Plongée dans le programme d’interrogatoires secrets de la CIA
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala Au moins nous ne sommes pas aussi mauvais que les islamofacsistes, n'est-ce pas ?
Affiche d'Austin Cline
Affiche d'Austin Cline
En mars dernier, Marianne Pearl, la veuve du reporter assassiné du Wall Street Journal Daniel Pearl, a reçu un coup de fil d’Alberto Gonzales, le ministre fédéral US de la Justice. À cette époque, le rôle de Gonzales dans la mise à pied controversée de 8 procureurs US venait juste d’être révélé et l’affaire était en train de tourner au scandale à Washington. Gonzales annonçait à Pearl que le ministère de la Justice était sur le point d’annoncer quelques bonnes nouvelles: un terroriste détenu par les USA - Khalid Cheikh Mohammed, le leader d’Al Qaïda qui était l’artisan principal des attentats du 11 Septembre - avait confessé avoir tué Pearl. (celui-ci avait été enlevé et décapité il y a cinq ans et demi au Pakistan, par des militants islamistes non identifiés). L’administration préparait la publication de la transcription d’une déclaration de Mohammed dans laquelle celui-ci se vantait : “J’ai décapité de ma main droite bénie de Dieu la tête du Juif américain Daniel Pearl dans la ville de Karachi, Pakistan. Pour ceux qui en voudraient la confirmation, il y a des photos de moi tenant sa tête sur Internet.”
Marianne Pearl fut déconcertée. En 2003, elle avait reçu un appel de Condoleezza Rice, qui était alors conseillère à la sécurité nationale du président Bush, lui donnant la même information. Mais la révélation de Rice avait été secrète. L’annonce de Gonzales ressemblait à un coup de pub. Pearl lui demanda s’il avait des preuves que la déclaration de Mohammed était crédible; Gonzales prétendit avoir des preuves corroborantes mais qu’il ne les divulguerait pas. “Il ne suffit pas que des responsables m’appellent pour me dire qu’ils y croient”, dit Pearl. “Il faut des preuves.” (Gonzales n’a pas répondu à mes demandes de commentaire).
Les circonstances entourant la confession de Mohammed, que les fonctionnaires désignent par ses initiales - KSM -, avaient de quoi rendre perplexe. Il n’avait pas d’avocat. Après sa capture au Pakistan en mars 2003, la Central Intelligence Agency l’avait détenu dans des lieux secrets pendant plus de deux ans; l’automne dernier, il a été transféré à Guantánamo Bay, à Cuba. Aucun témoin n’était indiqué pour sa confession initiale et il n’y avait aucune information solide sur la forme d’interrogatoire qui avait pu l’amener à faire des aveux, bien que des articles eussent été publiés, dans le New York Times et ailleurs, suggérant que des agents de la CIA l’avaient torturé. Lors d’une audience à Guantánamo, Mohammed déclara que son témoignage était donné librement, mais il indiquait aussi qu’il avait été victime d’abus de la part de la CIA (le Pentagone a classé “top secret” une déclaration écrite de lui détaillant les mauvais traitements allégués). Et bien que Mohammed ait déclaré que des photos confirmaient sa culpabilité, les autorités U.S. n’en ont trouvé aucune. Au lieu de cela, elles avaient une copie de la vidéo qui avait été diffusée sur Internet, montrant les bras du tueur mais ne permettant pas de l’identifier.
Pour accroître la confusion, un Pakistanais nommé Ahmed Omar Saeed Sheikh avait déjà été jugé coupable pour l’enlèvement et le meurtre, en 2002. Ce terroriste éduqué en Grande-Bretagne, organisateur de kidnappings, avait été condamné à mort au Pakistan pour ce crime. Mais le gouvernement pakistanais, guère réputé pour sa clémence, avait reporté son exécution. De fait, les audiences sur cette affaire avaient été reportées un nombre remarquable de fois — au moins trente — sans doute à cause de ses liens avec le service de renseignement pakistanais, qui ont pu servir à le faire libérer après qu’il avait été emprisonné en Inde pour activités terroristes. Les aveux de Mohammed allaient encore retarder son exécution, puisque, selon la loi,pakistanaise, toute novelle preuve peut donner lieu à un appel.
Un nombre surprenant de gens proches de l’affaire ont des doutes sur les aveux de Mohammed. Une amie de longue date des Pearl, l’ancienne reporter du Journal Asra Nomani, dit : “La publication des aveux de est tombée à point en plein scandale des procureurs US, alors que tout le monde réclamait à cor et à cri la démission de Gonzales. Ça avait tout l’air d’une stratégie calculée pour changer de sujet. Pourquoi maintenant ? Ils avaient ces aveux depuis des années”. Marianne et Daniel Pearl habitaient chez Nomani à Karachi à l’époque de l’assassinat de Daniel, et Nomani avait suivi l’affaire méticuleusement; à l’automne prochain, elle donnera un cours sur ce thème à l’Université de Georgetown. Elle dit : “Je ne pense pas que ces aveux résolvent l’affaire. On ne peut pas établir la justice sur la base des aveux d’une seule personne, surtout dans des circonstances aussi inhabituelles. Pour moi, ça n’est pas convaincant”. Et elle ajoute : “J’ai appelé tous les enquêteurs. Ils n’étaient pas seulement sceptiques, ils n’y croyaient pas du tout.”
