jeudi 23 novembre 2006

Un journaliste à Guantánamo


par Simon Petite, Le Courrier, Genève, éditorial, 23 novembre 2006


Que n'a-t-on pas dit ou écrit sur Guantánamo? Le camp militaire abrite-t-il un journaliste. Il s'appelle Sami al-Hajj et il est Soudanais. «C'est le seul représentant des médias qui puisse parler avec les détenus de Guantánamo... Et il travaille pour Al-Jazira, la chaîne de télévision tant honnie par l'administration Bush», ironise son avocat, le Britannique Clive Stafford-Smith, qui travaille pour l'ONG Reprieve. Sami Al-Hajj a été arrêté le 15 décembre 2001 à la frontière afghane. Le régime taliban était à peine tombé, le caméraman et son équipe venaient couvrir l'intronisation du nouveau régime. Des mains pakistanaises, Sami al-Hajj passe rapidement à celles étasuniennes. Il est transféré sur la base de Bagram près de Kaboul –«le pire moment» de sa vie– puis dans une prison de Kandahar, avant d'atterrir à Guantánamo le 13 juin 2002. Le Courrier a décidé de parrainer le caméraman. En collaboration avec Reporters sans frontières (RSF), nous vous donnerons de ses nouvelles chaque fois que nous le pourrons. Selon RSF, 139journalistes se trouvent actuellement derrière les barreaux du monde entier et ce jeudi 23 novembre 2006 leur est dédié pour la dix-septième année consécutive. «Depuis 1989, plus de cent journalistes ont été parrainés par divers médias. Près de la moitié d'entre eux ont été libérés, et c'est en partie grâce au soutien que leurs parrains leur ont apporté. Beaucoup de journalistes remis en liberté ont insisté sur l'importance de ne pas se sentir oublié de tous et de tout», écrit RSF. La dernière filleule du Courrier –la cyberdissidente des Maldives Jennifer Latheef– a été libérée cet été. «Ce n'est pas près d'arriver à Sami al-Hajj, prédit M. Stafford-Smith. Aucune charge officielle ne pèse contre lui. Il ne sera donc jamais jugé.» L'avocat pense qu'au début le Pentagone soupçonnait son client d'être le caméraman attitré d'Al-Qaïda, l'auteur des fameuses cassettes de Ben Laden. Par la suite, les interrogateurs ont tenté de prouver des liens entre Al-Jazira et l'organisation terroriste. Sami al-Hajj aurait reçu la promesse d'une libération s'il acceptait d'espionner son employeur. Selon M. Stafford-Smith, le caméraman a subi 130 interrogatoires. Enduré des privations de sommeil ou des expositions au froid. Mené une grève de la faim. Vu plusieurs de ses camarades de Guantánamo se suicider. «Je l'ai rencontré pour la dernière fois en septembre, raconte M. Stafford-Smith. On ne le questionne plus qu'une fois par mois. Depuis le temps qu'ils sont là-bas, les prisonniers n'ont plus rien à avouer. Sami aurait besoin d'une opération au genou et de médicaments pour se soigner des suites d'un cancer à la gorge. C'est de l'éloignement avec sa famille, mais surtout d'avec son fils de 5 ans dont il souffre le plus.»

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