité de contrôle indépendante pour la surveillance des renseignements radio. Elle surveille aussi la légitimité de tous les ordres de surveillance radio.
Dossier CIA : Quel rôle joue la Suisse?
Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Lorsque la CIA pourchasse des terroristes, notre pays est aussi concerné, peut importe s’il s’agit de jets des services secrets qui traversent l’espace aérien suisse ou si des agents abusent de la Suisse en tant que refuge. La justice et le parlement à Berne sont en état d’alerte. Plus de 70 fois les avions des services secrets pour l’étranger américains CIA ont survolé la Suisse au cours des quatre dernières années. Il existe des indications selon lesquelles il y avait des détenus à bord d’une partie des vols qui avaient été kidnappés et transféré par la CIA vers des prisons de torture secrètes.
Le procureur de l’État a commencé son enquête car les autorités à Berne n’avaient pas été informés de ces traversées et la souveraineté de la Suisse a ainsi été violée. Parmi ces cas se trouve aussi celui de l’imam égyptien Abu Omar (45) qui a été kidnappé par la CIA le 17 février 2003 à Milan en Italie, qui a été transféré via l’espace aérien suisse en Allemagne et puis transporté en toute illégalité au Caire. Le chef du commando responsable, Rober Seldon Lady (52 ans) et au moins deux autres agents se sont rencontrés après l’enlèvement dans un hôtel à Zurich pour un briefing.Quatre de ces avions de la CIA ont même attéri à Genève. C’est pour cette raison que la Suisse demande à savoir maintenant qui se trouvait alors à bord. La Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey est intervenue en décembre auprès de l’ambassade US à Bern et a demandé des réponses. Cette demande est restée jusqu’à présent sans réponse.Au total, ce sont trois interpellations et demandes de la part de membres du parlement qui sont en cours au Palais fédéral concernant le dossier CIA. Et les Conseillers Nationaux SP Boris Banga (SO) et Josef Lang des Verts (ZG) souhaitent savoir entre autres si la Suisse était au courant de prisons secrètes de la CIA en Europe. Maintenant c’est affirmatif, la Suisse a bien été informée, c’est du moins de que démontre le fax égyptien intercepté par la Suisse.
Mais le Conseil fédéral n’a toujours pas donné une réponse officielle aux membres du parlement et à la population suisse.
Nous autres les gardiens
par Christoph Grenacher, rédacteur en chef, Sonntagsblick, 7 janvier 2006
Bonjour la Suisse. Aujourd’hui on est dimanche. Et la nation a un nouveau problème. Le problème c’est que nos services secrets écoutent. Les espions ouvrent même les oreilles là où ils ne devraient pas le faire. Ils ne surveillent pas seulement ce que les méchants planifient en Suisse ou à l’encontre de notre pays.Un fonctionnaire zélé intercepte un message à contenu explosif : Le Ministre des Affaires étrangères égyptien confirme expressément à son ambassade par fax l’existence de prisons secrètes américaines en Europe pour y détenir des sympathisants d’Al Qaïda. Cet écrit est comme de la dynamite. Pour la première fois il y a un pays qui dit : Oui, c’est vrai. Les prisons secrètes de la CIA existent. Même si tous les États ont jusqu’à maintenant démenti, les Américains ça va de soi, mais aussi les Européens.Le fax que l’agent à Berne a détecté parmi toutes les données a été classifié secret par les autorités suisses ce qui signifie : Si SonntagsBlick en parle, ceci pourra entraîner des suites légales. Il s’agit de trahison d’un secret ou bien de trahison nationale. Néanmoins nous publions l’histoire de façon transparente, détaillée et ouverte.Lorsque nous avons pris connaissance de l’existence du document, je le savais tout de suite : si d’autres pays réalisent que la Suisse surveille leur courrier ça va causer des problèmes. Les Égyptiens vont faire opposition et protester. Les Américains seront fous furieux. Les pays mentionnés dans le fax des Égyptiens ne vont pas nous embrasser de gratitude ; les services secrets amis vont fermer leurs canaux de fréquences vers la Suisse. Lorsque nous avons été sûrs que le document était authentique, ma décision était prise : Nous allons rendre public les informations secrètes. Sans foi ni loi.Et nous le faisons par amour de la vérité. Et nous devons la vérité aussi à l’opinion publique, à nos lecteurs que nous souhaitons informer complètement. Et dans notre travail nous mettons les droits à la liberté des hommes et la dignité humaine des individus au-dessus des intérêts d’un seul État. Le pays a le droit de connaître la vérité. Nous faisons également appel à la liberté de la presse. Le fait de ne pas divulguer une action contre le droit des peuples commise par les autorités suisses ne rendra pas le monde plus paisible. Le fait d’occulter une information ne correspond pas aux traditions démocratiques et surtout pas lorsqu’une rumeur s’avère être un fait.
Nous ne servons pas uniquement l’État. Nous, les journalistes du SonntagsBlick, nous considérons également comme les gardiens de l’État. Comme les gardes et défendeurs de l’État de droit. Comme les gardiens de la communauté, les chroniqueurs du temps. Bref, comme indépendants.Nous détestons autant les muselières que les prisons secrètes. Nous les détestons ici et ailleurs.
Espion & Espion - La CIA à la chasse : Dick Marty
par Alexander Sautter et Sandro Brotz, Sonntagsblick, 18 décembre 2005
La CIA ne l’avouera jamais mais tout l’indique pourtant: elle espionne bien le Suisse Dick Marty (60 ans) qui poursuit les tortionnaires.
Dick Marty est cet homme qui sera redouté par les services secrets les plus puissants au monde. La mission du Conseiller des États FDP du Tessin: L’ex-persécuteur de la mafia a été chargé par le Conseil de l’Europe à Strasbourg en France de prouver ce que le monde entier ne faisait que soupçonner jusque là. Les USA enlèvent, cachent et interrogent systématiquement leurs prisonniers au cours de leur guerre contre le terrorisme mondial. Dans ces camps secrets vers lesquels les poursuivants de la CIA transfèrent les terroristes présumés on pratique aussi la torture. « Je ne mets pas la guerre contre le terrorisme en question », dit Marty « mais il faut qu’elle soit menée par des moyens d’un État de droit ». Selon lui, la torture « n’est pas efficace et elle est contre-productive ». Maintenant la CIA a le chasseur suisse dans le collimateur.
« Je ne serais pas étonné si j’étais sur écoutes » dit Marty à l’occasion de la session d’hiver à Berne au SonntagsBlick. Il présume que la CIA va essayer « d’apprendre de quelles informations je dispose ». Et Marty ajoute : « Ils pourraient aussi essayer de me discréditer ».
Le chasseur devient alors le chassé. Les experts des services secrets sont unanimes : La grande pose d’écoutes de la CIA à Marty a déjà commencé. « Les Américains vont à 100% essayer de savoir ce que Monsieur Marty sait », dit Erich Schmidt-Eenboom (53 ans), dirigeant de l’institut pour la politique de la paix à Weilheim en Allemagne.L’expert renommé des services secrets est convaincu que les services secrets américains « vont tenter cela par tous les moyens électroniques ». Un fonctionnaire de haut rang des services secrets suisses qui souhaite garder l’anonymat soutient ces informations. « La CIA voudra surtout savoir qui sont les sources de Marty », dit-il. Pour l’agent spécial suisse ceci comprend notamment que :- toutes les conversations qu’il mène avec son portable Samsung sont écoutés ; - chaque email sur son ordinateur portable Macintosh atterrit chez la CIA ; - chaque fax envoyé par lui ou qui lui est adressé est intercepté par les fouineurs américains. Trois cas rendus publics du passé récent prouvent qu’il ne s’agit pas de chimères :
- A Genève la CIA a mis sur écoute une délégation d’économistes japonais qui se préparait à des entretiens avec les Américains ;
- En Iraq, des agents ont infiltré un groupe de contrôleurs américains de désarmement. Les inspecteurs se sentaient alors abusés à des fins d’espionnage.
- A New York, les services secrets ont mis sur écoute des membres du Conseil de Sécurité afin de connaître leur attitude envers la guerre projetée en Iraq.
A toutes ces occasions l’Agence Nationale de Sécurité (National Security Agency (NSA)) a employé sur demande de la CIA des moyens techniques très sophistiqués. Au quartier général de la CIA à Langley en Virginie on ne souhaite commenter ni la mission de Marty ni son espionnage. « Et nous n’allons pas non plus émettre un commentaire à l’avenir » dit une porte-parole.Malgré cet adversaire puissant l’ex-procureur poursuit son enquête : « Vous allez peut-être me trouver naïf », dit Marty, « mais je me suis mis au service d’une bonne cause et ça, c’est la meilleure protection ».
Enlèvements et torture : la chronologie d’un scandale
En 1995 le Président américain Bill Clinton donne un nouvel ordre à la CIA : Désormais les services secrets doivent traquer des terroristes islamistes présumés partout dans le monde entier, les arrêter et les transmettre à la justice dans leurs pays d’origine. La Maison Blanche accepte des interrogatoires avec torture qui peuvent parfois entraîner la mort.
epuis les attaques du 11 septembre 2001 George W. Bush a ordonné autre chose. Désormais, les terroristes présumés sont détenus dans des services secrets de la CIA. Le Vice-Président Dick Cheney défend la pratique de la torture décrite comme « des méthodes innovantes d’interrogatoire » dans ces camps et il continue à le faire lorsque les protestations internationales deviennent de plus en plus nombreuses.
