mercredi 18 mars 2009

«Sans justice, la blessure de Guantanamo ne disparaîtra pas»

par Richard Werly, Le Temps, 18 mars 2009
Pour l’ex-ambassadeur des talibans au Pakistan, détenu durant quatre ans sur l’île de Cuba, la publication d’un rapport accablant du CICR sur les tortures commises prouve que la fermeture du camp ne réglera rien
Il reçoit sur un tapis posé par terre, sur la terrasse de son immeuble, le long d’une rue défoncée du quartier de l’Université à Kaboul. Dans les escaliers, une dizaine d’ouvriers s’affairent à repeindre l’édifice, devant lequel deux ou trois militaires font la garde.
Revenu à Kaboul en 2007, après 1168 jours de détention à Guantanamo, le mollah Zaeef n’est pourtant pas aussi prisonnier qu’il y parait. La veille, l’ancien ambassadeur du régime taliban au Pakistan recevait encore une délégation d’anciens responsables du mouvement politico-religieux qui contrôla l’Afghanistan de 1996 à fin 2001. Son éternel turban noir vissé sur la tête, soutenu financièrement par de généreux donateurs arabes, l’homme reste un relais de l’ombre pour d’éventuelles tractations entre l’actuel gouvernement afghan et les insurgés prêts à baisser les armes.
Réintégration des talibans
Sur tous les sujets, le mollah Zaeef n’a d’ailleurs pas changé de position ou presque depuis les années où il abreuvait, à Islamabad, la presse internationale de briefings quotidiens. Aucun repentir pour les terribles abus de l’ex-régime islamique, notamment contre les femmes. La seule stratégie à suivre, pour lui, demeure celle de la réintégration des talibans dans la vie politique afghane. «La coalition doit parler sur ce sujet d’une seule voix», explique-t-il, minorant clairement l’autonomie du chef de l’Etat afghan, Hamid Karzaï, à cinq mois de l’élection présidentielle du 20 août, qu’il juge «illégitime». «Et les Américains doivent pour cela promettre l’immunité aux talibans, leur accorder une «adresse», à Dubaï, en Afghanistan ou en Arabie saoudite, garantie par l’ONU.»

Pas question non plus, pour celui qui fut livré à l’administration Bush par la police pakistanaise en juin 2002, de refermer l’épisode de Guantanamo. Le fait que le commissaire européen Jacques Barrot se soit rendu lundi et mardi à Washington pour discuter avec les Américains de l’assistance de l’UE à la fermeture du camp le laisse de marbre: «C’est une étape positive, explique-t-il. Les Européens ont raison d’offrir leur aide. Mais cela ne réglera rien, car la réponse à la question demeure la même: à quoi a servi Guantanamo? Pourquoi libérer maintenant ceux que les Etats-Unis ont internés et torturés depuis sept ou huit ans? Sans justice, cette blessure ne disparaîtra pas.»
De son long séjour sur la base militaire américaine à Cuba, le mollah Zaeef a écrit un livre*, dont il s’escrime à récupérer les droits d’auteur en demandant l’aide des journalistes pour joindre ses éditeurs. Mais le dernier chapitre n’a, pour lui, pas été écrit. «J’ai passé quatre années dans cette prison. Pour quoi? Pour quel chef d’inculpation? Au nom de quelle justice? Le fait que Barack Obama ait décidé de fermer cette prison ne refermera pas cette plaie. Sans droit à la justice, sans dédommagement, sans vérité, la plupart des détenus comme moi gardent leur blessure rivée au corps. Beaucoup ne demandent aujourd’hui qu’une chose: la vengeance.»
Un seul interlocuteur trouve grâce à ses yeux pour ses années noires cubaines: le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dont un rapport accablant sur les tortures pratiquées dans le camp et les prisons secrètes de la CIA vient d’être publié aux Etats-Unis (LT du 18.3.2009). «Ils ont fait beaucoup pour nous et ils ont su, en Afghanistan, garder leur neutralité. Même les talibans qui combattent aujourd’hui sont contents de travailler avec eux.»

Le compliment a de l’importance. Sur le terrain afghan, l’un des succès récents du CICR est d’avoir obtenu l’aval des insurgés de toutes factions pour une campagne de vaccination nationale contre la polio. Un «pont» dont le mollah Zaeef estime, sans le dire nommément, que le rôle pourrait être autre qu’humanitaire: «Les Américains ont le droit d’exiger des garanties des insurgés. Mais ils doivent pour cela franchir le pas et reconnaître l’autorité du mollah Omar (le chef historique des talibans, en fuite au Pakistan). Il faut trouver des moyens, et des lieux pour parler.»
* «Prisonnier à Guantanamo», Editions Gérard de Villiers.

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