par Aziz Enhaili, journal Attadamoun (Maroc) N° 142 du 11-22 Octobre 2009
Le président américain s’est engagé dès sa prise de fonctions à fermer Guantanamo d'ici janvier 2010. Ce symbole par excellence des dérives sécuritaires de la première puissance mondiale est le meilleur argument au service de la propagande du réseau terroriste Al-Qaïda pour cultiver l’antiaméricanisme dans le monde islamique et du coup attirer de nouvelles recrues dans ses filets.
Guantanamo, ce tristement célèbre centre d’incarcération et de torture de présumés terroristes, est le symbole par excellence à la fois du déni du droit (dont la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre), du mépris des droits humains et des dérives liberticides de l’administration républicaine du controversé George W. Bush. D’ailleurs, son successeur, Barack Hussein Obama, ne s’est pas trompé quand il s'est engagé dès sa prise de fonctions (le 20 janvier) à fermer d'ici janvier ce «goulag moderne» (selon l’expression consacrée d’Amnesty International). C’est dans ce cadre que, deux jours seulement après son investiture, il a signé un décret prévoyant sa fermeture dans un délai d’un an..
Huit mois plus tard, cette prison renferme, hélas, encore deux cent vingt-trois détenus (contre trois cent quarante et un prisonniers en janvier dernier et près de six cents fin 2002). Si cette baisse des chiffres des détenus est en soi un développement positif, liée notamment aux pressions internationales et à des arrangements entre États, il reste encore trop de prisonniers à Guantanamo pour clamer victoire. Et les différentes tactiques de représentants républicains (et même certains démocrates) visant, en fin de compte, à empêcher l’arrivée de prisonniers de Guantanamo dans leurs États respectifs, compliquent singulièrement la tâche du président Obama. Pourtant, il en va même de l’intérêt national des États-Unis et de la crédibilité de leur diplomatie publique d’effacer au plus vite cette tâche noire de la face de leur démocratie.
Raisons de fermeture de Gitmo
Suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, des États-Unis fortement ébranlés ont lancé leur «guerre mondiale» contre le terrorisme jihadiste. Une entreprise précipitée et trop vague pour pouvoir être couronnée de quelque succès que ce soit sur le terrain. Au lieu de s’attaquer aux causes réelles qui alimentent la colère du radicalisme islamiste, les «architectes» de cette «guerre» d’un genre nouveau se sont fourvoyés dans des sentiers qui avaient plus à voir avec une politique de l’affect et du ressentiment qu’avec un cadre de réflexion stratégique bien défini. Alimentant à leur tour un retour de flamme.
C’est dans le cadre de ce flou artistique que des institutions d’importance comme le Pentagone (ministère de la Défense) et la CIA (Agence centrale d’espionnage) ont privilégié l’idée saugrenue d’humilier (même sexuellement) les détenus pour les briser psychologiquement et les empêcher durablement ainsi d’attenter aux intérêts et personnels américains dans le monde.
C’est ce cadre de «réflexion» qui expliquait, entre autres, pourquoi l’armée américaine n’avait même pas résisté (dès janvier 2002) à la tentation de diffuser des photographies des prisonniers à leur arrivée à la prison de Guantanamo, agenouillés, entravés, gantés, équipés de lunettes opaques, de casques assourdissants et de masques. Sans oublier leurs traitements dégradants et inhumains avant et après leur arrivée dans cet ilot de l’archipel de torture américain. À cela se sont ajoutées les images choquantes du centre irakien de détention et de torture d’Abu Ghraïb. Des images qui (dans les deux cas) avaient aussitôt suscité la colère et la stupéfaction de plusieurs milieux américains notamment de gauche. Sans oublier les critiques de la «communauté internationale».
