vendredi 30 mai 2008

Washington veut précipiter le procès des terroristes du 11 septembre pour influer sur l'élection présidentielle, dénoncent des avocats

Des avocats accusent le gouvernement américain de vouloir précipiter le procès à Guantanamo de terroristes présumés liés aux attentats du 11 septembre 2001 pour influencer l'élection présidentielle, selon des actes juridiques obtenus par l'Associated Press.
Ces actes incluent des documents montrant que l'ancien procureur en chef de Guantanamo, qui a démissionné en octobre, a été sanctionné par l'armée le 23 mai dernier après avoir témoigné pour la défense lors d'une audience à Guantanamo.
Le brigadier général Thomas Hartmann, conseiller juridique des tribunaux de Guantanamo, a affirmé à l'Associated Press que M. Davis n'avait pas été sanctionné à cause de son témoignage, mais à cause de ses mauvais résultats en tant que procureur en chef.
Les avocats militaires du cerveau présumé des attentats du 11 septembre, Khalid Sheikh Mohammed, et de quatre autres co-accusés ont révélé que les procureurs plaident pour que le procès ait lieu le 15 septembre, soit "quelques semaines avant l'élection présidentielle" de novembre.
"On peut dire sans équivoque que des hauts responsables de la commission militaire pensent qu'il serait politiquement stratégique que ces cinq hommes soient dans la chambre d'exécution le 4 novembre 2008", a déclaré le lieutenant commandant Brian Mizer, l'un des avocats, en référence à la date du scrutin présidentiel.
Dans un témoignage récent, M. Davis avait affirmé que lorsqu'il était procureur en chef, "il y avait cette logique qui voulait que si nous n'arrivions pas à organiser ces procès avant l'élection, alors cette histoire se dégonflerait alors que si nous réussissions à condamner les types du 11 septembre d'ici là, ce serait difficile, quel que soit le vainqueur de l'élection, d'arrêter le processus."
Source : AP, 30 mai 2008

jeudi 29 mai 2008

Omar Khadr : Et s’il s’appelait Tremblay ou Smith ?

par Frédéric Towner-Sarault, alternatives, 29 mai 2008

Les neuf juges de la Cour suprême sont unanimes : le gouvernement canadien a été complice de violations au droit international en collaborant avec les Américains dans la détention d’Omar Khadr. Dans un jugement rendu le 23 mai, la Cour mentionne que la procédure contre ce Canadien détenu à Guantanamo est « contraire au droit interne états-unien et à des conventions internationales sur les droits de la personne dont le Canada est signataire ».

La Cour suprême ordonne la publication de comptes-rendus d’interrogatoires menés par des agents de renseignements canadiens à la base américaine en 2003 qui ont été remis aux autorités des États-Unis. Ces documents sont réclamés par les avocats de Khadr qui tentent d’établir que la preuve retenue contre leur client ne tient pas la route. Ottawa refusait de les divulguer.
Omar Khadr est accusé de crimes de guerre aux États-Unis et est emprisonné à Guantanamo depuis 2002. Ce citoyen canadien n’avait que 15 ans lorsqu’il a été incarcéré pour des gestes qu’il aurait commis en Afghanistan, où il vivait avec son père, un dirigeant d’Al-Quaïda tué par les Américains.
Ce jugement met le Canada dans l’embarras et accroît la pression sur le gouvernement conservateur pour qu’il exige la libération d’Omar Khadr. Déjà à la mi-mai, le débat avait été relancé dans l’opinion publique par le sénateur Roméo Dallaire. La déclaration du sénateur Dallaire avait créé une commotion à Ottawa quand il a comparé le gouvernement canadien à des organisations terroristes comme Al-Quaïda. « Les accusations contre Khadr sont illégales autant que la cour devant laquelle elles sont entendues », affirmait l’ancien général à la retraite. Il reproche au gouvernement conservateur de ne faire aucun effort pour assumer ses responsabilités envers un de ses citoyens.
Les barreaux du Québec et du Canada ainsi que l’Association des avocats criminalistes ajoutent que le cadre juridique à Guantanamo est inconstitutionnel et contre les conventions internationales. Ils réclament maintenant que le fédéral intervienne pour mettre Omar Khadr à l’abri des irrégularités de la cour martiale mise sur pied par les Américains à Guantanamo.
Un comité des Communes pour les droits de la personne prépare aussi un rapport sur la question de la légitimité de son emprisonnement. Malgré tout, le gouvernement fédéral demeure bien silencieux dans cette affaire.
Six ans d’emprisonnement
Omar Khadr croupit depuis six ans en prison sans avoir été jugé.
Vivian Barbot, porte-parole adjointe du Bloc québécois en matière d’affaires étrangères, rappelle que tous les pays occidentaux ayant des ressortissants emprisonnés sur la base américaine à Cuba ont obtenu leur rapatriement. Le Canada, lui, semble ne faire aucun effort pour obtenir la libération de Khadr qui a passé près du tiers de sa vie à Guantanamo. « Ce n’est pas normal qu’un Canadien soit abandonné par son pays, surtout s’il s’agit d’un mineur », dit-elle.
« Quel que soit ce qu’on lui reproche, nous demandons qu’il soit rapatrié ici pour y être jugé. Pour qu’on puisse valider le bien-fondé des accusations portées contre lui », ajoute Mme Barbot. Elle critique l’attitude d’Ottawa qui affirme que le processus juridique suit son cours.
Amnistie internationale a été parmi les premiers à dénoncer le gouvernement canadien dans cette affaire. Dès 2002, la section canadienne de l’organisme a spécifiquement réclamé que des démarches soient entreprises afin de faire libérer Omar Khadr.
Anne Ste-Marie, d’Amnistie internationale, soutient que ses droits les plus fondamentaux n’ont jamais été pris en compte. En février, l’avocat américain désigné pour le défendre a fait état de séances de mise à tabac, de menaces de viol et des nombreuses fois où son client a été attaché pendant des heures dans des positions inconfortables. L’enquête qui devait faire la lumière sur ces allégations a été interrompue au début du mois de mai par le gouvernement américain.
Mme Ste-Marie indique que dans le cas d’Omar Khadr, l’opinion publique ne s’est pas mobilisée comme elle l’a été pour Brenda Martin, cette Canadienne de retour au pays après avoir été emprisonnée au Mexique. « Évidemment, personne n’ose le dire à haute voix, mais il nous apparaît évident que si Omar Khadr se nommait Tremblay ou Smith ça aurait aidé sa cause », affirme-t-elle.
Un enfant soldat
Eric Hoskins, le président de War Child Canada, un organisme international qui documente les cas d’abus d’enfants soldats à travers le monde, indique que les allégations de mauvais traitements et de sévices laissent présager le pire. Monsieur Hoskins croit qu’après tout ce temps dans ces conditions extrêmes, Omar Khadr doit être sévèrement affecté psychologiquement : « Il passe le plus clair de son temps en isolation et il subit des séances d’interrogations punitives. Les dommages psychologiques doivent être effrayants. »
Il croit qu’il est grand temps qu’Omar Khadr soit reconnu comme un enfant soldat et qu’il reçoive des traitements en conséquence. Les lois internationales concernant le sort des enfants soldats stipulent que ces derniers doivent être assistés dans un processus de guérison. La torture psychologique et physique n’a rien à voir avec la réinsertion et la guérison des traumatismes de la guerre, indique le docteur Hoskins.
Le cas d’Omar Khadr est unique au monde. Aucun autre enfant soldat n’est accusé devant un tribunal de guerre. Les Américains enfreignent les traités internationaux en le gardant à Guantanamo. Le Canada est complice de la situation en refusant d’entreprendre des démarches pour obtenir son transfert.
Jack Layton, le chef du Nouveau Parti Démocratique, croit que les manquements aux engagements internationaux affectent la crédibilité et la réputation du Canada. « Le Canada était un des premiers pays à signer le protocole sur le sort réservé aux enfants soldats, maintenant le gouvernement conservateur se moque de ce protocole. » Le leader néodémocrate estime que l’évolution du débat sur la place publique semble signaler qu’il est temps que le Canada prenne ses responsabilités envers le citoyen Khadr.

