mercredi 11 mars 2009

Diego Garcia, pire que Guantánamo - L’embryon de la mort

par Cristina Castello, 7/3/2009

À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront. (…)
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui

Constantin Cavafy, En attendant les barbares

C'est une prison secrète qui se dresse sur des terres qui ont été volées aux habitants originaires du lieu. Depuis sa piste ont décollé les bombardiers des USA, pour envahir le Cambodge, l'Afghanistan et l'Irak, à coups de feu, crimes et impiété; pour contrôler le Moyen-Orient et ... il y a plus encore, comme nous le verrons

Diego García est un embryon de la mort. C'est le repaire qu'ont choisi les barbares — avec l'excuse d’un prétendu « terrorisme »— pour mieux torturer. C'est un vrai trésor pour l'Amérique du Nord et le Royaume-Uni. C'est la base militaire la plus importante que l'Empire a, pour surveiller le monde; et avec ses paires —les bases de Guam et d' Ascensión — ce sont des clés pour l'envahisseur. C'est un endroit idéal pour accueillir des missiles à ogives nucléaires, bien qu'ils soient interdits par les traités internationaux. Mais est-ce que cela compte, pour les barbares ?

Les barbares ne vivent pas dans l'océan Indien, où Diego García, cet atoll né pour devenir une oasis qui s’est converti en enfer. Non. Les barbares donnent les ordres aux barbares de la CIA nord-américaine, appuyés par la Grande-Bretagne et par l'Union Européenne, qui savent si bien se taire quand c’est le Pouvoir qui est cause de la terreur.
Diego García, est l’enclave appropriée au cas où il viendrait à l’esprit des barbares de lancer une action sanglante contre l'Iran. C'est le lieu où la torture exhibe sa plus grande sophistication. C'est une sorte d’échafaud — la mort vivante — et la première marche, pour mériter le soulagement de passer Guantánamo, cet échafaud avec lequel Barack Obama a promis d’en finir. Diego García : personne n’en parle et elle ne figure pas dans les agendas présidentiels, bien qu'elle soit pire encore que Guantánamo. J’ai dit : « pis ». Mais comparer deux horreurs ne jette pas de clarté : qui est le pire, Dracula ou Frankenstein ?

La terre de la planète n'a pas été suffisante pour le Pouvoir impérial. Les États-Unis du nord sillonnent les mers du monde avec entre dix-sept et vingt bateaux - « prisons flottantes ». Dans celles-ci ont été arrêtées et interrogées sous supplice, des milliers de personnes. Mais presque personne n'informe de cela. Non, on ne parle pas de ça.

Qui parle, oui, et qui agit par la justice, c’est l'ONG londonienne des droits de l'homme Reprieve, qui représente trente détenus, non inculpés, de Guantánamo, bagnards qui attendent des condamnations et accusés d’un prétendu « terrorisme ».

C’est en 1998, durant la présidence de Bill Clinton et la vice-présidence d'Al Gore —prix Nobel de la Paix— qu’ont débuté les détentions hors de toute loi et de tout sens de l'existence humaine. Et George Bush les a développées en progression géométrique. Quand il était encore président, il a admis la détention d'au moins 26 000 personnes dans des prisons flottantes; mais selon les sondages de Reprieve, le nombre des personnes qui y sont passées aura été de 80.000 à partir de 2001. Qui croire ? Le choix est clair.



Châtrer l'île

Sans égards, sans pudeur, sans pitié,
de hauts, de larges murs ils m'ont environné
Constantin Cavafy

Les 44 kilomètres de « Diego García », sentent l’absence. Sous son ciel, le grand absent est le caractère sacré de l'existence humaine. L'île est un territoire britannique d'outremer, situé dans l'archipel de Chagos, dans l'océan Indien. En 1966 un mariage parfait s'est produit entre les barbares. Le lieu — si beau qu’il semble un sourire de la nature — a été offert par l'Angleterre à l'Amérique du Nord, qui le voulait pour installer cette base militaire. C'était un échange ignominieux : la location pour cinquante ans de terres anglaises, en échange de quatorze millions de dollars et de missiles du sous-marin nucléaire « Polaris ». Musique, Maestro !

