Le syndrome du Darfour
par Robert Verkaik, The Independent, 13 septembre 2007
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un journaliste d'Al Jazeera capturé en Afghanistan il y a six ans et envoyé à Guantánamo est sur le point de devenir le cinquième détenu à la base navale US à se suicider, selon un rapport médical rédigé par une équipe de psychiatres britanniques et usaméricains.
Sami Al Haj, un ressortissant soudanais, est dans son 250e jour de grève de la faim qu'il a entamé en protestation contre sa détention sans inculpation ni procès en Janvier 2002. Mais des médecins britanniques et usaméricains, qui ont pu avoir un accès exclusif à des procès-verbaux d’interrogatoire, disent qu'il y a de très forts indices qu'il a abandonné son combat pour la vie, subissant ce que les médecins qualifient de «suicide passif », un état éprouvé par des femmes victimes du Darfour.
Le Dr. Dan Creson, un psychiatre usaméricain qui a travaillé avec les Nations Unies au Darfour, dit que M. Al Haj souffre d'une dépression sévère et que la détérioration de son état rend sa mort imminente.Il dit que l'état du détenu était similaire à celui des femmes darfouries au Soudan dont l’état mental subit soudain un déclin irréversible après qu’elles ont enduré des mois de famine et d'abus. Il dit : « Entre viol, famine rampante et humiliations abjectes, elles faisaient ce qu'elles pouvaient pour survivre et sauver leurs enfants ; puis, soudain, quelque chose se passait dans leur psychisme, et, sans signes annonciateurs, elles allaient s’asseoir avec leurs petits enfants dans le premier coin d'ombre disponible pour attendre la mort sans émotion apparente ».
En juin de cette année, un Saoudien a été le quatrième prisonnier à se suicider à Guantánamo. Les gardiens l’ont retrouvé mort dans sa cellule. Deux prisonniers saoudiens et un prisonnier yéménite ont été retrouvés pendus dans ce qui apparaissait comme un suicide au mois de juin de l'année dernière à Guantánamo. Un responsable militaire US avait à l'époque provoqué l'indignation en décrivant le suicide des trois hommes comme un acte de guerre unilatéral et opération de relations publiques de la part des suspects de terrorisme.
M. Al Hajj, 38 ans, a été envoyé en mission par la chaine de télévision Al Jazeera pour couvrir la guerre en Afghanistan en octobre 2001. Le mois suivant, après la chute de Kaboul, M. Al Haj a quitté l'Afghanistan pour le Pakistan avec le reste de son équipe.
Début décembre, des visas ont été attribués à l'équipe pour retourner en Afghanistan. Mais quand M. Al Haj a essayé de rentrer en Afghanistan avec ses collègues, il a été arrêté par les autorités pakistanaises - apparemment à la demande de l'administration militaire US.Il a été emprisonné et remis aux autorités US en janvier 2002, emmené au camp militaire US à Bagram en Afghanistan, puis à Kandahar et finalement à Guantánamo en juin 2002.
Son avocat, Clive Stafford Smith de l'organisation humanitaire Reprieve , dit que son client a été brutalement nourri de force pendent des mois et a perdu presque le cinquième de son poids durant sa grève de faim.
M. Stafford Smith dit : « L'administration militaire US craint à juste titre qu'un cinquième prisonnier meure sous sa garde. Mais ils réagissent incorrectement en traitant les prisonniers encore plus mal. Les couvertures et les habits sont enlevés pour éviter qu'ils soient utilisés pour commettre un suicide. Les méthodes les plus brutales d'alimentation forcée sont employées - Sami a souffert, à plusieurs reprises, de l’introduction par erreur du tube d'alimentation forcée dans ses poumons».
L'alerte sur l'état de M. Al Haj coïncide avec la publication de transcriptions de documents de Guantánamo qui décrivent l'hostilité entre les gardiens et leurs prisonniers. Les transcriptions contiennent des détails sur des gardiens interrompant les prisonniers pendant la prière, des détenus lançant leurs excréments sur les gardiens, des interrogateurs suspendant la distribution de médicaments.
Le Dr. Hugh Rickards, un psychiatre britannique, a alerté dans son rapport que l’état de souffrance mentale de M. Al Haj « apparaît si aigu qu'il est de mon devoir de praticien de le signaler par écrit pour garantir une évaluation et un traitement appropriés ».
Le Dr. Mamoun Mobayed, un psychiatre britannique basé en Irlande du Nord, et troisième membre de l'équipe à qui on a donné l'accès à des procès-verbaux d’interrogatoires récents du prisonnier, dit qu'il y régnait aussi une inquiétude à propos de la santé mentale de la femme de M. Al Haj et de son fils âgé de sept ans, qui n’avait qu’un an quand son père a été envoyé en mission en Afghanistan.