L’agent spécial Randall Bennett, chef de la sécurité au consulat US de Karachi au moment du meurtre de Pearl — et dont le rôle dans la conduite de l’enquête est décrit dans le film de Michael Winterbottom A Mighty Heart (Un coeur indomptable) — dit qu’il a interrogé tous les complices impliqués qui sont aujourd’hui détenus au Pakistan, et qu’aucun d’eux n’a indiqué que Mohammed aurait joué un rôle quelconque dans cette affaire. “Le nom de KSM n’est jamais apparu”, dit-il. Robert Baer, un ancien officier de la CIA , dit : “Mes anciens collègues disent être sûrs à 100% que ce n’est pas KSM qui a tué Pearl.” Un fonctionnaire du gouvernement impliqué dans l’affaire dit : “On peut craindre que KSM serve à en couvrir d’autres, et que ces gens-là vont être remis en liberté.” Et Judea Pearl, le père de Daniel, dit : “Il y a quelque chose de louche là-dedans. Il y a plein de questions sans réponses. KSM peut dire qu’il a tué Jésus — il n’avait rien à perdre.”
Marianne Pearl, qui dot bien s’en remettre à l’administration Bush pour que justice soit faite dans l’affaire de son mari, est prudente quand elle parle de l’enquête. “On a besoin d’une procédure qui mette à jour la vérité”, dit-elle. “Une agence de renseignement n’est pas censée être au-dessus de la loi.”
Les interrogatoires de Mohammed faisaient partie d’un programme secret de la C.I.A, lancé après le 11 Septembre, dans lequel des suspects de terrorisme comme Mohammed ont été détenus dans des “ sites noirs”—des prisons secrètes hors des USA— et soumis à un traitement dur hors du commun. Le programme a été effectivement suspendu à l’automne dernier, quand le président Bush a annoncé qu’il vidait les prisons de la CIA et qu’il faisait transférer les détenus à Guantánamo. Cet acte faisait suite à une décision de la Cour suprême dans l’affaire Hamdan contre Rumsfeld, selon laquelle tous les détenus – y compris ceux détenus par la CIA – devaient être traités en accord avec les Conventions de Genève. Ces traités, adoptés en 1949, interdisent les traitements cruels et dégradants et la torture. Fin juillet, la Maison blanche a édicté un décret promettant que la CIA allait rectifier ses méthodes afin de satisfaire aux critères de Genève. En même temps, le décret de Bush déclarait expressément qu’il ne désavouait pas le recours à des “techniques d’interrogatoire améliorées” susceptibles d’être considérées comme illégales si elles étaient utilisées par des fonctionnaires à l’intérieur des USA. Le décret implique que l’agence peut une fois de plus détenir de suspects de terrorisme pour une durée indéfinie et sans inculpation, dans des sites noirs, sans avoir à notifier leur détention ni à leurs familles ni aux autorités locales et sans avoir à leur permettre l’accès à un défenseur.
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Marianne Pearl fut déconcertée. En 2003, elle avait reçu un appel de Condoleezza Rice, qui était alors conseillère à la sécurité nationale du président Bush, lui donnant la même information. Mais la révélation de Rice avait été secrète. L’annonce de Gonzales ressemblait à un coup de pub. Pearl lui demanda s’il avait des preuves que la déclaration de Mohammed était crédible; Gonzales prétendit avoir des preuves corroborantes mais qu’il ne les divulguerait pas. “Il ne suffit pas que des responsables m’appellent pour me dire qu’ils y croient”, dit Pearl. “Il faut des preuves.” (Gonzales n’a pas répondu à mes demandes de commentaire).
Les circonstances entourant la confession de Mohammed, que les fonctionnaires désignent par ses initiales - KSM -, avaient de quoi rendre perplexe. Il n’avait pas d’avocat. Après sa capture au Pakistan en mars 2003, la Central Intelligence Agency l’avait détenu dans des lieux secrets pendant plus de deux ans; l’automne dernier, il a été transféré à Guantánamo Bay, à Cuba. Aucun témoin n’était indiqué pour sa confession initiale et il n’y avait aucune information solide sur la forme d’interrogatoire qui avait pu l’amener à faire des aveux, bien que des articles eussent été publiés, dans le New York Times et ailleurs, suggérant que des agents de la CIA l’avaient torturé. Lors d’une audience à Guantánamo, Mohammed déclara que son témoignage était donné librement, mais il indiquait aussi qu’il avait été victime d’abus de la part de la CIA (le Pentagone a classé “top secret” une déclaration écrite de lui détaillant les mauvais traitements allégués). Et bien que Mohammed ait déclaré que des photos confirmaient sa culpabilité, les autorités U.S. n’en ont trouvé aucune. Au lieu de cela, elles avaient une copie de la vidéo qui avait été diffusée sur Internet, montrant les bras du tueur mais ne permettant pas de l’identifier.
