lundi 21 janvier 2008

Une lettre de Guantánamo de Sami Al Haj

Nourri de force depuis le 7 janvier 2007
par Andy WORTHINGTON, 17 janvier 2008. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Aujourd'hui, Associated Press fait état d’une lettre de Guantánamo écrite par Sami Al Haj, le caméraman d'Al Jazeera. La lettre est datée du 27 décembre 2007 et vient juste d’être déclassifiée par les censeurs du Pentagone. Elle a été traduite de l'arabe par ses avocats de l’ONG Reprieve à Londres, qui représentent des douzaines de détenus de Guantánamo.

M. Al Haj a été capturé par les forces pakistanaises, agissant pour le compte des USA, en décembre 2001, alors qu’il se préparait, avec le reste de son équipe, à reprendre la couverture de l’Afghanistan pour la chaîne arabe de télévision. Comme Clive Stafford Smith, le directeur juridique de Reprieve, l’a expliqué après lui avoir rendu visite à Guantánamo en septembre dernier, il a été pris « parce que les USA pensaient qu'il avait filmé la fameuse interview d’ Oussama Ben Laden par Al Jazeera. Comme cela a souvent été le cas ces derniers temps, les USA se trompaient (mais citez-moi le nom d’un seul journaliste qui refuserait un scoop sur Ben Laden). »

À Guantánamo, M. Al Haj a été soumis à une panoplie extraordinaire d'allégations vagues pour lesquelles l'administration n'a fourni aucune preuve. Lors de l’examen administratif de son cas en septembre 2006, il a été allégué qu'il avait transporté 220.000 $ en Azerbaïdjan "pour ce qu’on lui avait dit être une mission humanitaire mais qui étaient en fait destinés aux rebelles tchétchènes," et que, quand il a travaillé pour une société appelée Union Beverage Company, il a « interagi avec l'individu responsable de la distribution de jus de fruit en Azerbaïdjan, » qui « faisait l’objet d’une enquête pour des liens possibles avec le terrorisme. »

En référence à sa première mission pour Al Jazeera en Afghanistan, les autorités ont également décidé que des interviews prétendument conduites par M. Al Haj et un collègue avec « le ministre du Trésor des Taliban, le ministre de l'Électricité, et le ministre des Affaires étrangères » et avec « un homme qui s'est identifié lui-même comme membre d'Al Qaïda (sic) » constituaient une connexion ou une association avec le terrorisme. Au cours de sa détention, d’autres affirmations - dont une allégation qui il aurait « arrangé le transport d'un système anti-aérien Stinger d'Afghanistan en Tchétchénie » - ont été écartées des « preuves » retenues contre lui.

Confirmant que ces allégations ne sont rien d’autre qu'un écran de fumée, les autorités de Guantánamo se sont concentrées presque exclusivement sur l’association de M. Al Haj avec Al Jazeera. Dans une interview avec Democracy Now (l’émission d’Amy Goodman aux USA, NdT) le 15 janvier, son plus jeune frère Asim a parlé à Amy Goodman de Khartoum et expliqué que son frère est « victime d'une opération politique contre Al Jazeera, que Washington n'approuve pas. » Il a ajouté que les 130 interrogatoires auxquels il a été soumis à Guantánamo, « étaient tous au sujet d'Al Jazeera et des relations alléguées entre Al Jazeera et Al Qaïda. Ils ont essayé de l’amener à travailler comme espion pour les renseignements US en échange de la citoyenneté US pour lui et pour sa famille et ont promis de l'aider même à écrire un livre, à condition qu'il espionne ses collègues d’Al Jazeera. Si par exemple vous regardez l'allégation qu'il a été impliqué dans des ventes de fusées ou de missiles à l'Afghanistan, je veux dire, comment un journaliste ou une personne de médias voyageant vers un pays où il n’a jamais été auparavant pouvait-il transporter ça ? Il les aurait transportés dans ses bagage ou quoi? »

À Guantánamo, M. Al Haj a été un militant inlassable pour la justice. Il a été en avant dans les campagnes exigeant que les détenus soient libérés ou soumis à procès équitable, et a fourni des informations détaillées (déclassifiées par le Pentagone) au sujet de ses compagnons de détention, et au sujet des diverses grèves de faim qui ont donné du fil à retordre à l'administration.

