lundi 25 juin 2007

La production de ressentiment


En persécutant la communauté musulmane, le gouvernement britannique s'aliène ceux là même dont il a besoin pour éviter de nouvelles atrocités.
par Paul Donovan, 21 juin 2007
Traduit par Djazaïri

Les efforts incessants du gouvernement pour extrader vers leur pays un certain nombre d'Algériens suspectés de terrorisme sur la base de garanties diplomatiques devraient connaître un tournant majeur cette semaine lorsque l'affaire de Mustafa Taleb, connu du public comme Y, sera présentée devant la cour d'appel.
Craignant pour sa vie, Taleb avait fui l'Algérie dans les années 90 et avait obtenu le statut de réfugié politique au Royaume-Uni. Il avait ensuite travaillé dans une librairie. Dans l'après-11 septembre, l'opinion publique avait eu à le connaître comme une des personnes arrêtées et inculpées dans ce qui a été connu sous le nom de procès de la ricine dans lequel on n'avait pas trouvé de ricine. En avril 2005, Taleb avait été un des quatre Algériens acquittés de tous les chefs d'inculpation par le jury.
Après les attentats de Londres, Taleb et les trois autres figurèrent à nouveau parmi les personnes interpellées et qui firent l'objet d'arrêtés d'expulsion en tant que menace pour la sécurité nationale. Ils furent d'abord incarcérés avant d'être relâchés un peu plus tard sous le coup d'un arrêté d'expulsion, ce qui signifiait qu'ils faisaient l'objet d'un contrôle judiciaire strict.
En août dernier, le recours de Taleb devant la commission spéciale d'appel pour l'immigration (Special immigration appeals commission, SIAC) fut rejeté et on le renvoya en prison en attendant son expulsion vers l'Algérie. Précédemment, la SIAC avait statué que l'Algérie n'était pas un pays sûr. Cependant cette façon de voir a connu un changement quand la commission a décidé que Taleb pouvait rentrer en Algérie sur la base des garanties données à Tony Blair par le gouvernement algérien et selon lesquelles il n'y aurait "ni torture ni mauvais traitements."
Depuis la décision pour Taleb, quatre autres Algériens ont été renvoyés en Algérie, deux ayant été immédiatement arrêtés et inculpés. Ils attendent maintenant leur jugement. Un des hommes, désigné comme H, est détenu dans la prison de Serkadji à Alger. Il rapporte avoir entendu les cris de personnes torturées dans d'autres cellules et les cris de douleur d'une femme "écartelée" dans une cellule proche de la sienne avant de voir les gardiens qui transportaient la femme inconsciente passer devant sa cellule.
Plus largement, la question se pose de savoir si ce que le gouvernement a fait depuis le 11 septembre a été efficace dans la dissuasion du terrorisme ou a rendu la situation plus dangereuse.
Il ne semble guère faire de doute qu'il y a un petit groupe de ressortissants étrangers que, sur le conseil des services de sécurité, le gouvernement a ciblé particulièrement en revenant continuellement à la charge depuis décembre 2001. Algériens pour la plupart, dix de ces hommes avaient initialement été arrêtés sans inculpation au titre de la loi anti-terroriste (Anti-Terrorism Crime and Security Act, ATCSA) avant d'être placés sous contrôle judiciaire suite à l'arrêt de la Chambre des Lords selon lequel les pouvoirs de détention au titre de l'ATCSA étaient incompatibles avec la loi portant sur les droits de l'homme (Human Rights Act).
Après les attentats de Londres, les membres de ce groupe, en dépit du fait qu'ils disposaient des meilleurs alibis qui soient, étant sous contrôle judiciaire à l'époque, avaient été interpellés et mis en prison. Ils firent l'objet d'arrêtés d'expulsion au motif qu'ils représentaient des menaces pour la sécurité nationale.
Ce groupe d'individus "suspects" est effectivement devenu ce que l'avocat Gareth Pierce décrit comme des cobayes. ""L'expérimentation permanente est dangereuse et insidieuse à plusieurs titres. Il est devenu évident que quand un objectif a été atteint, les limites sont repoussées et un nouveau système se met en place," explique Pierce.