Pour accroître la confusion, un Pakistanais nommé Ahmed Omar Saeed Sheikh avait déjà été jugé coupable pour l’enlèvement et le meurtre, en 2002. Ce terroriste éduqué en Grande-Bretagne, organisateur de kidnappings, avait été condamné à mort au Pakistan pour ce crime. Mais le gouvernement pakistanais, guère réputé pour sa clémence, avait reporté son exécution. De fait, les audiences sur cette affaire avaient été reportées un nombre remarquable de fois — au moins trente — sans doute à cause de ses liens avec le service de renseignement pakistanais, qui ont pu servir à le faire libérer après qu’il avait été emprisonné en Inde pour activités terroristes. Les aveux de Mohammed allaient encore retarder son exécution, puisque, selon la loi,pakistanaise, toute novelle preuve peut donner lieu à un appel.
Un nombre surprenant de gens proches de l’affaire ont des doutes sur les aveux de Mohammed. Une amie de longue date des Pearl, l’ancienne reporter du Journal Asra Nomani, dit : “La publication des aveux de est tombée à point en plein scandale des procureurs US, alors que tout le monde réclamait à cor et à cri la démission de Gonzales. Ça avait tout l’air d’une stratégie calculée pour changer de sujet. Pourquoi maintenant ? Ils avaient ces aveux depuis des années”. Marianne et Daniel Pearl habitaient chez Nomani à Karachi à l’époque de l’assassinat de Daniel, et Nomani avait suivi l’affaire méticuleusement; à l’automne prochain, elle donnera un cours sur ce thème à l’Université de Georgetown. Elle dit : “Je ne pense pas que ces aveux résolvent l’affaire. On ne peut pas établir la justice sur la base des aveux d’une seule personne, surtout dans des circonstances aussi inhabituelles. Pour moi, ça n’est pas convaincant”. Et elle ajoute : “J’ai appelé tous les enquêteurs. Ils n’étaient pas seulement sceptiques, ils n’y croyaient pas du tout.”
L’agent spécial Randall Bennett, chef de la sécurité au consulat US de Karachi au moment du meurtre de Pearl — et dont le rôle dans la conduite de l’enquête est décrit dans le film de Michael Winterbottom A Mighty Heart (Un coeur indomptable) — dit qu’il a interrogé tous les complices impliqués qui sont aujourd’hui détenus au Pakistan, et qu’aucun d’eux n’a indiqué que Mohammed aurait joué un rôle quelconque dans cette affaire. “Le nom de KSM n’est jamais apparu”, dit-il. Robert Baer, un ancien officier de la CIA , dit : “Mes anciens collègues disent être sûrs à 100% que ce n’est pas KSM qui a tué Pearl.” Un fonctionnaire du gouvernement impliqué dans l’affaire dit : “On peut craindre que KSM serve à en couvrir d’autres, et que ces gens-là vont être remis en liberté.” Et Judea Pearl, le père de Daniel, dit : “Il y a quelque chose de louche là-dedans. Il y a plein de questions sans réponses. KSM peut dire qu’il a tué Jésus — il n’avait rien à perdre.”
Marianne Pearl, qui dot bien s’en remettre à l’administration Bush pour que justice soit faite dans l’affaire de son mari, est prudente quand elle parle de l’enquête. “On a besoin d’une procédure qui mette à jour la vérité”, dit-elle. “Une agence de renseignement n’est pas censée être au-dessus de la loi.”
Les interrogatoires de Mohammed faisaient partie d’un programme secret de la C.I.A, lancé après le 11 Septembre, dans lequel des suspects de terrorisme comme Mohammed ont été détenus dans des “ sites noirs”—des prisons secrètes hors des USA— et soumis à un traitement dur hors du commun. Le programme a été effectivement suspendu à l’automne dernier, quand le président Bush a annoncé qu’il vidait les prisons de la CIA et qu’il faisait transférer les détenus à Guantánamo. Cet acte faisait suite à une décision de la Cour suprême dans l’affaire Hamdan contre Rumsfeld, selon laquelle tous les détenus – y compris ceux détenus par la CIA – devaient être traités en accord avec les Conventions de Genève. Ces traités, adoptés en 1949, interdisent les traitements cruels et dégradants et la torture. Fin juillet, la Maison blanche a édicté un décret promettant que la CIA allait rectifier ses méthodes afin de satisfaire aux critères de Genève. En même temps, le décret de Bush déclarait expressément qu’il ne désavouait pas le recours à des “techniques d’interrogatoire améliorées” susceptibles d’être considérées comme illégales si elles étaient utilisées par des fonctionnaires à l’intérieur des USA. Le décret implique que l’agence peut une fois de plus détenir de suspects de terrorisme pour une durée indéfinie et sans inculpation, dans des sites noirs, sans avoir à notifier leur détention ni à leurs familles ni aux autorités locales et sans avoir à leur permettre l’accès à un défenseur.
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