mercredi 28 mai 2008

Bush, Cheney et Cie accusés de crimes de guerre dans un dossier du FBI

Par Bill Van Auken, wsws.org, 28 mai 2008

La révélation la plus étonnante d’un rapport de 370 pages de l’inspecteur général du département de la Justice américain est que des agents du FBI avaient officiellement ouvert un dossier de « Crimes de guerre », documentant la torture dont ils avaient été témoins à la prison de Guantanamo Bay, avant de recevoir l’ordre de l’administration de cesser d’écrire leurs rapports.
Le World Socialist Web Site, ainsi que des groupes de défense des droits humains et d’autres opposants de la répression et du militarisme américains, ont longtemps insisté que les actes de l’administration Bush (le déclenchement de guerres d’agression, les assassinats, l’enlèvement et la séquestration sans procès de civils et, le plus répugnant de tous, la torture) constituaient des crimes de guerre selon toute interprétation légitime des décrets et traités internationaux de longue date.
De voir cependant cette évaluation confirmée par l’inspecteur général du département de la Justice, le seul responsable majeur n’étant pas directement subordonné à la Maison-Blanche, et par des agents du FBI, une agence qui n’est pas particulièrement reconnue pour être intéressée aux questions de droits démocratiques, est un signe du caractère endémique de ces crimes et de la crise qu’ils ont engendrée au sein du gouvernement des Etats-Unis et de l’élite dirigeante américaine en son ensemble.
Le rapport établit clairement que la torture fut ordonnée et planifiée en détail aux plus hauts niveaux du gouvernement, y compris la Maison-Blanche, le conseil national de sécurité, le Pentagone et le département de la Justice. Les tentatives de faire cesser ces pratiques, sur une base légale ou pragmatique, par des individus à l’intérieur du gouvernement furent systématiquement contrées et les preuves de ces activités criminelles dissimulées.
Il n’y a pas eu de réaction immédiate de la Maison-Blanche face à ces nouvelles révélations. Les réactions d’autres agences directement impliquées dans les crimes commis à Guantanamo ont donné une idée du sentiment général d’impunité dans lequel la torture décrite dans le rapport de l’inspecteur général se poursuit à ce jour.
« Il n’y a rien de nouveau là-dedans », a affirmé le porte-parole du Pentagone Bryan Whitman. Un porte-parole du département d’Etat à quant à lui décrit les accusations contenues dans le rapport comme étant « assez vagues ».
Assez vagues ? On peut se demander qu’est-ce que ce porte-parole qualifierait d’explicite. Le rapport contient des pages et des pages de témoignages d’agents du FBI sur les pratiques sadiques et répugnantes à Guantanamo.
À un endroit le rapport affirme : « [Un agent du FBI] se rappelait que, à un certain moment durant l’interrogatoire, l’officier militaire “versa de l’eau” dans la gorge d’un détenu qui était assis. Il affirma qu’il pensait que le but de cette pratique était de faire croire au détenu qu’il se noyait, et ainsi le forcer à fournir l’information souhaitée par l’interrogateur. [L’agent] a affirmé que le détenu avait des haut-le-coeur et crachait de l’eau. Il a dit que le détenu semblait incommodé, et il pensait qu’il avait de la difficulté à respirer. »
Et selon une description de l’interrogation de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien arrêté par son propre gouvernement, remis aux forces américaines et déporté à Guantanamo en 2002 :
« Il fut laissé seul dans une chambre froide connue sous le nom du "congélateur", où des gardes l’empêchaient de dormir en appliquant de la glace ou de l’eau froide sur lui… »
« Il fut privé de sommeil pour une période de 70 jours à l’aide d’interrogatoires prolongés, de lumières stroboscopiques, de musiques menaçantes, de consommation forcée d’eau et d’obligation de demeurer en position debout. »
« Une interrogatrice féminine l’empêcha de mettre des vêtements;
« Deux interrogatrices féminines lui ont fait des attouchements sexuels et ont fait des commentaires à caractère sexuel sur lui ;
« Avant et pendant l’incident du bateau, il fut sévèrement battu. »
De plus, écrit le document, il fut « amené à penser qu’il serait exécuté et il s’est uriné dessus » et il s’est fait dire que sa mère et d’autres membres de sa famille seraient détenus et qu’il leur serait fait du mal.
Des centaines d’agents du FBI ont été témoins de torture
Des épisodes similaires ont été décrits, selon le rapport de l’inspecteur général, par littéralement des centaines d’agents du FBI, qui ont vu des interrogateurs de la CIA, de l’armée et de sous-traitants privés réaliser des actes illégaux de torture et d’abus contre des détenus.
De plus, le rapport cite : plusieurs agents du FBI qui ont rapporté des cas de raclées ; 30 agents qui ont rapporté avoir vu des détenus enchaînés dans des positions de stress sur de longues périodes ; 70 agents qui ont rapporté des cas de détenus privés de sommeil ; 29 agents qui avaient de l’information sur l’utilisation de températures extrêmes dans le but de « briser la détermination des détenus de résister à la coopération » ; et 50 agents qui ont rapporté l’utilisation d’un isolement prolongé pour « saper la résistance d’un détenu ».
De plus, quatre agents ont rapporté le cas de deux détenus en Afghanistan battus à mort après avoir été enchaînés debout pour une longue période.
Les histoires de tortures détaillées dans ce rapport ne sont que la pointe de l’iceberg.
Elles n’incluent pas le traitement de Murat Kurnaz, un citoyen turc né en Allemagne, qui fut arrêté pendant un voyage au Pakistan à l’automne 2001 et qui fut remis aux responsables américains pour une récompense de 3000 dollars. Tout d’abord amené à la base américaine à Kandahar en Afghanistan, il fut ensuite transféré à Guantanamo. Même si en 2002, les autorités américaines avaient conclu que Kurnaz n’avait rien à voir avec le terrorisme, il fut emprisonné jusqu’au milieu de 2006 et relâché seulement à cause de la pression du gouvernement allemand.
Empêché d’entrer aux Etats-Unis, il a témoigné par un lien vidéo devant une audience peu nombreuse du comité des Affaires étrangères du Sénat cette semaine.
« Je n’ai rien fait de mal et j’ai été traité comme un monstre », a-t-il dit. Il a dit comment il avait été assujetti à des chocs électriques, suspendu par les poignets pendant des heures et soumis à un « traitement par l’eau », dans lequel sa tête était enfoncée dans un sceau d’eau alors qu’on le frappait à l’abdomen pour le forcer à inhaler le liquide. (Il vaut la peine de mentionner que le rapport de l’Inspecteur général du département de la Justice a affirmé que cette dernière forme de torture ne constitue pas une « simulation de noyade », mais représente « une tentative d’intimider les détenus et d’augmenter leurs sentiments d’impuissance ».
« Je sais que d’autres sont morts de ce genre de traitement, a dit Kurnaz. J’ai souffert de privation de sommeil, du confinement, d’humiliations sexuelles et religieuses. J’ai été battu à de multiples reprises. »
« Il n’y avait pas de lois à Guantanamo, a conclu Kurnaz. Je ne pensais pas que ça pouvait arriver au 21e siècle… Je n’aurais jamais pu imaginer que cet endroit avait été créé par les Etats-Unis. »
Les détenus de Guantanamo ne représentent qu’un pour cent de ceux détenus dans des camps de détention américains et des prisons secrètes opérées par les militaires et la CIA en Irak, Afghanistan et d’autres points du globe. Il est estimé que près de 27.000 personnes sont détenues sans accusation, sans parler de procès, plusieurs d’entre eux ayant simplement disparu dans le goulag global de Washington. Certains sont détenus dans des navires de détention, d’autres dans des donjons secrets opérés conjointement par la CIA et des régimes vers lesquels elle « transfère » les détenus, comme l’Égypte, la Jordanie et le Maroc, où d’autres formes plus cruelles de torture (être enterré vivant, l’électrocution ou la lacération avec un scalpel) sont employées.
Le rapport confirme également que les scènes révoltantes saisies dans les photographies prises à la prison d’Abou Ghraib en Irak et rendues publiques il y a quatre ans montrant des hommes nus cagoulés, soumis à la torture et à l’humiliation sexuelle par des gardes américains, n’étaient pas des aberrations. Les méthodes décrites dans le rapport — la nudité forcée, l’utilisation des chiens d’attaque lors d’interrogatoires, l’enchaînement des détenus dans des positions de « stress », les promenades en laisse — étaient identiques à celles officiellement mises sur le compte de quelques « pommes pourries » à Abou Ghraib.
La torture sadique « orchestrée » à partir de la Maison-Blanche.
L’uniformité des abus dans ces endroits si éloignés l’un de l’autre démontre que ce sadisme psychopathique et criminel infligé à ces détenus par les forces américaines était planifié et orchestré à partir du sommet.
En fait, comme le révélait ABC News le mois dernier, les représentants officiels du soi-disant comité de principe (le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d'État Colin Powell, le directeur de la CIA George Tenet, le procureur général John Ashcroft et la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice) ont eu des discussions détaillées sur les « techniques renforcées d’interrogatoire » qui, selon ABC, « étaient quasiment chorégraphiées – allant jusqu’à préciser le nombre de fois où les agents de la CIA pouvaient utiliser une tactique particulière. »
Bush a affirmé par la suite sur ABC qu’il « savait que notre équipe sur la sécurité nationale avait des rencontres sur cette question. Et je les ai approuvées ».
Le rapport établit que les représentants du FBI et du département de la justice ont avisé le conseil national sur la sécurité de la Maison-Blanche de leurs préoccupations que les pratiques observées par les agents « minaient sérieusement… l’autorité de la loi » à Guantanamo.
À la fin, cependant, on leur a dit de reculer, et ils se sont soumis, devenant ainsi complices de ces crimes et de leur camouflage.
Les révélations du rapport du FBI n’ont pas suscité de réactions importantes ou de demandes d’agir sur cette question par les démocrates élus au Congrès ou encore par les prétendants à la candidature présidentielle du Parti démocrate, le sénateur Barack Obama et la sénatrice Hillary Clinton, qui n’ont pas fait de la torture une question essentielle de leur campagne.
Le New York Times a publié un éditorial mardi intitulé « Ce que les agents du FBI ont vu » qui détaillait le rapport et déclarait qu’il « montrait ce qui arrive lorsque qu’un président américain, son secrétaire à la Défense, son département de la Justice et d’autres hauts responsables corrompent la loi américaine pour justifier et autoriser l’abus, l’humiliation et la torture de prisonniers ».
Le quotidien concluait son éditorial en écrivant : « Les démocrates doivent faire toute la lumière » sur cette affaire au moyen d’audiences portant sur « l’ampleur du manquement à la loi et aux conventions de Genève par le président Bush ». Cela, écrivait le New York Times, « est l’unique façon d’amener le pays du côté des défenseurs, et non des violateurs, des droits de l’Homme ».
On voit bien là l’impuissance de ce qui fut l’élite du libéralisme américain. L’ampleur de la criminalité de l’administration Bush a été largement mise à nu au cours des dernières années.
La violation délibérée et en bloc des conventions de Genève et des traités contre la torture sont, en vertu du droit international, des crimes de guerre, exactement comme le FBI l’a reconnu. Ce qu’il faut, ce n’est pas une autre audience sans conséquence d’un comité du Congrès, mais plutôt la constitution d’un tribunal pour crimes de guerre. Ceux qui ont commis ces crimes doivent en être reconnus coupables.
Bush, Cheney, Rice, Rumsfeld, Powell, Tenet et Ashcroft doivent subir un procès. Les individus tels que l’ancien conseiller de la Maison-Blanche et procureur général, Alberto Gonzales, le chef du bureau de Cheney, David Addington, et le conseiller au département de Justice, John Yoo (qui ont élaboré les arguments pseudo-légaux pour légitimer la torture), doivent aussi être poursuivis ainsi que les responsables de l’armée et des services d’espionnage qui ont présidé aux pratiques criminelles ayant eu cours à Guantanamo, Abou Ghraib, Bagram et les autres camps et prisons de la CIA et de l’armée.
Les dirigeants du Parti démocrate n’ont ni le désir ni l’intention de lutter pour un tel règlement de comptes. La speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi et d’autres dirigeants du parti ont insisté à plusieurs reprises que la destitution du président et du vice-président « n’était pas sur la table ». Ils n’ont aucun intérêt à poursuivre l’administration sur la question de la torture parce qu’ils en sont eux-mêmes les complices. Pelosi et d’autres démocrates en vue au Congrès ont été informés en détail sur les méthodes criminelles utilisées à Guantanamo, ils les ont approuvées et les ont cachées au peuple américain.
A un niveau plus essentiel, les démocrates ont été complices de la politique du militarisme et de l’agression partout dans le monde, politique menée au nom de la soi-disant guerre globale contre le terrorisme et impliquant la pleine utilisation de la force armée pour défendre les intérêts de l’oligarchie qui dirige les Etats-Unis. C’est cette stratégie criminelle (qui est responsable de la mort de plus d’un million d’Irakiens) qui a créé les conditions pour le crime même de la torture.
Néanmoins, l’approfondissement de la crise du capitalisme américain crée les conditions pour de profonds chocs et changements dans les rapports politiques et sociaux qui pourraient bien résulter en la comparution devant un tribunal de Bush, Cheney et compagnie et leur jugement pour crimes de guerre.

