Collectif guantanamo, janvier 2005
« La possibilité, pour le pouvoir exécutif, de jeter un homme en prison sans formuler aucune charge reconnue par la loi contre lui, et notamment de lui refuser le jugement par ses pairs, est odieuse au plus haut degré et elle est le fondement de tout gouvernement totalitaire, qu’il soit nazi ou communiste. »
Winston Churchill
« Aucune circonstance exceptionnelle que ce soit, ni un état ou une menace de guerre, ni une instabilité politique interne ni aucune autre urgence publique, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »
Convention des Nations unies contre la torture, Article 2, Section 2
À guantanamo, on n’utilise pas la gégène pour infliger des secousses électriques aux détenus, comme on le fait un peu partout dans le monde, comme on le faisait (et le fait encore) en Algérie, on ne pratique pas la “falaka” comme en Grèce, en Turquie, en Tunisie et ailleurs, on ne fait pas s’asseoir les détenus sur des bouteilles brisées. Non, rien de tout cela.
À guantanamo, on pratique la “torture light” et les médias anglo-US utilisent généralement à ce sujet l’expression “allégations d’abus”. Mais le but des tortures infligées aux détenus de guantanamo - comme celles infligées aux détenus d’Abou Ghraïb, est le même : briser les hommes emprisonnés, casser définitivement leur résistance et leur volonté de vivre.
La torture est une arme de guerre contre les combattants qui n’entrent pas dans la logique bureaucratique et civilisatrice de la machine de guerre impériale. Contre les combattants et tous ceux qui sont suspects de l’être. Oh bien sûr, cela n’est jamais affirmé. Officiellement, il s’agit d’extraire des “informations vitales” visant à empêcher que de nouveaux actes terroristes soient commis. Cet argument est uniquement pour la galerie, car même un enfant peut comprendre qu’un homme détenu au secret depuis 3 ans ne pourra plus jamais fournir des informations exploitables. Mais il pourra être forcé à inventer des projets et complots, à “avouer” des crimes imaginaires. Et ainsi la torture s’en trouvera justifiée.
Les formes de torture recensées à guantanamo, comme celles révélées à Abou Ghraïb, visent à “attendrir” ou “préparer” les “clients” avant leurs interrogatoires. Les US ont donc innové dans le domaine de la culture carcérale, en instaurant une collaboration étroite et une complémentarité entre le personnel chargé du gardiennage (policiers militaires, souvent anciens gardiens de prison dans le civil et membres de la Garde nationale) et le personnel chargé des interrogatoires (CIA, FBI, services de renseignement militaires US et de certains pays d’origine des détenus, et enfin personnel civil appartenant à des entreprises privées ayant conclu des contrats de sous-traitance avec le Pentagone).
Une des bibles utilisées par les tortionnaires a été un livre d’un obscur professeur yankee sur la psychologie musulmane, où ils ont puisé des idées sur la meilleure manière d’humilier et de tenter de briser des résistants -ou supposés tels - musulmans. Ce qui a conduit à certaines innovations, parfois inspirées des méthodes pratiquées par les Israéliens. Ainsi, des témoignages de prisonnières palestiniennes font état de viols, dûment filmés et photographiés. Lorsque les victimes sont remises en liberté, les tortionnaires leur disent simplement : « Si tu parles, on envoie les vidéos ou les photos à ta famille. »
À guantanamo, on n’a pas été jusque-là. mais on pratiqué des “traitements” tout aussi pervers. Deux exemples :
-> un détenu est déshabillé, enveloppé dans un grand drapeau israélien, enchaîné au sol et soumis pendant des heures à des lumières stroboscopiques (comme dans les discothèques) et à une musique assourdissante. Objectif : la déprivation sensorielle. La victime, déjà isolée depuis des années, coupée du monde et même de ses codétenus, perd ses repères. Quand elle craque, elle est prête à signer n’importe quoi.
-> les gardiens ont fait défiler des prostituées quasiment nues devant les détenus enfermés dans des cages. Comble de la provocation, une des prostituées a jeté au visage d’un détenu - sélectionné - une serviette hygiénique imprégnée de sang menstruel. Une humiliation inqualifiable, et pas seulement pour un musulman pieux, mais pour n’importe quel homme.
Et puis, il y a le grand classique : la privation de sommeil et la rupture forcée des cycles normaux de veille et de sommeil. Cette forme de torture apparemment anodine pour qui ne l’a pas vécue a des effets dévastateurs sur la santé psychique et physique des victimes. Des anciens détenus privés de sommeil en souffrent encore, dix ou vingt ans plus tard. Les enquêtes diligentées par le Pentagone pourront éventuellement conduire à l’inculpation de quelques exécutants, comme c‘est le cas pour Abou Ghraïb, mais elles ne voudront jamais reconnaître que ces exécutants n’agissent jamais de leur initiative mais sur ordre. Évidemment, les donneurs d’ordre se gardent bien de laisser traîner des traces écrites de ces ordres, qui sont généralement verbaux. C’est pourquoi les mémorandums adressés à la Maison blanche par Alberto Gonzales, conseiller juridique de Bush devenu ministre le Justice, sont si importants : ils prouvent noir sur blanc que les ordres venaient de très haut, du sommet même de la hiérarchie, le Président en personne, ou que, du moins, celui-ci était parfaitement au courant de ce qui se passait à guantanamo, à Abou Ghraïb, Bagram, Diego Garcia et ailleurs. Ainsi Gonzales écrivait dès le 25 janvier 2002, soit 15 jours après l’inauguration du camp de guantanamo : « [La lutte contre le terrorisme] rend obsolètes les strictes limitations apportées par les Convention des Genève aux interrogatoires de prisonniers ennemis, et rend désuètes certaines de leurs dispositions. »
Douze jours plus tard, Bush signe un ordre par lequel il s’arroge le droit de suspendre l’application des Conventions de Genève dans le présent conflit (en Afghanistan et donc, à guantanamo) et dans les conflits à venir (l’Iraq). Un Président couvrant des crimes contre l’humanité perd toute légitimité. Mais il ne risque pas grand-chose. Dans l’Amérique pseudo-puritaine et soi-disant politiquement correcte, une fellation administrée au Président dans le bureau ovale par une stagiaire ambitieuse est autrement plus grave et condamnable qu’un peu de “torture light” administrée à d’obscurs barbares barbus. Loin des yeux, loin du cœur...
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