dimanche 11 mars 2007

Au nom de la lutte contre le terrorisme, les charters de la torture

par René Backmann, Le Nouvel Observateur, 8 mars 2007
Note de lecture sur le livre Kidnappés par la CIA. Les charters de la torture, par Trevor Paglen et A. C. Thompson, Saint-Simon, 152 p., 17 euros.

Plus de cinq ans après la signature par George Bush du document accordant à la CIA des pouvoirs exceptionnels pour mener sa «guerre contre la terreur», les ténèbres qui protégeaient les opérations clandestines de la Centrale ont livré une partie de leurs secrets. Grâce au travail de journalistes, de défenseurs des droits de l'homme, d'écrivains, on en sait un peu plus désormais sur les enlèvements de terroristes réels ou présumés, les transferts illégaux de « suspects », les détentions arbitraires et le recours quasi systématique à la torture par les services de renseignement américains. Leurs enquêtes ont également permis de démêler l'écheveau des sociétés fictives ou non mises sur pied par la CIA pour exploiter les avions utilisés pour les « transferts » illégaux de suspects.Dans un livre dont la traduction française paraîtra le 15 mars (1), deux enquêteurs américains, Trevor Paglen et Adam Clay Thompson, racontent la traque qui leur a permis d'établir des liens entre la CIA et les appareils « civils » chargés de transporter discrètement les détenus d'un point à un autre de la planète. Ils reconstituent aussi les trajets complexes parcourus par certains « terroristes » pour atteindre Guantánamo via des pays « amis » (Afghanistan, Maroc, Égypte, Jordanie) où ils étaient torturés. Une quarantaine d'Etats, dont dix-sept européens - parmi lesquels l'Italie, la Grande-Bretagne, la Suède, l'Espagne, la Pologne, la Roumanie -, ont accepté les escales sur leur territoire de ces charters transportant des détenus assommés de calmants vers des destinations où ils seraient livrés à leurs bourreaux locaux et américains.
D'abord simple opération secrète, ce programme de « restitutions clandestines », légitimé par une décision présidentielle - acceptée par les deux Chambres du Congrès - qui abolit de fait l'habeas corpus, est aujourd'hui devenu un système judiciaire parallèle, en marge de la loi commune. Pour quel bénéfice ? L'étude conduite en 2006 par un universitaire américain cité par les auteurs montre que, vérification faite, 92% des 417 prisonniers de Guantánamo n'étaient pas des combattants d'Al-Qaida, et que 42 % n'avaient même aucun lien avec Al-Qaida. Plus de 85% des prisonniers n'avaient d'ailleurs pas été capturés par les Américains : ils avaient été livrés, en Afghanistan et au Pakistan, par des chasseurs de têtes attirés par le montant très alléchant des primes et indifférents à l'implication réelle ou non de leur gibier dans les activités terroristes...
Source : http://hebdo.nouvelobs.com/p2209/articles/a335272.html

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