(Article original anglais paru le 23 mai 2008)

Droits de l'Homme: Amnesty International critique les USA et la Chine

LONDRES — Les Etats-Unis ne montrent pas l'exemple comme ils devraient le faire en matière des droits de l'Homme et la Chine fait peu de cas de la situation dans ce domaine en Birmanie et au Soudan, où elle privilégie ses intérêts économiques, a dénoncé mercredi Amnesty International dans son "rapport annuel 2008" sur les droits humains dans le monde.
L'ONG basée à Londres accuse les Etats-Unis de ne pas jouer leur rôle de "boussole morale" par rapport au reste du monde, une critique formulée depuis longtemps par Amnesty à l'adresse de Washington. Cette année, l'organisation déplore le soutien apporté l'an dernier par les Etats-Unis au président pakistanais Pervez Musharraf quand il a décrété l'état d'urgence dans son pays.
"En tant qu'Etat le plus puissant du monde, les Etats-Unis fixent la norme pour le comportement des gouvernements au niveau international", souligne le rapport, en regrettant que les Etats-Unis "se soient distingués ces dernières années par leur mépris de la législation internationale".
Le centre de détention américain de Guantanamo, à Cuba, est à nouveau condamné avec force par Amnesty. Irene Khan, sa secrétaire générale, exhorte le prochain président américain -qui doit être élu en novembre-à annoncer la fermeture de Guantanamo le 10 décembre 2008, à l'occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.
Le département d'Etat américain n'a pas fait de commentaire dans l'immédiat sur ce rapport, mais il s'était plaint dans le passé du fait qu'Amnesty se servait des Etats-Unis comme d'"un commode punching-ball idéologique".
La Chine, puissance émergente, reçoit également son lot de "coups de poing". Selon le rapport, Pékin continue d'envoyer des armes au Soudan, au mépris de l'embargo sur les armes de l'ONU, et fait du commerce avec plusieurs pays accusés de violer les droits de l'Homme, comme la Birmanie et le Zimbabwe. Il note que le gouvernement chinois maintient une censure sur les médias et persécute toujours les militants des droits humains.
Le rapport accuse également la Chine d'étendre son programme de "rééducation par le travail", qui permet au gouvernement d'arrêter des gens et de les condamner à effectuer de pénibles travaux de main d'oeuvre sans qu'ils soient jugés.
Mais Amnesty dit avoir détecté un changement dans la position de Pékin: en 2007, le pays a persuadé le gouvernement soudanais d'autoriser la présence d'une force de maintien de la paix des Nations unies au Darfour et a fait pression sur la Birmanie pour qu'elle accepte la visite d'un émissaire spécial de l'ONU.
Irene Khan a confié à l'Associated Press qu'il était plus facile de sortir de certaines impasses en matière de droits de l'homme quand les pays occidentaux et la Chine travaillaient de concert.
"La Chine a une influence pour travailler avec certains gouvernements", a-t-elle déclaré avant que le rapport ne soit rendu public. Mais elle a ajouté que la Chine devait utiliser cette influence de manière responsable.
"La Chine est clairement une puissance mondiale (...) ce qui lui donne une responsabilité internationale en matière de droits de l'homme", a-t-elle affirmé. "Elle doit reconnaître que la croissance économique, ce n'est pas suffisant."
Les autoités chinoises n'ont pas réagi dans l'immédiat. Mais dans le passé, elles avaient rejeté en bloc les critiques contenues dans de précédents rapports d'Amnesty.
La liste annuelle établie par l'ONG sur les abus en matière de droits de l'Homme montre que des personnes sont toujours torturées ou maltraitées dans au moins 81 pays. Selon le rapport, des hommes et des femmes sont aussi jugés de manière inéquitable dans au moins 54 pays, et ne jouissent pas de la liberté de parole dans au moins 77 pays.
Le rapport fait aussi apparaître une multiplication, partout dans le monde, des manifestations de masse en faveur d'actions énergiques contre la pauvreté.
Source : Xinhua, 28 mai 2008

mardi 27 mai 2008

Des journalistes vont couvrir le procès de cinq terroristes présumés à Guantanamo

WASHINGTON, 27 mai (Xinhua) -- Le département de la défense américain a déclaré mardi qu'il inviterait des journalistes à couvrir le procès de cinq terroristes présumés à la base navale américaine à Guantanamo.
Entre 40 et 50 journalistes des Etats-Unis et d'organisations internationales de la presse seront autorisés à suivre le projet prévu le 5 juin, a affirmé le porte-parole du Pentagone Bryan Whitman.
"La responsabilité du département de la défense est d'assurer que nous ayons suffisamment de médias américains et internationaux couvrant le procès et le rendant le plus transparent possible", a- t-il dit.
Le Pentagone a toutefois souligné que seulement une petite partie des journalistes seraient autorisés à entrer dans la salle d'audience tandis que les autres suivraient le procès par video.
Par ailleurs, l'enregistrement et la prise de photos seront interdits aux journalistes, a indiqué le Pentagone.
Parmi les cinq personnes, qui sont accuéses d'être impliquées dans les attentats du 11 septembre 2001, figurent Khalid Sheikh Mohammed, arrêté en mars 2003 au Pakistan et considéré comme l'un des cerveaux de ces attentats

USA: ouverture d'un procès contre 35 manifestants anti-Guantanamo

WASHINGTON - Un juge de Washington a entamé mardi 27 mai le procès de 35 personnes qui avaient été arrêtées en janvier à l'issue d'une manifestation dans la capitale fédérale contre la prison américaine de Guantanamo.
A l'occasion du 6e anniversaire de l'arrivée des premiers détenus sur la base navale américaine à Cuba le 11 janvier, et comme l'année précédente, plusieurs dizaines de personnes avaient été arrêtées après avoir manifesté sans autorisation à l'intérieur et à l'extérieur de la Cour suprême américaine.
A l'appel de "Witness against Torture" (Témoins contre la torture), ils avaient pris soin de ne pas avoir de papiers d'identité sur eux et d'emprunter le nom d'un détenu. Le parquet a proposé d'abandonner les poursuites contre une promesse de se tenir tranquille, mais 35 des manifestants ont préféré aller au procès, pour porter le nom de "leur" détenu devant un juge.
Mardi matin, les prévenus ont annoncé leur intention de se défendre seuls, sans avocat, et une douzaine d'entre eux, vêtus de la combinaison orange symbole des détenus, ont annoncé qu'ils n'ouvriraient même pas la bouche.
"Nous n'exercerons pas nos droits tant que notre pays continuera à nier les droits des autres", a expliqué l'un d'eux, Matthew Daloisio -- qui avait pris le nom de Yasser al-Zahrani, un détenu saoudien qui s'est suicidé en 2006 -- dans une déclaration écrite au juge chargé de l'affaire, Wendell Gardner.
"Nous espérons et nous prions pour que notre silence soit entendu. Nous espérons et nous prions pour la justice, non pas pour nous qui nous tenons face à vous, mais pour ceux dont nous sommes tous responsables", a-t-il poursuivi.
Dans la petite salle d'audience où la couleur orange dominait parmi les prévenus comme parmi le public, les débats ont débuté avec plusieurs heures de retard et dans une certaine confusion, le juge Gardner se montrant particulièrement pointilleux sur la procédure, tout en laissant pointer quelques touches d'ironie dans ses remarques.
Poursuivis pour "harangue" et "discours illégal", les prévenus, parmi lesquels se trouvent un prêtre, des pasteurs, des jeunes et des personnes âgées, risquent un maximum de 3 mois de prison. Le procès pourrait durer jusqu'à la fin de la semaine.
Seule une minorité des quelque 270 détenus de Guantanamo, ceux considérés comme les plus dangereux, portent encore une combinaison orange. La plupart des détenus portent un uniforme beige, et les plus coopératifs sont vêtus de blanc.
Source : AFP, 27 mai 2008

lundi 26 mai 2008

Les avocats d'Omar Khadr remportent une manche en Cour suprême du Canada

par Isabelle Rodrigue, La Presse Canadienne, Ottawa, 23 mai 2008

Le Canada a contrevenu à ses obligations internationales en matière de droit de la personne lorsqu'il a remis aux autorités américaines des documents découlant d'interrogatoires menés par les services secrets canadiens (SCRS) avec Omar Khadr, ce Canadien accusé de terrorisme et détenu dans la prison de Guantanamo, a conclu la Cour suprême du Canada vendredi.

Dans un jugement unanime, le plus haut tribunal s'est rendu aux arguments des avocats du jeune homme et leur accorde un accès partiel aux interrogatoires menés par des représentants canadiens et à tout renseignement découlant de ces entretiens remis aux autorités américaines.Les procureurs du jeune homme disaient avoir besoin de ces documents pour assurer sa défense devant une commission militaire américaine qui doit avoir lieu cet été.Bien que la victoire soit significative pour Khadr, elle n'est pas totale puisque ses avocats n'auront pas, vraisemblablement, accès à tous les documents qu'ils souhaitaient consulter.La Cour ordonne en effet que les interrogatoires et tous les documents en découlant soient remis à un juge désigné de la Cour fédérale qui prendra en considération les questions de sécurité nationale et d'intérêt public avant de déterminer quelles informations seront transmises aux avocats de Khadr.Cette restriction déçoit les avocats du jeune détenu. «Nous n'allons pas obtenir la plupart des documents que nous voulions», a indiqué Nathan Whitling, l'un des avocats de Khadr.«On va en obtenir certains mais pas les plus importants», a-t-il poursuivi.Le plus haut tribunal ne porte pas non plus de jugement sur la légalité de la détention à Guantanamo et sur le processus des commissions militaires.Omar Khadr est accusé d'avoir tué un militaire américain au cours d'une fusillade en Afghanistan en 2001. Il avait alors 15 ans. Il est considéré par les États-Unis comme un ennemi combattant.
Le gouvernement fédéral refusait de se plier à la requête des avocats de Khadr pour des raisons de «sécurité nationale».
La Cour suprême estime que les représentants canadiens doivent respecter les règles des pays où ils se trouvent, mais cette courtoisie ne peut tout de même pas faire fi des droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international.
«En mettant à la disposition des autorités américaines le fruit de ses entretiens avec M. Khadr, le Canada a participé à une procédure contraire à ses obligations internationales en matière de droits de la personne», écrit la Cour.
Le tribunal s'appuie sur des décisions rendues par la Cour suprême des États-Unis qui s'est penchée sur les conditions de détention et de mise en accusation «qui avaient cours à Guantanamo lorsque les responsables canadiens ont interrogé M. Khadr puis relayé l'information aux autorités américaines, entre 2002 et 2004».
Cette cour avait conclu à l'illégalité de la détention et à la contravention des Conventions de Genève, qui encadrent les droits des individus en cas de conflit armé.Par conséquent, la Cour suprême du Canada affirme qu'elle peut «conclure que les règles relatives à la détention et à la tenue d'un procès qui s'appliquaient à M. Khadr lorsque le SCRS l'a interrogé constituaient une atteinte manifeste aux droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international».
Les associations de lutte pour les droits de la personne ont applaudi la décision de la Cour suprême.«Il s'agit d'une importante victoire pour les droits de la personne», a indiqué Paul Champ, l'un des avocats de l'Association pour les libertés civiles de la Colombie-Britannique.
«Cela réaffirme que le Canada est un état fondé sur les droits de la personne et que les représentants canadiens, peu importe où ils se trouvent sur la planète, doivent respecter les droits humains fondamentaux», a-t-il poursuivi.
Ces associations accusent Ottawa d'être complice du malheur d'Omar Khadr, seul citoyen d'un pays occidental toujours détenu dans la prison américaine de Guantanamo, à Cuba. Elles font valoir que le gouvernement a des obligations envers le jeune homme non seulement parce qu'il est citoyen canadien, mais aussi parce qu'il était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés.
Le jugement vient donner un peu plus de munitions aux organismes de défense des droits de la personne, aux partis d'opposition et aux associations d'avocats qui réclament que le jeune homme soit ramené au Canada pour y être jugé.
Le gouvernement canadien refuse d'intercéder auprès du gouvernement des États-Unis pour demander le rapatriement de Khadr, affirmant que le citoyen canadien est accusé d'un crime grave.
Vendredi, le gouvernement a préféré réserver ses commentaires sur le jugement.

