dimanche 5 janvier 2025

Guantánamo: premier camp de concentration off shore de l’Empire!
Appel du Collectif guantánamo - janvier 2003

Appel du Collectif guantánamo - janvier 2003


Depuis un an, 625 citoyens de 42 pays sont enfermés dans le Camp baptisé X-Ray (Rayon X) de la base militaire US de Guantánamo, sur l'île de Cuba. Etiquetés "combattants ennemis" par le Pentagone, ils n'ont aucun statut. Ils ne sont en effet ni prisonniers de guerre, ni prisonniers politiques, ni même détenus de droit commun. Enfermés dans des cages, ils sont otages du bon vouloir du chef de la première puissance mondiale, le nouveau croisé George Bush.
La juridiction US ne s'appliquant pas sur le territoire de Guantánamo, le Camp X Ray est le premier camp de concentration off shore (=extraterritorial) de l'Empire.
Hors du droit, les otages de Guantanamo sont aussi maintenus hors du monde, pratiquement coupés de toute communication avec l'extérieur, que ce soit avec leurs parents, leurs avocats ou des élus de leur pays. Cette situation unique est une grande première dans l'histoire mondiale. Si nous ne nous y opposons pas, elle est appelée à se reproduire ailleurs, pour d'autres otages, par exemple demain des Iraqiens ou même des militants no global (Anti mondialisation) de pays démocratiques. L'effet Guantánamo se fait déjà sentir aux quatre coins de la planète.
De très nombreux gouvernements, cédant aux pressions de la CIA et du Pentagone, ont déjà pris des dispositions pour créer dans leur pays des zones de non droit, au nom de la "guerre contre le terrorisme".
Nous vous appelons donc à vous mobiliser pour animer une campagne mondiale contre Guantanamo, sur les thèmes suivants:
1° - Les otages de Guantánamo ont des droits: droit à la défense, droit à la communication, droit à la justice.
2° - Ils doivent être soit jugés, soit libérés.
3° - Les Nations unies doivent constituer une commission indépendante d'enquête et d'instruction, composée d'experts des 5 continents, pour déterminer où et par qui les prisonniers doivent être jugés. Pendant les travaux de cette commission, les prisonniers doivent être transférés de Guantánamo vers un pays neutre et confiés aux bons soins de la Croix-rouge et du Croissant Rouge. La commission devra trancher entre 4 possibilités: remise en liberté, jugement aux USA, jugement en Afghanistan, jugement dans le pays d'origine du détenu. Elle devra établir un montant d'indemnités verser par le gouvernement US à tous les prisonniers remis en liberté et leurs familles.
Depuis un an, des parents de ces otages se battent un peu partout dans une grande solitude, secondés par des avocats courageux mais impuissants.
La bataille de Guantánamo concerne tous les citoyens du monde épris de liberté, de pluralité, de diversité et de justice.
Contre l'Empire, seules des multitudes multicolores peuvent empêcher que les pires cauchemars s'imposent à tous.
Aujourd’hui à Guantánamo, demain chez nous!
NOUS CONSTITUONS CE JOUR LE COLLECTIF guantanamo, PARTIE PRENANTE DU RESEAU MONDIAL guantanamo, QUI AGIT POURLA FERMETURE DE CE CAMP DE CONCENTRATION.
L'engagement dans ce collectif se fait uniquement sur une base individuelle. Nous appelons tous ceux qui le veulent à nous rejoindre ou bien à créer leur propre structure et à établir une relation de travail avec nous. Le gage de réussite de la campagne sera sa capacité à mobiliser des multitudes dans un esprit mondial égalitaire, dans le respect des spécificités et des motivations particulières, pour "un monde contenant tous les mondes", contre toute forme de pensée unique et les monstruosités en découlant.

jeudi 2 janvier 2025

ANDY WORTHINGTON
Le “fantôme” de Guantánamo est “libéré” : Ridah Al Yazidi, jamais inculpé, détenu depuis le premier jour et dont la libération avait été approuvée il y a 15 ans


Andy Worthington, 31/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andy Worthington est un historien, journaliste d'investigation et réalisateur britannique, auteur de nombreux documents sur le camp de Guantanamo, à commencer par son livre The Guantanamo Files: The Stories of the 774 Detainees in America's Illegal Prison (Pluto Press, 2007)

Une photo proprement fantomatique de Ridah Al-Yazidi (ISN 038), le prisonnier tunisien de Guantánamo qui vient d'être rapatrié, après près de 23 ans passés à Guantánamo et 15 ans depuis que sa libération a été approuvée. Seule photo connue d'Al Yazidi, il s'agit d'une photocopie par l'armée usaméricaine d'une photo de lui, prise quelque temps après son arrivée à Guantánamo, qui figurait dans son dossier militaire classifié, publié par WikiLeaks en avril 2011.

