par Luis Lema, Le Temps, 17 mars 2009
Le texte du Comité international de la Croix-Rouge rédigé en 2007 a été dévoilé par un professeur de journalisme. Il tombe bien pour ceux qui veulent juger les responsables
Il ne l’a jamais dit publiquement. Mais ce qui se passait dans le réseau de «prisons secrètes» mis en place par la CIA «constitue de la torture» ainsi qu’un traitement cruel, inhumain et dégradant des prisonniers, banni par les Conventions de Genève. On ne sait pas qui a laissé filtrer ce rapport. Mais on sait désormais que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’a rédigé en 2007, avant de le transmettre aux autorités américaines. Ce texte de 43 pages n’apparaît pas par hasard aujourd’hui. Il vient étoffer l’argumentaire de ceux qui veulent amener devant la justice les responsables de l’administration Bush pour leurs agissements commis au nom de la guerre contre le terrorisme.
Le rapport, qui vient d’être dévoilé par le professeur de journalisme Mark Danner dans la New York Review of Books, se base sur les témoignages de 14 prisonniers «de haute valeur» que les délégués du CICR ont été autorisés à rencontrer dans le camp de Guantanamo. Les prisons secrètes, dans lesquelles les détenus venaient de passer, étaient destinées à le rester. Jamais encore il n’y a eu de description aussi précise de ce qui se déroulait à l’intérieur de ces «black sites» installés en Thaïlande, en Pologne ou en Afghanistan.
A elle seule, la table des matières du rapport donne une première idée: «Suffocation par l’eau», «coups avec l’utilisation d’un collier», «confinement dans une boîte», «nudité prolongée», «privation de sommeil», «usage prolongé de menottes». Même si les détenus – parmi lesquels figurent «l’architecte» du 11 septembre Khalid Cheikh Mohammed ou le recruteur d’Al-Qaida Abou Zubaydah – n’ont jamais pu communiquer entre eux, les témoignages frappent par leurs similitudes, ce qui écarte l’hypothèse de pures affabulations.
Tour à tour placés dans une boîte réduite comme un cercueil, attachés sur une chaise pendant des jours ou suspendus par les menottes qu’ils portaient aux poignets, les prisonniers n’ont reçu aucun aliment solide pendant des semaines, étaient nus, soumis constamment à une aveuglante lumière artificielle, empêchés de s’essuyer après avoir déféqué, battus, menacés, aspergés d’eau glacée. Prises individuellement ou dans leur combinaison, ces méthodes constituent de la torture, tranche le CICR dans sa conclusion adressée aux responsables de la CIA.
Au passage, des détenus expliquent aussi qu’ils ont parfois inventé des informations de toutes pièces afin de faire cesser les tortures. Des témoignages qui semblent vider de leur substance les affirmations de la Maison-Blanche selon lesquelles ces informations auraient permis de déjouer des dizaines d’attentats.
Pour Mark Danner, l’un des pourfendeurs les plus minutieux des actions de contre-terrorisme de l’administration Bush, les conclusions coulent de source: les Etats-Unis ont utilisé la torture depuis 2002 et, parmi d’autres responsables de haut niveau du gouvernement américain, le président George Bush le savait et a menti à ce propos. Pour sa part, le Congrès disposait d’assez d’informations pour connaître la vérité et ne pas approuver la création des Commissions militaires qui donnaient une protection légale aux auteurs d’actes de torture. Les parlementaires démocrates, préoccupés à l’idée d’être accusés de «dorloter les terroristes» à l’approche des élections, méritent, pour l’enquêteur, une mention particulière.
Cet exposé en forme de charge frontale a été repris lundi par tous les médias américains. Il vise sans doute à redonner un peu de vigueur au débat, lancé par quelques sénateurs, sur la nécessité de poursuivre en justice les membres de l’ancienne administration, ou du moins de mettre en place une «commission vérité» chargée de faire toute la lumière sur cette période. «Nous devons aller au fond de ce qui est arrivé, et du pourquoi, afin d’être sûrs que cela ne se reproduira plus», affirme le sénateur Patrick Leahy, qui a pris la tête de ce mouvement.
Même s’il a tenu à l’occasion des propos pratiquement similaires («nul ne peut être placé au-dessus des lois»), le président Barack Obama a aussi souligné sa préférence à «aller de l’avant plutôt que de regarder en arrière». Alors qu’il est en train de démanteler le système mis en place par son prédécesseur, il risque gros à ouvrir ce dossier, de surcroît en plein marasme économique.