dimanche 25 mai 2008

6ème anniversaire du "transfert extraordinaire" d'Abouelkassim Britel

Le 25 mai 2002, à 1 h 30 du matin, le vol Gulfstream V N379P affrété par la CIA, décollait de l'aéroport d'Islamabad avec à son bord le citoyen marocco-italien Abouelkassim Britel, arrêté à Lahore le 10 mars précédent. L'avion continuera vers Porto au Portugal après avoir livré Britel à la DST marocaine. Six ans plus tard, Britel est toujours détenu au Maroc, à la prison d'Oukasha, où il est en grève de la faim depuis le 31 mars.
Pour en savoir plus Justice pour Kassim

samedi 24 mai 2008

Un juge de Guantanamo reconnaît à un détenu le droit de téléphoner à sa famille après plus de six ans d'isolement

Un juge a ordonné jeudi à l'armée américaine d'autoriser un militant présumé d'Al-Qaïda à s'entretenir par téléphone avec sa famille basée au Soudan pour préparer son procès pour crimes de guerre à Guantanamo.
Le détenu, Ibrahim al-Qosi, se plaignait de n'avoir eu aucun contact avec l'extérieur depuis son arrivée sur la base militaire américaine enclavée dans le sud-est de Cuba il y a six ans et demi. Il a dit au juge qu'il avait besoin d'appeler son frère au Soudan pour que celui-ci pour que celui-ci puisse embaucher un avocat civil pour le défendre.
Al-Qosi a été autorisé à téléphoner jeudi soir et s'est entretenu environ une heure avec sa famille, a indiqué le commandant Pauline Storum, porte-parole du centre de détention de Guantanamo.
Âgé de 47 ans, al-Qosi est accusé d'avoir exercé les fonctions de comptable et de trésorier pour Al-Qaïda pendant les années 1990 lorsque le réseau terroriste était basé au Soudan et en Afghanistan. Il aurait par la suite été l'un des gardes du corps d'Oussama ben Laden.
Il risque la prison à vie s'il est reconnu coupable des chefs d'accusation de conspiration et de soutien matériel au terrorisme.
Source : AP, 23 mai 2008

Reporters sans frontières interviewe l’avocat Clive Stafford-Smith après la libération de son client Sami Al-Haj, ex-détenu à Guantanamo

L’avocat Clive Stafford-Smith a accordé un entretien, le 19 mai 2008, à Lucie Morillon, la représentante de Reporters sans frontières aux États-Unis, concernant son client Sami Al-Haj, cameraman soudanais d’Al-Jazira, détenu pendant six ans sur la base militaire américaine de Guantanamo, à Cuba. Clive Stafford-Smith, qui s’est rendu aux États-Unis pour témoigner devant le Congrès, à Washington, a profité de l’occasion pour parler de la santé et de l’avenir professionnel de son client.
Voir la video (1ère partie)

Sami Al-Haj a été soupçonné d’animer un site Internet lié à l’islamisme radical, et d’être à la solde d’Al-Qaïda pour avoir essayé d’interviewer Oussama Ben Laden. Malgré ces accusations, aucune inculpation formelle n’a jamais été prononcée contre le journaliste.
“[L’armée américaine] accusait Sami Al-Haj d’être un présumé terroriste pour avoir reçu une formation d’Al-Jazira. Les termes exacts étaient : ‘Le détenu a avoué avoir été formé à l’utilisation d’une caméra par Al-Jazira’, ce que les militaires considéraient comme du terrorisme”, a affirmé Clive Stafford-Smith. “Il n’existe pas de fondement légal. Ils inventaient de nouvelles accusations et nous prouvions chaque fois que c’étaient des conneries.”
Voir la video (2ème partie)

Clive Stafford-Smith assure qu’aucune explication n’a été donnée à la libération tardive de Sami Al-Haj. En fait, les autorités américaines le considèrent toujours comme un terroriste. Tout au long de son séjour à Guantanamo, les interrogateurs ont voulu obliger le cameraman soudanais à témoigner contre sa chaîne, Al-Jazira, accusée d’être financée par Al-Qaïda.
“Je crois qu’il s’agit d’une agression contre Al-Jazira. En tant que citoyen américain, je trouve ça très triste, parce que nous sommes censés soutenir la liberté d’expression. C’est précisément Al-Jazira qui mène le combat pour la liberté d’expression au Moyen-Orient”, a expliqué Clive Stafford-Smith.
L’avocat a également commenté l’état de santé de Sami Al-Haj, qui a dû être hospitalisé à Karthoum en raison de son état d’extrême faiblesse, après un voyage difficile en avion. L’usage des toilettes lui a été interdit pendant vingt heures et Sami Al-Haj a continué sa grève de la faim au cours du trajet. Par ailleurs, il était menotté et cagoulé.
“Les médecins au Soudan étaient inquiets pour sa vie, a affirmé Clive Stafford-Smith. “Néanmoins, il s’est assez bien remis dans les deux ou trois jours suivants”.
En plus des séquelles des tortures subies durant sa captivité à Guantanamo, des médecins avaient informé Sami Al-Haj qu’il était atteint d’un cancer, mais qu’il ne pouvait pas consulter un spécialiste. Les médecins soudanais qui l’ont examiné n’ont pourtant trouvé aucune trace de cancer.
Au plan professionnel, l’avocat a confié que son client n’avait pour l’instant pas l’intention de se déplacer dans des zones de guerre ou de conflit. Il a également signalé que le gouvernement des États-Unis avait fait pression sur le gouvernement soudanais pour que celui-ci interdise à Sami Al-Haj de voyager ou de reprendre son travail à Al-Jazira.
“Il préférait rester encore dix ans à Guantanamo plutôt que de signer un document de ce genre, a fait savoir Clive Stafford-Smith. Au moment de la libération, un amiral est venu le voir et a essayé de lui faire signer un document, mais il a répondu que son avocat lui avait conseillé de ne rien signer.”
Quant aux accusations de torture, réfutées par le gouvernement américain, Clive Stafford-Smith a affirmé que son client avait été interrogé cent trente fois. A cent vingt reprises, les geôliers avaient essayé d’obliger Sami Al-Haj à reconnaître qu’Al-Jazira était une organisation terroriste. L’avocat a également décrit les méthodes d’alimentation forcée utilisées contre les détenus en grève de la faim - les gardes introduisaient un tube étroit dans le nez des prisonniers. “Ca me semble inhumain”, a souligné Clive Stafford-Smith. Sami Al-Haj a passé un total de 478 jours en grève de la faim. “Rappelez-vous les grèves de la faim des militants de l’IRA dans les années 80 - elles dépassaient rarement les soixante-dix jours”.
Clive Stafford-Smith a lui-même été accusé par le gouvernement américain d’avoir incité trois détenus au suicide. “Je crois qu’il est assez répugnant de suggérer que j’ai incité mes propres clients à se suicider.”
Questionné sur le sort des autres prisonniers à Guantanamo, l’avocat a affirmé qu’actuellement, les risques planétaires sont plus importants qu’avant le 11 septembre 2001. “Personne de sensé ne peut te regarder dans les yeux et te dire que la prison de Guantanamo a contribué à faire du monde un endroit plus sûr.”
D’après Clive Stafford-Smith, “la prison de Guantanamo sera bientôt fermée”. Mais pour lui, le vrai problème est que les États-Unis détiennent encore 27 000 prisonniers dans des prisons secrètes et dans des conditions encore pires qu’à Guantanamo.
Clive Stafford-Smith a tenu à remercier Al-Jazira, les gouvernements du Qatar et du Soudan, ainsi que des organisations comme Reporters sans frontières pour avoir plaidé inlassablement en faveur de la remise en liberté de Sami Al-Haj.

jeudi 22 mai 2008

Robert Gates : "Nous smmes coincés"

