par Isabelle Rodrigue, La Presse Canadienne, Ottawa, 23 mai 2008
Le Canada a contrevenu à ses obligations internationales en matière de droit de la personne lorsqu'il a remis aux autorités américaines des documents découlant d'interrogatoires menés par les services secrets canadiens (SCRS) avec Omar Khadr, ce Canadien accusé de terrorisme et détenu dans la prison de Guantanamo, a conclu la Cour suprême du Canada vendredi.
Dans un jugement unanime, le plus haut tribunal s'est rendu aux arguments des avocats du jeune homme et leur accorde un accès partiel aux interrogatoires menés par des représentants canadiens et à tout renseignement découlant de ces entretiens remis aux autorités américaines.Les procureurs du jeune homme disaient avoir besoin de ces documents pour assurer sa défense devant une commission militaire américaine qui doit avoir lieu cet été.Bien que la victoire soit significative pour Khadr, elle n'est pas totale puisque ses avocats n'auront pas, vraisemblablement, accès à tous les documents qu'ils souhaitaient consulter.La Cour ordonne en effet que les interrogatoires et tous les documents en découlant soient remis à un juge désigné de la Cour fédérale qui prendra en considération les questions de sécurité nationale et d'intérêt public avant de déterminer quelles informations seront transmises aux avocats de Khadr.Cette restriction déçoit les avocats du jeune détenu. «Nous n'allons pas obtenir la plupart des documents que nous voulions», a indiqué Nathan Whitling, l'un des avocats de Khadr.«On va en obtenir certains mais pas les plus importants», a-t-il poursuivi.Le plus haut tribunal ne porte pas non plus de jugement sur la légalité de la détention à Guantanamo et sur le processus des commissions militaires.Omar Khadr est accusé d'avoir tué un militaire américain au cours d'une fusillade en Afghanistan en 2001. Il avait alors 15 ans. Il est considéré par les États-Unis comme un ennemi combattant.
Le gouvernement fédéral refusait de se plier à la requête des avocats de Khadr pour des raisons de «sécurité nationale».
La Cour suprême estime que les représentants canadiens doivent respecter les règles des pays où ils se trouvent, mais cette courtoisie ne peut tout de même pas faire fi des droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international.
«En mettant à la disposition des autorités américaines le fruit de ses entretiens avec M. Khadr, le Canada a participé à une procédure contraire à ses obligations internationales en matière de droits de la personne», écrit la Cour.
Le tribunal s'appuie sur des décisions rendues par la Cour suprême des États-Unis qui s'est penchée sur les conditions de détention et de mise en accusation «qui avaient cours à Guantanamo lorsque les responsables canadiens ont interrogé M. Khadr puis relayé l'information aux autorités américaines, entre 2002 et 2004».
Cette cour avait conclu à l'illégalité de la détention et à la contravention des Conventions de Genève, qui encadrent les droits des individus en cas de conflit armé.Par conséquent, la Cour suprême du Canada affirme qu'elle peut «conclure que les règles relatives à la détention et à la tenue d'un procès qui s'appliquaient à M. Khadr lorsque le SCRS l'a interrogé constituaient une atteinte manifeste aux droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international».
Les associations de lutte pour les droits de la personne ont applaudi la décision de la Cour suprême.«Il s'agit d'une importante victoire pour les droits de la personne», a indiqué Paul Champ, l'un des avocats de l'Association pour les libertés civiles de la Colombie-Britannique.
«Cela réaffirme que le Canada est un état fondé sur les droits de la personne et que les représentants canadiens, peu importe où ils se trouvent sur la planète, doivent respecter les droits humains fondamentaux», a-t-il poursuivi.
Ces associations accusent Ottawa d'être complice du malheur d'Omar Khadr, seul citoyen d'un pays occidental toujours détenu dans la prison américaine de Guantanamo, à Cuba. Elles font valoir que le gouvernement a des obligations envers le jeune homme non seulement parce qu'il est citoyen canadien, mais aussi parce qu'il était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés.
Le jugement vient donner un peu plus de munitions aux organismes de défense des droits de la personne, aux partis d'opposition et aux associations d'avocats qui réclament que le jeune homme soit ramené au Canada pour y être jugé.
Le gouvernement canadien refuse d'intercéder auprès du gouvernement des États-Unis pour demander le rapatriement de Khadr, affirmant que le citoyen canadien est accusé d'un crime grave.
Vendredi, le gouvernement a préféré réserver ses commentaires sur le jugement.
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