Dans l’immédiat, pourtant, d’autres veulent s’en charger à la place de Barack Obama. Alors que George Bush doit donner une conférence au Canada ce mardi, une coalition d’avocats veut l’interdire d’entrée au motif qu’il serait «un criminel de guerre»…
Le texte du Comité international de la Croix-Rouge rédigé en 2007 a été dévoilé par un professeur de journalisme. Il tombe bien pour ceux qui veulent juger les responsables
Il ne l’a jamais dit publiquement. Mais ce qui se passait dans le réseau de «prisons secrètes» mis en place par la CIA «constitue de la torture» ainsi qu’un traitement cruel, inhumain et dégradant des prisonniers, banni par les Conventions de Genève. On ne sait pas qui a laissé filtrer ce rapport. Mais on sait désormais que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’a rédigé en 2007, avant de le transmettre aux autorités américaines. Ce texte de 43 pages n’apparaît pas par hasard aujourd’hui. Il vient étoffer l’argumentaire de ceux qui veulent amener devant la justice les responsables de l’administration Bush pour leurs agissements commis au nom de la guerre contre le terrorisme.
Le rapport, qui vient d’être dévoilé par le professeur de journalisme Mark Danner dans la New York Review of Books, se base sur les témoignages de 14 prisonniers «de haute valeur» que les délégués du CICR ont été autorisés à rencontrer dans le camp de Guantanamo. Les prisons secrètes, dans lesquelles les détenus venaient de passer, étaient destinées à le rester. Jamais encore il n’y a eu de description aussi précise de ce qui se déroulait à l’intérieur de ces «black sites» installés en Thaïlande, en Pologne ou en Afghanistan.
A elle seule, la table des matières du rapport donne une première idée: «Suffocation par l’eau», «coups avec l’utilisation d’un collier», «confinement dans une boîte», «nudité prolongée», «privation de sommeil», «usage prolongé de menottes». Même si les détenus – parmi lesquels figurent «l’architecte» du 11 septembre Khalid Cheikh Mohammed ou le recruteur d’Al-Qaida Abou Zubaydah – n’ont jamais pu communiquer entre eux, les témoignages frappent par leurs similitudes, ce qui écarte l’hypothèse de pures affabulations.
Tour à tour placés dans une boîte réduite comme un cercueil, attachés sur une chaise pendant des jours ou suspendus par les menottes qu’ils portaient aux poignets, les prisonniers n’ont reçu aucun aliment solide pendant des semaines, étaient nus, soumis constamment à une aveuglante lumière artificielle, empêchés de s’essuyer après avoir déféqué, battus, menacés, aspergés d’eau glacée. Prises individuellement ou dans leur combinaison, ces méthodes constituent de la torture, tranche le CICR dans sa conclusion adressée aux responsables de la CIA.
Au passage, des détenus expliquent aussi qu’ils ont parfois inventé des informations de toutes pièces afin de faire cesser les tortures. Des témoignages qui semblent vider de leur substance les affirmations de la Maison-Blanche selon lesquelles ces informations auraient permis de déjouer des dizaines d’attentats.
Pour Mark Danner, l’un des pourfendeurs les plus minutieux des actions de contre-terrorisme de l’administration Bush, les conclusions coulent de source: les Etats-Unis ont utilisé la torture depuis 2002 et, parmi d’autres responsables de haut niveau du gouvernement américain, le président George Bush le savait et a menti à ce propos. Pour sa part, le Congrès disposait d’assez d’informations pour connaître la vérité et ne pas approuver la création des Commissions militaires qui donnaient une protection légale aux auteurs d’actes de torture. Les parlementaires démocrates, préoccupés à l’idée d’être accusés de «dorloter les terroristes» à l’approche des élections, méritent, pour l’enquêteur, une mention particulière.
Cet exposé en forme de charge frontale a été repris lundi par tous les médias américains. Il vise sans doute à redonner un peu de vigueur au débat, lancé par quelques sénateurs, sur la nécessité de poursuivre en justice les membres de l’ancienne administration, ou du moins de mettre en place une «commission vérité» chargée de faire toute la lumière sur cette période. «Nous devons aller au fond de ce qui est arrivé, et du pourquoi, afin d’être sûrs que cela ne se reproduira plus», affirme le sénateur Patrick Leahy, qui a pris la tête de ce mouvement.
Même s’il a tenu à l’occasion des propos pratiquement similaires («nul ne peut être placé au-dessus des lois»), le président Barack Obama a aussi souligné sa préférence à «aller de l’avant plutôt que de regarder en arrière». Alors qu’il est en train de démanteler le système mis en place par son prédécesseur, il risque gros à ouvrir ce dossier, de surcroît en plein marasme économique.
Dans l’immédiat, pourtant, d’autres veulent s’en charger à la place de Barack Obama. Alors que George Bush doit donner une conférence au Canada ce mardi, une coalition d’avocats veut l’interdire d’entrée au motif qu’il serait «un criminel de guerre»…
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