Les États-Unis sont «coincés» avec le centre de détention controversé de Guantánamo, à Cuba, a reconnu hier le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates. L'ancien patron de la CIA voudrait bien fermer le site, mais il avoue ne pas savoir comment le faire.
Interrogé en commission parlementaire sur ses intentions de fermer la prison ouverte après les attentats du 11 septembre 2001 pour regrouper des détenus internationaux soupçonnés de menacer la sécurité des États-Unis, M. Gates a lancé que «la réponse la plus franche et la plus brutale est que nous sommes coincés, et coincés de plusieurs manières».
M. Gates a expliqué que l'incertitude entourant le sort des terroristes présumés qui seraient libérés en cas de fermeture rendait le processus fort complexe. Quelque 800 terroristes présumés sont passés par le camp de Guantánamo et 270 y sont toujours incarcérés. Le Pentagone affirme que 36 anciens détenus sont «suspectés d'avoir repris leurs activités terroristes».
«Nous avons environ 70 détenus que nous sommes prêts à renvoyer chez eux», a laissé entendre Robert Gates. Mais il y a un problème, a-t-il ajouté. «Nous craignons que le gouvernement de leur pays ne les accepte pas ou ne les laisse filer», a dit M. Gates, en rappelant qu'un ancien détenu koweïtien de Guantánamo avait récemment commis un attentat suicide dans la ville irakienne de Mossoul.
«Le deuxième problème, c'est que nous avons du mal à savoir ce que nous devons faire de ces 70 ou 80 [détenus] qu'on ne peut pas libérer mais qui ne seront pas jugés et qui ne seront pas renvoyés chez eux», a-t-il poursuivi. «Je ne connais personne qui souhaite que ces terroristes soient placés dans une prison de son État», a-t-il dit. «Ces problèmes nous entraînent à ne rien faire pour résoudre le problème», bien que Washington ait répété à plusieurs reprises son intention de fermer cette prison, a aussi lancé M. Gates. Ce dernier avait indiqué qu'il voulait fermer le site lorsqu'il a pris la relève de Donald Rumsfeld au Pentagone à la fin de 2006.
Source : Le Devoir, 21 mai 2008

mercredi 21 mai 2008

Guantanamo, l'hypocrisie européenne

Note de lecture sur le livre "Mission Guantanamo" d'Anne-Marie Lizin. Préface de Boutros Boutros-Ghali, Ed. Perrin, 182 pages, 14,80 €
par Corine Lesnes, Le Monde, 20 Mai 2008
Représentante spéciale pour Guantanamo de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l'ancienne présidente du Sénat de Belgique Anne-Marie Lizin fait partie de ceux qui plaident pour aider les Etats-Unis à vider la prison ouverte en janvier 2002 par le Pentagone pour accueillir les détenus de la "guerre antiterroriste".
Pour elle, il entre beaucoup d'hypocrisie dans la position des Européens, qui dénoncent le "trou noir" juridique créé par l'administration Bush, mais refusent de donner un visa aux prisonniers que les Américains ne demandent qu'à libérer. "Il y a un sentiment antiaméricain un peu simpliste, regrette-t-elle : "Ce sont eux qui ont créé le problème. A eux de le résoudre"." A quelques mois de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, elle a aussi noté les réticences à "aider les républicains". Une erreur, selon elle ("les démocrates sont demandeurs, aussi, de cette fermeture"). Et un déni d'humanité pour les innocents qui attendent un asile.
Dans ses rapports à l'OSCE, une organisation de 56 membres dont les Etats-Unis, Mme Lizin a recommandé la fermeture du camp, tout en évitant de prendre de front Washington, ce qui lui a valu les éloges de John Bellinger, le "M. Guantanamo" du département d'Etat, pour la manière avec laquelle elle a "dépassé l'hystérie" internationale sur le sujet. Dans son livre, elle expose ses "négociations secrètes pour vider la prison de la Navy".
Elle raconte avec le ton d'une personne qui est entrée dans la cage aux lions, a essayé de les amadouer, et qui, n'ayant pas été dévorée, plaide qu'ils se sont beaucoup assagis. A sa première visite à Washington, en 2005, elle s'est vu opposer un refus catégorique de la part des autorités : pas question de visiter "Gitmo". Deux ans et demi plus tard, elle faisait du lobbying à Helsinki en compagnie d'une équipe du Pentagone et du département d'Etat pour trouver des points de chute aux détenus dont les Etats-Unis souhaitent se décharger.
Quand le récit s'achève, en décembre 2007, il reste encore 275 détenus à Guantanamo, dont une centaine de Yéménites pour lesquels les Etats-Unis essaient de négocier un programme de "rééducation" similaire à celui qu'ils ont mis en place avec l'Arabie saoudite. Et vingt-trois détenus que les Américains appellent "NLEC" ("no longer enemy combattants"). Ceux-là ne sont plus considérés comme "dangereux", pour autant qu'ils l'aient jamais été, mais ils ne peuvent être renvoyés dans leurs pays pour des raisons multiples. Parmi eux, seize Ouigours, quatre Ouzbeks, un Egyptien, un Palestinien et un Somalien.
Pour Mme Lizin, il entre une part de "responsabilité internationale" dans le combat assumé par les Américains. C'est pourquoi elle en appelle à la "solidarité" entre l'Europe et les Etats-Unis. Dès lors qu'il ne restera plus à "Gitmo" que les 80 suspects que les Etats-Unis entendent juger, le Pentagone fera moins de difficultés pour les transférer sur le continent, et le camp pourra être fermé, affirme-t-elle.
Tout aussi controversées risquent d'être les pages consacrées au projet de révision des conventions de Genève pour les adapter aux conflits asymétriques "modernes". Depuis les attentats de 2001, les Etats-Unis essaient d'entraîner leurs partenaires dans cette logique, que réfutent le gouvernement suisse et les organisations humanitaires. Le candidat républicain John McCain est favorable à une réflexion sur le sujet, ainsi que nombre de démocrates. Pour Mme Lizin, une nouvelle fois d'accord avec les responsables américains, c'est à l'OTAN qu'il appartient de jeter les bases d'une nouvelle convention.

FBI contre Pentagone et CIA

Les agents de la police fédérale américaine (FBI) chargés de participer aux interrogatoires des détenus à Guantanamo, en Irak et en Afghanistan, se sont opposés aux techniques les plus dures mises en place par l'armée et la CIA, selon un rapport gouvernemental publié mardi.

Après plus de 3 ans d'enquête, l'inspecteur général (IG) du ministère de la Justice conclut que les agents du FBI ont «en général évité de participer aux mauvais traitements», et pour beaucoup dénoncé les actes dont ils ont été témoins.
Entre 2001 et 2004, le FBI a envoyé un total de plus de 200 agents en Afghanistan, 500 à Guantanamo et 260 en Irak.
Le rapport de 370 pages détaille surtout les frictions qui ont opposé le FBI et le Pentagone autour des cas d'Abou Zubeida, un proche d'Oussama ben Laden arrêté en mars 2002, et de Mohammed Al-Qahtani, un détenu de Guantanamo souvent considéré comme «le 20e pirate de l'air».
Il «confirme que les hauts responsables du FBI savaient dès 2002 que d'autres agences utilisaient des méthodes d'interrogatoire abusives et potentiellement illégales», mais qu'ils n'ont rien fait pour l'empêcher, a commenté Jameel Jafer, de l'organisation de défense des libertés ACLU, qui s'est dit «perturbé» de voir que «la direction du FBI semble s'être plus préoccupée d'éviter toute responsabilité que de faire appliquer la loi».
Abou Zubeida, transféré des prisons secrètes de la CIA à Guantanamo en 2006, a été le premier haut responsable d'Al-Qaïda arrêté après le 11-Septembre, et la CIA a reconnu en février qu'il avait été soumis à la simulation de noyade, une technique considérée par beaucoup comme de la torture.
Fondé sur des centaines de témoignages et l'examen de 500.000 pages de documents, le rapport explique que dans les jours qui ont suivi l'arrestation d'Abou Zubeida, les agents du FBI ont pris en charge ses interrogatoires, et obtenu des bribes d'information par «construction de relation».
Mais six mois après le 11 septembre, l'administration redoutait un nouvel attentat et exigeait des informations plus précises et plus rapides. La CIA a pris le relais, et des agents du FBI ont rapidement dénoncé ses méthodes.Le débat est remonté jusqu'aux responsables du FBI, qui a décidé en août 2002 de ne plus participer aux interrogatoires utilisant des techniques non-autorisées dans leurs services, même lorsqu'il s'agissait de suspects sur lesquels ils enquêtaient depuis des années.
Quelques mois plus tard, les mêmes questions se sont présentées à Guantanamo, quand l'armée a commencé à appliquer des techniques dures, tout particulièrement contre M. Qahtani.
Selon un compte-rendu d'interrogatoire détaillé rendu public en 2005, M. Qahtani a subi plusieurs semaines de calvaire: isolement absolu, humiliations, musique assourdissante, températures extrêmes, 20 heures d'interrogatoire par jour...
Certains agents ont émis des doutes sur la légalité de ce traitement, mais à Washington, le débat a surtout porté sur la fiabilité et la recevabilité de déclarations recueillies de cette manière.Mais le point de vue du Pentagone l'a emporté. Les agents du FBI ont renoncé à participer aux interrogatoires les plus musclés, note le rapport.«Ce n'est pas quelque chose de nouveau», a déclaré un porte-parole du Pentagone, Bryan Whitman, soulignant qu'une enquête interne avait conclu à seulement trois violations du manuel militaire.
«Certains ont laissé entendre que les mauvais traitements étaient (..) le fait de quelques 'pommes pourries' agissant de leur propre initiative, le rapport (de mardi) est la preuve que ce n'est tout simplement pas vrai», a en revanche estimé le président démocrate de la commission des Forces armées du Sénat, Carl Levin.Le jour même de la publication de ce rapport, l'avocate de M. Qahtani a annoncé qu'il avait tenté de se suicider en avril à Guantanamo.
Source : AFP, 20 mai 2008

