dimanche 29 mars 2009

L'Espagne prête à ouvrir une enquête sur des responsables de l'ère Bush

Spanish judge considers trying U.S. officials over Guantanamo

Querella española por la prisión de Guantánamo

NEW YORK, 28 mars (Xinhua) -- La Cour nationale d'Espagne, à Madrid, a entrepris les premières démarches menant à l'ouverture d'une enquête concernant les six responsables de l'administration Bush présumément impliqués dans des actes de tortures commis sur les prisonniers de la baie de Guantanamo, a rapporté samedi le New York Times.

L'enquête a pour objectif de découvrir si les responsables, dont l'ancien ministre de la Justice Alberto Gonzales, ont violé les lois internationales en couvrant légalement la torture au camp de détention de Cuba, a déclaré un responsable proche du dossier dans les colonnes du journal.

Le dossier a été soumis au bureau du procureur par Baltasar Garzon, un juge connu pour avoir ordonné l'arrestation de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet.

"Cette démarche représente un pas vers la vérification de la responsabilité légale de hauts responsables de l'administration Bush pour les allégations faisant état de torture et de mauvais traitements sur les prisonniers lors de la guerre contre le terrorisme", a ajouté le journal.

Pourtant, l'article indique qu'il est presque certain que les mandats d'arrêt ne déboucheront sur aucune interpellation si ces responsables ne quittent pas les Etats Unis, et que leur signification pourraient être plus symbolique que pratique.

Les lois espagnoles permettent de poursuivre au-delà des frontières nationales dans les dossiers de torture ou de crimes de guerre au nom d'une doctrine de justice universelle. Cinq citoyens ou résidents espagnols qui ont été prisonniers à Guantanamo ont assuré qu'ils y avaient été torturés.

Outre M. Gonzales, les autres responsables en poste sous l'ére Bush sur lesquels l'enquête porte sont l'ancien sous-secrétaire à la Défense Douglas Feith, l'ancien directeur de cabinet du vice-président David Addington, les responsables du Département de la Justice John Yoo et Jay S. Bybee, et William Haynes, le chef des services juridiques du Pentagone.

Source :
http://www.french.xinhuanet.com/french/2009-03/29/content_847412.htm

jeudi 19 mars 2009

Diego Garcia ou l’archipel des oubliés

par Patrick BROUSSE DE LABORDE , 16/3/2009

L’atoll de Diego Garcia est situé au cœur de l’océan Indien. Ce joyau corallien d’une rare beauté, pourtant en sécurité hors de la zone des cyclones, a subi trente années d’agressions.

Volées à leurs habitants, les Ilois, ces îles ont été transformées en base aéronavale anglo-américaine de lancement de missiles balistiques. Spoliée, abîmée, Diego Garcia est devenu l’escale de la mort pour la défense des intérêts du consommateur américain et européen.

Les Ilois ou Chagossiens habitaient leur archipel et formaient une population paisible et soudée qui vivait essentiellement de la pêche et du coprah, tous ont été délocalisés, dans l’indifférence générale, par les Britanniques au profit des américains. Exilés aux Seychelles et à l’Ile Maurice dans le dénuement, les Ilois ont entrepris des actions en justice pour reprendre possession de leurs îles. Leur résistance est non-violente: manifestations et grèves de la faim devant les ambassades des deux États « pirates ».

Les Ilois ont été sacrifiés sur l’autel de l’argent et de la guerre par la cupidité et l’irresponsabilité de politiciens de l’Ile Maurice, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique fourvoyés aux finalités mercantiles et criminelles des lobbies des industries de l’armement.

Plus de 500 millions de dollars US auront été nécessaires pour aliéner Diego Garcia en « air joint » UK/US, plateforme aéronavale de réapprovisionnement en combustible et de soutien durant la guerre froide. Servant de base aux bombardiers B-52, elle contribuera à la guerre du Golfe en 1991, au bombardement contre la Somalie en 1992 et à l'offensive ‘’renard du désert’’ contre l'Irak sous Clinton en 1998. En octobre 2001, des bombardiers B-1 et B-52 décolleront de Diego Garcia pour des attaques massives sur l’Afghanistan.

La contribution de Diego Garcia à la suprématie du cartel militaire anglo-américain est capitale: l’Irak, ancienne création de l’ex-empire britannique, retrouvera les griffes du lion à coiffure royale, sous les serres implacables du rapace américain.

Le grand tribunal de Londres avait dans un premier temps condamné le Royaume-Uni à restituer ‘‘partiellement’’ les Chagos. L’ONU a reçu une délégation d’Ilois, des actions en justice sont menées contre les États-Unis et le Royaume-Uni.

