Par Caroline Stevan, Le Temps, 4 juin 2008
JUSTICE. Cinq accusés des attentats à New York et Washington, dont Khaled Cheikh Mohammed, seront entendus jeudi par un tribunal militaire. Une pirouette, déplorent certains observateurs.
Washington les présente comme de gros poissons, tous largement impliqués dans les attentats du 11 septembre 2001. Pour la première fois, ils seront entendus jeudi dans le cadre d'une audience publique à Guantanamo, sur l'île de Cuba: Khaled Cheikh Mohammed, accusé d'être le cerveau des attaques; Ali Abd al-Aziz, son neveu et assistant; Mustafa Ahmed al-Hawsawi, potentiel comptable de l'opération; Ramzi ben al-Shaiba, ancien colocataire du pilote Mohammed Atta; ainsi que Wallid ben Attash, organisateur présumé de l'attentat contre le destroyer USS Cole en 2000 à Aden (Yémen) et qui aurait fait des repérages pour 2001.
Les cinq hommes sont censés être jugés par une commission militaire, dont la légalité est contestée même aux Etats-Unis. «Les magistrats sont nommés par le président américain, cela pose un gros problème d'indépendance, souligne Manon Schick, porte-parole de la section suisse d'Amnesty International. La présomption d'innocence n'est pas non plus respectée puisque les accusés sont considérés comme des «ennemis combattants» depuis leur arrestation.» La Cour suprême américaine a invalidé le dispositif en 2006, mais le Congrès l'a rétabli quelques mois plus tard. «Ce n'est pas un réflexe tout à fait sain pour une démocratie», déplore Andrea Bianchi, professeur de droit international à Genève. La plus haute instance judiciaire doit à nouveau se prononcer dans les semaines qui viennent. Au-delà du statut contesté des commissions militaires, le parcours des prévenus ajoute encore un peu au discrédit du verdict à venir. Arrêtés entre 2002 et 2003, les cinq musulmans ont aussitôt disparu dans les fameuses prisons secrètes de la CIA. «Où étaient-ils pendant ces trois ans, dans quelles conditions de détention?, s'interroge Manon Schick. Il est probable qu'ils aient été torturés et que des aveux arrachés de cette façon soient retenus contre eux au cours de la prochaine audience.» La CIA, déjà, a reconnu avoir utilisé la technique de la simulation de noyade à l'encontre de Khaled Cheikh Mohammed. La Convention internationale contre la torture interdit de considérer des informations obtenues en suppliciant les prisonniers. «Mais puisque Washington estime que la simulation de noyade et autres traitements de ce genre ne sont pas de la torture...», relève Andrew Clapham, directeur de l'Académie de droit humanitaire et droits humains à Genève. Dans un rapport publié lundi, l'ONG britannique Reprieve affirme que les Etats-Unis auraient usé d'«un certain nombre de navires comme prisons flottantes (probablement jusqu'à 17), dans lesquels les captifs ont été interrogés sous la torture avant d'être transférés vers d'autres endroits, souvent tenus secrets». Pour l'heure, un seul détenu de la base américaine (l'Australien David Hicks renvoyé dans son pays) a été condamné par un tribunal d'exception - près de 800 hommes y ont séjourné et 270 s'y trouvent encore. Une quinzaine d'autres ont été inculpés de crimes de guerre, sans qu'aucun véritable procès ne soit organisé. L'audience publique de jeudi promet-elle, dès lors, une amélioration dans le trou noir juridique que représente Guantanamo? «Tout le monde souhaite fermer ce centre de détention, mais cela ne peut se faire sans quelques procès. Le gouvernement américain veut sauver la face, c'est tout. On ne doit pas se laisser distraire par une audience, qui, de surcroît, viole la législation internationale», argue Andrea Bianchi. Manon Schick, elle, refuse de croire à une clôture prochaine de la base. «On n'en est plus aux cages ouvertes à tous les vents, les cellules sont désormais ultramodernes. Tout a été agrandi, rénové, beaucoup d'argent a été investi, cela n'indique pas une volonté d'en finir.» La salle qui doit accueillir l'audience publique jeudi est également toute neuve. Elle a été conçue pour permettre au juge d'empêcher les soixante journalistes et autres observateurs de la société civile présents d'entendre les éléments du débat estimés confidentiels.
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