lundi 19 mai 2008

Sourde bataille politique et judiciaire autour des premiers procès de Guantanamo

par Corine Lesnes, Le Monde, 17 mai 2008


Le nom officiel de l'endroit est Complexe judiciaire expéditionnaire, mais les militaires l'appellent "Camp Justice". C'est là que l'administration américaine espère commencer – avant l'élection présidentielle de novembre – les procès des suspects qu'elle détient à Guantanamo depuis six ans, afin de "montrer qu'elle ne s'est pas trompée", comme le dit un responsable européen qui s'est rendu récemment sur la base américaine de l'île de Cuba.
Sous Donald Rumsfeld, le Pentagone avait prévu la construction d'une cité judiciaire digne des ambitions du ministre. L'actuel secrétaire à la défense, Robert Gates, a considérablement réduit le projet. Il a fait remplacer les bâtiments en dur par des préfabriqués et des tentes, signe qu'il n'est pas tout à fait convaincu lui-même de l'entreprise, mais, a-t-il expliqué devant le Congrès, "je n'ai pas réussi à parvenir à un accord au sein de l'exécutif sur la manière de procéder" pour fermer la prison.
En quelques mois, des unités de la Garde nationale ont construit le siège de la justice militaire. Situé sur l'ancien aéroport de la base navale, entouré de barbelés, le camp est prévu pour héberger 500 personnes en quasi-autarcie pendant la durée des procès : magistrats, avocats, greffiers, journalistes et gardes de sécurité. La salle d'audience est un bâtiment sans fenêtres, de haute sécurité. Une vitre de Plexiglass sépare l'audience des spectateurs. Le juge pourra couper le son dans la galerie lorsque seront examinés des documents classés.
Si tout est prêt, du côté des installations, pour le premier procès, le 2 juin, qui devrait être celui de Salim Ahmed Hamdan, l'ancien chauffeur d'Oussama Ben Laden, il n'en va pas de même des procédures légales. Un an et demi après la loi d'octobre 2006 créant les "commissions militaires", la défense et l'accusation continuent d'argumenter sur la marche à suivre, alors que les ONG et les avocats civils contestent le principe même de cette juridiction d'exception qui admet les éléments à charge obtenus sous la contrainte pour autant que les interrogatoires aient eu lieu avant décembre 2006.
Une épreuve de force s'est engagée autour du calendrier. Le général Thomas Hartmann, du bureau des commissions militaires, a préparé une liste de 14 noms : 8 détenus, dont Salim Hamdan et le Canadien Omar Khadr, sont accusés de soutien matériel à des faits de terrorisme ; 6 autres le sont spécifiquement pour les attentats du 11 septembre 2001, dont Khaled Cheikh Mohammed. Le Pentagone a confirmé ses accusations contre ce dernier, mardi 13 mai, mais il a en revanche retiré sans explication ses accusations contre un autre membre présumé du complot, Mohammed Al-Qahtani, qui aurait dû être le 20e kamikaze.
Si aucune date n'a été fixée pour le "procès du 11-Septembre", les militaires ont déjà prévu que quelques proches de victimes pourraient assister aux audiences à Guantanamo même, et que les autres familles auraient accès à des retransmissions privées dans des bases militaires aux Etats-Unis.
Les défenseurs des droits de l'homme accusent le bureau des commissions militaires de chercher à presser le mouvement pour des raisons politiques : soit pour créer un contexte favorable au candidat républicain John McCain, en ramenant le terrorisme au coeur de la campagne électorale à l'automne, soit pour obtenir la condamnation des détenus avant qu'une nouvelle administration se mette en place, sachant que tous les candidats sont favorables à la fermeture de la prison. Décidés à ralentir le mouvement, les avocats multiplient les objections. Plus de 30 motions ont été déposées concernant le seul Salim Hamdan. La justice militaire est au centre de ce bras de fer. Les avocats de la défense, dirigés par le colonel Steven David, se plaignent qu'ils n'ont pas assez de moyens pour préparer sérieusement les procès.
Au sein même du bureau des commissions militaires, chargé de préparer les dossiers, la bagarre a pris la forme d'une mutinerie depuis que le procureur en chef, le colonel d'aviation Morris Davis, a démissionné en octobre 2007 en se plaignant de pressions pour accélérer les poursuites contre les suspects des attentats de 2001. Le 28 avril, le colonel est venu à Guantanamo même, à la demande des avocats de Salim Hamdan, pour témoigner contre certains de ses anciens supérieurs. Il s'est assis à 10 m du siège qu'il occupait quand il était procureur – il n'est pas opposé au principe des commissions militaires – et il a expliqué qu'il n'avait pas voulu considérer les preuves recueillies après des interrogatoires comportant des séances de "waterboarding" (simulation de noyade), quand bien même le général Hartmann avait souligné "la valeur politique stratégique" d'un procès avant novembre 2008.
Dans une décision sans précédent, divulguée le 9 mai, le juge militaire, le capitaine Keith Allred, a prescrit que le général Hartmann soit déchargé de toute responsabilité concernant les commissions militaires, à cause de l'influence qu'il a tenté d'exercer sur les procureurs. Cette décision risque de retarder encore les procédures. Pour l'avocate Jennifer Daskal, qui a suivi les audiences, fin avril, à Guantanamo, il est "très improbable" que les procès puissent se tenir selon le calendrier souhaité par l'administration : "Chaque petit détail finit par être l'objet de contestations parce qu'il n'y a pas de précédent", conclut-elle.

vendredi 16 mai 2008

Géométrie variable au Canada

Brenda Martin, rapatriée à grands frais du Mexique
Abousfian Abdelrazik, "oublié" au Soudan
Omar Khadr, "oublié" à Guantánamo


Justice à géométrie variable
Si vous êtes pris dans les griffes d'un système judiciaire étranger et espérez l'aide du gouvernement canadien, il vaut mieux pour vous d'être né au pays, d'avoir la peau blanche et un nom à consonance européenne, et de ne pas fréquenter une mosquée, écrit avec indignation Kris Kotarski, du Calgary Herald. Alors que le gouvernement fédéral a dépêché un avion pour sortir Brenda Martin du Mexique, Abousfian Abdelrazik continue d'être coincé au Soudan depuis cinq ans. Il y a été emprisonné pendant un temps à la demande des services de renseignement canadiens, qui disent le soupçonner de terrorisme. Il a été libéré et, depuis, aucune accusation n'a été portée contre lui au Soudan ou au Canada. Malgré cela, il n'arrive pas à obtenir les documents de voyage nécessaires pour revenir au pays car il figure sur une liste internationale d'interdiction de vol. L'homme peut être dangereux, mais il peut aussi s'agir d'une répétition de l'affaire Arar, note Kotarski. À son avis, le gouvernement doit traiter tout le monde de la même façon et aider Abdelrazik avec autant de diligence que Brenda Martin.
Le Globe and Mail s'insurge à son tour.
«Le gouvernement de Stephen Harper a une étrange façon de choisir qui il défendra à l'étranger. Ronald Allen Smith fait face à la peine de mort au Montana, le Canada reste silencieux. Omar Khadr, un Canadien arrêté à l'âge de 15 ans, est le seul Occidental encore détenu à la prison américaine de Guantánamo et le Canada reste silencieux. Abousfian Abdelrazik, un Canadien soupçonné d'association terroriste, est dans les limbes au Soudan, incapable de revenir au pays à cause d'une bureaucratie tatillonne, dit le gouvernement canadien. Mais quand Mme Martin attend son transfert après avoir été condamnée à cinq ans de prison au Mexique pour participation à une fraude en ligne, le gouvernement canadien balance par la fenêtre prudence et argent.» Le Globe rappelle que 1815 Canadiens sont détenus à l'étranger. Pourquoi alors faire payer 82 767 $ aux Canadiens pour rapatrier Martin à bord d'un jet loué? Le quotidien note que les déboires de cette Canadienne ont dominé les nouvelles durant une période creuse, mettant le gouvernement dans l'embarras. Le Globe soupçonne ce même gouvernement d'avoir voulu mettre tout simplement un terme à la couverture négative qu'il subissait. À nos frais...
Source : Le Devoir, 10-11/05/2008

Ex-enfant soldat prisonnier à Guantánamo - Rapatriez Omar Khadr au Canada!
Nous, les organisations soussignées oeuvrant pour la protection des droits de l'enfant, enjoignons au gouvernement canadien d'intervenir immédiatement dans le dossier d'Omar Khadr et demandons son rapatriement au Canada dans les plus brefs délais. Nous le prions de bien vouloir prendre en compte deux facteurs importants qui n'ont pas jusqu'à maintenant retenu l'attention méritée:
>- l'importance du respect des normes internationales afin de mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats;
>- l'obligation clef stipulée par ces normes de réhabiliter et de réinsérer les enfants touchés par les conflits armés.
Un précédent
Le Canada a donné l'exemple lors de l'adoption du Protocole facultatif relatif à l'implication des enfants dans les conflits armés et des résolutions du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés. Il est dans l'intérêt de tous, notamment les militaires canadiens, que ces lois soient maintenues. Elles sont destinées à mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats.
La manière avec laquelle le Canada traite le cas d'Omar Khadr créera un précédent pour les autres pays et aura donc un impact majeur sur la réputation et l'influence du Canada dans les domaines de la paix, de la sécurité et des droits de la personne. Ce traitement pourra soit diminuer, soit accroître l'importance de faire respecter les normes internationales pour mettre fin au recours aux enfants soldats.
Droit international
Nous demandons au gouvernement canadien de donner préséance au droit international sur la décision récente du juge militaire qui préside la commission militaire créée par les États-Unis dans la baie de Guantánamo d'entendre le cas d'Omar Khadr. Les commissions militaires échouent généralement à appliquer les normes en matière de jugement équitable et ne prévoient aucune disposition portant sur les jeunes contrevenants ou les enfants touchés par les conflits armés.
Plus particulièrement, il est à noter que les États-Unis ont aussi ratifié le Protocole facultatif relatif à l'implication des enfants dans les conflits armés, même s'ils n'ont pas ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, et que les avocats du département de la Défense des États-Unis tiennent également à ce que le Canada respecte cette loi.
Le Canada a la possibilité de faire preuve de leadership dans ce domaine en rapatriant immédiatement Omar Khadr, comme les autres pays l'ont fait avec leurs ressortissants détenus à Guantánamo. Si le Canada ne respecte pas ce protocole, il sera beaucoup plus difficile de s'attendre à ce que les autres pays ne fassent pas de même.
Enfants soldats
Dans les situations de conflit, malheureusement, les enfants sont souvent recrutés et utilisés en tant qu'enfants soldats. Deux principes au coeur de ce protocole sont la condamnation de l'utilisation d'enfants en tant que combattants par n'importe quel groupe ou force armée ainsi que l'obligation des États de fournir aux enfants démobilisés «toute l'assistance appropriée en vue de leur réadaptation physique et psychologique et de leur réinsertion sociale» (article 6, paragraphe 3).
Tel que stipulé dans la Convention relative aux droits de l'enfant, les systèmes de justice juvénile constituent le moyen approprié pour traiter les cas d'enfants en conflit avec la loi. Le Canada a été l'instigateur du développement et de l'adoption des lignes directrices en matière de justice dans les affaires impliquant des enfants victimes et témoins d'actes criminels, qui garantissent aux enfants le droit d'être protégés contre les épreuves survenues pendant le processus judiciaire.
Aucun tribunal international existant n'a jamais poursuivi un enfant pour des crimes de guerre, ce qui témoigne de la reconnaissance au sens large du fait que le recrutement et l'utilisation d'enfants dans les conflits armés est un sérieux abus des droits de la personne en soi. Exploitation de l'âge
Le principe donnant la priorité à la réhabilitation et à la réinsertion des jeunes dans n'importe quel système judiciaire est une composante essentielle de ce protocole et un principe fondamental de l'approche à long terme du Canada en ce qui a trait à la justice juvénile. Le Canada a signé les principes de Paris et les principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, qui soulignent que «les enfants accusés d'avoir commis des crimes de droit international alors qu'ils étaient associés à des forces armées ou à des groupes armés doivent être considérés principalement comme les victimes d'atteintes au droit international et non pas seulement comme les auteurs présumés d'infractions. Ils doivent être traités d'une façon conforme au droit international, dans un cadre de justice réparatrice et de réinsertion sociale, conformément au droit international, qui offre une protection particulière à l'enfant à travers de nombreux accords et principes».
La commission militaire n'offre pas un tel cadre. Plutôt que de susciter une protection en vertu de sa condition de mineur, l'âge d'Omar Khadr a été exploité depuis le début. Les inquiétudes à propos des interrogations lors d'une détention sans contact avec l'extérieur sont aggravées lorsque le détenu est un enfant, comme dans le cas d'Omar Khadr.
L'aide du Canada
Nous exhortons le Canada à faire ce que le Conseil de sécurité des Nations unies et le Canada demandent aux autres pays de faire: développer les stratégies de réhabilitation et de réinsertion pour les enfants qui ont été impliqués dans un conflit armé. Le Canada a aidé d'autres pays à développer des plans efficaces pour réhabiliter d'anciens enfants soldats qui étaient auparavant impliqués dans des activités militaires similaires ou même plus graves que celles évoquées dans les allégations retenues contre Omar Khadr (ce qui, faut-il le rappeler, n'a pas été vérifié devant une cour de justice légitime).
Au lieu de faire subir des procédures judiciaires accusatoires à d'anciens enfants soldats, de telles stratégies favorisent plutôt la participation de ces derniers aux plans de réinsertion destinés à faire coïncider l'intérêt supérieur des enfants avec ceux de la communauté dans laquelle ils évolueront.
Changer de cap
Le Canada devrait faire ce que les autres pays se doivent également de faire. S'il choisit de ne pas respecter la loi ni d'honorer ses engagements, il sera beaucoup plus difficile de demander aux autres pays de le faire, à la fois en tant que membre de l'Organisation des nations unies et champion de la résolution 1612 du Conseil de sécurité, développée afin de protéger les enfants dans le contexte d'un conflit armé. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de revoir votre position au sujet du citoyen canadien Omar Khadr. [...]
Ont signé ce texte:
Brendan Cavanaugh, secrétaire général de Terre des Hommes Canada; le Comité d'aide aux réfugiés (Québec); Roméo Dallaire, sénateur; Nigel Fisher, président et directeur général d'UNICEF Canada; l'Association internationale des avocats de la défense; David Lord, directeur exécutif de Paix durable; Rosemary McCarney, présidente et directrice générale de Plan Canada; David Morley, président et directeur général de Save the Children Canada; Alex Neve, secrétaire général d'Amnesty International Canada; Landon Pearson, Landon Pearson Resource Centre for the Study of Childhood and Children's Rights, université Carleton; Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés du Québec; Nadja Pollaert, directrice générale du Bureau international des droits des enfants; Kathy Vandergrift, présidente du conseil d'administration de la Coalition canadienne pour les droits de l'enfant; War Child Canada; Maria Beatriz Hennessy, consultante; Myriam Denov, professeure associée à l'École de service social de l'université McGill; Graeme MacQueen, ancien directeur et fondateur du Centre pour les études de paix; Bonny Ibhawoh, actuel directeur du Centre pour les études de paix de l'université McMaster; Jessica Schafer, professeure associée à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

