dimanche 15 avril 2007

Safia Benaouda : cauchemar en Éthiopie

Par Josef el Mahdi, Svenska Dagbladet, 12 avril 2007
L’agence de presse officielle éthiopienne Ethiopian News Agency diffuse cette photo de prisonniers apparemment heureux. Au premier plan Munir Awad, le fiancé de Safia.
Le prisonnier suédois montré à la television éthiopienne
Safia Benaouda, la Suédoise de 17 ans, raconte pour Svenska Dagbladet le cauchemar des trois mois passés en prison en Éthiopie après avoir été capturée par des militaires US. Au même moment, l’agence de presse d’État éthiopienne publie des photos de son fiancé de 25 ans, qui est toujours détenu. Mais l’image d’un « traitement amical » contraste fortement avec le récit de Safia Benaouda sur son séjour dans une prison militaire.
Le fiancé suédois de Safia Benaouda, âgé de 25 ans, a été montré hier à la télévision d’État éthiopienne. Avec d’autres prisonniers, il est soupçonné de terrorisme. Uniquement dans un but de propagande, selon des critiques que disent que les agissement de l’Éthiopie sont contraires aux droits humains.
La télévision éthiopienne a déclaré que les huit prisonniers dont elle a montré des photos se portent bien et sont bien traités dans la prison militaire où ils sont détenus. Parmi les 41 étrangers arrêtés se trouvent trois Suédois. « Nous sommes bien traités. Les Éthiopiens sont très sociaux et ils respectent les droits humains », déclare l’un des prisonniers selon l’agence officielle éthiopienne ENA. Même son de cloche du fiancé de Safia Benaouda : « Ils nous traitent bien, ils sont comme des amis pour nous. »Mais l’Éthiopie a été critiquée pour avoir emprisonné des suspects étrangers de terrorisme sans leur permettre l’accès à des avocats ou à leurs ambassades.
Ce n’est qu’hier que le pays a reconnu les détenir. Les autorités prétendent qu’ils sont des terroristes appartenant au mouvement islamiste qui a été chassé du pouvoir récemment en Somalie. Mais selon les organisations de défense des droits humains, le pays agit en violation des lois internationales.
Pour l’avocat Björn Hurtig, qui représente les familles des détenus suédois, l’image montrée à la télévision éthiopienne est loin de la réalité.
– J’ai été informé qu’ils ont été soumis à la torture et qu’ils ne vont pas bien du tout. Et les organisations de défense des droits humains qui ont été en contact avec les détenus ont raconté plusieurs abus dont ils été victimes, dit Björn Hurtig.
– Je trouve déplorable que l’on montre les prisonniers dans un but de propagande. Je suis très critique sur ce point. Ils sont dans une situation extrêmement humiliante et on les utilise pour je ne sais quel but. C’est désagréable, dit le social-démocrate Urban Ahlin, vice-Président de la Commission aux Affaires étrangères (du parlement).
Lorsque Svenska Dagbladet raconte à Samer Awad, le frère du détenu, qui est en Suède, que l’Éthiopie a publié des déclarations et une photo de son frère, Awad dit que son frère a du être mis sous une forte pression pour participer dans ce « spectacle de propagande ».
– C’est tellement évident qu’ils mentent en faisant cela. Bien sûr que les prisonniers ont intérêt à dire qu’ils sont contents quand ils savent ce qui peut leur arriver s’ils se plaignent. L’Éthiopie sent bien la pression extérieure contre la manière dont ils traitent les prisonniers et ça les désespère, dit le frère.
Safia Benaouda espère que tout cela signifie que l’Éthiopie est sur le point de les libérer :
– Ils n’ont pas du tout été bien traités, mais peut-être que maintenant il y a eu du changement pour éviter les critiques.
Le Comité international de la Croix-rouge (CICR), qui surveille le traitement des personnes détenues, n’a pas été autorisé à rencontrer les détenus.
– Nous avons demandé l’accès aux détenus mais nous ne l’avons pas encore eu, dit Patrick Megevand du CICR à l’agence de presse US AP.
Les USA, alliés de l’Éthiopie, ont participé aux bombardements de ce qui a été décrit comme des « bastions d’al Qaïda » en Somalie mais nient avoir participé aux transports militaires de prisonniers à travers les frontières dans la Corne de l’Afrique. Svenska Dagbladet a demandé hier un commentaire aux Affaires étrangères et à leur ministre Carl Bildt. Mais le ministre ne veut toujours pas s’exprimer sur la question. Le ministère éthiopien des Affaires étrangères refuse depuis plusieurs semaines de commenter l’affaire pour Svenska Dagbladet. Selon certaines informations, 29 des 41 suspects auraient été relaxés par un tribunal militaire*. Le ministère des AE ignore pour l’instant s’il y a des Suédois parmi eux.
Pendant sa captivité, Safia Benaouda a tenu un journal sur du papier hygiénique. Des courts textes sur les mauvais traitements, la peur, la nostalgie pour le foyer familial, sa maman qui lui manquait, la pizza à la sauce béarnaise et les bonbons Djungelvrål (Cri de la jungle). Photo: Felipe Morales

« Ce sont des soldats US qui nous ont capturés »

