vendredi 29 mai 2009

Lakhdar Boumediene: enfin libre, il parle/free at last, he speaks


Témoignage exclusif de Lakhdar Boumediene
par Europe1fr


photo Bruno Lévy, Le Monde

Un ancien détenu algérien raconte Guantanamo
par Yves Bordenave, LE MONDE 26.05.09

Pizza et jus d'orange : le bonheur tient à peu de chose. Voilà sept ans et sept mois que Lakhdar Boumediene n'avait pas mangé comme ça. Sept ans et sept mois qu'il ne s'était pas assis dans un restaurant pour déjeuner en famille. En ce lundi 25 mai, sous un soleil de plomb, en banlieue parisienne, Lakhdar Boumediene, 43 ans, goûte sa première journée de liberté retrouvée. "Je suis un homme normal", répète-t-il. Le 20 novembre 2008, un juge américain l'a innocenté des accusations de terrorisme qui lui ont valu d'être enfermé au camp de Guantanamo de janvier 2002 au 15 mai 2009. Matricule 10005 : "C'était mon nom là-bas. C'est comme ça qu'on m'appelait. Jamais Lakhdar ou Boumediene. Pour aller plus vite, les gardes disaient 10K5." Il avait été livré aux Américains en décembre 2001 par les autorités bosniaques, qui le soupçonnaient de vouloir fomenter un attentat contre l'ambassade américaine de Sarajevo.
Visage émacié, barbe grisonnante bien taillée, polo gris à manches courtes, pantalon blanc, les yeux noirs enfoncés, Lakhdar Boumediene est un rescapé de 58 kilos. Il y a tout juste dix jours, le 15 mai, il débarquait d'un avion de l'US Air Force sur la base aérienne d'Evreux (Eure) en provenance de Cuba. Neuf heures de voyage mains et pieds menottés, avec seize gardes armés qui se sont relayés par groupe de quatre pendant toute la durée du vol. Sa hantise ? Etre pris d'un besoin pressant.
"Je me souvenais qu'au voyage aller, on n'avait pas le droit d'aller aux toilettes. Alors cette fois, j'avais pris mes précautions : je n'avais ni mangé, ni bu avant mon départ", raconte-t-il.
De nationalité algérienne, Lakhdar a été accueilli en France. Son épouse et ses filles qui, après son arrestation, étaient rentrées en Algérie, l'ont retrouvé ici grâce à l'intervention des autorités françaises. "Surtout n'oubliez pas de remercier le président Nicolas Sarkozy, les ambassadeurs de France à Washington et à Alger et le consul français à Oran", insiste-t-il.
Pour le moment, la famille Boumediene a choisi de vivre en France. Lakhdar y a de la famille et se dit attaché à la culture française. Peut-être retournera-t-il en Algérie un jour, mais l'heure n'est pas venue de dresser des plans sur la comète.
Lakhdar vient de sortir de l'hôpital militaire Percy de Clamart (Hauts-de-Seine), il y a à peine trois heures, et le voilà qui se promène librement au bras d'Abassia, son épouse, de Radjaa, 13 ans, et Raham, 8 ans, ses deux filles qu'il n'a pas vu grandir. "Bien sûr, je ne les ai pas reconnues", s'excuse-t-il.
Lui qui revient de l'enfer s'applique à renouer avec les gestes simples de l'existence. Se débarrasser de Guantanamo, dont il a tout de même ramené sa tenue de prisonnier : un pantalon et une veste kaki. S'échapper du camp 6, où le jour ne pénétrait pas et où le froid dans la cellule, avec la climatisation réglée au maximum, gelait les os. Il raconte : "Réveil à 5 heures pour la prière du matin. Après retour dans la cellule. 6 heures, les gardes viennent te chercher et t'amènent dans une salle. On t'assied sur une chaise, pieds et mains menottés et on te nourrit de force par intubation dans les voies nasales". Lakhdar ne parle à personne. Il respire l'air du dehors une fois par jour, moins d'une heure, "tantôt dans la journée, tantôt la nuit, c'est chacun à son tour", ne croise jamais un codétenu.