dimanche 11 mai 2008

Sami Al Haj libéré, RSF pérore sans vergogne

Analyse d’un communiqué de RSF du 1er mai 2008. (Extraits. Le texte complet est sur son site)
par Maxime Vivas, 5 mai 2008

« Reporters sans frontières a exprimé son immense soulagement après la libération de Sami Al-Haj, le 1er mai 2008. Le cameraman d’Al-Jazira était détenu depuis juin 2002 sur la base américaine de Guantanamo » […]
« Sami Al-Haj n’aurait jamais dû être détenu aussi longtemps. » […]
« Régulièrement torturé, soumis à près de 200 interrogatoires par ses geôliers… » […]
« Selon un mémorandum remis au gouvernement soudanais par l’administration américaine, les contreparties exigées à une remise en liberté de Sami Al-Haj seraient l’interdiction de reprendre ses activités de journaliste, et celle de sortir du territoire soudanais. »
Questions :
1 -Pourquoi écrire que Sami Al Haj n’aurait pas dû être détenu « aussi longtemps » puisqu’il était innocent ? Le communiqué de RSF dit que « les autorités américaines » (les tortionnaires) n’ont jamais rien prouvé contre Sami Al Haj et qu’aucune « inculpation n’a jamais été prononcée contre le journaliste ». RSF considère-t-elle qu’un journaliste innocent peut être torturé quelque temps si le bourreau se réclame de Bush ? Qu’est-ce qui empêche RSF d’écrire : « Le journaliste n’aurait JAMAIS dû être enlevé, encellulé, supplicié » ?
2- Quand RSF a-t-elle brandi un drapeau, sorti des banderoles, escaladé Notre-Dame ou l’Empire State Buiding contre les tortures régulières par l’armée US d’un journaliste innocent ? Quand va-t-elle porter plainte en son nom grâce à son « réseau Damoclès » conçu à cet effet ?
3- Quand RSF va-t-elle brandir un drapeau, suspendre des banderoles sous le Golden Gate Bridge de San Francisco, escalader la Tour Eiffel, vendre des tee-shirts où les bandes rouges de la bannière étoilée seraient remplacées par des fils de fer barbelés, ameuter l’opinion mondiale, appeler à boycotter les compétitions sportives présentes et futures avec les USA contre cette interdiction de travailler faite depuis Washington à un journaliste soudanais (et ne parlons pas de ceux que l’armée US à fait taire en les expédiant six pieds sous terre) ?
Où, dans le communiqué de RSF, lit-on l’amorce du début d’un commencement de réprobation de ce musellement d’un journaliste ?
Mais pourquoi le journaliste Sami Al Haj a-t-il été si longtemps l’otage des Etats-uniens ? Lisons The Guardian du 26 septembre 2005 :
« Sami Al-Haj aurait reçu des autorités américaines la promesse d'une libération et l'octroi d'un passeport américain s'il consentait à espionner sa propre chaîne pour le compte de Washington […] Il se plaint d’avoir été interrogé plus de 100 fois, mais pas à propos des accusations. M.Haj dit que lors d’un interrogatoire, la nationalité américaine lui a même été proposée, s’il acceptait de devenir espion. » Ils ont dit : si tu travailles pour nous, nous t’apprendrons le journalisme, nous te donnerons un visa pour vivre où tu veux, nous te donnerons même la nationalité américaine, nous te protégerons et te donnerons de l’argent. Nous t’aiderons à écrire un livre et nous le publierons. Cela aidera à ce que les gens d’Al Qaida te contactent et travaillent avec toi. M. Haj a également déclaré que les américains ont menacé de s’en prendre à sa famille s’il refusait d’espionner une fois libéré. »
Ô, militants de RSF ! ici vous était dit pourquoi Sami Al-Haj a été si longtemps encagé. Ici vous était dit qu’un gouvernement manipule la presse, chose que vous ne tolérez pas dans les pays du tiers-monde et vous le faites assez bien savoir. Ici vous était dit que le prisonnier n’a pas failli, même pour protéger les siens. Ici vous était dit que cet homme, qui fit honneur à sa profession dans les pires des conditions, méritait mieux que votre soutien à éclipses.

Dans mon livre « La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux faucons du pentagone » (Editions Aden), je consacre tout un chapitre à démontrer l’inaction de RSF (aussi longtemps qu’elle a été possible) contre le scandale de l’incarcération de Sami Al Haj. J’en fais l’analyse au fil des années. En voici un passage qui prouve que RSF a escamoté le malheureux et, dénoncée de toute part, a dû faire un pitoyable mea culpa tardif qu’elle gomme aujourd’hui :

« Le 12 septembre 2006, dans une longue lettre ouverte publiée en droit de réponse par le réseau Voltaire, Reporters sans frontières ambitionne de prouver la mauvaise foi de ses détracteurs et cite son action pour Sami Al-Haj.
Il lui faut d’abord expliquer son mutisme prolongé. RSF le qualifie d’erreur » et d’« oubli » tout en le justifiant : elle ne savait pas si Sami Al Haj avait bien « été arrêté en raison de sa qualité de journaliste » et «faute d’information » elle a « attendu ». Pourquoi ne s’être pas renseigné, il y a presque cinq ans, auprès de l’avocat du malheureux, avocat que RSF se vante d’avoir contacté… en 2006 ? Et depuis quand RSF mène-t-elle d’aussi longues enquêtes sur les journalistes qu’elle va défendre ? A Cuba, il suffit qu’un ignare cupide installe dans sa cuisine un télécopieur pour que RSF lui accorde symboliquement le prix Albert Londres dans l’heure qui suit. »

Aujourd’hui, RSF veut faire croire qu’elle a été efficace. Elle « remercie » ceux qui ont aidé à la libération du journaliste. Mais de quel droit, ô mouche du coche sans vergogne ?

RSF ajoute sobrement que « La base doit fermer au plus vite » (elle veut dire : le camp de concentration). Cette revendication avait été émise en janvier 2006 par Amnesty international, en février 2006 par l’ONU, en mai 2006 par l’Union Européenne. Le silence de RSF devenant alors intenable, l’organisation ménardienne a dû la reprendre au détour d’une phrase noyée dans un de ses textes émis en juin 2006.

RSF qui, dans un discret murmure, a été la dernière à demander la fermeture d’un bagne où des journalistes furent torturés, RSF nous ferait bien croire maintenant qu’elle seule soutient cette revendication, alors même qu’elle n’engage aucune action d’aucune sorte, aucune démarche, aucun rassemblement, aucune campagne de presse pour y parvenir, pas plus qu’elle ne le fit pendant qu’un journaliste innocent y était en danger de mort permanent.

La dernière question est : puisque des officines écrans de la CIA subventionnent RSF depuis 2002 à coup de dizaines de milliers de dollars annuels, puisque le contrat passé avec l’une d’elle, la NED, lui interdit d’entreprendre toute action susceptible d’influer sur la politique des USA, RSF a-t-elle des indignations sélectives que seuls le mensonge et la dissimulation peuvent cacher?
Que ceux qui répondent par l’affirmative le fassent savoir à tous les clients potentiels des produits de l’épicerie compassionnelle RSF dont l’arrière-boutique est interdite au public et dont l’exploration par les indiscrets est déconseillée sans des pincettes sur le nez.