Contrairement aux fruits escomptés du recours à ces techniques de torture et de traitement dégradants et inhumains par le Pentagone et la CIA (à savoir briser psychologiquement les présumés terroristes déjà détenus, distiller l’effroi dans le cœur des dirigeants recherchés et décourager les recrues potentielles), ces procédés ont d’abord ruiné pour longtemps l’image des États-Unis dans le monde entier, y compris dans les autres pays occidentaux et les nations islamiques. Voilà la nation considérée (jusqu’à ces tristes épisodes) comme le pays phare en matière de défense des droits humains, troquer les vils habits des pires dictatures du monde arabo-islamique en termes de violations caractérisées de ces mêmes droits humains au nom de la préservation de la sécurité nationale américaine. Cette perte de crédibilité s’est révélée dévastatrice pour l’autorité morale et le leadership international des États-Unis comme puissance globale ainsi que pour sa marge de manœuvre vis-à-vis d’autres puissances de moindre importance. C’est pourquoi, à titre d’exemple, le rapport annuel du département d’État consacré à la situation des droits humains dans le monde a perdu de sa crédibilité et donc de son mordant. Un développement stratégique à la faveur de la montée de nouvelles puissances rivales.
En exposant de manière brutale le monde islamique aux images des nouvelles pratiques américaines en termes de violation des droits humains, les États-Unis ont vu leur étoile rapidement pâlir. Eux dont la politique moyen-orientale traditionnelle (des deux poids, deux mesures) leur aliénait déjà ici de larges secteurs cultivés. En humiliant délibérément leurs détenus musulmans, ils n’ont fait que jeter de l’huile sur un feu qui couvait déjà depuis plusieurs décennies dans la région. Oussama ben Laden et sa garde rapprochée ne pouvaient rêver mieux de la part d’un George W. Bush ou Dick Cheney toujours aveuglés par la colère née des attentats du 11 septembre. Ces sergents recruteurs de facto ont apporté, à leur corps défendant, à l’état-major d’Al-Qaïda sur un plateau d’argent le meilleur des arguments pour motiver et recruter de nouvelles recrues. Des membres plus que jamais déterminés à venger l’honneur bafoué de leurs «frères» tombés aux mains des tortionnaires du «goulag moderne».
Au lieu de décourager de nouvelles vocations qaïdistes, les candidats sacrificiels se bousculaient au portillon pour rejoindre le réseau des réseaux jihadistes. Promettant de répandre la dévastation partout en Occident et de tuer le maximum de citoyens américains. Avec cette nouvelle génération, fille de la globalisation, nul n’est plus à l’abri. Même plusieurs pays musulmans (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Arabie saoudite, Yémen, Pakistan, Afghanistan, Irak, Indonésie…) n’ont pas été épargnés de leur colère. Leur crime? L’alliance avec «l’ennemi lointain» (c’est-à-dire les États-Unis). Sans oublier plusieurs pays occidentaux touchés à leur tour (Grande-Bretagne, Espagne, etc.) ou demeurant dans le collimateur des candidats sacrificiels (Allemagne, France, Italie, Belgique, Canada, Australie…). Si les Américains ont réussi à ce jour à prévenir tout nouvel attentat jihadiste d’envergure sur leur propre sol, ils n’ont pas pu prévenir la mort de plusieurs de leurs soldats et officiels notamment au Grand Moyen-Orient.
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Gitmo est le symbole des dérives sécuritaires d’une grande démocratie. Au lieu de porter un coup fatal à l’expansion d’un réseau jihadiste comme Al-Qaïda et donc de renforcer la sécurité nationale américaine, ce centre de torture de présumés terroristes s’est au contraire révélé le meilleur argument de mobilisation et de recrutement de nouveaux candidats sacrificiels, des recrues motivées d’une forte rage contre des États-Unis dont ils voudraient fragiliser les fondations de sa sécurité nationale. D’où l’urgence de la fermeture de ce «goulag moderne».
Le président américain s’est engagé dès sa prise de fonctions à fermer Guantanamo d'ici janvier 2010. Ce symbole par excellence des dérives sécuritaires de la première puissance mondiale est le meilleur argument au service de la propagande du réseau terroriste Al-Qaïda pour cultiver l’antiaméricanisme dans le monde islamique et du coup attirer de nouvelles recrues dans ses filets.