Mais le Royaume-Uni et les États-Unis qui se proclamaient les champions de la liberté, aux institutions démocratiques exemplaires, n’entendent pas obtempérer — prisonniers de leur machine de guerre fondamentalement réfractaire à la paix dans le monde, ils violent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, transgressent toutes les règles internationales dans un silence assourdissant.

Jusqu’où ira la folie de cette l’alliance anglo-américaine? Diego Garcia et l’Irak, dernières colonies UK/US où premières d’une nouvelle série de condominiums à venir, avec la lune et Mars?

Pour donner naissance à leur nouvel ordre mondial. Ce nouvel ordre mondial des conspirateurs de la Finance Monétaire Internationale qui pilotent l'ONU, et qui entendent avoir tout pouvoir pour imposer aux nations et aux hommes leur dictature et leur monnaie de singe virtuelle distribuée selon leurs intérêts — pourquoi ne pas présager le plus sombre avenir pour Diego Garcia, d'où des missiles balistiques à ogives nucléaires iraient pulvériser Israël et la Palestine puis l'Iran: instaurant une guerre de religion contre l'Islam qui embraserait ensuite le Moyen et le Proche-Orient — les survivants « épurés » de leurs croyances religieuses deviendraient les dévots dociles et serviles de l'argent unique déifié.

Nous devons réapprendre à devenir humains, désintéressés, fraternels et solidaires, au-dessus des fractures raciales, religieuses et des leurres politiques et idéologiques, il est vital que nous triomphions définitivement contre les accords souterrains de ce nouvel ordre mondial — cette mondialisation insensée mise en oeuvre par des fous dangereux et des ignorants qui détiennent Diego Garcia.



Manifestation de Chagossiens devant l'ambassade britannique à Port-Louis, 2006. Photos Ackbarally Nasseem, Syfia


Source : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=7229&lg=fr

______________________
L'auteur
Patrick Brousse de Laborde (décembre1954, Rose-Hill, Ile Maurice) : Simple ex-îlé entre deux mondes, celui des îles d’abord : Maurice, Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie dont l’ancien nom avant la colonisation est Opao que j’ai emprunté avec gratitude, d’où mon nom de plume : iélo IV OPAO (yellow cat) pour mieux vivre ma deuxième vie plus en poésie et rejeter fermement le colonialisme et toutes les formes d’injustice. Notre passage sur Terre est un merveilleux apprentissage à la beauté !


Mansuétude
Par iélo IV OPAO, 1995

Dédié à la mémoire d’Alphonse Dianou* et à tous mes frères et sœurs qui oeuvrent pour leur dignité

Dans ce monde de bien naître et de mansuétude remercie-moi
Remercie de mourir pour le ciel que tu mets dans mes habits
Ta vie vaut moins que l’indigo
Bien moins que le murex
Remercie de mourir pour la douceur de mon palais
Ta vie vaut moins que le miel
Bien moins que le sucre
Remercie de mourir pour ma nappe que tu sais si bien servir
Qui me fait saliver d’épices
Ta vie vaut moins que le lin, le chanvre, la jute et le coton
Bien moins que le ver à soie
Remercie tes larmes que je savoure
Elles ont bien plus de parfum que la vanille et le tiaré
Remercie ta sueur qui m’enivre
Elle a bien plus de force que le rhum
Remercie ton corps que je convoite
Il a bien plus d’attraits que le fruit défendu
Remercie ton âme qui grâce à moi existe
Qui m’appartient
Remercie-moi je suis ton Père
Remercie ma mansuétude
N’attends pas autant de mon Dieu
Remercie-moi de trahir ta confiance
De te repousser
De t’affamer
De t’anéantir comme la VERMINE
Remercie mon armée qui te chasse de tes terres ancestrales
Ta vie vaut moins que le bétail
Bien moins que le bison et le coyote des prairies
Que le mouton d’Australie, de Tasmanie et de Patagonie
Que le nickel d’Océanie
Que le crocodile de Papouasie
Que le pétrole et le riz d’Asie
Que le cuivre et le diamant d’Afrique
Que l’argent, l’hévéa et la banane du Nouveau Monde
« l’Amérique »
Que toutes les forêts pluviales !
Que tout l’uranium !
Que tout l’or !
De « NOTRE TERRE » !!!!
Peut-être connaîtras-tu l’honneur, le privilège
Mourir en combattant
Pour la cause de cette civilisation qui te civilise ????
* Alphonse Dianou : militant kanak tué lors de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa en Kanaky (Nouvelle-Calédonie) en mai 1988. Lire à ce sujet L'affaire de Gossanah ou une faillite de la république