Sami Al Haj de retour au Soudan

Sami Al Haj, le caméraman d'Al Jazeera, été rapatrié avec deux autres détenus soudanais à Khartoum le 2 mai. Voici le compte-rendu d'Al Jazeera sur sa libération :
Sami al-Hajj, le caméraman d'Al Jazeera, critique avec virulence le traitement infligé aux détenus de la prison militaire de Guantanamo Bay, prison dans laquelle il a été emprisonné pendant près de 6 ans et demi.
Sami al-Hajj raconte que « les rats sont traités avec plus d'humanité » que les prisonniers dont « la dignité humaine est violée ». Sami Al-Hajj, arrivé au Soudan tôt vendredi 2 mai, est sorti du jet des Forces de l'Air américain sur un brancard et a été envoyé immédiatement à l'hôpital.
Son frère, Asim al-Hajj, dit qu'il ne reconnaissait pas le caméraman qui avait l'air d'avoir 80 ans. Mais dit Sami, « J'ai eu de la chance car Dieu a permis que je sois libéré ». Ses préoccupations se sont bientôt revenues vers les 275 prisonniers laissés derrière lui dans la prison militaire de Guantanamo.
Dignité violée
« Je suis très heureux d'être au Soudan mais je suis très triste à cause de la situation de nos frères restés à Guantanamo. Les conditions y sont très très mauvaises et elles empirent chaque jour » raconte-t-il de son lit d'hôpital. « Notre condition humaine, notre dignité humaine ont été violées et l'administration américaine a perdu toutes les valeurs humaines, toutes les valeurs morales, toutes les valeurs religieuses ».
« Les rats sont mieux traités que nous à Guantanamo. Il ya des gens de plus de 50 pays qui sont totalement privés de leurs droits et privilèges. Ils ne leur donnent même pas les droits qu'ils donnent aux animaux » dit-il. Al-Hajj s'est plaint que durant plus de sept ans, les prisonniers n'ont même pas été amenés devant un tribunal civil afin de défendre leur cause. Un homme libre L'ambassade des Etats-Unis à Khartoum a délivré une brève déclaration confirmant qu'un « transfert de prisonnier » au Soudan avait eu lieu et ajoutant que la coopération du Soudan avait été appréciée.
Un haut responsable de la défense américaine à Washington parlant sous condition d'anonymat a dit à Reuters qu'al-Hajj « n'était pas libéré mais simplement transféré au gouvernement soudanais ».
Mais le ministre de la justice du Soudan a dit à Al Jazeera qu'al-Hajj était un homme libre et qu'il ne serait ni arrêté ni mis en accusation.
Deux autres détenus soudanais de Guantanamo, Amir Yacoub al-Amir et Walid Ali, ont été libérés en même temps que Sami al-Hajj. Ils racontent qu'ils ont eu les yeux bandés, qu'ils étaient menottés et enchaînés à leurs fauteuils pendant leur vol de retour.
L'organisation Reprieve qui représente certains prisonniers de Guantanamo, rappore que le prisonnier marocain Said Boujaadia avait également été libéré et qu'il a pris le même vol que les trois soudanais. Sami al-Hajj était le seul journaliste appartenant à une grande organisation d'information internationale détenu à Guantanamo et beaucoup de personnes qui le soutenaient voyaient dans sa détention une forme de punition par rapport aux contenus des émissions diffusées.
Capturé en 2001
Il a été capturé par des officiers de renseignement pakistanais alors qu'il voyageait près de la frontière afghane en décembre 2001. Malgré le fait qu'il détenait un visa légal pour travailler pour la chaîne en arabe d'Al Jazeera en Afghanistan, il a été remis à l'armée américaine en janvier 2002 et envoyé à Guantanamo Bay. Al-Hajj qui est soudanais a été détenu en tant que « combattant ennemi » et ce, sans jamais avoir été mis en accusation ni été passé en jugement. Al-Hajj n'a jamais été poursuivi à Guantanamo ce qui fait que les Etats-Unis n'ont pas rendu publique toutes les allégations contre lui.
Audition qui a déterminé qu'il était bien un combattant ennemi, des officiels américains ont prétendu que dans les années 90, al-Hajj avait été cadre supérieur d'une compagnie de boissons basée au Qatar qui apportait un soutien aux combattants musulmans en Bosnie et en Tchétchénie.
Les Etats-Unis prétendaient aussi qu'il était allé au moins huit fois en Azerbaïdjan pour apporter de l'argent de la part de ses employés à la Fondation Islamique al-Haramain, une organisation aujourd'hui disparue qui selon les Etats-Unis finançaient des groupes armés.
Les Etats-Unis ont également prétendu qu'il avait rencontré Mamdouh Mahmud Salim, un prétendu lieutenant supérieur d'Osama Ben Laden qui avait été arrêté en Allemagne en 1998 puis extradé aux Etats-Unis. Les avocats de Sami al-Hajj ont toujours nié ces allégations.
Un élément de racisme
Sami al-Hajj était en grève de la faim depuis le 7 janvier 2007. David Remes, un avocat pour 17 prisonniers de Guantanamo Bay, a raconté à Al Jazeera que le traitement appliqué à Sami al-Hajj « était plus terrible que pour la plupart des autres et qu'il y avait un élément de racisme dans la façon avec laquelle il avait été traité. Il dit qu'il avait été en contact avec l'avocat d'al-Hajj et qu'il semblait que le caméraman a été « détérioré psychologiquement ». « Les Européens n'auraient jamais été traités de la sorte » dit Remes.
Environ 275 prisonniers sont encore à Guantanamo et l'avocat dit que les prisonniers européens étaient tous retournés dans leurs pays, laissant derrière eux des détenus d'autres nationalités comme les Yéménites qui constituent un tiers de la population des prisonniers. Remes raconte qu'al-Hajj avait été libéré parce que l'administration Bush « veut vider autant d'hommes que possible hors de Guantanamo aussi rapidement que possible...étant donné que Guantanamo est devenu un tel symbole international de honte ». « Quand la Cour Suprême a dit que les hommes pouvaient avoir des avocats, la pression sur les Etats-Unis a augmenté et la condamnation a isolé l'administration américaine. Guantanamo a été un désastre pour les relations publiques » dit-il. « Malheureusement, les Américains sont sensibles aux violations des droits mais n'ont aucune sympathie pour les hommes détenus à Guantanamo étant donné que l'administration Bush a réussi à les dépeindre comme étant les pires des pires personnes malfaisantes ».
« J'ai rencontré beaucoup de prisonniers et ai été amené à reconnaitre leurs souffrances...nous les reconnaissons en tant qu'êtres humains, pas les pires des pires et nous avons rencontré leurs familles. J'ai été à Guantanamo et la dimension humaine de Guantanamo est une histoire qui reste encore à être racontée » dit Remes.
Inquiétudes et sollicitude d'Al Jazeera
Al Jazeera a fait campagne pour la libération de Sami al-Hajj et ce, depuis sa capture il y a près de six ans et demi. Wadah Khanfar, le directeur-général de la chaîne qui était à Khartoum pour souhaiter la bienvenue à Sami, a dit : « nous sommes fou de joie ». Mais il a critiqué l'armée américaine qui fait pression sur al-Hajj afin qu'il espionne ses employés. « La façon avec laquelle les Américains ont traité Sami al-Hajj nous préoccupe ainsi que la façon avec laquelle ils pourraient aussi traiter tous les autres » dit-il. « Sami continuera avec Al Jazeera, il continuera comme un professionnel qui a fait de formidables boulots durant son travail à Al Jazeera. Nous félicitons sa famille et tous ceux qui connaissaient et aimaient Sami et qui ont travaillé pour ce grand moment ».
Source : http://english.aljazeera.net/English, 2 mai 2008
Traduction de l'anglais : Ana Cléja

vendredi 9 mai 2008

Sami Al Haj commence à parler

par Nicolas Bourcier et Mouna Naïm (à Beyrouth), Le Monde, 8 Mai 2008

Le cameraman soudanais de la chaîne qatarie Al-Jazira, Sami Al-Haj, libéré la semaine dernière après six années d'incarcération sur la base américaine de Guantanamo, a dénoncé, lundi 5 mai, dans une de ses premières déclarations publiques depuis son arrivée à Khartoum, des conditions de détention particulièrement difficiles. L'homme, visiblement affaibli, s'est exprimé en direct à la télévision soudanaise à l'occasion d'une fête officielle et populaire organisée en son honneur.
Sami Al-Haj a déclaré avoir subi 130 séances d'interrogatoire, dont 95 consacrées à son travail et à la chaîne qatarie Al-Jazira. Certains geôliers lui auraient demandé de trahir son employeur et de devenir un espion. Mais, dit-il, "j'ai compté sur Dieu" dans la résistance aux pressions.
Le journaliste a poursuivi en indiquant avoir été soumis à la torture physique et morale. Il a affirmé avoir vu de ses propres yeux comment des soldats ont déchiré le Coran, l'ont souillé, l'ont foulé aux pieds avant de s'asseoir dessus. Il a souligné les avoir observés lorsqu'ils frappaient des prisonniers en des points sensibles du corps.
Vendredi, quelques heures après son arrivée dans la capitale soudanaise, Sami Al-Haj avait affirmé depuis sa chambre d'hôpital que les prisonniers de Guantanamo "étaient privés de prière et qu'il y avait des insultes délibérées contre le livre saint". Il précisait que "la situation était très mauvaise et qu'elle empirait chaque jour un peu plus".
AUCUNE INCULPATION
Arrêté en décembre 2001 à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan par les forces de sécurité pakistanaises, Sami Al-Haj avait été livré un mois plus tard à l'armée américaine, avant d'être transféré sur la base de Guantanamo le 13 juin 2002. D'après Reprieve, une association de défense des droits de l'homme britannique qui représente une trentaine de détenus de Guantanamo, les autorités militaires américaines l'ont accusé d'avoir réalisé une interview d'Oussama Ben Laden. Dans un communiqué, l'organisation a indiqué que cette charge était sans fondement.
Aucune inculpation n'a été prononcée contre Sami Al-Haj à Guantanamo. Lors d'une audition qui devait le qualifier d'"ennemi combattant", des responsables américains ont prétendu qu'il avait travaillé, dans les années 1990, dans une entreprise alimentaire basée au Qatar qui soutenait des combattants musulmans en Bosnie et en Tchétchénie. Ils l'ont également accusé d'avoir rencontré Mamdouh Mahmud Salim, un proche lieutenant de Ben Laden arrêté en Allemagne en 1998 et extradé aux Etats-Unis.
Interrogé par l'Agence France-Presse, le frère du cameraman s'est dit préoccupé par son état de santé. "Nous ne pouvons pas croire que c'est la même personne. Il a la trentaine et il en paraît quatre-vingt-dix", a souligné Issam Al-Haj. Selon Clive Stafford Smith, un des avocats de Sami Al-Haj et responsable de Reprieve, son client, qui avait entamé une grève de la faim le 7 janvier 2007 pour protester contre sa détention, a perdu 18 kilos, souffre de graves problèmes intestinaux et est sujet à des crises de paranoïa.
A Washington, un porte-parole du Pentagone, le commandant Jeffrey Gordon, avait justifié vendredi l'incarcération du cameraman en indiquant que "la décision de le détenir était étayée par des renseignements aussi bien classifiés que publics".
"Le transfert est une démonstration de la volonté des Etats-Unis de ne pas retenir des détenus plus longtemps que nécessaire", a ajouté le Pentagone dans un communiqué, qui précise que 65 autres détenus de Guantanamo sont "éligibles" pour un transfert ou une libération.
Depuis 2002, plus de 500 détenus de Guantanamo ont été transférés vers leur pays d'origine. Quelque 275 y sont toujours incarcérés.