Mais —certes, il y avait une condition à respecter— à ce moment-là, plus tôt que tard, il fallait empêcher les « problèmes de population ». Il fallait désinfecter l'archipel, des êtres humains.
Châtrer l'île. Lui couper les racines, clôturer la vie. À l’œuvre immédiatement, le Royaume-Uni a bloqué toute entrée d'aliments. Cette vieille et maléfique sorcière —la faim—, a fait sonner un concert d'estomacs vides, en même temps que les habitants commençaient à partir… ou à être éjectés. La destinée de ces exilés a été, et se trouve, dans les bidonvilles de l’Ile Maurice.
Là, à plus de 200 kilomètres de la terre qui les a vus naître, les exilés rêvent autant de manger que de retourner à leur patrie dépatriée.

Sauvagement les 2.000 habitants nés dans l'île, ont été expulsés. Un cas, qui résume beaucoup d’autres similaires, est celui de Marie Aimee, née et élevée à Diego García. En 1969 elle a emmené ses enfants à Port-Louis (Maurice), pour un traitement médical. Le gouvernement britannique ne lui a jamais permis de remonter sur le bateau pour rentrer et jamais plus elle n’a pu y retourner.

Son mari, est resté deux ans dans l'île puis il est arrivé à la rejoindre, avec seulement un sac et dans un état lamentable. Il avait été expulsé de sa terre. Les histoires des autres milliers d'insulaires abandonnés, sont terrifiantes; exilés et humiliés, il sont été rassemblés dans des taudis, où ils vivaient dans des boîtes ou des huttes de fer-blanc. On s’était débarrassé d’eux avec des promesses mensongères de vacances gratuites dans des lieux de rêve. Il fallait les balayer de l'île : la stériliser de la présence de ses habitants.
La majorité des Chagossiens ont été arrêtés, expulsés de leurs foyers, littéralement « emballés » et déposés au fond d’embarcations, au milieu des cris et des pleurs; avant, ils avaient vu exterminer leurs animaux domestiques et leur bétail. Ainsi, ils pouvaient bombarder plus facilement le Vietnam, le Laos et le Cambodge; menacer la Chine lors de la Révolution culturelle, puis continuer avec le Golfe Persique, l'Afghanistan, l'Irak, et... y a beaucoup plus. Ces barbares n'ont pas de cœur.

Et ce n’est pas tout ! Beaucoup sont morts de tristesse, se sont suicidés, ou sont devenus alcooliques, rêvant de la terre promise. Mais personne n'a abandonné l'idée de revenir à son île de coraux et de palmiers; à l'île qui — tant qu’ils y ont vécu — n'était pas contaminée par les armes et la méchanceté. Dans le Times de Londres du 9 novembre 2007, l'une des Îloises a résumé : « C'était le paradis, nous étions comme des oiseaux libres, et maintenant nous sommes comme en prison ».

La Haute Cour britannique d'abord, puis la Cour d'Appel, ont condamné l'expulsion comme étant illégale et ont donné à la population le droit de rentrer; mais aucun gouvernement n'a voulu accomplir ces sentences. Et le Bureau des affaires Internes et Internationales du Royaume-Uni a dit en revanche qu'il n'y aurait pas de population indigène. Le droit à une citoyenneté était accordé uniquement aux mouettes.
Aujourd'hui, des 2000 expulsés à l’origine, moins de 700 sont encore en vie. Les barbares jouent-ils à l'extinction finale ?

Les USA ont loué l'île jusqu'en 2016. Et jusque-là, et après: quoi ?


Dracula, Frankenstein et les euphémismes
«Ah ces murs qu'on dressait, comment n'y ai-je pas pris garde ?
Mais aucun bruit de bâtisseurs ne me parvenait, pas un son :
tout doucement, ils m'ont emmuré hors du monde »

Constantin Cavafy

Et que dire de la prison de Diego García ? Diego García est le plus grand centre de tortures —appelées par euphémisme « interrogatoires »— pour les prisonniers considérés comme les plus « importants » par l'Empire. C'est là que le prisonnier Ibn Al-Sheikh Al-Libi a dû mentir, puisqu'il ne résistait pas au supplice auquel il était soumis. Il a dit, pour éviter qu'ils continuent de le lacérer, que Saddam Hussein était allié d'Al-Qaïda, et qu'il avait les fameuses armes de destruction massive dont on a tant parlé.