Les Européens ont surtout été interpellés par des articles de presse parlant des transports secrets de la CIA de détenus et des prisons secrètes de ces services secrets en Europe de l’Est.Aujourd’hui il y a des preuves pour des centaines de vols des services secrets à travers l’espace aérien européen au cours des deux dernières années. La seule Suisse a constaté plus de 70 vols et quatre atterrissages à Genève depuis 2003.Deux parmi ces vols servaient à transférer sans disposer d’un jugement d’extradition le prêcheur de haine (sic!) égyptien Abou Omar qui a été enlevé le 17 février 2003 à Milan par un commando de la CIA et livré entre les mains de la justice militaire au Caire (NDLR Quibla : c’est faux ! Il n’a jamais été présenté à la justice). Le 7 novembre le Conseil de l’Europe a chargé le procureur Suisse Dick Marty d’enquêter sur les reproches faites à la CIA.
Les vols internationaux de la torture
L’enquêteur du Conseil de l’Europe et Conseiller des États Dick Marty : « Presque tous les États dissimulent la vérité dans cette affaire »
par Henry Habegger, Sonntagsblick, 9 janvier 2006
Berne – Le document égyptien représente « un indice supplémentaire pour des prisons secrètes » pour le Conseiller des États FDP Dick Marty (61) qui enquête pour le Conseil de l’Europe dans le dossier de la CIA. Pourtant il se pose la question de savoir pourquoi le document a été justement découvert par la Suisse.
BLICK : Que pensez-vous du fax égyptien ?
DICK MARTY : Je ne peux pas juger l’authenticité du document. Dans l’affirmative il s’agit d’un indice supplémentaire pour l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.
BLICK : Est-ce que vous doutez de l’authenticité du document?
DM : Je n’ai pas les bases qui me permettraient de l’évaluer. Je me pose pourtant plusieurs questions. Pourquoi est-ce que les services secrets suisses ont intercepté une correspondance entre Londres et le Caire ? Est-ce que le document a été transmis à la Suisse exprès ? Est-ce qu’il était dans l’intérêt de quelqu’un de rendre l’affaire publique en Suisse ?
BLICK : Qu’en pensez-vous ?
DM : Je ne sais pas. Le monde des services secrets est assez compliqué.
BLICK : Que pensez-vous du contenu du message ?
DM : Je ne savais pas encore que 23 personnes auraient été interrogées sur la base en Roumanie. Je vois ce chiffre pour la première fois. Les lieux indiqués de camps potentiels de détenus sont déjà connus depuis un certain temps.
BLICK : Quelle importance le service des renseignements a-t-il accordé au message intercepté ?
DM : Toujours en supposant que le message est authentique, il lui a accordé une importance relativement grande. Ce message est daté du 10 novembre 2005. Depuis début du mois de novembre la presse mondiale parle de prisons secrètes potentielles. Le 7 novembre, le Conseil de l’Europe m’a chargé de l’enquête – moi, un Suisse. Tout cela a dû inciter les services des renseignements à informer le milieu politique, c’est à dire le Conseil fédéral.
BLICK : Fallait-il aussi informer la Ministre des Affaires Etrangères Micheline Calmy-Rey ?
DM : Oui. Les informations avaient pris une dimension de politique extérieure. Et Calmy-Rey a déjà demandé en juin 2005 à la Ministre des Affaires Etrangères américaine Rice de lui donner des explications quant au dossier CIA.
BLICK : Comment progresse votre propre enquête concernant les prisons de la CIA en Europe ?
DM : Le chemin sera long et compliqué mais je suis confiant qu’il nous mènera droit au but. De plus en plus de pays se réveillent , même les États-Unis, ce que prouve la critique publique exprimée sur les écoutes effectuées par le gouvernement Bush. En Italie l’implication de la CIA dans l’enlèvement de l’imam Abou Omar a été prouvée. Les procureurs milanais ont fait un excellent travail.
BLICK : Mais le Premier ministre Berlusconi affirme que les reproches ne sont pas fondés.
DM : Cela ne veut rien dire. Presque tous les gouvernements dissimulent la vérité dans cette affaire.
BLICK : Avez-vous déjà obtenu les données de vol Eurocontrol d’avions de la CIA et les images prises par des satellites d’emplacements potentiels de prisons ?
Traduit de l’allemand par Eva-Luise Hirschmugl et édité par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.