par Frédéric Towner-Sarault, alternatives, 29 mai 2008
Les neuf juges de la Cour suprême sont unanimes : le gouvernement canadien a été complice de violations au droit international en collaborant avec les Américains dans la détention d’Omar Khadr. Dans un jugement rendu le 23 mai, la Cour mentionne que la procédure contre ce Canadien détenu à Guantanamo est « contraire au droit interne états-unien et à des conventions internationales sur les droits de la personne dont le Canada est signataire ».
La Cour suprême ordonne la publication de comptes-rendus d’interrogatoires menés par des agents de renseignements canadiens à la base américaine en 2003 qui ont été remis aux autorités des États-Unis. Ces documents sont réclamés par les avocats de Khadr qui tentent d’établir que la preuve retenue contre leur client ne tient pas la route. Ottawa refusait de les divulguer.
Omar Khadr est accusé de crimes de guerre aux États-Unis et est emprisonné à Guantanamo depuis 2002. Ce citoyen canadien n’avait que 15 ans lorsqu’il a été incarcéré pour des gestes qu’il aurait commis en Afghanistan, où il vivait avec son père, un dirigeant d’Al-Quaïda tué par les Américains.
Ce jugement met le Canada dans l’embarras et accroît la pression sur le gouvernement conservateur pour qu’il exige la libération d’Omar Khadr. Déjà à la mi-mai, le débat avait été relancé dans l’opinion publique par le sénateur Roméo Dallaire. La déclaration du sénateur Dallaire avait créé une commotion à Ottawa quand il a comparé le gouvernement canadien à des organisations terroristes comme Al-Quaïda. « Les accusations contre Khadr sont illégales autant que la cour devant laquelle elles sont entendues », affirmait l’ancien général à la retraite. Il reproche au gouvernement conservateur de ne faire aucun effort pour assumer ses responsabilités envers un de ses citoyens.
Les barreaux du Québec et du Canada ainsi que l’Association des avocats criminalistes ajoutent que le cadre juridique à Guantanamo est inconstitutionnel et contre les conventions internationales. Ils réclament maintenant que le fédéral intervienne pour mettre Omar Khadr à l’abri des irrégularités de la cour martiale mise sur pied par les Américains à Guantanamo.
Un comité des Communes pour les droits de la personne prépare aussi un rapport sur la question de la légitimité de son emprisonnement. Malgré tout, le gouvernement fédéral demeure bien silencieux dans cette affaire.
Six ans d’emprisonnement
Omar Khadr croupit depuis six ans en prison sans avoir été jugé.
Vivian Barbot, porte-parole adjointe du Bloc québécois en matière d’affaires étrangères, rappelle que tous les pays occidentaux ayant des ressortissants emprisonnés sur la base américaine à Cuba ont obtenu leur rapatriement. Le Canada, lui, semble ne faire aucun effort pour obtenir la libération de Khadr qui a passé près du tiers de sa vie à Guantanamo. « Ce n’est pas normal qu’un Canadien soit abandonné par son pays, surtout s’il s’agit d’un mineur », dit-elle.
« Quel que soit ce qu’on lui reproche, nous demandons qu’il soit rapatrié ici pour y être jugé. Pour qu’on puisse valider le bien-fondé des accusations portées contre lui », ajoute Mme Barbot. Elle critique l’attitude d’Ottawa qui affirme que le processus juridique suit son cours.
Amnistie internationale a été parmi les premiers à dénoncer le gouvernement canadien dans cette affaire. Dès 2002, la section canadienne de l’organisme a spécifiquement réclamé que des démarches soient entreprises afin de faire libérer Omar Khadr.
Anne Ste-Marie, d’Amnistie internationale, soutient que ses droits les plus fondamentaux n’ont jamais été pris en compte. En février, l’avocat américain désigné pour le défendre a fait état de séances de mise à tabac, de menaces de viol et des nombreuses fois où son client a été attaché pendant des heures dans des positions inconfortables. L’enquête qui devait faire la lumière sur ces allégations a été interrompue au début du mois de mai par le gouvernement américain.
Mme Ste-Marie indique que dans le cas d’Omar Khadr, l’opinion publique ne s’est pas mobilisée comme elle l’a été pour Brenda Martin, cette Canadienne de retour au pays après avoir été emprisonnée au Mexique. « Évidemment, personne n’ose le dire à haute voix, mais il nous apparaît évident que si Omar Khadr se nommait Tremblay ou Smith ça aurait aidé sa cause », affirme-t-elle.
Un enfant soldat
Eric Hoskins, le président de War Child Canada, un organisme international qui documente les cas d’abus d’enfants soldats à travers le monde, indique que les allégations de mauvais traitements et de sévices laissent présager le pire. Monsieur Hoskins croit qu’après tout ce temps dans ces conditions extrêmes, Omar Khadr doit être sévèrement affecté psychologiquement : « Il passe le plus clair de son temps en isolation et il subit des séances d’interrogations punitives. Les dommages psychologiques doivent être effrayants. »
Il croit qu’il est grand temps qu’Omar Khadr soit reconnu comme un enfant soldat et qu’il reçoive des traitements en conséquence. Les lois internationales concernant le sort des enfants soldats stipulent que ces derniers doivent être assistés dans un processus de guérison. La torture psychologique et physique n’a rien à voir avec la réinsertion et la guérison des traumatismes de la guerre, indique le docteur Hoskins.
Le cas d’Omar Khadr est unique au monde. Aucun autre enfant soldat n’est accusé devant un tribunal de guerre. Les Américains enfreignent les traités internationaux en le gardant à Guantanamo. Le Canada est complice de la situation en refusant d’entreprendre des démarches pour obtenir son transfert.
Jack Layton, le chef du Nouveau Parti Démocratique, croit que les manquements aux engagements internationaux affectent la crédibilité et la réputation du Canada. « Le Canada était un des premiers pays à signer le protocole sur le sort réservé aux enfants soldats, maintenant le gouvernement conservateur se moque de ce protocole. » Le leader néodémocrate estime que l’évolution du débat sur la place publique semble signaler qu’il est temps que le Canada prenne ses responsabilités envers le citoyen Khadr.
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