Amnesty International considère que les mesures adoptées par le gouvernement au nom de la guerre contre le terrorisme ont sapé les règles du droit au niveau national et nui à la réputation de la Grande-Bretagne à l'étranger. Selon John Watson, directeur pour l'Écosse d'Amnesty International, "les politiques anti-terroristes se sont moquées complètement du droit humain le plus élémentaire à la liberté et à un procès équitable,"
Malheureusement le temps passe et fort peu d'attention est accordée à la situation critique de ces hommes et d'autres qui sont arrêtés de manière routinière tandis que chaque jour qui passe nous aliène de nombreux membres de la communauté musulmane.
Alors que le débat porte sur la sécurité ou d'autres questions relatives à l'expulsion de personnes vers des pays qui pratiquent la torture ou sur l'efficacité du contrôle judiciaire, il n'y a aucun débat sur l'essentiel qu'est la disparition de la règle de droit que représentent les dispositions actuelles. La question longtemps oubliée est : pourquoi, si ces gens sont dangereux, ne sont-ils pas déférés devant un véritable tribunal pour répondre de chefs d'accusations?
Un système kafkaïen a été créé dans lequel des gens peuvent être détenus, apparemment indéfiniment, sur la base d'informations dont eux-mêmes ou leurs avocats n'ont pas eu connaissance et qu’ils n'ont pu remettre en cause. Des questions essentielles telles que la manière dont les informations ont été obtenues, si de l'argent a circulé etc. ne peuvent jamais être examinées dans le cadre d'une procédure publique.
Au lieu de remettre en cause cette situation, le gouvernement affiche parmi ses priorités la nécessité de plus de législations visant à restreindre encore plus les droits des citoyens sacrifiés sur l'autel des besoins en matière de sécurité.
Le problème à présent est que tout ce qui se passe en matière de persécution de la communauté musulmane aliène tout simplement les personnes mêmes dont le soutien est nécessaire pour éviter de nouvelles atrocités terroristes. Pierce fait le parallèle avec ce qui s'est passé en Irlande du nord quand les membres de la communauté suspectée ont complètement perdu confiance dans le recours au droit et ont donc été plus enclins à aller vers la confrontation violente.
L'avocat Clive Stafford Smith qui exerce aux USA a fait le parallèle entre ce qui s'est passé à Guantanamo Bay, où il représente un certain nombre de clients, et le régime de détention élaboré au Royaume-Uni. Il a déclaré :
"Les USA et le Royaume-Uni cherchent à répondre à une mauvaise question et apportent donc une mauvaise réponse. L'accent est mis sur la manière de neutraliser des individus qui pourraient à l'avenir commettre un crime. Les opérations de Guantanamo et de Belmarsh signifient que nous jetons par dessus bord les valeurs que nous sommes supposés défendre. Ce qui provoque la radicalisation de milliers de personnes... Appliquer les droit de l'homme est la meilleure manière d'affronter le terrorisme."La mise en oeuvre du présent système ne fait pas qu'imposer une injustice scandaleuse à un nombre croissant de personnes au Royaume-Uni mais elle fabrique le ressentiment à venir. Elle n'a aucun sens du point de vue humanitaire ou sécuritaire. Il faut revenir à un système judiciaire plus responsable, appliquant les droits de l'Homme et visant à traduire en justice ceux qui pourraient tenter de commettre des actes terroristes au Royaume-Uni.

Paul Donovan à une manifestation pour les 13 de Belmarsh, février 2004


Original : http://commentisfree.guardian.co.uk/paul_donovan/2007/06/breeding_resentment.html
Paul Donovan est un journaliste membre de Peace & Justice East London. Il écrit des chroniques hebdomadaires pour l’Irish Post et les journaux du groupe Universe newspapers sur des questions de justice politique et sociale.

Traduit par Djazaïri pour Chronique de Guantánamo

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