vendredi 9 mai 2008

Sami Al Haj commence à parler

par Nicolas Bourcier et Mouna Naïm (à Beyrouth), Le Monde, 8 Mai 2008

Le cameraman soudanais de la chaîne qatarie Al-Jazira, Sami Al-Haj, libéré la semaine dernière après six années d'incarcération sur la base américaine de Guantanamo, a dénoncé, lundi 5 mai, dans une de ses premières déclarations publiques depuis son arrivée à Khartoum, des conditions de détention particulièrement difficiles. L'homme, visiblement affaibli, s'est exprimé en direct à la télévision soudanaise à l'occasion d'une fête officielle et populaire organisée en son honneur.
Sami Al-Haj a déclaré avoir subi 130 séances d'interrogatoire, dont 95 consacrées à son travail et à la chaîne qatarie Al-Jazira. Certains geôliers lui auraient demandé de trahir son employeur et de devenir un espion. Mais, dit-il, "j'ai compté sur Dieu" dans la résistance aux pressions.
Le journaliste a poursuivi en indiquant avoir été soumis à la torture physique et morale. Il a affirmé avoir vu de ses propres yeux comment des soldats ont déchiré le Coran, l'ont souillé, l'ont foulé aux pieds avant de s'asseoir dessus. Il a souligné les avoir observés lorsqu'ils frappaient des prisonniers en des points sensibles du corps.
Vendredi, quelques heures après son arrivée dans la capitale soudanaise, Sami Al-Haj avait affirmé depuis sa chambre d'hôpital que les prisonniers de Guantanamo "étaient privés de prière et qu'il y avait des insultes délibérées contre le livre saint". Il précisait que "la situation était très mauvaise et qu'elle empirait chaque jour un peu plus".
AUCUNE INCULPATION
Arrêté en décembre 2001 à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan par les forces de sécurité pakistanaises, Sami Al-Haj avait été livré un mois plus tard à l'armée américaine, avant d'être transféré sur la base de Guantanamo le 13 juin 2002. D'après Reprieve, une association de défense des droits de l'homme britannique qui représente une trentaine de détenus de Guantanamo, les autorités militaires américaines l'ont accusé d'avoir réalisé une interview d'Oussama Ben Laden. Dans un communiqué, l'organisation a indiqué que cette charge était sans fondement.
Aucune inculpation n'a été prononcée contre Sami Al-Haj à Guantanamo. Lors d'une audition qui devait le qualifier d'"ennemi combattant", des responsables américains ont prétendu qu'il avait travaillé, dans les années 1990, dans une entreprise alimentaire basée au Qatar qui soutenait des combattants musulmans en Bosnie et en Tchétchénie. Ils l'ont également accusé d'avoir rencontré Mamdouh Mahmud Salim, un proche lieutenant de Ben Laden arrêté en Allemagne en 1998 et extradé aux Etats-Unis.
Interrogé par l'Agence France-Presse, le frère du cameraman s'est dit préoccupé par son état de santé. "Nous ne pouvons pas croire que c'est la même personne. Il a la trentaine et il en paraît quatre-vingt-dix", a souligné Issam Al-Haj. Selon Clive Stafford Smith, un des avocats de Sami Al-Haj et responsable de Reprieve, son client, qui avait entamé une grève de la faim le 7 janvier 2007 pour protester contre sa détention, a perdu 18 kilos, souffre de graves problèmes intestinaux et est sujet à des crises de paranoïa.
A Washington, un porte-parole du Pentagone, le commandant Jeffrey Gordon, avait justifié vendredi l'incarcération du cameraman en indiquant que "la décision de le détenir était étayée par des renseignements aussi bien classifiés que publics".
"Le transfert est une démonstration de la volonté des Etats-Unis de ne pas retenir des détenus plus longtemps que nécessaire", a ajouté le Pentagone dans un communiqué, qui précise que 65 autres détenus de Guantanamo sont "éligibles" pour un transfert ou une libération.
Depuis 2002, plus de 500 détenus de Guantanamo ont été transférés vers leur pays d'origine. Quelque 275 y sont toujours incarcérés.

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