mercredi 18 mars 2009

L'Europe négocie l'accueil de détenus de Guantanamo

par Corine Lesnes, Le Monde, 18/3/2009
Les Etats-Unis et l'Union européenne ont entamé officiellement, lundi 16 mars, leurs discussions sur l'accueil éventuel de détenus de Guantanamo en Europe. Jusqu'ici, Washington n'a pas formulé de demande officielle, mais une soixantaine de prisonniers seraient concernés. Les Européens ont réclamé la transparence sur la situation des détenus et les raisons pour lesquelles ils ont été arrêtés. La décision finale d'accueil reviendra à chaque pays mais, compte tenu de la liberté de circulation qui prévaut dans l'espace Schengen, la commission de Bruxelles veut agir "de manière coordonnée".
Deux mois après l'annonce par Barack Obama de sa décision de fermer Guantanamo avant la fin janvier 2010, une délégation européenne a présenté au ministre américain de la justice, Eric Holder, et au numéro deux du département d'Etat, Jim Steinberg, une "liste de questions" en vue d'étudier la possibilité de "reloger" la soixantaine d'étrangers - sur les 240 encore détenus - contre lesquels les Etats-Unis ne souhaitent pas engager de poursuites et qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine.
Selon le vice-président de la Commission européenne chargé de la justice, Jacques Barrot, et le ministre de l'intérieur tchèque, Ivan Langer, dont le pays préside l'Union européenne, le département d'Etat a de son côté proposé d'élaborer un protocole d'accord qui rappellerait "les principes qui doivent inspirer la lutte antiterroriste".
Cette déclaration montrerait que les Etats-Unis ont clairement l'intention de tourner la page sur leur politique de détention, a expliqué M. Barrot, "de manière à nous rassurer sur la conduite future des Etats-Unis".
La liste de questions, préparée par la Commission européenne et la présidence, compte une vingtaine de points. La moitié concerne les détenus eux-mêmes et leur dossier. Les Européens veulent, par exemple, comprendre la différence, dans la nomenclature américaine, entre un détenu déclaré "prêt à être libéré" ou "prêt à être transféré".
Les autres questions sont d'ordre plus général, les Européens voulant s'assurer que "les erreurs du passé ne seront pas reproduites", a expliqué M. Barrot, en précisant qu'il avait évoqué la situation à la prison de Bagram, située en Afghanistan.
Le ministre tchèque, Ivan Langer, a souligné quant à lui que la délégation n'avait "pas mandat pour négocier", mais il a néanmoins fait mention d'une "condition" européenne : obtenir "le maximum d'informations" sur les individus concernés.
La République tchèque est l'un des pays, avec le Danemark et les Pays-Bas, qui ne souhaitent pas héberger d'anciens de "Gitmo". Plusieurs autres se sont en revanche proposés, comme l'Espagne et le Portugal.
Les Européens ont aussi fait comprendre à leurs interlocuteurs qu'ils n'avaient pas l'intention de se fâcher avec la Chine en accueillant les dix-sept Ouïgours qui ont été blanchis dès 2003, et qui sont détenus à part en attente d'un pays d'accueil depuis plus de cinq ans.
M. Barrot a fait valoir que les pays dotés d'une forte communauté chinoise sont mieux préparés que les Européens pour accueillir ces Ouïgours. Mais le partage du fardeau ne semble plus une condition préalable, aux yeux des Européens, comme sous l'administration Bush.
Parmi les soixante détenus qui pourraient être "relogés" en Europe figurent des ressortissants de l'Algérie, de la Tunisie, de l'Egypte, de la Libye, de la Syrie, de la Chine, de la Russie, de l'Azerbaïdjan, du Tadjikistan, de l'Ouzbékistan et des Territoires palestiniens.
En ce qui concerne les suspects que Washington espère passer en procès, le gouvernement n'a toujours pas décidé si les poursuites seraient engagées devant la justice militaire ou la justice civile.
Vingt et une personnes inculpées de crimes de guerre
800. C'est le chiffre total de prisonniers qui ont été incarcérés depuis janvier 2002 et soupçonnés d'être des "ennemis combattants illégaux", une catégorie juridique inventée en 2001 par l'administration Bush pour se soustraire aux conventions de Genève et qui vient d'être abandonnée officiellement par l'administration Obama.
240 d'entre eux restent détenus à Guantanamo dont vingt et un sont inculpés de crimes de guerre.
60 hommes sont libérables, mais ils ne peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine où ils risquent des persécutions.
Condamnations. Des tribunaux militaires d'exception ont jugé le Yéménite Ali Hamza Al-Bahlul (qui avait été condamné à la prison à vie en novembre 2008), l'Australien David Hicks (neuf mois de prison et aujourd'hui libre dans son pays) et le Yéménite Salim Hamdan (cinq ans et demi).

