mercredi 6 juin 2007

Les enlèvements et les tortures par la CIA : des « faits de la vie »

Par Juan Gelman, 3 juin 2007
Les attentats terroristes brutaux de Londres et de Madrid diluent, non sans raison, un fait peu diffusé : l'immense majorité des attaques de cette nature perpétrés dans les pays de l'Union Européenne (UE)-27 États, y inclus la Roumanie et la Bulgarie, récemment incorporés- sont commis par des groupes nationaux indépendantistes ou d'extrême-gauche et d'extrême-droite. C'est ce qu'établit le « Rapport sur la situation et les tendances du terrorisme dans l'UE-2007 » réalisé par Europol (www.europol.eu.int, 10/4/07). Le Bureau Européen de Police a son siège à La Haye et peu de personnel, pour l'importance de sa tâche : quelque 400 fonctionnaires et 90 officiers de liaison. Mais des agents ou équipes de centaines d'instances exécutent les détentions qu'Europol estime nécessaires. Celles-ci conservent une relation asymétrique avec le type d'attentat.
Le rapport d'Europol -organisme de renseignement créé en vertu du Traité de Maastricht de 1992- établit qu'en 2006, l'année analysée, il y a eu 498 attentats terroristes dans les nations de l'UE, dont 424 furent réalisés par des groupes indépendantistes, 55 par des anarchistes et d'extrême gauche, 17 par des acteurs divers, un par des extrémistes de droite et un par des islamistes. Néanmoins, le rapport souligne que, « en dépit du faible nombre d'attaques terroristes islamistes, la moitié des personnes arrêtées pour terrorisme sont islamistes ». Sur les 706 arrêtés, 257 sont des citoyens de pays islamiques et l'organisme n'a désarticulé que trois opérations en état de conception ou de préparation ou sur le point d'être exécuté au Danemark, au Royaume Uni et en Allemagne. Peut-être que ce nombre relativement exagéré de détentions a à voir avec les tensions raciales et la barrière contre les immigrants dressée par les gouvernements de l'UE? Il semblerait.
« Le terrorisme islamiste est clairement une priorité », souligne Max-Peter Ratzel, directeur d'Europol, dans la préface du rapport. C'est pour cela que sur ses 44 pages, neuf sont consacrées à l'analyse du terrorisme islamique, cinq au terrorisme de l'ETA et de ses taldes Y (groupes de réserve, NdT), du Front de Libération Nationale de la Corse et de l'Union des Combattants Corses et guère plus de trois au terrorisme de l'extrême gauche. L'autre mérite une qualification spéciale : « la violence d'extrême droite doit être recherchée principalement comme extrémisme d'extrême droite et non comme terrorisme d'extrême droite ». Les différences sont les différences. Les pays les plus affectés par le terrorisme indépendantiste -ainsi le définit le rapport- sont l'Espagne et la France, qui en 2006 ont souffert de 60 pour cent des attentats de ce type.
Moins de 10 pour cent des détenus en relation avec des attentats islamistes sont suspectés de planifier ou de réaliser des opérations terroristes. Devant l'absence de preuves de leur participation à de telles activités, le rapport d'Europol se centre sur ce qu'il appelle des délits de propagande et déplore l'absence de lois et de réglementations qui permettent de les poursuivre et de les condamner. Il souligne que la propagande islamiste est aujourd'hui « très raffinée, de meilleur qualité, plus professionnelle », que les vidéos des dirigeants d'Al Qaida et d'autres groupes terroristes sont sous-titrées en anglais et que « ces faits peuvent indiquer qu'on assiste à une offensive médiatique globale et coordonnée des terroristes islamistes ». Il serait naturel que les agences de publicité s'occupent de ces définitions, bien qu'il ne soient pas gênés par l'appui que les grands médias usaméricains accordent au terrorisme que le gouvernement Bush déploie, y inclus en Europe.
Le gouvernement d'Allemagne a demandé à Interpol, à la requête d'un juge de Munich, la détention de 13 nord-américains soupçonnés d'avoir participé, fin 2003, à l'enlèvement et au transport en Afghanistan, à la torture et au viol du citoyen allemand Khaled El Masri. Le tribunal d'appel usaméricain du circuit 4 a rejeté pareille prétention. Un procureur italien a délivré un ordre d'extradition de 22 agents de la CIA et de quatre autres impliqués dans l'enlèvement du religieux Mustafa Hassan Nasr (Abou Omar, Ndt), arrêté dans une rue de Milan, envoyé en Égypte et torturé. John Bellinger, conseiller juridique de la secrétaire d'État Condoleezza Rice, a déclaré que les USA n'extraderont pas les agents en Italie et a prévenu que la recherche des activités secrètes de la CIA dans l'Union Européenne pourrait saper le coopération euro-nordaméricaine en matière d'espionnage (AP, 28/2/07). Comme l'a dit le professeur de Harvard Viktor Mayer-Schoenberger : « Ce qui est considéré comme délictueux en Allemagne n'est pas considéré délictueux aux USA ». Il en est de même dans beaucoup d'autres endroits de la planète.
Le Parlement Européen a accusé le Grande Bretagne, l'Italie, la Pologne et d'autres pays de complicité avec la CIA dans le transfert de personnes suspectées de terrorisme dans les prisons clandestines de pays tiers et enregistré dans un rapport que des avions de la CIA ont réalisé à cette fin 1254 vols secrets dans l'espace aérien européen en violation des lois internationales en vigueur. Pour Bellinger, le rapport « manque d'équilibre, il est inexact et injuste ». Pour Bellinger, les requêtes des tribunaux italiens et allemands sont hors de propos : les enlèvements et tortures de citoyens innocents « sont simplement des faits de la vie ».
Original : www.pagina12.com.ar/diario/contratapa/13-85939-2007-06-03.html
Traduit de l'espagnol par Gérard Jugant et révisé par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

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