Pendant plus de deux ans, de février 2006 jusqu'à sa sortie, il a refusé de se nourrir. Sauf à deux reprises. Le jour de la victoire d'Obama en novembre 2008 - "J'étais content car on avait évité le pire avec Mc Cain" - et le jour où les juges l'ont blanchi. Il a perdu un peu plus de 20 kg.
L'épreuve la plus difficile remonte à février 2003. Son cauchemar. Ses gardes l'interrogeaient sans relâche. "Ils voulaient des informations sur les associations caritatives musulmanes en Bosnie et sur les Arabes qui étaient installés à Sarajevo, mais moi je ne savais rien là-dessus", dit-il. Alors en février 2003, ils l'ont soumis à un interrogatoire serré pendant 16 jours et 16 nuits : " Ça commençait à minuit, ça durait jusqu'à 5 heures du matin. Ça s'arrêtait quelques heures, puis ça reprenait. Ils se sont relayés à six ou sept. Au bout de la troisième ou cinquième nuit, j'ai été ausculté par un médecin de l'armée qui a dit aux geôliers que tout allait bien et qu'ils pouvaient continuer."
Lakhdar Boumediene a été arrêté à Sarajevo en octobre 2001 en compagnie de quatre autres Algériens qui demeuraient comme lui dans la capitale bosniaque. Il était arrivé en Bosnie en avril 1997, où il travaillait pour le Croissant-Rouge, l'équivalent musulman de la Croix-Rouge. Il est parti de Saïda en Algérie, en 1990. "Je voulais aller travailler dans les pays du Golfe parce qu'en Algérie j'étais employé dans une cimenterie et c'était mauvais pour ma santé", assure-t-il.
Après un séjour à Sanaa, au Yémen, il s'est installé pendant deux ans au Pakistan - en 1991 et 1992 - non loin de Peshawar, où il s'occupait d'orphelins dans une école. Il est ensuite retourné au Yémen, où il a été surpris par la guerre de 1994 qui opposait le Yémen du Nord au Yémen du Sud. Il en a profité pour s'inscrire à l'université de Sanaa tout en suivant des cours au Centre culturel français. De là, il a rejoint un copain de Saïda en Albanie, où il a commencé des missions avec le Croissant-Rouge qui l'a finalement envoyé à Sarajevo.
En décembre 2000, lors d'une visite à sa famille en Algérie, il est interpellé par la police alors qu'il vient de franchir la douane à l'aéroport d'Alger. Son passeport confisqué, il est sommé de rester dans la capitale, le temps que les enquêteurs procèdent à des vérifications.
A cette époque, pour fuir l'Algérie et rejoindre le djihad, de nombreux combattants du GIA ont gagné les camps afghans via le Pakistan. Les autorités algériennes le suspectent d'être l'un de ces islamistes. Au bout de cinq ou six jours, on lui rend son passeport, mais après lui avoir délivré un certificat d'amnistie, comme les autorités algériennes en délivraient aux islamistes repentis. "Je n'ai jamais été islamiste, jure-t-il. Je crois que c'est cet épisode qui est à l'origine de mon arrestation."
Des listes de ressortissants algériens passés par le Pakistan ont-elles été transmises aux Américains après le 11-Septembre ? Sans trop s'appesantir, Lakhdar Boumediene pense que oui.

