Que faire des 240 prisonniers toujours incarcérés dans le centre de détention situé sur l’île de Cuba ? La petite ville de Florence a peut-être la solution…
Comme beaucoup d’habitants de la paisible petite bourgade de Florence, dans le Colorado, Patty Liberty ne voit pas d’inconvénient à vivre dans la même ville que l’un des terroristes les plus célèbres du monde. Zacharias Moussaoui, surnommé le “20e pirate de l’air” pour son implication dans les attentats du 11 septembre 2001, est en effet incarcéré dans la prison de sécurité maximale située à la périphérie de la ville. Richard Reid, l’homme aux chaussures bourrées d’explosifs, et Ramzi Youssef, qui a participé à l’attentat contre le World Trade Center de 1993, y sont également détenus, ainsi que Theodore Kaczynski, plus connu sous le nom d’Unabomber.
“Il y a là des gens effroyables, mais on n’y pense même pas”, poursuit Patty, une femme de 36 ans mère de deux enfants qui travaille dans une station-service. Comment réagirait-elle si le gouvernement transférait les détenus du centre de détention de Guantanamo Bay dans la prison de haute sécurité de Florence, une initiative que les sénateurs du Colorado jugent trop risquée ? “Tant qu’ils les maintiennent là où ils doivent être…”, répond Patty avec un haussement d’épaules. La question qui fait le plus débat aujourd’hui à Washington est de savoir où transférer les dangereux terroristes de Guantanamo après la fermeture du camp promise par Obama pour janvier 2010. Le 20 mai dernier, le Sénat de Washington a rejeté à une très large majorité la demande de financement nécessaire à la fermeture, en faisant valoir qu’aucune localité américaine ne serait d’accord pour accueillir des suspects de terrorisme.
Sans doute ne connaissent-ils pas Florence. Il y a dix-sept ans, alors que cette petite ville de 3 600 habitants manquait cruellement d’emplois, la municipalité a fait l’acquisition d’un vaste terrain et en a fait don au gouvernement fédéral pour qu’il y construise une prison de sécurité maximale destinée à accueillir les criminels les plus dangereux.
La majorité des habitants ne manifestent aucune réticence à l’idée d’accueillir des détenus de Guantanamo, et même ceux qui protestent reconnaissent que leurs conversations de tous les jours continuent à tourner essentiellement autour de leurs troupeaux et de l’équipe de football du lycée. “Les gens s’en fichent”, commente Bob Wood, rédacteur en chef du journal local, le Florence Citizen. “Ils sont convaincus que, si on les envoie ici, [les gardiens] veilleront sur eux.”
Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde soit indifférent à l’arrivée des détenus de Guantanamo. “Ils sont beaucoup plus malins et savent déjouer les systèmes de sécurité les plus élaborés”, observe Marilyn Snellstrom, agent immobilier. Mais c’est un point de vue minoritaire. “Il n’y a jamais eu d’évasions, ici, et ces types n’iront nulle part”, affirme Tom Piltingsrud, l’administrateur de la ville. “J’ai soulevé la question à notre dernière réunion du Rotary Club et personne ne s’est dit inquiet.”
Obama n’a pas précisé la destination prévue pour les 240 détenus de Guantanamo. Il a juste indiqué dernièrement que certains seraient remis en liberté, mais que les autres seraient maintenus en détention sans avoir été jugés. La prison de haute sécurité du Colorado a quasiment atteint ses capacités d’accueil : sur ses 490 places, elle n’en a plus qu’une de disponible. Pour qu’elle puisse accueillir les détenus de Guantanamo, il faudrait donc l’agrandir ou transférer certains de ses prisonniers actuels dans un autre pénitencier.
Pourtant, son nom est souvent cité comme une destination possible pour les détenus de Guantanamo. La sénatrice démocrate de Californie Dianne Feinstein l’a proposé le mois dernier, et le gouverneur du Colorado Bill Ritter Jr., lui aussi démocrate, en avait lancé l’idée en janvier. Les détenus placés sous régime de haute sécurité de la prison du Colorado ne sont autorisés à sortir de leur cellule qu’une heure par jour pour pratiquer des activités physiques. Ils sont complètement isolés des autres détenus. Aucun prisonnier ne s’est évadé de cet établissement depuis son ouverture en 1994, et deux ont été abattus lors d’un soulèvement qui a sensibilisé l’opinion au problème de la surpopulation carcérale, en avril 2008. La prison figure parmi la dizaine de pénitenciers construits dans les environs de Florence, au cœur d’une zone rurale située à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de la ville de Colorado Springs. Plusieurs prisons d’Etat et locales se dressent sur les collines environnantes.
La prison de sécurité maximale, qui se trouve à la sortie de la ville, non loin d’un terrain de golf, jouxte deux autres prisons fédérales d’un niveau de sécurité moindre et un camp à régime souple pour les délinquants non violents. La plupart des habitants ne pensent pas à ces pénitenciers. Pour eux, ils font partie du paysage, au même titre que l’entrée escarpée de la gorge de l’Arkansas qui se dresse à l’ouest. “Quand on entend une sirène, on pense à un accident avant de penser à une évasion de prisonnier”, indique Diana Winkler, qui travaille dans un magasin d’antiquités de la ville. De fait, les habitants de Florence considèrent que leur ville devrait être davantage connue pour sa vingtaine de magasins d’antiquités et ses édifices victoriens que pour ses pénitenciers. Si les détenus de Guantanamo sont transférés à la prison de sécurité maximale, ils craignent que Florence ne devienne un symbole international de l’oppression américaine. “On sera connus dans le monde entier”, observe Jerry Draper, un instituteur à la retraite. “Quel mal y a-t-il à laisser Guantanamo ouvert ?”
La région est conservatrice : lors de la dernière élection présidentielle, le comté de Fremont a voté à 63 % pour le sénateur républicain John McCain. “[Obama] n’est pas mon président”, m’a précisé Leland Jenkins, un propriétaire de ranch de 54 ans. Mais, comme d’autres habitants de la ville, il a tout de même convenu que, si le président menait à bien son projet de fermeture de Guantanamo, Florence serait un endroit adapté pour accueillir ses prisonniers. Faisant état de son patriotisme et de son attachement au 2e amendement [qui garantit aux citoyens le droit de détenir une arme], il a admis que les détenus seraient “beaucoup plus en sécurité dans cette prison que dans les rues de la ville”.
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