Guantanamo, ce tristement célèbre centre d’incarcération et de torture de présumés terroristes, est le symbole par excellence à la fois du déni du droit (dont la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre), du mépris des droits humains et des dérives liberticides de l’administration républicaine du controversé George W. Bush. D’ailleurs, son successeur, Barack Hussein Obama, ne s’est pas trompé quand il s'est engagé dès sa prise de fonctions (le 20 janvier) à fermer d'ici janvier ce «goulag moderne» (selon l’expression consacrée d’Amnesty International). C’est dans ce cadre que, deux jours seulement après son investiture, il a signé un décret prévoyant sa fermeture dans un délai d’un an..
Huit mois plus tard, cette prison renferme, hélas, encore deux cent vingt-trois détenus (contre trois cent quarante et un prisonniers en janvier dernier et près de six cents fin 2002). Si cette baisse des chiffres des détenus est en soi un développement positif, liée notamment aux pressions internationales et à des arrangements entre États, il reste encore trop de prisonniers à Guantanamo pour clamer victoire. Et les différentes tactiques de représentants républicains (et même certains démocrates) visant, en fin de compte, à empêcher l’arrivée de prisonniers de Guantanamo dans leurs États respectifs, compliquent singulièrement la tâche du président Obama. Pourtant, il en va même de l’intérêt national des États-Unis et de la crédibilité de leur diplomatie publique d’effacer au plus vite cette tâche noire de la face de leur démocratie.
Raisons de fermeture de Gitmo
Suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, des États-Unis fortement ébranlés ont lancé leur «guerre mondiale» contre le terrorisme jihadiste. Une entreprise précipitée et trop vague pour pouvoir être couronnée de quelque succès que ce soit sur le terrain. Au lieu de s’attaquer aux causes réelles qui alimentent la colère du radicalisme islamiste, les «architectes» de cette «guerre» d’un genre nouveau se sont fourvoyés dans des sentiers qui avaient plus à voir avec une politique de l’affect et du ressentiment qu’avec un cadre de réflexion stratégique bien défini. Alimentant à leur tour un retour de flamme.
C’est dans le cadre de ce flou artistique que des institutions d’importance comme le Pentagone (ministère de la Défense) et la CIA (Agence centrale d’espionnage) ont privilégié l’idée saugrenue d’humilier (même sexuellement) les détenus pour les briser psychologiquement et les empêcher durablement ainsi d’attenter aux intérêts et personnels américains dans le monde.
C’est ce cadre de «réflexion» qui expliquait, entre autres, pourquoi l’armée américaine n’avait même pas résisté (dès janvier 2002) à la tentation de diffuser des photographies des prisonniers à leur arrivée à la prison de Guantanamo, agenouillés, entravés, gantés, équipés de lunettes opaques, de casques assourdissants et de masques. Sans oublier leurs traitements dégradants et inhumains avant et après leur arrivée dans cet ilot de l’archipel de torture américain. À cela se sont ajoutées les images choquantes du centre irakien de détention et de torture d’Abu Ghraïb. Des images qui (dans les deux cas) avaient aussitôt suscité la colère et la stupéfaction de plusieurs milieux américains notamment de gauche. Sans oublier les critiques de la «communauté internationale».
Contrairement aux fruits escomptés du recours à ces techniques de torture et de traitement dégradants et inhumains par le Pentagone et la CIA (à savoir briser psychologiquement les présumés terroristes déjà détenus, distiller l’effroi dans le cœur des dirigeants recherchés et décourager les recrues potentielles), ces procédés ont d’abord ruiné pour longtemps l’image des États-Unis dans le monde entier, y compris dans les autres pays occidentaux et les nations islamiques. Voilà la nation considérée (jusqu’à ces tristes épisodes) comme le pays phare en matière de défense des droits humains, troquer les vils habits des pires dictatures du monde arabo-islamique en termes de violations caractérisées de ces mêmes droits humains au nom de la préservation de la sécurité nationale américaine. Cette perte de crédibilité s’est révélée dévastatrice pour l’autorité morale et le leadership international des États-Unis comme puissance globale ainsi que pour sa marge de manœuvre vis-à-vis d’autres puissances de moindre importance. C’est pourquoi, à titre d’exemple, le rapport annuel du département d’État consacré à la situation des droits humains dans le monde a perdu de sa crédibilité et donc de son mordant. Un développement stratégique à la faveur de la montée de nouvelles puissances rivales.