«Sans justice, la blessure de Guantanamo ne disparaîtra pas»

par Richard Werly, Le Temps, 18 mars 2009
Pour l’ex-ambassadeur des talibans au Pakistan, détenu durant quatre ans sur l’île de Cuba, la publication d’un rapport accablant du CICR sur les tortures commises prouve que la fermeture du camp ne réglera rien
Il reçoit sur un tapis posé par terre, sur la terrasse de son immeuble, le long d’une rue défoncée du quartier de l’Université à Kaboul. Dans les escaliers, une dizaine d’ouvriers s’affairent à repeindre l’édifice, devant lequel deux ou trois militaires font la garde.
Revenu à Kaboul en 2007, après 1168 jours de détention à Guantanamo, le mollah Zaeef n’est pourtant pas aussi prisonnier qu’il y parait. La veille, l’ancien ambassadeur du régime taliban au Pakistan recevait encore une délégation d’anciens responsables du mouvement politico-religieux qui contrôla l’Afghanistan de 1996 à fin 2001. Son éternel turban noir vissé sur la tête, soutenu financièrement par de généreux donateurs arabes, l’homme reste un relais de l’ombre pour d’éventuelles tractations entre l’actuel gouvernement afghan et les insurgés prêts à baisser les armes.
Réintégration des talibans
Sur tous les sujets, le mollah Zaeef n’a d’ailleurs pas changé de position ou presque depuis les années où il abreuvait, à Islamabad, la presse internationale de briefings quotidiens. Aucun repentir pour les terribles abus de l’ex-régime islamique, notamment contre les femmes. La seule stratégie à suivre, pour lui, demeure celle de la réintégration des talibans dans la vie politique afghane. «La coalition doit parler sur ce sujet d’une seule voix», explique-t-il, minorant clairement l’autonomie du chef de l’Etat afghan, Hamid Karzaï, à cinq mois de l’élection présidentielle du 20 août, qu’il juge «illégitime». «Et les Américains doivent pour cela promettre l’immunité aux talibans, leur accorder une «adresse», à Dubaï, en Afghanistan ou en Arabie saoudite, garantie par l’ONU.»

Pas question non plus, pour celui qui fut livré à l’administration Bush par la police pakistanaise en juin 2002, de refermer l’épisode de Guantanamo. Le fait que le commissaire européen Jacques Barrot se soit rendu lundi et mardi à Washington pour discuter avec les Américains de l’assistance de l’UE à la fermeture du camp le laisse de marbre: «C’est une étape positive, explique-t-il. Les Européens ont raison d’offrir leur aide. Mais cela ne réglera rien, car la réponse à la question demeure la même: à quoi a servi Guantanamo? Pourquoi libérer maintenant ceux que les Etats-Unis ont internés et torturés depuis sept ou huit ans? Sans justice, cette blessure ne disparaîtra pas.»
De son long séjour sur la base militaire américaine à Cuba, le mollah Zaeef a écrit un livre*, dont il s’escrime à récupérer les droits d’auteur en demandant l’aide des journalistes pour joindre ses éditeurs. Mais le dernier chapitre n’a, pour lui, pas été écrit. «J’ai passé quatre années dans cette prison. Pour quoi? Pour quel chef d’inculpation? Au nom de quelle justice? Le fait que Barack Obama ait décidé de fermer cette prison ne refermera pas cette plaie. Sans droit à la justice, sans dédommagement, sans vérité, la plupart des détenus comme moi gardent leur blessure rivée au corps. Beaucoup ne demandent aujourd’hui qu’une chose: la vengeance.»
Un seul interlocuteur trouve grâce à ses yeux pour ses années noires cubaines: le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dont un rapport accablant sur les tortures pratiquées dans le camp et les prisons secrètes de la CIA vient d’être publié aux Etats-Unis (LT du 18.3.2009). «Ils ont fait beaucoup pour nous et ils ont su, en Afghanistan, garder leur neutralité. Même les talibans qui combattent aujourd’hui sont contents de travailler avec eux.»