Le Pentagone a annoncé qu'il avait rapatrié de Guantánamo Ridah Al Yazidi, 59 ans, un prisonnier tunisien détenu sans inculpation ni jugement depuis le tout premier jour d'ouverture de la prison, il y a près de 23 ans, le 11 janvier 2002.
Bien qu'il soit presque totalement inconnu du monde extérieur, en raison du manque d'intérêt persistant des médias grand public pour les enquêtes sur l'illégalité banale d'une grande partie des opérations de la prison, le cas d'Al Yazidi est l'un des cas les plus remarquables d'injustice banale à Guantánamo.
Avec deux autres hommes toujours détenus, il avait été autorisé à être relâché il y a 15 ans, à l'issue des délibérations de la très médiatisée Guantánamo Review Task Force, composée de fonctionnaires issus de différents ministères et des agences de renseignement, qui s'est réunie une fois par semaine tout au long de l'année 2009 pour décider administrativement du sort des 240 prisonniers que le président Obama avait hérités de George W. Bush.
156 de ces hommes ont été recommandés pour la libération lorsque le rapport de la Task Force a été publié le 22 janvier 2010, mais, bien qu'Obama ait finalement libéré 153 d'entre eux au cours de ses huit années de mandat, Al Yazidi et les deux autres hommes encore détenus - Taouffiq Al Bihani, un Yéménite, et Mouyin Abd Al Sattar, un prisonnier encore plus mystérieux, qui est un musulman Rohingya apparemment apatride - ont été maintenus dans le camp.
Bien que l'on sache peu de choses sur Al Yazidi, il semble, d'après les évaluations des services de renseignement à Guantánamo, qu'il a quitté la Tunisie pour l'Italie en 1986, à l'âge de 21 ans, où il a exercé divers emplois subalternes et a été arrêté à deux reprises pour trafic de stupéfiants. En 1999, après avoir été brièvement emprisonné, il s'est rendu en Afghanistan, où il a manifestement fini par devenir un petit soldat pour les talibans dans leur guerre civile inter-musulmane avec l'Alliance du Nord, comme tant d'autres hommes détenus à Guantánamo.
Les seuls mots qu'il ait jamais prononcés et qui aient été rapportés au monde extérieur l'ont été après que l'administration Bush a mis en place des examens superficiels des cas de ces hommes en 2004 - les tribunaux d'examen du statut de combattant (Combatant Status Review Tribunals, CSRT), des processus d'examen fondamentalement anarchiques qui s'appuyaient sur des preuves classifiées qui n'étaient pas divulguées aux prisonniers, et pour lesquels ils n'avaient pas le droit d'être représentés par un avocat.
Lors de son audition, comme je l'ai expliqué dans un article sur lui et les deux autres « éternels prisonniers » dont la libération a été approuvée en février de cette année, « il a été allégué qu'il s'était rendu en Afghanistan depuis l'Italie en 1999, qu'il avait fréquenté le camp d'entraînement de Khaldan [un camp indépendant non affilié à Al Qaïda] et qu'il avait combattu sur les lignes de front des talibans en 2001 ». En réponse, il a « déclaré qu'il n'avait pas participé à des combats importants pendant toute la période où il était sur les lignes de front », mais, comme la plupart des hommes dont les cas ont été examinés, il a été considéré comme un « combattant ennemi » qui pouvait continuer à être détenu pour une durée indéterminée.
Comme je l'ai également expliqué, « son dossier militaire classifié, datant de juin 2007 et publié par WikiLeaks en 2011, recommandait son maintien en détention, mais comme je l'ai découvert pour un article en juin 2012, un processus d'examen ultérieur de l'ère Bush, les Administrative Review Boards (ARB), un successeur des CSRT, a recommandé sa libération le 19 novembre 2007. Cependant, lorsqu’Obama est entré en fonction, toutes les recommandations de libération de George W. Bush, concernant au moins 40 hommes, ont été abandonnées et remplacées par les recommandations de la Guantánamo Review Task Force.
La longue incarcération d'Al Yazidi depuis que sa libération a été approuvée peut s'expliquer - mais non se justifier - par les difficultés rencontrées par les administrations Obama et Biden dans les négociations avec son gouvernement d'origine, mais aussi par son propre refus de traiter avec les autorités de Guantánamo, pour lesquelles il n'existe aucun mécanisme permettant d'empêcher les prisonniers de disparaître dans un « trou noir » juridique ou même existentiel.