Certes, il a été démontré que ces armes n'existaient pas. Mais c'était les arguments dont George W. avait besoin, pour la guerre du pétrole : celle qu’il a lancée, affamé de dollars, avec l'excuse du « terrorisme »; comme s'il avait été le sauveur du monde, alors qu'il l’anéantissait et c’est pourquoi, aujourd'hui on essaye de le juger. De par toute la planète, de plus en plus de voix se lèvent pour demander, précisément, qu’il soit présenté à la justice pour crimes contre l'humanité.

La geôle de Diego García est connue sous le nom de « Camp Justice ». Encore un euphémisme. Et les six mille bases militaires mondiales des USA, sont mentionnées comme « des traces » dans le jargon militaire américain. Parmi elles, Diego García a un nom qui ressemble à ne blague : « Trace de la liberté ». Les mots ont perdu leur sens.

Entretemps, les transferts de prisonniers drogués, encagoulés et durement torturés, de là à Guantanamo, ont été courants. Des personnes captives transférées d'une horreur, à l'autre. De Diego García à Guantánamo. De Dracula, comme on l’a dit, à Frankenstein.
Les 2.000 soldats yankees stationnés en permanence dans ce lieu sont la population centrale de Diego García. La torture a besoin d'une surveillance, voyons ! Par une ironie de la vie, les bannis étaient aussi 2000 : les armes remplacent la vie.

Les barbares nient tout, mais les preuves existent. Par exemple, celles d'ex-prisonniers qui, par un miracle, ont obtenu la liberté, et racontent comment ils ont été transférés à Guantanamo, ainsi que la frayeur des tortures, impossibles même à imaginer pour tout esprit humain. Par exemple, le témoignage fondé de l'historien britannique Andy Worthington, l'auteur de « The le Guantanamo files : the stories of the 774 detainees in America's illegal prison » (« Les archives de Guantanamo : les histoires des 774 détenus dans la prison illégale de l'Amérique »).

Worthington raconte qu’ « une personne honnête ayant accès à une information privilégiée », Barry McCaffrey, général américain en retraite et professeur prestigieux d'études de sécurité internationale, a reconnu à deux occasions qu’à Diego García des personnes accusées de terrorisme sont retenues ; de la même manière, il a reconnu que la même chose arrive à Bagram, Guantanamo, bien sûr, et en Irak. Pour sa part, Clive Stafford Smith, directeur de Reprieve, dont personne ne met le sérieux en doute, a assuré à The Guardian qu’il était catégorique : la présence de prisonniers dans l'île est certaine.
Aussi le conseiller des États (sénateur) suisse Dick Marty a confirmé en 2006 les «transferts extraordinaires» de détenus, de là vers Guantanamo. Dans un rapport remis au Conseil de l'Europe, il a certifié que, sous la responsabilité légale internationale du Royaume-Uni, les USA ont utilisé cet atoll de l'océan Indien comme prison secrète pour « des détenus de haute valeur ». Le rapporteur spécial sur la Torture des Nations Unies, Manfred Novak, l'a confirmé.

Guantánamo semble être une priorité dans l'agenda de Barack Obama. Et Diego García ? Il est vrai que le président flambant neuf de la Maison Blanche a trop de défis, de casse-têtes et de crises à résoudre, ainsi qu'une opposition conservatrice qui ne lui rend pas la tâche de gouverner facile. Mais a-t-il la volonté politique d’en finir avec cette abjection ? Pourra-t-il — et surtout voudra-t-il — aller contre les semailles de mort des barbares ?

La liberté, la justice et les déportés de Diego García attendent son mot et celui de l'Union Européenne. Ils attendent, « comme les beaux corps de morts qui n'ont pas vieilli / et ils les ont enfermés, avec des larmes, dans une tombe splendide / — avec des roses sur la tête et aux pieds des jasmins » (Constantin Cavafy).



Original : El peor Guantánamo: Isla «Diego García», embrión de muerte

Source : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=7195&lg=fr


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