Source : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/05/26/un-ancien-detenu-algerien-raconte-guantanamo_1198086_3222.html#ens_id=1073709

Un visa français de trois mois
Pour l'heure, les autorités françaises ont délivré un visa de trois mois à Lakhdar Boumediene, à son épouse Abassia et à leurs deux enfants. Selon Eric Chevallier, porte-parole du Quai d'Orsay, il s'agit d'une "décision au cas par cas en réponse à une demande d'une personne qui pense ne pas être en mesure ou qui ne souhaite pas retourner dans son pays". Algérien d'origine, Lakhdar Boumediene avait obtenu la nationalité bosniaque, dont il a été destitué après son arrestation en 2001. M. Boumediene se réserve maintenant la possibilité d'attaquer l'Etat américain : "C'est une décision que je prendrai avec mes avocats américains."

Guantanamo, le plan Obama
Libérables
Sur un total de 240 détenus, 21 doivent être libérés, faute de preuves suffisantes.
50 sont susceptibles d'être envoyés à l'étranger. Après la France et le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne et la Belgique pourraient accueillir des prisonniers.
Poursuivis 20 d'entre eux, dont les accusés des attentats du 11-Septembre, seront poursuivis devant les commissions militaires rénovées. La procédure a été suspendue pour accorder des protections plus grandes à la défense.
Certains seront jugés par la justice fédérale. Premier annoncé à New York : le Tanzanien Ahmed Ghailani, soupçonné d'avoir participé aux attentats de 1988 en Afrique de l'Est.
Statut spécial Ceux qui ne pourront être ni poursuivis ni libérés (pour avoir été entraînés au maniement d'explosifs) seront placés en détention administrative prolongée.

Ex-Detainee Describes Struggle for Exoneration
In France, Algerian Savors Normal Life
By Edward Cody, Washington Post Foreign Service Tuesday, May 26, 2009
PARIS, May 25 -- When the nightmare finally ended -- seven years at Guantanamo Bay, two years of force-feeding through a tube in his right nostril, the long struggle to proclaim his innocence before a judge, and finally 10 days of hospitalization -- Lakhdar Boumediene celebrated with pizza for lunch in a little Paris dive.
"When we were at the restaurant," Boumediene said Monday, shortly after the meal that marked his release from doctors' care and reentry into normal society, "I told my wife that for the first time I felt like a man again, tasting things, picking things up in my fingers, eating lunch with my wife and my two daughters."
Boumediene, 43, had been in a French military clinic under physical and psychological observation since his arrival in Paris on May 15 aboard a U.S. government aircraft that carried him -- in shackles -- away from the military prison at Guantanamo Bay, Cuba.
In what he describes as an ugly mistake by U.S. authorities, Boumediene, an Algerian citizen, had spent seven years there as terrorism suspect No. 10005. Later he became the plaintiff in a landmark Supreme Court case, Boumediene v. Bush, that in June 2008 gave Guantanamo detainees the right to seek judicial review of their imprisonment.
Boumediene, in a lengthy interview in a Paris suburb, said he joined the case to represent the scores of prisoners held at Guantanamo charged with being "enemy combatants" and having no power to challenge the accusation in court.
Later ordered released by a U.S. district judge in Washington, he represents something new: dozens of prisoners whom the U.S. government has decided to release but cannot, because no other country will take them in and most Americans do not want them on U.S. soil.
At the request of the Obama administration, France agreed to take in Boumediene but appears reluctant to accept any more detainees. Britain accepted one released Guantanamo prisoner in February and has promised to take in a second. In all, human rights activists say, Washington is looking for homes for about 60 such prisoners, swept up without trial in the aftermath of the Sept. 11, 2001, attacks on the World Trade Center and the Pentagon and now judged fit for release.
Boumediene's version of events is impossible to verify independently. But he described himself as collateral damage in those sweeps, an aid worker in Bosnia wrenched from his life and, he said, interrogated endlessly about something about which he had no knowledge.
Boumediene, who at the time was an aid worker with the Red Crescent, was arrested in Bosnia in October 2001 along with five other Algerians accused of plotting to blow up the U.S. and British embassies in Sarajevo, charges that were later withdrawn. In January 2002, the six were turned over to U.S. officials and flown to Guantanamo, despite rulings by several Bosnian courts that there was no reason to deport them.
U.S. interest was high because one of the six Algerians, Belkacem Bensayah, was accused by U.S. investigators of being an al-Qaeda operative in Bosnia. Moreover, Bosnian police had discovered a piece of paper in Bensayah's home with a handwritten number and a name that corresponded to that of a senior al-Qaeda leader in Afghanistan.
Boumediene, in the interview, said he did not know Bensayah well but that, as a fellow Algerian, Bensayah had come to Boumediene's Red Crescent office seeking help for his family. In addition, he said, Bensayah's wife sought assistance after her husband's arrest, and Boumediene provided money for a lawyer. Boumediene said U.S. officials concluded that those connections linked him to al-Qaeda's activities in Bosnia.
In addition, Boumediene said, a stint in Pakistan in the early 1990s aroused the suspicions of U.S. investigators and may have landed his name on a watch list shared by Algerian security services with their U.S. counterparts.