Le compliment a de l’importance. Sur le terrain afghan, l’un des succès récents du CICR est d’avoir obtenu l’aval des insurgés de toutes factions pour une campagne de vaccination nationale contre la polio. Un «pont» dont le mollah Zaeef estime, sans le dire nommément, que le rôle pourrait être autre qu’humanitaire: «Les Américains ont le droit d’exiger des garanties des insurgés. Mais ils doivent pour cela franchir le pas et reconnaître l’autorité du mollah Omar (le chef historique des talibans, en fuite au Pakistan). Il faut trouver des moyens, et des lieux pour parler.»
* «Prisonnier à Guantanamo», Editions Gérard de Villiers.

mardi 17 mars 2009

Rapport confidentiel sur «la torture» dans les prisons secrètes de Bush

par Luis Lema, Le Temps, 17 mars 2009
Le texte du Comité international de la Croix-Rouge rédigé en 2007 a été dévoilé par un professeur de journalisme. Il tombe bien pour ceux qui veulent juger les responsables
Il ne l’a jamais dit publiquement. Mais ce qui se passait dans le réseau de «prisons secrètes» mis en place par la CIA «constitue de la torture» ainsi qu’un traitement cruel, inhumain et dégradant des prisonniers, banni par les Conventions de Genève. On ne sait pas qui a laissé filtrer ce rapport. Mais on sait désormais que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’a rédigé en 2007, avant de le transmettre aux autorités américaines. Ce texte de 43 pages n’apparaît pas par hasard aujourd’hui. Il vient étoffer l’argumentaire de ceux qui veulent amener devant la justice les responsables de l’administration Bush pour leurs agissements commis au nom de la guerre contre le terrorisme.
Le rapport, qui vient d’être dévoilé par le professeur de journalisme Mark Danner dans la New York Review of Books, se base sur les témoignages de 14 prisonniers «de haute valeur» que les délégués du CICR ont été autorisés à rencontrer dans le camp de Guantanamo. Les prisons secrètes, dans lesquelles les détenus venaient de passer, étaient destinées à le rester. Jamais encore il n’y a eu de description aussi précise de ce qui se déroulait à l’intérieur de ces «black sites» installés en Thaïlande, en Pologne ou en Afghanistan.

A elle seule, la table des matières du rapport donne une première idée: «Suffocation par l’eau», «coups avec l’utilisation d’un collier», «confinement dans une boîte», «nudité prolongée», «privation de sommeil», «usage prolongé de menottes». Même si les détenus – parmi lesquels figurent «l’architecte» du 11 septembre Khalid Cheikh Mohammed ou le recruteur d’Al-Qaida Abou Zubaydah – n’ont jamais pu communiquer entre eux, les témoignages frappent par leurs similitudes, ce qui écarte l’hypothèse de pures affabulations.
Tour à tour placés dans une boîte réduite comme un cercueil, attachés sur une chaise pendant des jours ou suspendus par les menottes qu’ils portaient aux poignets, les prisonniers n’ont reçu aucun aliment solide pendant des semaines, étaient nus, soumis constamment à une aveuglante lumière artificielle, empêchés de s’essuyer après avoir déféqué, battus, menacés, aspergés d’eau glacée. Prises individuellement ou dans leur combinaison, ces méthodes constituent de la torture, tranche le CICR dans sa conclusion adressée aux responsables de la CIA.
Au passage, des détenus expliquent aussi qu’ils ont parfois inventé des informations de toutes pièces afin de faire cesser les tortures. Des témoignages qui semblent vider de leur substance les affirmations de la Maison-Blanche selon lesquelles ces informations auraient permis de déjouer des dizaines d’attentats.
Pour Mark Danner, l’un des pourfendeurs les plus minutieux des actions de contre-terrorisme de l’administration Bush, les conclusions coulent de source: les Etats-Unis ont utilisé la torture depuis 2002 et, parmi d’autres responsables de haut niveau du gouvernement américain, le président George Bush le savait et a menti à ce propos. Pour sa part, le Congrès disposait d’assez d’informations pour connaître la vérité et ne pas approuver la création des Commissions militaires qui donnaient une protection légale aux auteurs d’actes de torture. Les parlementaires démocrates, préoccupés à l’idée d’être accusés de «dorloter les terroristes» à l’approche des élections, méritent, pour l’enquêteur, une mention particulière.

Cet exposé en forme de charge frontale a été repris lundi par tous les médias américains. Il vise sans doute à redonner un peu de vigueur au débat, lancé par quelques sénateurs, sur la nécessité de poursuivre en justice les membres de l’ancienne administration, ou du moins de mettre en place une «commission vérité» chargée de faire toute la lumière sur cette période. «Nous devons aller au fond de ce qui est arrivé, et du pourquoi, afin d’être sûrs que cela ne se reproduira plus», affirme le sénateur Patrick Leahy, qui a pris la tête de ce mouvement.
Même s’il a tenu à l’occasion des propos pratiquement similaires («nul ne peut être placé au-dessus des lois»), le président Barack Obama a aussi souligné sa préférence à «aller de l’avant plutôt que de regarder en arrière». Alors qu’il est en train de démanteler le système mis en place par son prédécesseur, il risque gros à ouvrir ce dossier, de surcroît en plein marasme économique.
Dans l’immédiat, pourtant, d’autres veulent s’en charger à la place de Barack Obama. Alors que George Bush doit donner une conférence au Canada ce mardi, une coalition d’avocats veut l’interdire d’entrée au motif qu’il serait «un criminel de guerre»…