En exposant de manière brutale le monde islamique aux images des nouvelles pratiques américaines en termes de violation des droits humains, les États-Unis ont vu leur étoile rapidement pâlir. Eux dont la politique moyen-orientale traditionnelle (des deux poids, deux mesures) leur aliénait déjà ici de larges secteurs cultivés. En humiliant délibérément leurs détenus musulmans, ils n’ont fait que jeter de l’huile sur un feu qui couvait déjà depuis plusieurs décennies dans la région. Oussama ben Laden et sa garde rapprochée ne pouvaient rêver mieux de la part d’un George W. Bush ou Dick Cheney toujours aveuglés par la colère née des attentats du 11 septembre. Ces sergents recruteurs de facto ont apporté, à leur corps défendant, à l’état-major d’Al-Qaïda sur un plateau d’argent le meilleur des arguments pour motiver et recruter de nouvelles recrues. Des membres plus que jamais déterminés à venger l’honneur bafoué de leurs «frères» tombés aux mains des tortionnaires du «goulag moderne».
Au lieu de décourager de nouvelles vocations qaïdistes, les candidats sacrificiels se bousculaient au portillon pour rejoindre le réseau des réseaux jihadistes. Promettant de répandre la dévastation partout en Occident et de tuer le maximum de citoyens américains. Avec cette nouvelle génération, fille de la globalisation, nul n’est plus à l’abri. Même plusieurs pays musulmans (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Arabie saoudite, Yémen, Pakistan, Afghanistan, Irak, Indonésie…) n’ont pas été épargnés de leur colère. Leur crime? L’alliance avec «l’ennemi lointain» (c’est-à-dire les États-Unis). Sans oublier plusieurs pays occidentaux touchés à leur tour (Grande-Bretagne, Espagne, etc.) ou demeurant dans le collimateur des candidats sacrificiels (Allemagne, France, Italie, Belgique, Canada, Australie…). Si les Américains ont réussi à ce jour à prévenir tout nouvel attentat jihadiste d’envergure sur leur propre sol, ils n’ont pas pu prévenir la mort de plusieurs de leurs soldats et officiels notamment au Grand Moyen-Orient.
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Gitmo est le symbole des dérives sécuritaires d’une grande démocratie. Au lieu de porter un coup fatal à l’expansion d’un réseau jihadiste comme Al-Qaïda et donc de renforcer la sécurité nationale américaine, ce centre de torture de présumés terroristes s’est au contraire révélé le meilleur argument de mobilisation et de recrutement de nouveaux candidats sacrificiels, des recrues motivées d’une forte rage contre des États-Unis dont ils voudraient fragiliser les fondations de sa sécurité nationale. D’où l’urgence de la fermeture de ce «goulag moderne».
À suivre
L'auteur
Aziz Enhaili est contributeur au volet «Moyen-Orient» du LEAP/E 2020 (Laboratoire Européen d'Anticipation Politique/Europe 2020), un Think Tank européen leader dans le domaine de la prospective internationale. Il est également contributeur au Global Research in International Affairs (GLORIA) Center. Il est notamment co-auteur de quatre ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin: Political Islam (Londres: Routledge, 2006) & A Guide to Islamist Movements (New York, M.E. Sharpe, à venir en novembre 2009). Il est chroniqueur des affaires moyen-orientales au webzine canadien www.tolerance.ca.
Aziz Enhaili est contributeur au volet «Moyen-Orient» du LEAP/E 2020 (Laboratoire Européen d'Anticipation Politique/Europe 2020), un Think Tank européen leader dans le domaine de la prospective internationale. Il est également contributeur au Global Research in International Affairs (GLORIA) Center. Il est notamment co-auteur de quatre ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin: Political Islam (Londres: Routledge, 2006) & A Guide to Islamist Movements (New York, M.E. Sharpe, à venir en novembre 2009). Il est chroniqueur des affaires moyen-orientales au webzine canadien www.tolerance.ca.
Du même auteur, lire Islam/Occident : pourquoi aider Barack Obama à fermer Guantanamo
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