dimanche 28 octobre 2012

Guantanamo, la grande absente du débat usaméricain

Par CHARLIE DUPIOT, Libération, 26/10/2012

Décryptage- De nouveaux documents révélés par Wikileaks pointent le traitement des détenus dans la prison de Guantanamo. Ni Obama ni Romney n’a évoqué le sort du camp controversé, toujours ouvert malgré les promesses.

Derrière les barreaux de Guantanamo, vivent aujourd'hui 166 détenus. Quand Obama est arrivé au pouvoir, le centre de détention en comptait 242.
Derrière les barreaux de Guantanamo, vivent aujourd'hui 166 détenus. Quand Obama est arrivé au pouvoir, le centre de détention en comptait 242. (Photo Reuters.)
Guantanamo semble résister à toutes les tempêtes. Après que l’ouragan Isaac, menaçant de s’abattre sur Cuba en août, a fait reporter les audiences des cinq accusés du 11-Septembre, c’est Sandy, un second ouragan, qui a fait annuler jeudi 25 octobre l’audience du détenu accusé d’un attentat contre un navire américain. Guantanamo n’en était pourtant pas à sa première tempête, lui qui devait être fermé en 2009 par Barack Obama et a longtemps été pointé comme un symbole des dérives de la guerre contre le terrorisme. Trois ans et demi après cette promesse, le camp est toujours là, comptant 166 détenus, dont plus aucun d’origine occidentale.
Et les pratiques sur ses prisonniers sont toujours contestées : dernièrement, le Saoudien Abd-al-Rahim Nachiri, auteur présumé de l’attentat contre le navire américain USS Cole en 2000 au Yémen, qui avait fait 17 morts, a dénoncé devant le juge ce mercredi - avant que son audience de jeudi soit ajournée - les «chaînes», les «agressions» et les «attaques» qu’il doit selon lui subir dans la prison de Guantanamo. A une semaine de l’élection présidentielle, les documents secrets révélés par Wikileaks (à lire ici) – dont le fondateur Julian Assange est toujours réfugié à l’ambassade de l’Equateur à Londres – peuvent-ils peser sur la campagne ? Obama et Romney n’ont en tout cas abordé le sujet Guantanamo à aucun moment de leur débat sur la politique étrangère. Retour sur un dossier qui a été exclu de cette campagne présidentielle.

Obama n'a pas réussi à tenir ses engagements

C’était l’une de ses promesses de campagne: deux jours après son arrivée au pouvoir, le 22 janvier 2009, Barack Obama signe un décret prévoyant la fermeture de Guantanamo. Guantanamo compte alors 242 détenus selon Human Rights Watch. Mais très vite, il doit se heurter à l’opposition du Congrès, qui craint qu’un transfert de détenus du camp de Guantanamo ne menace la sécurité sur le sol américain. Obama a beau défendre devant les parlementaires, à majorité démocrates, le fait que personne ne se soit jamais échappé des prisons fédérales de haute sécurité, rien n’y fait: en mai 2009, 90 sénateurs contre 6 refusent de voter le financement du plan de fermeture de Guantanamo.
Il est de toute façon impossible à l’administration Obama de fermer si rapidement le camp, pour une raison simple, relève André Kaspi, directeur du Centre de recherches d’histoire nord-américaine (CRHNA): «Il faut savoir ce qu’on fait des détenus : certains ont été accueillis pour purger leur peine dans des pays alliés, comme la France (ce qui a permis de réduire le nombre de détenus dans le centre), mais d’autres n’ont pas pu trouver de pays d’accueil. Parmi les pays récalcitrants, il y a les Etats-Unis qui ne tiennent pas à recevoir des détenus de Guantanamo, vus comme des dangers pour leur sécurité.» 
Pour la politologue franco-américaine Nicole Bacharan, si Obama n’a pas fermé Guantanamo, c’est «parce qu’il n’a pas réussi, car c’est une espèce de monstruosité ingérable, une situation inextricable créée par Bush». Et puis, raconte la spécialiste, auteur avec Dominique Simonnet d’un «Guide des élections anti-américaines», il y a aussi «ces détenus dont on sait pertinemment, grâce à des preuves, qu’ils sont coupables, mais dont les aveux ont été obtenus avec torture.» Si ceux-là se retrouvent devant un tribunal américain et que la torture menée au cours de leurs interrogatoires est attestée, le juge devra prononcer un non-lieu. Ce qui voudrait donc dire pas de procès.
C'est l'une des raisons pour lesquelles, sur Guantanamo, le président a dû renoncer à son autre engagement : celui de faire juger les détenus par des tribunaux ordinaires, et non plus par des commissions militaires. Le 31 décembre 2011, il se voit contraint de promulguer une loi sur le budget de la Défense, votée par le Congrès, qui interdit le transfert de détenus depuis la base cubaine vers les Etats-Unis, autorise les détentions illimitées, sans procès, et impose à nouveau le recours aux tribunaux militaires pour juger les suspects de terrorisme. Les mêmes tribunaux que Barack Obama dénonçait du temps de Bush.
Sous l’ère Obama, néanmoins, les conditions de vie des détenus se sont améliorées: de nouveaux bâtiments en dur ont été construits, permettant aux prisonniers de vivre en communauté (et non plus, comme on se souvient, dans des cages grillagées), certains sont autorisés à communiquer par Skype avec leurs familles, et Human Rights Watch relevait en 2011 qu’il y avait certainement «moins de mauvais traitements», depuis que Barack Obama y a interdit la torture. Pendant cette nouvelle campagne, le démocrate a promis de soumettre à nouveau le projet de fermeture au vote du Congrès s’il est réélu. En attendant, comme son administration l'a reconnu en 2011, il reste à Guantanamo une cinquantaine de prisonniers qui ne peuvent pas être jugés, faute de preuves et de charges suffisantes, ni libérés, car considérés comme trop dangereux.