dimanche 15 mars 2009

240 innommables

C'est un grand progrès : les 240 détenus de Guantánamo ne seront plus qualifiés de "combattants ennemis". C'est ce qu'a annoncé le ministère US de la Justice, désormais en charge de ces détenus, à un juge fédéral. Le ministère n'a pas précisé comment il fallait désormais désigner ces otages du bon vouloir de l'Empire. On pourrait peut-être les appeler "résidents temporaires involontaires suspects" ?
En attendant, ils restent au bagne. Même s'ils n'ont plus de nom.

- C'est un certain Barack Hussein au téléphone: il dit qu'on doit fermer la boutique
- Oh, le comique!!!
Marcus


Attends, ils ont dit qu'on doit relâcher les prisonniers d'abord !
Rodrigo,
http://www.expresso.pt
Berlusconi à Barroso : "Si Obama paye bien, on pourrait peut-être en mettre quelques-uns à Lampedusa"
Jan Tomaschoff

La solution ?
Shahid Atiqullah,
http://www.afghancartoon.com/

mercredi 11 mars 2009

Diego Garcia, pire que Guantánamo - L’embryon de la mort

par Cristina Castello, 7/3/2009

À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront. (…)
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui

Constantin Cavafy, En attendant les barbares

C'est une prison secrète qui se dresse sur des terres qui ont été volées aux habitants originaires du lieu. Depuis sa piste ont décollé les bombardiers des USA, pour envahir le Cambodge, l'Afghanistan et l'Irak, à coups de feu, crimes et impiété; pour contrôler le Moyen-Orient et ... il y a plus encore, comme nous le verrons

Diego García est un embryon de la mort. C'est le repaire qu'ont choisi les barbares — avec l'excuse d’un prétendu « terrorisme »— pour mieux torturer. C'est un vrai trésor pour l'Amérique du Nord et le Royaume-Uni. C'est la base militaire la plus importante que l'Empire a, pour surveiller le monde; et avec ses paires —les bases de Guam et d' Ascensión — ce sont des clés pour l'envahisseur. C'est un endroit idéal pour accueillir des missiles à ogives nucléaires, bien qu'ils soient interdits par les traités internationaux. Mais est-ce que cela compte, pour les barbares ?

Les barbares ne vivent pas dans l'océan Indien, où Diego García, cet atoll né pour devenir une oasis qui s’est converti en enfer. Non. Les barbares donnent les ordres aux barbares de la CIA nord-américaine, appuyés par la Grande-Bretagne et par l'Union Européenne, qui savent si bien se taire quand c’est le Pouvoir qui est cause de la terreur.
Diego García, est l’enclave appropriée au cas où il viendrait à l’esprit des barbares de lancer une action sanglante contre l'Iran. C'est le lieu où la torture exhibe sa plus grande sophistication. C'est une sorte d’échafaud — la mort vivante — et la première marche, pour mériter le soulagement de passer Guantánamo, cet échafaud avec lequel Barack Obama a promis d’en finir. Diego García : personne n’en parle et elle ne figure pas dans les agendas présidentiels, bien qu'elle soit pire encore que Guantánamo. J’ai dit : « pis ». Mais comparer deux horreurs ne jette pas de clarté : qui est le pire, Dracula ou Frankenstein ?

La terre de la planète n'a pas été suffisante pour le Pouvoir impérial. Les États-Unis du nord sillonnent les mers du monde avec entre dix-sept et vingt bateaux - « prisons flottantes ». Dans celles-ci ont été arrêtées et interrogées sous supplice, des milliers de personnes. Mais presque personne n'informe de cela. Non, on ne parle pas de ça.

Qui parle, oui, et qui agit par la justice, c’est l'ONG londonienne des droits de l'homme Reprieve, qui représente trente détenus, non inculpés, de Guantánamo, bagnards qui attendent des condamnations et accusés d’un prétendu « terrorisme ».

C’est en 1998, durant la présidence de Bill Clinton et la vice-présidence d'Al Gore —prix Nobel de la Paix— qu’ont débuté les détentions hors de toute loi et de tout sens de l'existence humaine. Et George Bush les a développées en progression géométrique. Quand il était encore président, il a admis la détention d'au moins 26 000 personnes dans des prisons flottantes; mais selon les sondages de Reprieve, le nombre des personnes qui y sont passées aura été de 80.000 à partir de 2001. Qui croire ? Le choix est clair.