En raison de sa fermeté sur les principes, M. Al Haj a fait l’objet d’une suspicion particulière des autorités, et a été soumis à un traitement effroyable au fil des années. Désespéré par le traitement auquel non seulement lui-même mais tous les autres détenus étaient soumis, il a déclenché une grève de faim le 7 janvier 2007, et refuse donc de s’alimenter depuis 374 jours. La réponse des autorités aux grèves de faim a été brutale, comme Clive Stafford Smith l’a expliqué en octobre. « L'éthique médicale prescrit qu’on ne peut pas nourrir de force un gréviste de la faim doté de toutes ses facultés mentales, car il a le droit de se plaindre au sujet des mauvais traitements subis, même jusqu’à la mort, » a écrit Stafford Smith dans le Los Angeles Times. « Mais le Pentagone sait qu'un prisonnier se laissant mourir de faim serait une publicité catastrophique, donc ils nourrissent Sami de force. Comme si ce n'étaient pas assez, quand le général. Bantz J. Craddock dirigeait le Commandement Sud US, il a annoncé que les soldats avaient commencé à rendre les grèves de faim moins 'commodes.' Plutôt que de laisser un tube d'alimentation en place, ils l'insèrent et le retirent deux fois par jour. Avez-vous jamais poussé un tube de 110 cm à travers votre narine vers votre gorge ? Ce soir, Sami av endurer cela pour la 479ème fois. »

Stafford Smith a également noté un déclin sérieux dans la santé mentale et physique de son client, et s’est inquiété qu'il puisse mourir à Guantánamo. « Sami paraît très maigre, » écrivait-il en octobre. « Sa mémoire se désagrège, et je m'inquiète qu'il ne survive pas s'il continue comme ça. Il a déjà écrit un message pour son fils de 7 ans Mohamed, au cas où il mourrait ici. » Sur Democracy Now, son frère a ajouté : « Si Sami meurt, qui sera responsable de cela ? Et contre qui devrions-nous porter plainte, contre qui ? La chose la plus difficile pour un être humain est d'être soumis à une injustice contre laquelle vous ne pouvez rien faire, pour vous-même ou pour à en soutien à d'autres. »

Dans l'espoir de fournir un petit geste pour maintenir l’attention du public sur la détresse de Sami Al Haj, je reproduis ci-dessous le texte intégral de sa lettre.


Lettre de Guantánamo de Sami Al Haj, 27 décembre 2007

C’est avec un grand plaisir que je transmets mes salutations les plus cordiales et ma gratitude pour tous vos efforts au sujet des prisonniers de Guantánamo. Je voudrais aussi vous transmettre nos voeux de Nouvel An et demander à Dieu qu’il soit réussi et prospère.

Quant à nos nouvelles, nous sommes ici depuis plus de six ans, et nous cherchons toujours à proclamer la vérité, la liberté et la paix mondiale.

Tout ceci a lieu dans un monde qui sait ce qui se passe mais reste silencieux et font à peine plus qu'observer ce théâtre désolé.

Désormais tout le monde sait sûrement cette vérité. Les USA étaient le pays qui s'est enorgueilli d’apporter la paix ; maintenant, c’est triste à dire, au lieu de cela il ne pleut que violence et discorde. Guantánamo en est l'exemple le plus évident.

Nous prisonniers sommes entrés à Guantánamo vivants, beaucoup l'ont quitté vivants, et certains d'entre nous y restent dans lui, apparemment vivants. Mais ceux qui restent meurent chaque seconde de chaque jour que nous sommes ici. Chacun de nous souffre de nouvelles douleurs physique, et nos coeurs blessés souffrent d'une douleur psychologique qui ne peut pas être décrite.

Toute ceci se produit et le monde reste silencieux. Et, comme cela a été écrit, voici notre vérité :

Je suis vivant et écouterai si vous appelez
Mais il n'y aura bientôt aucune vie pour nous que vous appelez ;
Et si vous souffliez sur les braises maintenant elles brilleraient
Mais attendez et vous constaterez que vous souffliez sur des cendres

Sami Al Haj













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