Lorsque la Cour suprême a statué, en juin 2004, que les prisonniers avaient des droits en matière d'habeas corpus, permettant enfin aux avocats de commencer à les représenter, Brent Rushforth a été chargé de le représenter, mais en 2015, lorsque Carol Rosenberg, qui travaillait alors au Miami Herald, a écrit un article sur les hommes du premier vol à Guantánamo et s'est entretenue avec Rushforth, celui-ci lui a dit qu'il n'avait « rencontré Al Yazidi qu'une seule fois en 2008 » et que, depuis lors, il avait « refusé les appels et les invitations à d'autres rencontres ».
En décembre 2016, comme je l'ai expliqué ici, Charlie Savage du New York Times a rapporté que des fonctionnaires lui avaient dit que l'administration Obama était « réticente à rapatrier » Al Yazidi, et deux autres hommes, « pour des raisons liées à leurs pays d'origine », mais tous les efforts pour trouver un pays tiers pour sa réinstallation ont été contrecarrés en raison de son refus de dialoguer avec qui que ce soit.
Carol Rosenberg, qui travaille actuellement au New York Times, a parlé à Ian Moss, qui a passé dix ans au département d'État à organiser des transferts de prisonniers et de détenus, et qui a confirmé qu'il n'était pas parti plus tôt parce que la Tunisie avait été jugée trop dangereuse ou n'avait pas voulu l'accueillir, et qu'il n'était pas disposé à chercher d'autres pays qui auraient pu le réinstaller.
Comme l'a également expliqué Moss, « il aurait pu partir depuis longtemps si la Tunisie n'avait pas traîné les pieds ».
Ce que l'on ignorait jusqu'à sa libération, c'est que l'administration Biden négociait son rapatriement depuis un certain temps. Le communiqué de presse du Pentagone révèle que le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, « a notifié au Congrès son intention de soutenir ce rapatriement » il y a près d'un an, le 31 janvier 2024, satisfaisant ainsi à une exigence irritante de la législation usaméricaine, introduite par les républicains, selon laquelle le Congrès doit être informé 30 jours avant la libération de tout prisonnier de Guantánamo.
Le Pentagone a également expliqué que, « en consultation avec notre partenaire en Tunisie, nous avons rempli les conditions d'un transfert responsable » avant sa libération, bien que, comme c'est toujours le cas avec les libérations de Guantánamo, les détails des arrangements avec les gouvernements d'origine - ou les gouvernements d'accueil dans le cas d'hommes qui ne peuvent pas, pour diverses raisons, être rapatriés, et qui sont réinstallés dans des pays tiers - sont classifiés, et ne contiennent aucun mécanisme visible pour garantir un traitement humain de la part des gouvernements d'accueil. Étant donné qu'une grande partie de l'histoire d'Al Yazidi est entourée de mystère, on ne sait même pas publiquement s'il a des membres de sa famille survivants en Tunisie qui pourront l'aider à reconstruire sa vie après cette longue épreuve.
Avec la libération d'Al Yazidi, 26 hommes sont encore détenus à Guantánamo, dont 14 ont été autorisés à être libérés - 12 entre octobre 2020 et septembre 2022, plus les deux compagnons d'Al Yazidi, « prisonniers à vie » à long terme. Parmi ces deux hommes, la longue détention de Taoufik Al Bihani reste inexplicable, car il devait prendre un vol pour l'Arabie saoudite avec d'autres prisonniers dont la libération a été approuvée en avril 2016, mais il a été empêché de monter à bord de l'avion à la dernière minute, sans qu'aucune explication n'ait jamais été fournie.
Pour Mouyin Abd Al-Sattar, son statut de fantôme est encore plus prononcé que celui de Ridah Al Yazidi, car non seulement sa nationalité est incertaine, mais il n'a même jamais été représenté par un avocat.
À 20 jours de l'entrée de Donald Trump à la Maison Blanche, je ne peux même pas commencer à exprimer à quel point il est important que l'administration Biden ait mis en place des dispositions pour la libération de ces 14 hommes, dont la plupart ont besoin d'être réinstallés dans des pays tiers, parce qu'ils sont en grande partie yéménites, et que les républicains ont, depuis de nombreuses années, inclus des dispositions dans le projet de loi annuel sur les dépenses de défense, interdisant le rapatriement de prisonniers vers certains pays interdits, dont le Yémen.
Mouyin Abd Al-Sattar sera-t-il libéré ou restera-t-il, comme Ridah Al Yazidi jusqu'à hier, un « fantôme » dont la présence démontre, de manière trop convaincante, comment, avec tous ses autres crimes, Guantánamo est, et a toujours été capable de faire disparaître entièrement des personnes, comme les recoins humides d'un effroyable donjon médiéval ?

NdT

En 2005, Ridah Al Yazidi avait été condamné par contumace  
par un tribunal militaire tunisien 
à 20 ans de prison , assortie de la privation des droits civils et de 5 ans de contrôle administratif.
➤Pour une chronique de l'odyssée des 12 Tunisiens détenus à Guantanamo, voir ici