Châtrer l'île

Sans égards, sans pudeur, sans pitié,
de hauts, de larges murs ils m'ont environné
Constantin Cavafy

Les 44 kilomètres de « Diego García », sentent l’absence. Sous son ciel, le grand absent est le caractère sacré de l'existence humaine. L'île est un territoire britannique d'outremer, situé dans l'archipel de Chagos, dans l'océan Indien. En 1966 un mariage parfait s'est produit entre les barbares. Le lieu — si beau qu’il semble un sourire de la nature — a été offert par l'Angleterre à l'Amérique du Nord, qui le voulait pour installer cette base militaire. C'était un échange ignominieux : la location pour cinquante ans de terres anglaises, en échange de quatorze millions de dollars et de missiles du sous-marin nucléaire « Polaris ». Musique, Maestro !

Mais —certes, il y avait une condition à respecter— à ce moment-là, plus tôt que tard, il fallait empêcher les « problèmes de population ». Il fallait désinfecter l'archipel, des êtres humains.
Châtrer l'île. Lui couper les racines, clôturer la vie. À l’œuvre immédiatement, le Royaume-Uni a bloqué toute entrée d'aliments. Cette vieille et maléfique sorcière —la faim—, a fait sonner un concert d'estomacs vides, en même temps que les habitants commençaient à partir… ou à être éjectés. La destinée de ces exilés a été, et se trouve, dans les bidonvilles de l’Ile Maurice.
Là, à plus de 200 kilomètres de la terre qui les a vus naître, les exilés rêvent autant de manger que de retourner à leur patrie dépatriée.

Sauvagement les 2.000 habitants nés dans l'île, ont été expulsés. Un cas, qui résume beaucoup d’autres similaires, est celui de Marie Aimee, née et élevée à Diego García. En 1969 elle a emmené ses enfants à Port-Louis (Maurice), pour un traitement médical. Le gouvernement britannique ne lui a jamais permis de remonter sur le bateau pour rentrer et jamais plus elle n’a pu y retourner.

Son mari, est resté deux ans dans l'île puis il est arrivé à la rejoindre, avec seulement un sac et dans un état lamentable. Il avait été expulsé de sa terre. Les histoires des autres milliers d'insulaires abandonnés, sont terrifiantes; exilés et humiliés, il sont été rassemblés dans des taudis, où ils vivaient dans des boîtes ou des huttes de fer-blanc. On s’était débarrassé d’eux avec des promesses mensongères de vacances gratuites dans des lieux de rêve. Il fallait les balayer de l'île : la stériliser de la présence de ses habitants.
La majorité des Chagossiens ont été arrêtés, expulsés de leurs foyers, littéralement « emballés » et déposés au fond d’embarcations, au milieu des cris et des pleurs; avant, ils avaient vu exterminer leurs animaux domestiques et leur bétail. Ainsi, ils pouvaient bombarder plus facilement le Vietnam, le Laos et le Cambodge; menacer la Chine lors de la Révolution culturelle, puis continuer avec le Golfe Persique, l'Afghanistan, l'Irak, et... y a beaucoup plus. Ces barbares n'ont pas de cœur.

Et ce n’est pas tout ! Beaucoup sont morts de tristesse, se sont suicidés, ou sont devenus alcooliques, rêvant de la terre promise. Mais personne n'a abandonné l'idée de revenir à son île de coraux et de palmiers; à l'île qui — tant qu’ils y ont vécu — n'était pas contaminée par les armes et la méchanceté. Dans le Times de Londres du 9 novembre 2007, l'une des Îloises a résumé : « C'était le paradis, nous étions comme des oiseaux libres, et maintenant nous sommes comme en prison ».

La Haute Cour britannique d'abord, puis la Cour d'Appel, ont condamné l'expulsion comme étant illégale et ont donné à la population le droit de rentrer; mais aucun gouvernement n'a voulu accomplir ces sentences. Et le Bureau des affaires Internes et Internationales du Royaume-Uni a dit en revanche qu'il n'y aurait pas de population indigène. Le droit à une citoyenneté était accordé uniquement aux mouettes.
Aujourd'hui, des 2000 expulsés à l’origine, moins de 700 sont encore en vie. Les barbares jouent-ils à l'extinction finale ?

Les USA ont loué l'île jusqu'en 2016. Et jusque-là, et après: quoi ?