Ni Obama ni Romney «n'ont intérêt à en parler»

En publiant une centaine de documents du ministère américain de la Défense, regroupés sous le titre «Politiques sur les détenus» et qui révèlent «les règles et procédures concernant les détenus dans les prisons militaires américaines», dont celle de Guantanamo, Wikileaks entend rouvrir le débat sur ce qui est devenu, «le symbole d’un système occidental de violation des droits de l’Homme», selon les mots de son fondateur Julian Assange. Wikileaks avait déjà créé le scandale en publiant en 2011 des documents attestant que des innocents avaient été détenus à Guantanamo.
Les documents publiés ce jeudi sont «nécessaires», estime Suzanne Nossel, directrice d’Amnesty International USA, qui tire l’alarme: «En dépit de certaines réformes et des discours de l’administration Obama, les droits de l’Homme continuent d'être violés au nom de la sécurité nationale - y compris les détentions sans inculpation, les audiences devant d’injustes tribunaux militaires d’exception et l’impunité face à la torture.» Auprès de Libération, la responsable pointe la responsabilité de la Maison Blanche, «qui n'a pas donné à cette question la priorité qu'elle nécessitait».
Si Barack Obama s’est engagé à faire voter un nouveau projet de fermeture au Congrès s’il était élu, la question Guantanamo semble bien absente des discours des deux candidats. Pour André Kaspi, historien des Etats-Unis, le sujet était nettement plus présent en 2008, «car il s’agissait de dénoncer les excès ou les prétendus excès de Bush, dont Guantanamo, les Américains étant traditionnellement très soucieux des questions ayant trait à la liberté». Selon l’historien, «si on en parle moins aujourd’hui, c’est aussi parce que d’autres sujets sont au premier plan».
Pour Nicole Bacharan, politologue, «ce n’est dans l’intérêt de ni l’un ni l’autre d'en parler»: pendant la campagne  des primaires pour les élections de 2008, Mitt Romney, déjà candidat, avait affirmé qu’il «doublerait Guantanamo», sans expliciter ce que cela signifiait: «Bref, ce n’est pas un terrain sur lequel Romney peut aller», conclut l’experte. D'autant qu'il ne veut pas «donner l'impression d'être un héritier de George Bush», relève Amy Greene, auteur de «L'Amérique après Obama».
De toute façon, les rares enquêtes d’opinion sur le sujet montrent que les citoyens américains sont moins sensibles sur le sujet: «On ne voit plus d’images scandaleuses de ces prisonniers en orange, menottés dans des cages», explique Nicole Bacharan, ajoutant: «pour les Américains, ça a beau être une tache sur la démocratie américaine, ce n’est plus le premier sujet.» D'autant qu'aux Etats-Unis, note Amy Greene, «on est de plus en plus conditionnés à considérer ces détenus comme le pire du pire.»
Le procès des cinq cerveaux des attentats du 11-Septembre, passibles de la peine de mort, vient de commencer, devant un tribunal militaire de Guantanamo. Et étant donné les perturbations qu’ont connues les premières audiences, il pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années. De quoi éloigner un peu plus la perspective d’une fin de ce centre, devenu symbole des années Bush.

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