Ce sont des militaires US qui ont capturé la jeune Suédoise Safia Benaouda à la frontière kényane. Dans sa première interview après sa libération, elle raconte les mauvais traitements, l’incertitude et le pourquoi de son voyage en Somalie.Après trois semaines passées dans la Somalie en guerre, Safia Benaouda atteint le but de sa fuite, la frontière kényane. On est le 18 janvier. C’est là que le cauchemar commence. Les soldats qui surgissent abattent une femme du groupe et capturent les femmes et les enfants.
Les soldats kényans étaient commandés par trois hommes blancs en uniformes US portant le drapeau US sur leurs bras. Les Américains ont pris leurs passeports et plus tard, aussi les données personnelles, des échantillons d’ADN et les empreintes digitales aussi bien des femmes que des enfants du groupe.
–Ils ont dit que c’était dans un but préventif, au cas où ils en auraient besoin à l’avenir ou si nous devions un jour essayer d’entrer aux USA. On croyait qu’ou moins on était en sécurité, dit Safia Benaouda.
– Après que les soldats US nous avaient pris, ils se sont tenus en retrait mais il était évident que c’était eux qui prenaient les décisions pour les soldats noirs. Avec des efforts, la jeune fille de 17 ans raconte pour la première fois son arrestation et la détention de trois mois en Afrique. Dans son ventre grandit un enfant qu’elle a du protéger des violences des gardiens militaires.
Durant la première semaine de décembre, Safia Benaouda et son fiancé de 25 ans partent en vacances à Dubaï. Mais à Dubaï ils rencontrent plus d’immigrés indiens que d’Arabes autochtones et rapidement, ils en ont marre.
Ils rencontrent un homme de Stockholm qui doit se rendre en Somalie et ils l’y accompagnent. À sa mère, Safia n’a rien dit.
– Je pensais que c’était mieux de le lui raconter après. Sinon, on n’aurait pas pu faire ce voyage. Elle ne m’aurait jamais permis de le faire.
Mais vous ne saviez pas qu’il y avait la guerre en Somalie ?
– Tout le monde nous disait que là-bas, c’était plus calme que jamais. C’était faux.
Elle dit qu’ils ont débarqué une petite semaine avant que la guerre éclate.
– Quand on est arrivés, on nous a conseillé de rester à l’intérieur de la maison. Mais de rester enfermés, c’était pas marrant : on voulait voir le pays !Ils venaient de décider de rentrer à la maison quand la guerre a éclaté. L’aéroport a été bombardé. Ils se sont retrouvés coincés sans parler la langue du pays. Autour d’eux, c’était un chaos total.
Après s’être cachés pendant quelques jours, ils ont entendu dire que les étrangers pouvaient être évacués contre paiement en voyageant en convoi de voitures vers le Kenya, où la Suède a son ambassade.
–J’avais peur. On ne pensait qu’à fuir.
Dans la ville côtière de Kismayo, Safia se sépare de son fiancé car elle doit accompagner une femme enceinte à l’hôpital. Elle se retrouve ensuite dans une autre voiture avec des femmes étrangères. Après avoir été capturée un matin dans le désert, elle est conduite à Nairobi. Puis, avec d’autres prisonniers, les mains attachées dans le dos avec des colliers de serrage de tuyaux et les yeux bandés, elle est reconduite dans la Somalie en guerre. « Vous n’avez aucun droit », lui ont les Kényans. Puis de Somalie, elle est conduite dans une prison secrète en Éthiopie. C’est là qu’elle revoit son fiancé pour la première fois depuis de semaines Il avait été pris par des militaires kényans avec les autres étrangers.
En février, les détenus sont transportés par avion à Addis Abeba. Après un certain temps, les trois hommes suédois sont mis dans des cages spéciales, raconte Safia Benaouda.
– C’était comme des cages à poules avec des toits métalliques. C’était terrible à voir.
Lorsqu’elle raconte, elle rafraîchit ses souvenirs en s’aidant du journal qu’elle a tenu pendant sa captivité sur du papier hygiénique. Le 13 mars, les détenus sont conduits dans une salle de tribunal, mais c’est pour s’entendre dire qu’ils sont des « combattants illégaux » de Somalie.En disant cela, elle soupire. Elle dit que son fiancé et elle n’ont jamais rien eu à faire avec des extrémistes politiques.
– Et puis quoi, est-ce qu’on allait faire la guerre en vacances, avec un enfant dans le ventre ? Fin mars, les gardiens commencent soudain à la traiter mieux. Le vendredi 23 mars, elle peut rencontrer Thomas Wiklund de l’ambassade suédoise. Quelques jours plus tard, elle est mise dans un avion pour Arlanda (l’aéroport de Stockholm).
Une fois de retour en Suède, elle s’inquiète pour son fiancé et pour les autres détenus. Elle est déçue par le silence du gouvernement.
– J’aurais aimé que Carl Bildt montre qu’il se préoccupe de cette affaire.

* Amir Meshal, 24 ans, citoyen US du New Jersey, aurait du être rapatrié le 13 avril, mais les fonctionnaires du Départment d'État US chargés de l'opération ont découvert qu'il figurait sur les listes des passagers indésirables sur les lignes aériennes US, établie apr le FBI. Il est donc en stand by à Addis Abeba. Amir était guide touristique à Dubaï, de quoi le rende très suspect...(NdT)

Original :
Svenska Dagbladet
Traduit du suédois par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
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