Dracula, Frankenstein et les euphémismes
«Ah ces murs qu'on dressait, comment n'y ai-je pas pris garde ?
Mais aucun bruit de bâtisseurs ne me parvenait, pas un son :
tout doucement, ils m'ont emmuré hors du monde »

Constantin Cavafy

Et que dire de la prison de Diego García ? Diego García est le plus grand centre de tortures —appelées par euphémisme « interrogatoires »— pour les prisonniers considérés comme les plus « importants » par l'Empire. C'est là que le prisonnier Ibn Al-Sheikh Al-Libi a dû mentir, puisqu'il ne résistait pas au supplice auquel il était soumis. Il a dit, pour éviter qu'ils continuent de le lacérer, que Saddam Hussein était allié d'Al-Qaïda, et qu'il avait les fameuses armes de destruction massive dont on a tant parlé.

Certes, il a été démontré que ces armes n'existaient pas. Mais c'était les arguments dont George W. avait besoin, pour la guerre du pétrole : celle qu’il a lancée, affamé de dollars, avec l'excuse du « terrorisme »; comme s'il avait été le sauveur du monde, alors qu'il l’anéantissait et c’est pourquoi, aujourd'hui on essaye de le juger. De par toute la planète, de plus en plus de voix se lèvent pour demander, précisément, qu’il soit présenté à la justice pour crimes contre l'humanité.

La geôle de Diego García est connue sous le nom de « Camp Justice ». Encore un euphémisme. Et les six mille bases militaires mondiales des USA, sont mentionnées comme « des traces » dans le jargon militaire américain. Parmi elles, Diego García a un nom qui ressemble à ne blague : « Trace de la liberté ». Les mots ont perdu leur sens.

Entretemps, les transferts de prisonniers drogués, encagoulés et durement torturés, de là à Guantanamo, ont été courants. Des personnes captives transférées d'une horreur, à l'autre. De Diego García à Guantánamo. De Dracula, comme on l’a dit, à Frankenstein.
Les 2.000 soldats yankees stationnés en permanence dans ce lieu sont la population centrale de Diego García. La torture a besoin d'une surveillance, voyons ! Par une ironie de la vie, les bannis étaient aussi 2000 : les armes remplacent la vie.

Les barbares nient tout, mais les preuves existent. Par exemple, celles d'ex-prisonniers qui, par un miracle, ont obtenu la liberté, et racontent comment ils ont été transférés à Guantanamo, ainsi que la frayeur des tortures, impossibles même à imaginer pour tout esprit humain. Par exemple, le témoignage fondé de l'historien britannique Andy Worthington, l'auteur de « The le Guantanamo files : the stories of the 774 detainees in America's illegal prison » (« Les archives de Guantanamo : les histoires des 774 détenus dans la prison illégale de l'Amérique »).

Worthington raconte qu’ « une personne honnête ayant accès à une information privilégiée », Barry McCaffrey, général américain en retraite et professeur prestigieux d'études de sécurité internationale, a reconnu à deux occasions qu’à Diego García des personnes accusées de terrorisme sont retenues ; de la même manière, il a reconnu que la même chose arrive à Bagram, Guantanamo, bien sûr, et en Irak. Pour sa part, Clive Stafford Smith, directeur de Reprieve, dont personne ne met le sérieux en doute, a assuré à The Guardian qu’il était catégorique : la présence de prisonniers dans l'île est certaine.
Aussi le conseiller des États (sénateur) suisse Dick Marty a confirmé en 2006 les «transferts extraordinaires» de détenus, de là vers Guantanamo. Dans un rapport remis au Conseil de l'Europe, il a certifié que, sous la responsabilité légale internationale du Royaume-Uni, les USA ont utilisé cet atoll de l'océan Indien comme prison secrète pour « des détenus de haute valeur ». Le rapporteur spécial sur la Torture des Nations Unies, Manfred Novak, l'a confirmé.

Guantánamo semble être une priorité dans l'agenda de Barack Obama. Et Diego García ? Il est vrai que le président flambant neuf de la Maison Blanche a trop de défis, de casse-têtes et de crises à résoudre, ainsi qu'une opposition conservatrice qui ne lui rend pas la tâche de gouverner facile. Mais a-t-il la volonté politique d’en finir avec cette abjection ? Pourra-t-il — et surtout voudra-t-il — aller contre les semailles de mort des barbares ?

La liberté, la justice et les déportés de Diego García attendent son mot et celui de l'Union Européenne. Ils attendent, « comme les beaux corps de morts qui n'ont pas vieilli / et ils les ont enfermés, avec des larmes, dans une tombe splendide / — avec des roses sur la tête et aux pieds des jasmins » (Constantin Cavafy).



Original : El peor Guantánamo: Isla «Diego García», embrión de muerte

Source : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=7195&lg=fr