Boumediene said his time in Pakistan had nothing to do with that country's madrassas, or religious schools where future fighters were being educated in an extreme version of Islam. Instead, he said, he was a proctor at a Kuwaiti-financed school for Afghan orphans.
But during his stay, he had his passport renewed at the Algerian Embassy in Islamabad. Because many Islamist Arab fighters were gathered in Pakistan, including Algerians, the passport renewal in Islamabad marked him for Algerian security services as a possible extremist.
As a result, when he traveled to Algeria in December 1999 to visit family, Boumediene recalled, he was stopped at the airport and told he was on a list of people wanted for questioning. Boumediene denied any connection to Algeria's Islamist extremists, but Algerian investigators were intrigued by his time in Pakistan and confiscated his passport.
As he sought to get the suspicions lifted and retrieve his passport, Boumediene said, he was told by an official in the prosecutor's office that he could avoid further trouble with Algerian authorities if he registered for an amnesty being offered to Islamist activists by President Abdelaziz Bouteflika. Reluctantly, and still denying any association with the Algerian extremists, he accepted the government's amnesty and got his passport back.
That solved his problem in Algeria. But a document listing him as a beneficiary of the amnesty was found in his home after his arrest in Bosnia and, Boumediene speculated, served to reinforce U.S. suspicions about his ties to al-Qaeda.
Boumediene said he was interrogated more than 120 times during his stay in Guantanamo's Camp Delta, mostly about Arabs and other foreign Muslims in Bosnia. "At first I thought they were honest, and when I explained they would see I was innocent and would release me," he recalled. "But after the first two years or so, I realized they were not straight. So I stopped cooperating." During one 16-day period in February 2003, he said, the interrogations went on day and night, sometimes with tactics such as lifting him roughly from the chair where he was strapped, so the shackles dug into his flesh. The interrogators, some dressed in military uniforms and others in civilian clothes, were assisted by Arabic interpreters who seemed mostly to be from Egypt and Lebanon, he recalled, and later included a few Moroccans and Iraqis.



"They were dogs," Boumediene said of the foreign interpreters, in his only show of anger. "They were dogs. They often started doing the interrogations themselves. They would tell the interrogators they could get more information."
On Christmas in 2006, Boumediene recalled, he started a hunger strike in an effort to get someone to listen to his pleas of innocence. Twice a day, about 6 a.m. and 1 p.m., he was strapped to an iron chair and force-fed through a tube in his nose that reached into his stomach.
Until a meal with his lawyers as he was about to leave Guantanamo, Boumediene said, he broke his fast only twice, once when he learned of President Obama's election and again when the judge ordered his release.
"I have no idea why this happened to me," he said. "I'm a Muslim like any other. I pray and I observe Ramadan. But I don't have any hatred against anybody."
Grateful to be settling in France with government help, his first goal is to draw close to his family again, Boumediene said. But down the road, he added, he wants to sue the U.S. government or its senior officials to hold them accountable.
"I don't know whether it will be possible," he said. "But even if it takes 100 years, I am determined to bring suit."

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