samedi 18 novembre 2006

« A Guantanamo, tout est fait pour condamner les prisonniers »

Entretien avec Clive Stafford Smith, avocat anglo-américain et militant contre la peine de mort au sein de l’organisation britannique Reprieve.

Son engagement auprès des prisonniers de Guantanamo l’a conduit à défendre Sami Al-Haj, un caméraman d’Al-Jazira détenu depuis le 13 juin 2002 dans la base militaire.
Propos recueillis par Benoît Hervieu. Traduction Zuzana Loubet del Bayle, Yanne Pouliquen et Laureen Martin



Pour quelles raisons vous êtes-vous engagé en faveur des prisonniers de Guantanamo ?

La première mesure de l’administration Bush, quand elle est arrivée au pouvoir en 2001, a été de créer, au nom de la loi, une prison où la légalité n'existe pas. J’étais choqué de voir qu’elle était capable de faire une chose pareille, c’était absolument insensé. Il était clair que cette prison allait poser plus de problèmes qu’elle ne pouvait en régler. A l’époque, les prisonniers n’avaient pas encore la possibilité d’entrer en contact avec des avocats. Mais je me suis dit qu'il fallait quand même se préoccuper des droits de ces gens.
Quelle a été votre marge de manoeuvre sur place ?

Je me suis rendu sur place quinze fois mais les militaires rendent ce voyage de plus en plus difficile. Cela émane sans doute d’une volonté d’ôter aux prisonniers tous leurs droits. C'est donc très dûr pour nous de les leur donner. Le travail des juristes consiste simplement à présenter les faits devant un tribunal et à dire comment les prisonniers sont traités. De dire la vérité, d'informer sur la situation. Grâce à la pression de l’opinion publique, plus de trois cents d’entre eux ont déjà été libérés.
Vous avez été menacé de prison par les autorités militaires...

Deux incidents se sont produits. Le premier s’est passé en août 2005. On m’avait accusé d’être responsable de la grève de la faim qui avait eu lieu à l’époque. Le deuxième incident a eu lieu il y a deux mois. On a essayé de faire dire à l’un de mes jeunes clients, âgé d’à peine 18 ans, que j’étais à l’origine des trois suicides survenus en 2006 et que j’avais encouragé les détenus à se suicider. Les prisonniers sont traités comme s’ils n’avaient plus d’espoir de vivre. C’est la vraie raison des dépressions et des suicides. Et il y en aura certainement d’autres si nous ne réagissons pas.

Pourriez-vous nous rappeler les raisons de l'arrestation de Sami Al-Haj ?
Il est difficile de connaître avec certitude les raisons de son arrestation parce que les Américains ne nous les donnent pas. Ils doivent penser que Sami était le caméraman d’Al-Jazira ayant participé à des interviews de Ben Laden. C’est faux et, si l'arrestation de Sami est basée sur ce motif, ils se sont trompés. Mais je pense que c’est la raison première de son arrestation. Ils ont avancé depuis lors toutes sortes d'explications toutes plus malhonnêtes les unes que les autres pour le maintenir en détention, mais Sami n’a, bien entendu, jamais eu droit à un quelconque procès.

On a dit que son passeport aurait été volé, qu'il aurait participé à un site terroriste...

Tout cela n'est pas crédible. Il n'a d'ailleurs jamais eu la possibilité répondre de ces allégations. L’administration Bush semble croire qu’Al-Jazira est à la solde d’Al Qaida, ce qui, à mon avis, est totalement infondé. C’est déplorable que l’administration Bush ait choisi de s'attaquer à ce qui est probablement un fleuron de la libre expression au Moyen-Orient.

Quelles sont les conditions de détention de Sami Al-Haj aujourd'hui ?

Sami est détenu à Guantanamo, mais pas dans les conditions les plus dures. La dernière fois que je l’ai vu, il était au Camp 5 mais j’ai peur qu’il soit très bientôt transféré au Camp 6, une unité de sécurité maximale. Car les militaires sont en train de placer tous les prisonniers en cellules individuelles. En détention, Sami est tombé malade. Il a eu de sérieux problèmes, des problèmes physiques. Il a besoin d’une opération du genou qui n’a pas eu lieu. En fait, le docteur de Guantanamo a dit qu’il était impossible de faire cette opération à Guantanamo, faute des équipements adéquats. Il risquerait d'être handicapé à vie. Il a eu aussi un cancer de la gorge, il y a plusieurs années ; il a été soigné et doit rester sous traitement médical pour éviter une rechute. Mais on lui a malheureusement refusé ce traitement depuis qu’il se trouve à Guantanamo.

Que pouvez-vous faire contre la légalisation de la torture récemment entérinée par le Congrès américain ?

Il est extrêmement difficile de croire que le MCA (Military Commission Act) [adopté le 28 septembre dernier par le Congrès] puisse être la solution à la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis des années. Avec cette loi, l’administration Bush a essayé de supprimer tous leurs droits aux prisonniers de Guantanamo. Ils ne disposent donc plus d’aucun recours pour remettre en cause la légalité de leur détention. C'est une chose incroyable. Cela a été fait dans une optique purement politicienne, dans l’attente des élections de novembre. Mais lorsqu'une loi est votée, il est très difficile de s’en débarrasser. Nous sommes bloqués pour des années en attendant que la Cour Suprême ne la juge inconstitutionnelle.
Source : http://www.typepad.com/t/trackback/6847805

Note Me Stafford-Smith est le directeur juridique de la section britannique de l'organisation Reprieve (qui signifie "remise de peine, sursis, répit") > http://www.reprieve.org.uk/

Reprieve, par Deborah Clem

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