vendredi 3 août 2007

BOUM !

par Xavier Deutsch

Francis est un homme sérieux et pondéré que son imperméable, sa mallette et son collier de barbe désignent aux passants comme un professeur de chimie à l’Athénée de sa petite ville.
La pluie de novembre, sur ses lunettes, ne l’empêche pas de penser. En rue, Francis pense.
Depuis que les barbelés se dressent de partout, son imagination est sublimée, il songe que c’est idiot d’interdire les substances liquides dans les avions pour empêcher les attentats : ça se contourne. Si on dépose un petit paquet de plastic dans sa valise, embarquée dans la soute, assorti d’un détonateur muni d’une cellule électromagnétique, il suffit d’emporter son GSM dans la cabine…et n’importe quel pirate peut déclencher un feu de dieu en envoyant un signal par SMS au détonateur. Il n’y a pas de réseau en plein ciel ? Pas grave, un signal qui porte à quinze mètres fait l’affaire. Les chiens de l’aéroport sont dressés à sentir les explosifs dans les bagages ? Pas grave, on enrobe le plastic dans une couche de poivre, comme dans «Le sceptre d’Ottokar », et les odeurs sont saturées. Il n’aurait jamais pensé à un dispositif pareil si l’accès des avions était resté joyeux.

Francis est un homme doux. Mais un jour, lors d’une manifestation parfaitement paisible contre le réchauffement climatique, face à l’ambassade des Etats-Unis, il avait vu se déployer d’énormes moyens policiers, totalement hors de propos, des auto - pompes, des boucliers anti-émeutes, et ça lui avait donné des envies de cogner, à lui, homme doux, père de famille cultivé, démocrate.Il sait, s’il en parlait à son collègue Jean-Claude, que celui - ci lui reprocherait de tomber en enfance, dans cette logique puérile du « si on dresse un interdit face à moi, je le saute », et il sait que son collègue a raison.Tan pis. Si la société l’infantilise, si la société s’enfonce dans la parano sécuritaire, si elle s’acharne à brandir sa force plutôt qu’à lui parler en adulte, elle en paiera les conséquences.Dans une rue normale, Francis se comporte paisiblement. Mais s’il aperçoit une caméra de surveillance, il ira lui montrer ses fesses et lui balancer un caillou.

Le flicage ne résout pas la violence, il l’augmente, partout. Les contrôles biométriques, le fichage par l’ADN, les cartes d’identité à puce, les barbouzes de tous bords, les « Patriot Act » et les dingueries de cinglés, ça lui fout une colère noire.Et si lui, l’homme doux, sent grimper en son ventre des tendances explosives quand on l’entoure de tous ces trucs, que penser d’un petit gars, d’une banlieue de Marseille, de Gaza ou d’Islamabad, qui n’a plus d’autres horizons que les cars des CRS, les arrestations arbitraires, et les Guantanamo de série C ?
Source : Le Soir, Bruxelles, 9 Novembre 2006
L’auteur est un écrivain belge de langue française

Aucun commentaire: